Une voix pour l’Europe de Christ

Nicolas Berdiaev : Constantin Léontiev. Un penseur religieux russe du XIXe siècle.

Editions Berg International, Paris, 1993, 188 p., 34.80 FS.

Ce n’est pas en changeant de nom que la Communauté Européenne dépassera le stade de mort-né. L’Europe ne peut s’unir sous la bannière du seul marché et de l’économie. Un autre dénominateur commun que le désir de consommer plus est nécessaire afin que l’idée de la réunification européenne entre dans le champ de la réalité tout en abandonnant celui d’une utopie qui, sous certaines conditions, peut s’avérer néfaste. Si l’on regarde en arrière, l’histoire, sage maîtresse, nous montre toute une panoplie d’essais d’unification d’Europe à travers les âges, et nous enseigne que seuls ceux qui ont pris en compte la religion chrétienne, sous sa forme orthodoxe ou en tant qu’une des innombrables hérésies, ont eu une chance d’aboutir. Car, finalement, seul le Christianisme est commun autant aux Grecs, Lapons et Hongrois, qu’aux Russes, Allemands et Français… Même les Suisses sont chrétiens et cela ne peut être contesté par aucun Neinsager.

Nous devons naturellement comprendre la notion du Christianisme dans le sens large, comme une sorte de point de départ, et pour le moment négliger le détail afin d’avoir une vision assez claire. Les hérétiques et même les soi-disants athéistes, en argumentant contre le Christianisme orthodoxe ou en le niant, le prennent au centre de leur débat et de leurs idées, sans pouvoir jamais vraiment le vaincre, mais, au contraire, lui redonnent de la force, lui retournent en quelque sorte leurs propres énergies.

Alors, que reste-t-il d’autre aujourd’hui à un Européen curieux que d’essayer de rechercher et de synthétiser à travers ses lectures les effets et les formes de l’esprit chrétien à travers les âges et à travers le continent. Découvrir l’histoire de la pensée de diverses nations européennes pour en dégager l’essence commune et ainsi élaborer une fraternité de fait qui ne reste pas une lettre morte sur des traités illisibles et ennuyeux, voici une tâche digne de notre temps. Et puis la culture ce n’est finalement pas autre chose que la capacité de s’ouvrir à autrui et de l’aimer dans sa complexité différente mais qui néanmoins contient le même fond. C’est aussi la véritable démocratie.

Il me semble que voilà suffisamment de raisons qui justifient mon empressement à vous conseiller un livre qui vient de paraître : la monographie sur le grand penseur russe du XIXème siècle Constantin Leontiev, écrite par un autre grand philosophe russe, Nicolas Berdiaev. Ce dernier est illustre par ses ouvrages anti-révolutionnaires et fortement imprégnés de la spiritualité russe orthodoxe qui sont devenus désormais un « must » incontournable à tous ceux qui désirent comprendre le XXème siècle. La clé de notre siècle se trouve toutefois dans le XIXème et son foisonnement d’idées et systèmes de pensées qui n’ont pas fini d’influencer jusqu’aux détails de notre vie de tous les jours.

Personne aujourd’hui n’ose contester l’importance de la pensée de Nietzsche qui a poussé le plus loin la critique du Christianisme, sans toutefois pouvoir le vaincre et le phagocyter intellectuellement. Le grand penseur a terminé ses jours dans une folie sombre, en signant ses lettres par ce nom qui l’obsédait : « le Crucifié ». Léontiev est inconnu en Occident, et c’est une injustice, car il s’agit là bien d’un précurseur de la pensée nietzschéenne avant Nietzsche lui-même. Son importance est telle qu’elle dépasse les frontières du folklore littéraire et philosophique et fait partie volens nolens de notre patrimoine culturel commun. Sa pensée est vivante et limpide et mérite un public large, non pas uniquement celui de spécialistes.

Noble, grand seigneur, beau et riche, le jeune Léontiev a tout pour réussir en société et auprès des dames, ce qu’il fait joyeusement au début. Aimé et patronné par Tourguéniev, il fait son entrée dans le monde littéraire par des pièces de théâtre, des nouvelles et des courts romans. Soumettant totalement la morale à l’esthétique, il se fait défenseur de F Art tout en menant une vie de débauche. Aucun métier ne le retient : il est médecin, diplomate, écrivain. Au fond de son amoralisme et de son « biologisme esthétique » où le Bien est inséparable du Beau et n’existe qu’à travers lui, Léontiev sent un certain inassouvissement, tout comme Nietzsche quelques années plus tard. Le monde des intellectuels de Moscou et de St. Petersbourg F ennuie, ainsi que la Crimée et F Orient balkanique où il séjourne en tant que diplomate impérial. Ses amours, innombrables, finissent mal, par un mariage sans raison ni affinité, qui lui pèsera toute sa vie.

Finalement, il découvre F orthodoxie, la douce orthodoxie des « starets », des monas­tères russes de la Montagne Sainte, le Mont Athos. Peu à peu, la découverte, d’abord à travers l’esthétique de la liturgie byzantine, puis à travers la mystique de l’ascèse, de l’Esprit orthodoxe chrétien, s’installe dans sa pensée puis son cœur. Léontiev comprend finalement que le seul assouvissement total du désir est l’ascèse, renoncement fondamental à son moi, et devient moine secrètement à l’âge de 40 ans. Pendant les suivantes dernières 20 années de sa vie, il écrit une oeuvre composée d’articles, d’essais, de lettres où il s’insurge contre tous les courants de pensées : aux conservateurs et slavophiles il ne pardonne pas leur nationalisme anti-chrétien et chez les libéraux, progressistes et pro-occidentaux, il ne tolère pas l’irréalisme de leurs théories niveleuses dont il prédit les conséquences funestes. Il est peut-être le premier qui verra que le mouvement communiste sera généré non pas par le prolétariat qui en Russie restera jusqu’à la révolution de 1917 quasi-inexistant, mais bien par un mouvement d’auto­destruction de la bourgeoisie et de l’esprit petit-bourgeois décadent et séparé de tout fond spirituel. L’échec du pouvoir tsariste en Crimée et en Orient, ainsi que la désastreuse révolution de février et d’octobre 1917 démontrent par le fait l’impitoyable justesse et l’envergure de ce grand penseur chrétien.

Léontiev est plus qu’actuel aujourd’hui lorsqu’en Russie s’affrontent de nouveaux conservateurs et de nouveaux progressistes pro-occidentaux. Ni les uns ni les autres n’ ont raison, Léontiev Fa déjà démontré. Avec lui nous sortons de la prison dialectique des deux maux: il nous a ouvert le chemin. La seule voie de la Russie, la seule voie de l’Europe, le seul véritable pont entre la Russie et l’Europe occidentale, ce ne sont pas des réformes économiques utopiques, ce n’est pas le pillage caché sous l’apparence du marché libre ; c’est tout simplement le Christianisme, l’esprit qui imprègne ce continent depuis 2000 ans et grâce auquel les Européens ont bâti une culture riche et chaleureuse, où il fait bon vivre.

Milutin NIKOLIC

Souffrir…, mais pour quoi ?

Editions L’Age d’Homme, Lausanne, 1994, 156 p., 25 FS, 100 FF.

Vient de paraître

Tous, sans exception, nous sommes appelés à souffrir. Mais quand la souffrance nous empoigne, subitement ou sournoisement, nous nous interrogeons douloureusement : Pourquoi moi, et pas un autre ? Qu’aurais-je donc fait pour mériter de telles souffrances ? Quel sens, s’il en existe, peuvent donc revêtir tant de peines, tant de misères ? Et Dieu dans tout cela, où donc est-il, que fait-il ?

Le pasteur Pierre Marcel dans cet ouvrage — son testament spirituel auquel il mettait le point final quelques jours avant sa mort — cherche à répondre à nos interrogations. Aux pourquoi du doute, de la crainte et de 1 ’ incompréhension et même de nos révoltes, il répond par le pour quoi, dans quel but, de l’intelligence de la foi. Se faisant un écho scrupuleux de l’enseignement biblique, il nous révèle que la souffrance pour le chrétien n’est jamais ni punition, ou expiation, ni châtiment divin pour nos fautes, ou condamnation, mais l’œuvre miséricordieuse d’un Dieu juste et plein d’amour envers ses enfants. Par la souffrance, notre Père céleste travaille nos vies avec patience et bonté pour y reformer, y refaçonner Son image si cruellement déformée en nous par le péché.

Dans la ligne de la grande pédagogie des âmes de la tradition véritable de la Réforme, le Pasteur Marcel, dans cette profonde et si simple méditation sur la condition douloureuse des hommes, nous fait, comme en passant, redécouvrir, parmi bien d’autres trésors : le sens pour nos vies de la Sainte Ecriture, la différence entre la logique implacable des sciences (qui ne peut que constater des réalités inéluctables) et celle, divine, de la Foi, qui ouvre nos intelligences à une compréhension juste de la réalité. Ainsi il éclaire la question si difficile de la liberté de l’homme agissant, ou selon la pente de son péché, ou dans la voie de cette vie nouvelle que communique la grâce. Il nous montre la route royale du bonheur des hommes, celle de l’obéissance aux commandements de Dieu. Par dessus tout apparaissent la beauté et la magnificence de l’œuvre créatrice, providentielle et rédemptrice d’un Dieu Saint qui cherche, à travers nos souffrances, à restaurer en nous la perfection de l’image de son Fils Jésus-Christ.

Ce chef d’œuvre de théologie pastorale, ce classique, comme le décrit le professeur Paul Wells dans sa préface, est introduit par F évocation de la vie du Pasteur Marcel due à la plume de son vieil ami, le doyen honoraire Pierre Courthial, et se termine par une bibliographie de ses travaux.