Arabie Saoudite – la police religieuse redouble de zèle

par | Résister et Construire - numéros 30-31

Comme on le sait, le Christ est « interdit de séjour » en Arabie Saoudite, car, ainsi que l’a déclaré très officiellement, en 1987, le Cheik Abou Mahr Djabir, président de la section de propagation de l’Islam à l’Université de Médine : « L’ensemble du Royaume d’Arabie Saoudite est considéré comme une mosquée où deux religions ne peuvent coexister… »

Or, la Guerre du Golfe a posé des problèmes au roi Fahd, puisque le sol sacré de cette « mosquée » se trouvait foulé par des armées « d’infidèles ». Et, dans certaines mosquées, les imams ont excité les croyants contre les soldats occidentaux, et même contre le roi qui les avait fait venir. Par ailleurs, la présence de ces troupes donnait des arguments à la propagande de Saddam Hussein et à tous les intégristes musulmans.

Il fallait donc défendre l’image de marque de l’Arabie Saoudite dans le monde musulman, et montrer qu’il n’y avait aucune raison de soupçonner ce pays de faillir à sa responsabilité de « gardien des lieux saints de l’Islam ». En conséquence, depuis la Guerre de Golfe, les autorités religieuses s’efforcent d’accroître leur emprise sur la population, notamment par l’intimidation et la terreur. Et depuis janvier 1991, la mutawah, police religieuse, a redoublé ses efforts pour détecter et sanctionner les diverses communautés chrétiennes clandestines qui s’étaient constituées depuis quelques années parmi les nombreux travailleurs immigrés. Parallèlement à cette campagne qui n’a pas faibli, on peut noter que depuis l’automne 1992, les autorités incitent par divers moyens la population à fournir des informations sur ces communautés, et il n’est pas interdit de penser qu’elles espèrent pour cela profiter de l’ambiance anti-chrétienne créée dans le pays par la guerre menée par les Serbes et Croates « chrétiens » contre les Musulmans de Bosnie-Herzégovine depuis le printemps de 1992.

Le 16 janvier 1991, un jour avant que ne commencent les bombardements de Bagdad, des agents de la mutawah ont fait irruption dans une villa du nord de Riyad, dans laquelle se réunissaient depuis deux ans deux groupes de chrétiens pentecôtistes constituant la « Fraternité chrétienne charismatique internationale de Riyad » : un groupe philippin (cultes en langue tagalog) et l’autre international (culte en anglais), sous la direction de deux pasteurs philippins, Wally Oswaldo Magdangal et Renato Posedio.

Ces agents détruisirent le piano et confisquèrent les cassettes et les livres chrétiens. Cinq Philippins présents sur les lieux furent arrêtés et expulsés plus tard, après une peine de prison au cours de laquelle ils ont été flagellés. Quant aux deux pasteurs, ils ont été arrêtés, le premier, le 14 octobre 1992 et le second, le 11 novembre. Entre temps, le pasteur Magdangal était entré dans la clandestinité, mais il finit par être découvert, et l’agent de la mutawah qui l’arrêta lui dit triomphalement : « Voilà deux ans que je te cherche ! » Ces deux pasteurs ont été condamnés à mort, et ils devaient être pendus le jour de Noël, sans doute pour servir d’exemple aux travailleurs immigrés chrétiens. Ce verdict inique souleva bien des protestations à l’étranger, et le Président philippin Fidel Ramos, qui est lui-même protestant, adressa le 22 décembre un appel officiel au roi Fahd, afin qu’il épargne la vie de ces deux hommes, qui finalement ont été expulsés le 24 décembre.

Le gouvernement saoudien entreprit de présenter l’affaire à sa façon, en prétendant qu’il n’avait jamais été question d’exécuter ces deux chrétiens, et qu’il s’agissait d’un simple malentendu provenant d’une regrettable confusion de termes entre « expulsion » et « exécution » ! Toutefois, après son retour aux Philippines, le pasteur Magdangal a affirmé que le lieutenant Bandar, de la Mutawah, lui a déclaré le 9 novembre : « Vous avez été condamné à mort par pendaison. » Il a déclaré également qu’après son arrestation il avait été sévèrement torturé de diverses manières presque sans arrêt pendant trois heures et demie : gifles, coups de poing et coups de pied, et, ce qui est pire, coups de baguette sur le dos, la paume des mains et la plante des pieds, au moyen d’une fine baguette de rotin d’environ 150 cm de long[1].

Communautés sud-coréennes

Des informations parvenues fin 1992 ont révélé l’existence de communautés chrétiennes sud-coréennes, dont une particulièrement importante, qui depuis 14 ans se réunissait, sans autorisation bien sûr, dans un bâtiment appartenant à un complexe industriel coréen situé à Diriyah, aux environs de Riyad. L’intérieur de ce bâtiment ressemblait à une église, mais cela n’était pas visible de l’extérieur. Malheureusement, le 4 octobre 1991, à 11h10, une vingtaine de policiers de la mutawah arrivèrent avec 11 voitures et firent irruption au milieu d’un office religieux auquel assistaient 167 chrétiens sud-coréens. L’orgue, le lecteur de cassettes et les cassettes furent confisqués, et 53 femmes et enfants furent emmenés à la prison de Malaz, d’où on ne les libéra que le lendemain à 2 h du matin. Quatorze hommes furent également arrêtés, et détenus pendant quatre jours au poste de police de Diriyah : il s’agissait du pasteur, de choristes ou d’animateurs de l’école du dimanche.

L’ambassade sud-coréenne déploya des efforts énergiques en faveur de ses ressortissants, et elle parvint à faire annuler un ordre d’expulsion global concernant ces 167 chrétiens, de sorte que finalement seuls le pasteur, sa femme et leurs deux enfants durent quitter le pays.

Le 9 octobre 1992, la mutawah mena une opération « coup de poing » en faisant irruption à 15 h dans les locaux de la compagnie sud-coréenne Huyandaï, située à une quarantaine de kilomètres de Riyad, alors que s’y déroulait un service religieux présidé par un technicien sud-coréen du nom de Sun Kuen Park (travaillant depuis 12 ans pour le Ministère saoudien des Télécommunications), et auquel assistaient quatre Philippins et neuf Indiens. Les policiers photographièrent ces chrétiens ainsi que les livres déposés sur la table. Par ailleurs, quatre chrétiens indiens arrivés en voiture près de la porte d’entrée du complexe furent appréhendés par deux policiers postés à cet endroit, et qui les arrêtèrent après avoir découvert une Bible dans leur auto. Au total, 18 personnes furent arrêtées en cet après-midi du 9 octobre, puis emmenées d’abord au poste de police et transférées le 4 novembre à la prison Malaz à Riyad.

Chrétiens indiens

En 1992, des chrétiens indiens ont été également dans le collimateur de la mutawah. En septembre, elle a fait irruption à 2 h du matin dans un camp où habitaient des travailleurs immigrés indiens, et elle emmena deux chrétiens qui avaient une Bible dans leur chambre. Leur employeur saoudien s’est donné beaucoup de mal pour obtenir leur libération. Accusés « d’importation illégale de Bibles », ils ont finalement été libérés sous caution et ont quitté le pays peu après.

Toujours en septembre 1992, la police religieuse a opéré une descente au centre de Riyad, chez un employé de banque britannique lors d’un culte présidé par M. Randjan et auquel assistaient des chrétiens indiens originaires de l’État du Kerala. Les 27 adultes et les 2 enfants qui étaient présents ont tous été arrêtés, mais, suite à l’intervention du Ministre indien des Affaires Étrangères, ils ont été libérés et ensuite expulsés.

Communautés diverses

Mais le zèle de la mutawah s’étend également à un certain nombre de communautés chrétiennes à caractère international, qui réunissent des travailleurs immigrés provenant de divers pays :

  • Il existait à Dahran (sur le Golfe Persique) une communauté clandestine réunissant une trentaine de membres (des travailleurs étrangers, mais aussi, fait rarissime, des Saoudiens), qui se réunissaient trois fois par semaine dans des maisons privées et avaient eu des contacts avec des chrétiens d’Occident, notamment avec un militaire américain. Mais les 10 et 12 février 1992, la mutawah a arrêté les deux dirigeants de cette communauté, qui furent sévèrement battus, puis transférés dans un hôpital de la ville sous le régime de la détention. Par la suite, d’autres chrétiens furent également arrêtés, surtout des travailleurs philippins.
  • Le 28 août 1992, la mutawah a arrêté 19 membres d’un groupe de chrétiens charismatiques qui étaient réunis dans une maison privée à El Kobar près de Damman (Golfe persique, non loin de Dahran). Il s’agissait des chefs de deux familles américaines et de deux familles britanniques, ainsi que de travailleurs indiens et philippins. Le pasteur était un Philippin qui travaillait en Arabie Saoudite depuis des années. Tous ont été détenus pendant 24 heures, puis expulsés.
  • Selon une autre information, la mutawah aurait fait irruption fin 1992, dans une localité de l’Est (il n’a pas été précisé laquelle), dans un local où une communauté chrétienne étrangère était réunie pour la prière. Les nombreux fidèles présents furent arrêtés, et presque tous expulsés par la suite.

Année 1993

Le 20 juillet 1993 furent arrêtés à Riyad neuf chrétiens étrangers réunis pour la prière dans une maison privée. Il s’agit de sept chrétiens du Sri Lanka et de deux provenant de l’Inde du Sud. Par la suite, deux d’entre eux ont été expulsés, il s’agit de deux citoyens du Sri Lanka chez qui avait lieu la réunion de prière. Les sept autres ont passé quinze jours en prison, puis furent libérés et autorisés à continuer leur travail en Arabie Saoudite.

En octobre 1993, huit chrétiens philippins ont été arrêtés à Khamis Mushyat, puis ils auraient été expulsés.

Trois autres chrétiens philippins arrêtés en 1992 ont été expulsés le 1ᵉʳ novembre 1993, parmi lesquels deux pasteurs accusés d’avoir « organisé une Église » et qui avaient été arrêtés le 29 octobre 1992 et condamnés à deux ans de prison et à 500 coups de fouet chacun, répartis en dix séances.

Actuellement, la police fait souvent irruption dans des locaux de travailleurs étrangers situés dans le nord du pays, pour voir s’ils ne sont pas occupés à prier.

Le bilan de l’activité de la mutawah de 1991 à 1993 serait, selon « Amnesty International », de 329 chrétiens arrêtés, dont 325 originaires de pays en voie de développement. La durée de leur détention n’est pas précisée, elle est en général courte (sauf hélas pour certains cas) et elle est suivie très souvent par une mesure d’expulsion.

Mais d’une part, le séjour, même court, dans les lieux de détention saoudiens, est en général marqué par diverses formes de châtiments brutaux et dégradants, pouvant aller jusqu’à la torture et la flagellation.

D’autre part, après leur expulsion, tous ces travailleurs indiens, philippins, coréens ou autres, qui étaient venus en Arabie Saoudite pour échapper au chômage dans leur pays, ou au moins améliorer leur salaire, se retrouvent dans une situation précaire une fois rentrés dans leur pays.

En assistant à des réunions de prière clandestines, ces chrétiens du tiers-monde sont conscients des risques courus, mais ils les acceptent à cause de leur foi bien réelle, qui doit servir de témoignage pour les chrétiens d’Occident, et particulièrement pour ceux qui sont « tièdes » à l’instar de ceux de Laodicée (Apocalypse 3:16). Et ils ne représentent pas des cas isolés. En effet, le pasteur Magdangal, mentionné au début de cet article, a précisé que plusieurs centaines de chrétiens assistaient depuis des années aux réunions dans la grande ville de Riyad, bien entendu dans le plus grand secret, en arrivant « au goutte-à-goutte » (selon son expression), à des heures différentes fixées selon un plan précis. Et on a vu également que 167 chrétiens assistaient dans un complexe industriel sud-coréen à un culte dispersé par la mutawah.

Ambassades étrangères pas épargnées

Depuis trois ans, le Révérend Tola Roberts, chirurgien-dentiste et pasteur anglican, de nationalité nigérienne, qui travaillait à l’hôpital du Roi Khaled à Riyad, présidait à l’Ambassade britannique des offices religieux supra-confessionnels à l’intention de ressortissants des pays du Commonwealth. Mais en août 1992, alors qu’il s’apprêtait à prendre l’avion pour des vacances dans son pays, la police découvrit dans ses bagages une Bible et un livre de prières. À son retour, il fut constamment suivi, et peu de temps après, il fut renvoyé de l’hôpital et expulsé. Après son départ, d’autres chrétiens assistant aux offices à l’Ambassade furent également expulsés, en particulier un anesthésiste travaillant dans un autre hôpital, et dans la voiture duquel la police avait trouvé des cassettes chrétiennes. Il dut partir avec sa femme et leurs trois enfants. Fin 1992, les services religieux de l’Ambassade étaient présidés par des laïcs, et fréquentés uniquement par des Britanniques.

Graves violations des droits de l’homme

Plusieurs cas particuliers montrent l’acharnement de la mutawah contre les chrétiens :

  • Le 28 août 1992, quatre chrétiens philippins ont été décapités à Riyad.
  • Le citoyen saoudien Sadik Abdul Kareem Malallad a été décapité le 4 septembre 1992, pour avoir « insulté le Dieu tout-puissant, le Saint Coran et le Prophète ». Bien que le communiqué du Ministère de l’Intérieur n’ait pas précisé qu’il était chrétien, des sources du Moyen-Orient disposant d’informations de première main ont confirmé à News Network International qu’il s’agissait d’un musulman converti au christianisme. Par ailleurs, deux dirigeants du Zwemer Institute of Muslim Studies (Pasadena, Californie) en arrivent à la même conclusion : il s’agissait d’un chrétien témoignant activement de sa foi et qui gênait donc les autorités religieuses, qui se sont rapidement débarrassées de lui.
  • Le chrétien copte égyptien Michael Cornelius (36 ans) qui possédait depuis dix ans avec trois de ses frères un atelier de menuiserie à Riyad, a été arrêté le 1ᵉʳ octobre 1992 et condamné le 26 par la Cour Suprême de cette ville à sept ans de prison et mille coups de fouet. Il était accusé d’avoir lu dans le Coran un chapitre contenant les noms de plusieurs prophètes, en omettant celui de Mahomet ; or il se trouve qu’il est illettré ! Devant le juge des référés, il avait refusé par trois fois de se convertir à l’Islam, et professé à plusieurs reprises que Jésus est Dieu, ce qui dans l’Islam est un très grand blasphème.

Or Cornelius a été libéré de façon inattendue le 31 janvier 1993, après seulement quatre mois de détention, probablement parce que la nouvelle de sa condamnation à ce traitement sauvage avait été largement diffusée à l’étranger. Il a pu rejoindre sa femme et ses cinq enfants en Égypte, et il a déclaré au bulletin Portes Ouvertes qu’il avait reçu 500 des 1000 coups de fouet, appliqués sur le dos et sur les fesses : « Tous les mercredis et samedis, pendant dix semaines, ils m’ont frappé 25 fois avec une longue baguette flexible qui fait très mal. »

Il pense qu’il a été choisi au hasard pour intimider les autres chrétiens et les pousser à partir. De fait, ses trois frères ont vendu leur atelier et quitté l’Arabie Saoudite. Il précise qu’il n’avait pas vraiment de problèmes avec les musulmans avant les événements de Bosnie-Herzégovine opposant les Serbes aux Musulmans bosniaques, mais que « maintenant c’est fini ».

Autres formes d’acharnement contre les chrétiens

Mais la lutte contre les chrétiens est menée encore sur d’autres plans, notamment en utilisant la bonne vieille méthode des dénonciations. C’est ainsi que depuis 1992 un gros effort est fait par les autorités pour inciter la population à fournir des informations sur l’existence de communautés chrétiennes clandestines et sur leurs réunions. En automne 1992 est ainsi parue dans les journaux une annonce en arabe et en tagalog (langue parlée aux Philippines) qui promettait une très forte récompense à quiconque dénoncerait une communauté chrétienne. De même sont apparus à cette époque dans les rues de Riyad des écriteaux et banderoles comportant le même appel.

En décembre 1992, la mutawah, toujours infatigable, a saisi à la poste centrale de Riyad une grande quantité de lettres et de cartes postales qu’elle considérait comme « courrier de Noël ».

Enfin, tout étranger qui organise une réception, ne serait-ce que de six personnes, doit communiquer à l’avance aux autorités le nom de ses invités (information d’avril 1993).

Frédéric GOGUEL
le 15 mars 1994

[1]      Lire à ce sujet la brochure « Condamné à mort » (34 pages) publiée par « Portes Ouvertes » et qui a relaté l’histoire à la fois dramatique et édifiante du Pasteur Magdangal. Il s’agit du compte rendu intégral des déclarations faites par ce pasteur, peu après son arrivée à Manille, à un collaborateur philippin de cette organisation.