L’essentiel de la « Lettre ouverte à un traducteur évangélique de la Bible » publiée dans le dernier numéro de notre revue avait d’abord été adressée personnellement au professeur Alfred Kuen. Elle constituait une première réponse à la lettre qu’il avait envoyée à notre rédaction, suite à certaines affirmations émises par le pasteur Paul-André Dubois dans l’étude qu’il consacrait, dans le Nº 26-27 de Résister et Construire, au thème Les évangéliques face à la Parole de Dieu. Notre Lettre ouverte fut le début d’un abondant échange de correspondance entre nous, échange marqué par l’indéfectible courtoisie de notre interlocuteur. Il ne nous est malheureusement pas possible, vu l’abondance et le caractère plutôt répétitif de cette correspondance, d’en publier l’intégralité. Si dans notre Lettre ouverte le nom de notre frère Alfred Kuen n’apparaissait pas c’est que, au moins dans un premier temps, nous ne voulions pas qu’une discussion aussi importante puisse être perçue par nos lecteurs comme constituant simplement un débat de personnes. Aujourd’hui une telle discrétion n’est plus de mise et nous donnons bien volontiers la parole à Alfred Kuen. Nous espérons, Dieu voulant, publier ultérieurement une analyse détaillée des innombrables malfaçons que renferme cette traduction qui est, à notre sens, et malgré l’évidente bonne foi de ses traducteurs, à la fois délétère, nuisible au peuple de Dieu et déshonorante pour l’Auteur divin des Saintes Écritures[1].

Rédaction

En réponse à notre première lettre datée du 7 janvier 1994 Alfred Kuen nous écrivait comme suite :

Je note avec plaisir les points où vous exprimez votre accord avec nos préoccupations et ceux où notre souci rejoint le vôtre : qu’une traduction fidèle doit « respecter le réceptacle linguistique dans lequel on effectue la traduction », qu’il faut « traduire un texte en respectant son sens précis et le génie de la langue dans laquelle il doit être transposé » en refusant « le mot à mot stupide et mécanique ». Qu’il faut garder tous les mots et toutes les images qui peuvent être facilement compris par nos contemporains (ainsi nous avons gardé dans la Bible du Semeur toutes les images que vous citez : le pain, la nourriture, la porte, le berger, le cep…).

Notre souci peut se résumer parfaitement par votre phrase : que l’homme perdu « puisse avoir l’occasion d’écouter les paroles exactes de Dieu et que le Saint-Esprit agisse dans son cœur, dans son intelligence, pour qu’il les comprenne », « de maintenir nos traditions pures de toute erreur doctrinale ».

Sur tous ces points, je pense que nous sommes parfaitement d’accord ; j’espère que vous l’avez compris et que vous ne nous prêtez pas d’intention subversive dans notre traduction et que vous ne nous classez pas parmi les « Évangéliques naïfs inconscients des dangers qu’ils font courir au peuple de Dieu ».

Je reconnais avec vous que les grandes traductions classiques de Luther, King James, et Olivétan ont eu une influence formatrice certaine sur nos langues. Vous craignez que « cela ne soit plus guère le cas à cause des nouvelles méthodes ». Est-ce si sûr que ce soient elles les responsables ? Au moment où Luther a lancé sa traduction, l’allemand n’était ni formé ni unifié. La Bible était le livre le plus répandu, le plus lu, le seul même que lisaient la majorité de ceux qui savaient lire. Peut-on comparer cette situation avec la nôtre où la grande majorité de nos contemporains (en France du moins) n’ont jamais eu une Bible en main, où ils lisent par contre journaux, romans, bandes dessinées à profusion. Même schéma en Angleterre et en France au XVIᵉ siècle. Pensez-vous vraiment que les traductions littérales qui paraissent aujourd’hui comme la Jérusalem ou la TOB aient une influence linguistique en dehors du petit cercle de ceux qui la lisent régulièrement au point d’« imposer des modifications à la langue » ?

Ainsi je crains que, pour ce point, votre espoir soit plutôt utopique, du moins dans nos pays. Que cela puisse encore se passer pour une traduction faite par la Société Wycliffe dans une langue vernaculaire n’ayant pas d’autre (ou guère d’autre) littérature, tout à fait d’accord, mais l’espérer dans notre contexte – à moins d’un puissant réveil – n’est-ce pas aussi de la naïveté ?

J’en viens à la question de fond : l’intangibilité des mots inspirés. Je pense que nous sommes d’accord : il s’agit des mots de l’original – et aucun de nous n’a songé changer un mot de l’original pour mettre le message « au goût du jour ». Nous n’avons même tenu compte d’aucune suppression – même proposée par des exégètes évangéliques comme glose marginale glissée dans le texte – pour écarter une difficulté du texte inspiré. Mais votre propos concerne le texte traduit. C’est là où j’ai de la peine à vous suivre… quel texte est intangible ? Est-ce celui de la première traduction faite dans une langue (Luther, la Authorised Version ?) Alors pour nous, il fallait garder la « Bible de Genève » de Calvin : c’eût été le meilleur moyen pour rebuter nos contemporains de la lecture de la Bible. Garder les mots des traductions littérales ? Et si ces mots étaient infidèles au sens des mots originaux ? Sommes-nous certains que le mot repentance n’est pas une déformation de sens par rapport au grec metanoia qui nous a été imposé par Jérôme (que les Bibles catholiques traduisaient plus littéralement par : Faites pénitence) ? Est-ce que les manuscrits grecs et hébreux du XVIᵉ siècle étaient plus proches du texte original que les nôtres ?

J’ai eu la curiosité de voir ce que disent tous les dictionnaires que nous avons à la bibliothèque d’Emmaüs au mot repentance.

  • Dans sept d’entre eux, le mot ne figure plus : Robert méthodique ; Dictionnaire analogique (Suzzarini) ; Dictionnaire du français contemporain ; Pluri-dictionnaire Larousse ; Dictionnaire du français langue étrangère : ni au volume du niveau 1, ni à celui du niveau 2 ; Dictionnaire du vocabulaire essentiel : ni repentance, ni repentir.
  • Dans d’autres, il n’y a pas d’entrée sous repentance, le mot se trouve sous « repentir (se) ». Dans le Larousse de la langue française (lexis) avec la mention « Class(ique), repentir, regret ». Dans le Dictionnaire des synonymes (Bordas) sous repentir avec la mention : « ancien ». Dans le Dictionnaire des synonymes de Larousse nous le trouvons sous Repentir tout à la fin, après remords, regret, résipiscence, attrition, contrition, componction, avec la note est peu usité.
  • Le Petit Robert porte vieilli ou littéraire : « Souvenir douloureux, regret de ses fautes. Voir repentir. »
  • Le Grand Robert a le même texte[2] accompagné de deux citations, l’une de Montaigne, l’autre de Gide. Tous les exemples cités sont des textes s’échelonnant du XIIᵉ au XVIᵉ siècle, sauf un de Balzac et un de Régnier se rapportant à ces périodes[3].
  • Le Grand Larousse en 10 volumes se contente de dire Littéraire et Vieux : « Regret douloureux de ses erreurs, de ses péchés ».
  • Par contre, le mot se retrouve dans le Dictionnaire d’ancien français (D’Hauterive) avec la mention : XIIᵉ à XIVᵉ siècle et les définitions : « 1. Repentir. 2. Pénitence. 3. Dédit ».
  • Le Dictionnaire du français classique (Larousse) le contient également avec l’explication repentir, regret, mais il porte en plus l’indication que selon le Dictionnaire de l’Académie française de 1694 il était déjà considéré comme vieilli[4].
  • Le Dictionnaire latin-français de Benoist-Goelzer indique sous Paenitentia : « repentance (Ecclésiastique) : Pénitence. »
  • Le Dictionnaire latin-français des auteurs chrétiens de A. Blaise donne sous 1 : Repentir, regret, une citation de Tertullien (Marc 2:24) qui dit qu’« en grec, ce mot composé metanoia n’implique pas la reconnaissance d’une faute, mais le fait de changer d’avis. »[5] Sous 2 nous trouvons : « pénitence, exemple Matt. 3:8 fructum dignum paenitentiae et Actes 2:38 paenitentia agite » (dans la Vulgate). Comme exemple de pénitences il donne : « la confession à Dieu, les jeûnes, se jeter aux genoux d’un prêtre, d’un martyr, se rouler dans la cendre, n’être admis qu’à la prière, non à l’eucharistie. »

C’est là effectivement que nous trouvons l’origine de notre mot repentance. Pour traduire metanoia, Jérôme a pris paenitentia. J’ai vérifié dans la Vulgate : Jean-Baptiste prêche : paenitentiam agite ; Jésus : paenitemini et credende evangelio. Le Dictionnaire de Théologie catholique le confirme : « Le mot grec que la Vulgate a traduit par paenitentia c’est metanoia. Il exprime le changement d’avis, de sentiment relatif à une action ou une disposition antérieure[6]. »

Est-ce que ce mot paenitentia avait du moins à l’époque le même sens que metanioa pour les contemporains de Jérôme ? E. Amann continue :

« Tertullien a fait remarquer que dans la langue classique, le sens moral du mot paenitentia n’apparaît guère… Le sentiment exprimé est, par exemple, celui de l’agriculteur qui se repent de n’avoir pas semé à l’époque propice, du commerçant qui a manqué une bonne affaire[7]. »

Alors pourquoi Jérôme a-t-il choisi ce mot ? Parce que, dès le IIIᵉ siècle, il y avait une doctrine de la pénitence qui a remplacé la notion biblique de la metanoia. Amann continue :

« Aux IIIᵉ, IVᵉ siècles les traités sur la pénitence se multiplient dans l’Église (Se Paenitentia de Tertullien, d’Ambroise). Par quels moyens se fait cette pénitence ? Par « l’humble aveu de ses fautes, soit à Dieu, soit aux hommes, la mortification du cœur et du corps, l’aumône, des macérations diverses, de bonnes œuvres ». (E. Amann, Dictionnaire de Théologie Catholique, Tome 12. 1, Colonnes 722-748.)

Dès le IIIᵉ siècle, nous nous trouvons devant une « pratique pénitentielle organisée » comprenant : 1. confession devant l’évêque (ou son représentant) ; 2. satisfaction : macérations que s’impose le pénitent dans la vie courante, humiliations publiques (le pénitent est couvert d’un cilice, souillé de cendres…) ; 3. réconciliation (avec Dieu et avec l’Église) (Idem colonnes 749-834). Jérôme lui-même (344-420) a défendu le pouvoir d’absolution des prêtres, pouvoir des clés pour ouvrir le royaume de Dieu (Lettres. XIV. 8, Dict. Théol. Cath. Tome 8. 1, Colonnes 982-983)[8].

Si, par contre, nous nous tournons vers le Nouveau Testament, nous constatons que ses auteurs se sont distancés de la Septante[9] (qui n’emploie jamais metanoia) en recourant au verbe metanoeô de préférence à epistrephô pour « souligner que c’est plutôt la pensée et la volonté qui sont impliquées… que toute la vie doit être changée et amenée dans une nouvelle relation avec Dieu[10] ».(Goetzmann dans Colin Brown : Dictionary of New Testament Theology.)

Dans les épîtres de Paul (qui emploie rarement metanoia et metaneô, (6 fois en tout[11]) il est question d’être une nouvelle création, de revêtir l’homme nouveau. Dans Jean, il est parlé de la nouvelle vie en Christ, de la nouvelle naissance, de passer des ténèbres à la lumière[12].

En traduisant metanoia par changer de vie avec l’astérisque qui renvoie au Lévitique où il est dit : « Cette expression traduit un verbe grec se rapportant à une réorientation de tout l’être, qui résulte en un changement de la façon de vivre[13] » (Actes 26:20). Ce mot, qui est aussi traduit par changer d’attitude ou changer de comportement, est rendu dans beaucoup de Bibles par se repentir.

On est donc nettement plus fidèle au sens biblique du terme qu’en prenant le mot repentance qui d’après tous les dictionnaires qui le contiennent encore, n’exprime qu’un regret, un retour sur le passé[14].

D’autre part, si nous voulons « respecter le réceptacle linguistique[15] » de nos contemporains, il nous faut aussi tenir compte de l’évolution de nos langues[16] »

Comme je l’ai signalé, repentance ne se trouve plus dans certains dictionnaires ; là où il figure encore, on lui accole l’épithète « vieilli » et on donne comme synonyme « repentir » – qui n’est qu’un vague regret encore plus éloigné du sens du mot biblique. La « personne autorisée[17] » que vous citez me propose de traduire metanoia par « retour à Dieu », se tourner vers lui. Je pense que nous sommes loin du « rapport réel et exact » avec la « réalité nommée ». Si l’on veut respecter les sens différents de mots différents il faut réserver cette périphrase à épistrephein. D’ailleurs que ferait-on là où, comme dans Actes 3:19 et 26:20 metanoeô et epistrephô sont accolés ?

Vous proposez de traduire toujours le même mot original par le même mot français[18] en partant de la supposition que les aires sémantiques des mots se correspondent d’une langue à une autre. C’est une affirmation qu’aucun linguiste ne soutiendrait, qu’aucun traducteur, même le plus littéral, ne respecte, car cela ne mènerait qu’à des contresens. Personne n’a jamais tenté de faire une « traduction concordante » en français. Pour les mots chair, loi, justice que vous reprenez, je pense qu’il faut tenir compte des indications du dictionnaire de la langue dans laquelle on traduit si l’on veut être compris par ses contemporains.

Il ne s’agit pas d’une « atomisation » de la pensée en prenant d’autres mots suivant le contexte, mais d’une précision de la pensée. Pour reprendre l’exemple de chair, est-ce vraiment faire comprendre la pensée divine que de traduire par le même mot :

  • un esprit n’a ni chair ni os (Luc 24:39) ;
  • notre chair n’eut aucun repos (2 Cor. 7:5) ;
  • je répandrai mon Esprit sur toute chair (Actes 2:17) ;
  • des sages selon la chair (1 Cor. 1:26) ;
  • ceux de ma chair (Rom. 11:14) ;
  • nous qui marchons non selon la chair (Rom. 8:4) ?

Quant à appeler « traduction à équivalence dynamique » l’« insinuation du serpent d’Eden », je vous en laisse la responsabilité. Je pense qu’emporté par la fougue de la controverse, votre formulation a dépassé votre pensée, de même lorsque vous situez notre méthode « dans la prolongation directe du libéralisme », allant « plus loin encore que nos libéraux » et aboutissant « en fin de compte à vider totalement de sa substance et de son sens tout ce qu’on pourrait affirmer, croire et dire en défense de son inspiration (de la Bible), de son infaillibilité, de son autorité souveraine et de sa pleine suffisance ». Vous savez combien moi-même et les frères qui ont œuvré avec moi à la Bible du Semeur sont attachés à ces valeurs.

J’avoue avoir été très peiné par de telles accusations venant d’un frère qui se situe sur le même bord que nous. Est-ce vraiment parce que nous avons pris le parti de « l’oreiller de paresse » que nous avons peiné pendant tant d’années, que nous sommes restés parfois des heures ensemble sur un chapitre ou un passage difficile pour essayer de le rendre le plus fidèlement possible afin que la pensée originelle puisse être comprise par nos contemporains ? N’est-ce pas plutôt la traduction à « équivalence formelle » qui est la solution de facilité ? À preuve : Darby et Chouraqui ont fait leurs traductions en un temps record. Est-ce vouloir « à tout prix réduire cette sainte Parole au niveau le plus bas des langues humaines pécheresses et corrompues de notre temps » que d’ambitionner de la faire comprendre par nos concitoyens si éloignés des pensées bibliques[19] ?

Vous semblez accuser la Bible du Semeur de promouvoir les théories évolutionnistes. Avez-vous des preuves dans le texte pour appuyer cette accusation ? Ou, d’une façon plus générale, avez-vous des exemples où nous aurions adultéré la Parole de Dieu ?

Si vous avez des propositions précises à formuler pour modifier le texte dans le sens d’une plus grande fidélité et intelligibilité, nous les considérerons avec attention.

En attendant, les réactions que nous enregistrons à la Bible du Semeur ne nous encouragent pas du tout à revenir à une traduction à équivalence formelle. Nous avons plusieurs témoignages de personnes qui avaient mis la Bible de côté parce que, dans leur traduction faite selon les principes que vous défendez, elle leur était incompréhensible – et qui se sont remises à la lire dans cette nouvelle version. Ou de gens qui, l’ayant abordé pour la première fois, y ont pris goût et sont devenus lecteurs réguliers de la Parole de Dieu. J’ai peine à croire que cela finira « par paralyser toute volonté d’application de la doctrine chrétienne aux situations concrètes, toute volonté de résistance au mal doctrinal ou moral dans l’Église et dans le monde ». Si, même dans une version aussi peu compréhensible que la version Darby, la Parole de Dieu ne revient jamais à Lui sans avoir produit son effet, aurait-elle moins d’efficacité si elle est comprise par ses lecteurs ?

D’ailleurs aucun de nous n’a jamais pensé que la Bible du Semeur devrait être la version unique à utiliser toujours et partout. Beaucoup de gens l’apprécient pour un premier contact, pour la lecture publique ou comme complément quand on ne comprend pas les versions littérales. Mais dans une étude biblique ou pour des gens familiarisés avec le message de la Parole, une version littérale peut être préférable. J’ai beaucoup apprécié l’attitude de M. Jules-Marcel Nicole, cheville ouvrière de la Colombe, qui m’écrivait récemment : « Je pense que la Bible à la Colombe et la Bible du Semeur ont l’une et l’autre un bel avenir devant elles. Elles me paraissent utilement complémentaires. »

Je sais que je ne vous convaincrai pas par cette lettre. J’ai à peine l’espoir que sur l’un ou l’autre point je vous ferai changer d’opinion. Un ami me rappelait récemment : « A man convinced against his will is in his former meaning still[20]. »

Veuillez croire à mes sentiments fraternels en notre commun Maître.

Alfred Kuen,
Saint-Légier, le 17 février 1994

 

Voici notre réponse à la lettre du professeur Alfred Kuen :

Je vous remercie vivement de votre lettre du 17 février. Pour dire vrai j’ai été très heureusement surpris du fait même que vous me répondiez, non pas que je puisse douter de votre courtoisie, mais en conséquence de la profondeur du différend qui nous sépare. Je vous suis d’autant plus reconnaissant de votre réponse bien fraternelle.

Déblayons d’abord quelques malentendus. Soyez certain que je ne vous soupçonne aucunement, ni vous ni vos collaborateurs, d’une quelconque visée qui chercherait à subvertir les fondements de la foi évangélique. L’intention, bonne ou mauvaise, n’a rien à voir avec le problème qui nous préoccupe, avec les questions que je cherche à poser. Un chrétien peut, avec les meilleures intentions du monde, tout en étant parfaitement convaincu de son entière bonne foi, diffuser de graves erreurs (qu’il prend très sincèrement pour la vérité) mais qui feront un tort dramatique au peuple de Dieu. Son excellente intention ne changera rien au fait que les erreurs diffusées par lui auront des effets objectifs sur ceux qui s’en nourriront. Pour ma part je suis convaincu que vous agissez avec zèle dans un esprit bien intentionné. Ces intentions ne garantissent aucunement la vérité et la justice de ce que nous disons et entreprenons. Il est possible que l’on se trompe sur la portée exacte de ce que l’on fait.

Je viens de relire ma lettre ouverte. À aucun endroit je n’accuse la Bible du Semeur de défendre des positions évolutionnistes théistes. Je compare simplement la démarche nominaliste qui me paraît être la vôtre, avec celle des évolutionnistes évangéliques. Vous dites – sans d’ailleurs me citer, et pour cause ! – que je propose de traduire toujours le même mot dans l’original, par le même mot en français. En me relisant je n’ai pas retrouvé cette affirmation dans ma lettre. Que l’original utilise le même mot pour des sens différents me parait être un élément à considérer dans toute traduction fidèle. Il n’est pas possible de retrouver des équivalences pareilles dans une autre langue. Il me semble oiseux d’opposer, comme vous le faites, votre traduction à équivalence dynamique à toutes les autres injustement affublées de l’épithète de littérale. Je le répète, dans tout ce débat pseudo-linguistique il s’agit d’utiliser un langage fort savant pour dire des choses simples et ainsi jeter la poudre aux yeux du public.

En ce qui concerne l’art de traduire le XXᵉ siècle n’a rigoureusement rien inventé. Les principes qui déterminent la qualité d’une traduction restent toujours les mêmes. La question n’est pas : est-elle littérale ou dynamique, mais est-elle fidèle ou non. Lorsque vous traduisez Jean 14:6b : Nul ne vient au Père que par moi, par Personne ne va au Père sans passer par moi, l’on ne se trouve pas seulement devant une erreur de traduction, mais devant une étrange confusion de la doctrine : on vient au Père appelé par Christ, on ne va pas au Père en étant, tout à la fois, envoyé et en passant par Christ. Par de telles innovations, aussi dangereuses qu’inutiles, ne craint-on pas de déstabiliser la foi des simples fidèles ?

Ajoutons ici, pour déblayer encore un malentendu possible, une remarque essentielle. À aucun moment mon affirmation de la stabilité de la langue n’implique-t-elle l’absence de changement, de variation à l’intérieur de l’aire sémantique et grammatical constitué par une langue vivante. Cette stabilité foncière ne nie évidemment pas sa croissance (ou dégénérescence !) et son développement dans le temps. Le caractère vivant de toute langue rend ainsi nécessaire d’entreprendre, de temps à autre, de nouvelles traductions de la Bible. Mais de tels changements au sein d’une langue ne détruisent pas son homogénéité, sa continuité dans le temps. Si c’est le cas (comme pour le passage du latin aux langues romanes), nous avons à faire avec de nouvelles langues, ce qui rend de nouvelles traductions encore plus indispensables.

Venons en à mon utilisation de l’expression nominaliste pour caractériser la méthode de traduction par équivalence dynamique ou fonctionnelle. Rappelons les sources historiques de l’opposition philosophique, réalisme-nominalisme. Le réalisme scolastique au Moyen Âge, en cherchant à fonder ses universaux, en partie, sur la philosophie d’Aristote, et en acceptant le dualisme grec : matière/idée sous la forme christianisée de l’opposition médiévale : nature/grâce, a élaboré un système réaliste qui trahissait la vision biblique de Dieu, de la création et de l’œuvre de Dieu dans l’histoire. Ce faux réalisme créait un carcan théologique figé qui empêchait ceux qui s’y soumettaient d’accéder par leur pensée aux réalités spirituelles, à la grâce, qui par ce système devenait le monopole de l’Église médiévale. Mais il est utile de faire remarquer ici que si Thomas d’Aquin se trouve à la racine de ce tournant de l’histoire du Christianisme, il en fut décidément moins affecté que ses successeurs. Il est intéressant de noter que celui qu’on appela le docteur angélique rédigea, à la fin de sa vie, un commentaire de l’épître aux Romains très proches de ceux qu’écrivirent plus tard Lefebvre d’Étaples et Martin Luther.

L’utilisation par Ockham de son fameux rasoir, son nominalisme, (tout concept superflu devait être rigoureusement éliminé du raisonnement) manifesta sa volonté farouche de casser les faux concepts, les faux universaux de la scolastique tardive pour retrouver la réalité des faits individuels perdus sous ce fatras rationaliste. Cette attaque redoutable des nominalistes (dont certains des fruits ultérieurs furent désastreux) constituait une intervention indispensable, providentielle de Dieu pour déblayer les décombres de la pensée sclérosée de la fin du Moyen Âge. Ceci ouvrit le chemin au renouveau magnifique de la pensée biblique et conduisit au retour à un réalisme vrai, car fondé sur le Sola Scriptura. Ce réalisme, qui se déploya de manière si forte dans la pensée de la Réformation du XVIᵉ siècle (surtout bucérienne et calviniste), redonna sens à tous les domaines de la pensée humaine.

C’est dans cette perspective que dans ma lettre je soulève un problème d’ordre philosophique et épistémologique difficile, problème qui se trouve au cœur de toute l’utilisation que nous faisons de la langue. Je pose au fond la question suivante : la Bible manifeste-t-elle une utilisation réaliste ou nominaliste du langage ? Sur ce point capital vous ne me répondez rien.

Je soulève le danger de prendre appui, pour la traduction de la Bible, sur une pseudo-science – la linguistique – qui est infectée jusqu’à la moelle par l’idéalisme philosophique moderne. Cet idéalisme, rappelons-le, est un subjectivisme radical qui fonde la pensée sur elle-même, sur ses propres processus et qui, en conséquence, ne trouve aucun fondement réel pour notre connaissance du monde, cela ni dans la réalité de ce monde ni, encore moins, dans celle de Dieu. Cet idéalisme philosophique, qui est devenu depuis deux siècles l’air même que nous respirons, représente un danger mortel pour la foi chrétienne authentique. Là-dessus vous ne me répondez rien non plus.

Ma lettre prolonge les préoccupations d’un mouvement capital de la pensée chrétienne, tant catholique que réformé. Ce mouvement, marqué du côté réformé par des noms prestigieux – Kuyper, Dooyeweerd, Schilder, aux Pays-Bas ; Van Til, Schaeffer, Rushdoony, Bahnsen aux États-Unis ; Lecerf, Marcel, Courthial, Pierre Berthoud en France – s’est préoccupé des incidences du consensus idéaliste kantien sur la pensée et la pratique de l’Église. Que le mot repentance ne figure plus dans bien des dictionnaires n’est aucunement une raison satisfaisante pour exclure sa présence de nos traductions de la Bible. L’histoire du mot est intéressante mais n’a rien à voir avec son usage présent dans les traductions de la Bible. Si la tradition des traductions réformées et évangéliques de la Bible a forgé une utilisation biblique de ce terme, est-ce utile de le jeter aux orties comme vous le faites ? N’y aurait-il pas dans votre démarche un souci malsain d’originalité ?

Le consensus athée d’une société – et de ses dictionnaires – ne devrait pas nous inciter à adopter un vocabulaire athée pour la gagner au Christ ! Dans les années soixante l’écrivain russe, Alexandre Soljénitsyne, eut la possibilité de faire publier son magnifique roman, Le pavillon des cancéreux, par une maison d’édition d’État soviétique. Les censeurs communistes lui demandèrent une seule concession pour que son livre se mette au diapason d’une société athée : écrire le mot Dieu sans majuscule. Avec raison il refusa net une telle adaptation de l’orthographe du nom de Dieu au consensus linguistique en vigueur dans son pays et son livre ne fut pas publié. Vous connaissez de quelle manière Dieu bénit une telle fidélité à son saint nom. Sa démarche ne vous semble-t-elle pas un peu différente de la vôtre ? Pensez-vous que dans un monde dirigé par une élite très opposée à Dieu et à tout ce qui concerne la foi chrétienne authentique la disparition du mot repentance ne soit qu’un effet du hasard ? Avez-vous eu l’occasion de lire les ouvrages fondamentaux d’un Orwell, d’un Volkoff, d’un Marcel de Corte ou d’un Aaron Upinsky sur la destruction de toute pensée indépendante par la manipulation sémantique et grammaticale ?

Car la grammaire et le vocabulaire sont aujourd’hui utilisés par certains pouvoirs comme des armes intellectuelles dans la guerre culturelle totale que nous subissons tous. Connaissez-vous les remarquables travaux de Gramsci, fondateur de la nouvelle stratégie socialiste de prise du pouvoir par la subversion et la transformation anti-chrétienne et anti-naturelle de la culture ? L’offensive générale de ces derniers jours pour la féminisation des noms des professions vous semble-t-elle tout à fait innocente ? En vous lisant j’ai l’impression que la colline sur laquelle vous vivez se trouve bien éloignée des réalités terribles de l’histoire du XXᵉ siècle. Si l’on méconnaît les travaux les plus importants dans le domaine de la pensée chrétienne qui se rapportent aux pièges philosophiques et linguistiques de notre temps, peut-on éviter la naïveté ? Comment voir clair si l’on refuse les lunettes que Dieu, dans sa grâce, donne à son Église et qui pourraient corriger les déficiences de notre vue ? Sur toutes ces questions implicitement placées au cœur de ma lettre vous n’entrez même pas en matière.

Sur le plan théologique, j’ai posé ce problème, à mon sens capital : dans la pensée du Christianisme, dans la traduction de la Bible, dans la prédication, dans l’œuvre du salut, qui a priorité, Dieu ou l’homme ? Le monde moderne a dans tous les domaines – surtout les domaines intellectuels – renversé l’ordre de l’Alliance. Ceci est vrai tant pour l’Alliance de création que pour celle de rédemption. La Bible donne toujours, dans tous les domaines, l’initiative à Dieu. C’est à Lui que revient toujours la première place. C’est Christ qui est personnellement la source de toute sagesse, de tout langage, Lui le Verbe de Dieu. La pensée déchue des hommes, et ceci plus que toujours depuis le siècle des fausses lumières, met l’homme, la pensée de l’homme sans Dieu, l’usage pécheur qu’il fait de ce don divin si merveilleux qu’est le langage, à la première place. Sur tous les plans la civilisation moderne – et surtout sur le plan intellectuel – baigne dans le consensus du culte rendu à l’homme mesure de toutes choses. Il ne s’agit nulle part pour l’homme d’aujourd’hui de penser les pensées de Dieu après Lui et cela pour le bien des hommes et la gloire de Dieu. Nous ne pouvons nous appuyer naïvement sur de telles sciences sans qu’elles nous façonnent immanquablement à leur image. La saine utilisation de ces sciences par les chrétiens passe nécessairement par une profonde réforme de leurs structures qui les amèneront captives à l’obéissance de Jésus-Christ. Elles doivent, elles aussi, passer par la repentance, par le changement des pensées et ainsi se soumettre à la Parole-Loi de Dieu pour devenir utiles à la cause chrétienne. S’appuyer sur de telles sciences humaines pour faire avancer l’œuvre de Dieu sans entreprendre, de fond en comble, une telle réforme ne pourra qu’aboutir à un marché de dupes dont le peuple de Dieu fera immanquablement les frais. Mais sur toutes ces questions que soulève ma lettre, vous ne pipez mot.

Enfin, je pose la question suivante : l’orientation de la pensée et de l’action du chrétien a-t-elle d’abord un caractère théologique, ou s’agit-il en premier lieu de sociologie ? L’accent, le poids principal de nos préoccupations (dans une traduction par exemple) doit-il d’abord s’orienter vers Dieu, vers sa Parole, ou bien vers l’usage contemporain de la langue dans laquelle nous devons traduire la Bible ? Il ne s’agit ici aucunement d’un refus d’être attentif à la langue de nos contemporains. Il s’agit, au contraire, de savoir quelles sont nos priorités. A-t-on jamais vu le coordonnateur d’une traduction de la Bible ne point avoir une connaissance approfondie des langues bibliques ? Une telle innovation n’est-elle pas significative ? Sur toutes ces questions que soulevait ma lettre vous ne me répondez rien.

Permettez-moi de vous poser une question. Comment cela se fait-il que vous ne compreniez pas la problématique chrétienne qui est la mienne ? Je n’use pas, il me semble, d’un langage hermétique, ni d’expressions incompréhensibles. Je tâche de m’exprimer dans la langue de mon temps. Comment, d’ailleurs, pourrais-je faire autrement ? Vous ne me comprenez cependant manifestement pas. Pourtant nous parlons la même langue, nous partageons une formation semblable, celle des Facultés de lettres, nous vivons dans la même culture. Plus encore, nous sommes tous les deux des chrétiens et nous appartenons à la même tradition évangélique, celle des baptistes relativement stricts. Je pourrais multiplier, et vous aussi sans doute, l’énumération des éléments et des circonstances qui nous rapprochent, nos points de convergences sociologiques. Cependant, sur un certain nombre de points nous avons beaucoup de peine à nous comprendre. Si l’accent primordial que vous mettez sur la technique de traduction est correct, le contraire devrait être vrai : trop de points nous rapprochent pour que nous ne puissions pas nous comprendre. Mais nous devons malheureusement constater le contraire. Sans doute je ne comprends pas bien votre démarche. Certains éléments de ce que je comprends je ne peux les admettre, car je vois qu’un amour d’un monde intellectuel sans Dieu (tel que le manifeste votre démarche) conduit à la mondanisation, non seulement de la pensée chrétienne (ce qui est déjà très grave) mais à celle de la traduction en français de la Parole de Dieu. Une telle traduction mondaine, placée dans les mains de ceux qui y mettent toute leur confiance, devient pour eux un piège, car ils sont manifestement incapables de se défendre contre les erreurs (et surtout la banalité) qu’elle véhicule sous le couvert de l’inspiration divine de l’original et de la fidélité de la traduction. Vous voyez, notre appréciation des effets de la traduction du Semeur est bien différente de la vôtre !

Pour ma part, selon l’expression linguistique du Christ, expression qui va au fond de notre problème, si nous ne comprenons pas le langage de notre interlocuteur, c’est que nous sommes incapables d’écouter ses paroles, c’est-à-dire de saisir le sens de sa pensée, car nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde. Au fond, le problème humainement insurmontable n’est pas celui de la culture mais de l’attitude spirituelle de chacun. En mettant l’accent fondamental, comme vous le faites, sur la difficulté horizontale, culturelle, vous avez cédé à l’esprit athée de notre siècle, vous avez opté pour la vision selon laquelle ce sont les accommodements culturels qui devraient faciliter la conversion. Vous cherchez à rendre, certes sans mauvaise intention, plus facile quelque chose qui, en fin de compte, est humainement impossible. Il est frappant que le Christ ne facilite jamais les choses. Il les exacerbe à outrance pour les rendre totalement impossibles. Mais ce qui est impossible aux hommes est-il impossible à Dieu ? Nous avons été à tel point intimidés par la culture ambiante que nous oublions que le bras de Dieu n’est pas raccourci et qu’Il peut aujourd’hui encore, par exemple, utiliser la traduction fidèle de la Bible pour restaurer les langues de notre temps. Ne sommes-nous pas dans ce domaine, comme dans bien d’autres, devenus incrédules ? Car la foi en la puissance de la Parole de Dieu n’est pas du domaine de l’utopie.

Nous devons ainsi faire le constat de notre désaccord, de nos incompréhensions mutuelles. Mais là où nous sommes parvenus marchons du même pas, sachant que c’est Dieu qui nous éclairera, qui changera nos pensées, pour nous donner une seule pensée en Christ Jésus. Mais si tant de difficultés peuvent exister entre deux chrétiens qui ont tant de choses en commun, pensez-vous que les difficultés bien plus grandes encore qui séparent le non-croyant des réalités divines pourront être résolues en affaiblissant la portée du texte sacré ? Peut-on ici faire l’économie de la grâce souveraine de Dieu ? Aujourd’hui la pensée arminienne, qui met l’accent, de façon unilatérale et déséquilibrée, sur la réponse, sur la décision – ne pourrions-nous pas dire sur la LECTURE de la Bible – de l’homme pécheur pour l’amener à Christ, n’aurait-elle pas infecté même nos méthodes évangéliques de traduction de la Bible ? Nous touchons ici à un aspect décisif de notre question, aspect qui me paraît particulièrement important. Que par souci de l’homme perdu on en vienne à aplatir le texte de la Parole de Dieu, à en enlever le nerf, à lui ôter ses aspérités nécessaires, à faire disparaître tout ce qui en fait pour l’homme de notre temps une parole trop dure, me paraît une trahison du dépôt sacré que Dieu a confié a son Église. Il est stupéfiant de constater que ce que des traducteurs souvent libéraux – Bibles Segond, Synodale, TOB, Jérusalem, etc. – n’ont pas osé faire, des traducteurs croyants, évangéliques l’ont accompli !

En vous remerciant encore de m’avoir lu jusqu’ici et dans l’espoir que ces quelques lignes puissent mieux faire voir où exactement se situe notre divergence, je vous prie, cher Monsieur et frère, de croire à mes sentiments les meilleurs en Jésus-Christ.

Jean-Marc Berthoud
Lausanne, le 19 février 1994

Le Pasteur Jacques ANDRÉ de Saint-Denis, dans l’Île de la Réunion, nous écrivait le 5 juillet dernier la lettre suivante au sujet de notre prise de position relative aux nouvelles méthodes de traduction de la Bible :

Il n’est pas dans mes habitudes de m’interposer dans les débats qui dépassent mes compétences. La controverse soulevée par votre revue sur les traductions dites « à équivalence dynamique » fait partie de ces débats-là.

Permettez-moi une petite remarque de réaction à l’article du pasteur J.-M. Thobois concernant sa « publicité » pour « le travail remarquable » de l’Association Viens et Vois. Je suis de ceux qui regrettent l’utilisation de la Segond 1910 pour une Bible destinée à la plus large diffusion. Pourquoi pas la Colombe ? Sûrement pour une basse question d’argent et de droit de traducteur, j’imagine ? J’ignore si l’emploi du passé simple est plus sanctifiant pour la langue française que le passé composé par exemple, mais je suis de ceux qui ne pleurent pas la disparition des précédâmes et autres allâmes.

Comme pasteur, je bute constamment, dans mon ministère, sur des incroyables incompréhensions au niveau de la simple lecture. Ici, à l’île de la Réunion, le créole comme langue maternelle multiplie encore les difficultés de lecture. Sans vouloir prendre les lecteurs pour des « ignorants », il faut avouer que la Segond 1910 n’est pas la mieux placée pour être aisément comprise par le lecteur « standard ». L’attachement des pentecôtistes à cette traduction est souvent plus motivé par les habitudes de ce milieu qu’à un réel souci de saine traduction, selon mes observations.

J’en viens à l’objet principal de cette lettre. J’ose vous dire ma tristesse et mon émotion de lire, sous votre plume, des termes aussi graves que « forfaiture » et « trahison » appliqués, entre autres, à un serviteur de Dieu estimé et estimable tel que A. Kuen. Que le travail accompli par ce frère et par ceux qui ont travaillé avec lui soit critiquable, souffre d’insuffisances mêmes graves, il appartient aux lecteurs attentifs et respectueux des textes originaux (dont vous êtes) de le dire, et même de se faire véhément si nécessaire. Mais d’employer des termes aussi chargés devrait être réservé aux seuls criminels. Je crains fort qu’un tel langage n’apporte rien de bon au débat et qu’il soit indigne de la cause de la « Loi et du Témoignage ».

Si le but de vos interventions était de frapper un grand coup, alors vous l’avez atteint… mais qui voulez-vous frapper ? La conscience de l’Église ? La Bible du Semeur ? Alfred Kuen ? La méthode de traduction ?

Parmi les serviteurs que Dieu dans sa grâce souveraine a mis sur ma route, deux occupent une place particulièrement importante : Henri Blocher qui m’a introduit dans la théologie calviniste (qui est aussi la vôtre !) et Alfred Kuen qui a été un modèle de foi et de piété pour moi lorsque j’étudiais à Emmaüs. Le moins que l’on puisse dire, c’est que vous n’aurez pas épargné mes « références ». Ce n’est peut-être pas une mauvaise chose, ainsi mon respect pour eux et pour leur enseignement n’est pas inconditionnel et aveugle. Il n’en reste pas moins que les termes avec lesquels vous les qualifiez sont inutilement blessants pour eux et pour ceux qui continuent à les considérer comme des docteurs donnés par Dieu à l’Église.

Veuillez croire, cher Monsieur et frère, à mes respectueuses salutations chrétiennes.

Jacques ANDRÉ
Saint-Denis, le 5 juillet 1993

Nous répondions au pasteur André comme suit :

Je vous remercie de tout cœur pour votre bonne lettre du 5 juillet. Je ne comprends que trop bien vos sentiments et vous prie de bien vouloir me pardonner la peine que le dernier numéro de Résister et Construire aura pu vous occasionner. Mais, comme je le disais au début de ma Lettre ouverte, il se trouve parfois des circonstances où l’on ne peut éviter de blesser des frères dans l’intérêt même d’un bien supérieur, celui du salut du peuple de Dieu, de la protection de son Église. Nous trouvons un exemple frappant de cela dans la confrontation entre les apôtres Paul et Pierre relatée au deuxième chapitre de l’épître aux Galates. L’histoire de l’Église pourrait nous fournir de nombreux exemples où de telles confrontations pénibles et douloureuses ont grandement contribué à l’avance du Royaume de Dieu et au salut de ceux-là mêmes qui, dans un premier temps, pouvaient se sentir agressés.

Voulant placer le débat sur le plan des idées (et non sur celui des personnes), je m’étais contraint à publier une lettre ouverte au caractère non personnel pour ne pas heurter de front un frère aîné, pour lequel, comme vous-même, j’éprouve le plus grand respect. Je souhaitais en conséquence et dans la mesure du possible taire son nom. Les termes que j’emploie tant dans mon éditorial que dans la lettre elle-même qui vous paraissent outranciers, ne font, pour ma part, qu’exprimer la pénible réalité de ce qui est en train de se produire dans nos milieux évangéliques. Le glissement évangélique en cours, qui est en voie de se transformer en véritable avalanche, est d’autant plus dangereux que certains de ceux qui le promeuvent sont plus respectables et à première vue dignes de notre entière confiance.

Vous citez le nom de Henri Blocher qui ne paraît pas dans ce numéro de notre revue. Vous pensez sans doute au débat véhément que j’ai eu avec lui, il y a quelques années de cela, dans les colonnes des publications de l’Association Création, Bible et Science. Cette discussion se rapportait à sa regrettable prise de position tout ce qu’il y a de plus publique en faveur de la théorie néfaste (une véritable hérésie) que l’on appelle évolutionnisme théiste ou créationnisme progressif. Nous avions constaté les dégâts considérables produits dans les milieux évangéliques que nous fréquentions, par la respectabilité que le nom même de M. Blocher donnait à cette erreur. Nous sommes heureux de constater que depuis ce débat M. Blocher a quelque peu modifié ses positions, reconnaissant publiquement la faiblesse de l’argumentation scientifique en faveur d’un quelconque évolutionnisme.

Doit-on se taire face aux erreurs de nos docteurs les plus respectés ? Doit-on faire les chiens muets et ainsi endosser devant Dieu la responsabilité de la corruption de l’ensemble de nos milieux évangéliques ? Reprochera-t-on à un chien de garde d’aboyer trop fort quand les voleurs s’attaquent à la maison de son maître ? Ou bien, lui reprochera-t-on de se taire lorsqu’il aurait fallu à tout prix avertir la maisonnée du mal qui se tramait ? L’indubitable respectabilité chrétienne des deux frères que vous mentionnez, rend d’une part la tâche de la sentinelle chrétienne manifestement beaucoup plus difficile, et de l’autre, ajoute une séduction autrement plus dangereuse à celle déjà grande de l’erreur. Et que dire de la qualité de l’amour des amis de nos deux docteurs qui, par affection sentimentale et par souci de la paix de l’Église, se refusent de les reprendre ouvertement sur leurs erreurs publiques, les empêchant ainsi de s’arrêter à temps sur la voie funeste sur laquelle le Malin les conduit ? Il me semble évident qu’à l’heure qu’il est nos milieux évangéliques courent les plus graves des dangers. L’accord qui s’est fait aux États-Unis, au mois de mars de cette année, entre théologiens catholiques et évangéliques, me paraît un signe des plus clairs de cette perte terrible de discernement doctrinal et spirituel. Pardonnez-moi alors de le crier un peu fort.

Sachez aussi que la lettre publique que vous avez lue dans Résister et Construire n’est qu’une petite partie (adaptée pour la circonstance) de la correspondance capitale que j’ai échangée avec Alfred Kuen pendant plus de quatre mois, correspondance qui, grâce à l’inébranlable courtoisie de notre frère, a été pour moi, malgré l’impasse où elle a abouti, un modèle de ce que peut être un échange prolongé entre deux chrétiens qui divergent sur des questions capitales.

En vous remerciant de votre attention je vous prie, cher frère, de croire à l’expression de mes sentiments les meilleurs en notre Seigneur et Sauveur, Jésus-Christ.

Jean-Marc Berthoud

Lausanne, le 16 juillet 1994.

Le professeur Jules-Marcel Nicole de l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne nous écrivait au début du mois de 6 juin au sujet des articles consacrés aux diverses méthodes de traduction de la Bible parus dans le dernier numéro de Résister et Construire :

La remarque si juste que vous faites dans votre Lettre ouverte à un traducteur évangélique de la Bible, à propos du devoir d’avertir un frère qui risque de dévier m’incite à vous adresser les lignes suivantes dans un climat de franchise et d’estime fraternelles.

En effet les critiques que vous-même et mon bon ami Jean-Marc Thobois formulez à l’encontre de la méthode d’équivalence dynamique ne me semblent pas justifiées.

Comme vous, je pense que dans la mesure du possible, il convient de traduire un même mot grec par un même mot français. C’est le principe que nous avons adopté dans la version à la Colombe, à l’élaboration de laquelle j’ai travaillé de tout cœur pendant 25 ans. Cela permet au lecteur de se rendre exactement compte de ce qu’il y a dans le texte et de faire des rapprochements utiles dans l’étude de la Bible. Comme vous le concédez loyalement, vu le décalage des langues les unes par rapport aux autres, on ne peut cependant pas réaliser ce programme intégralement. Les traductions qui suivent les principes de l’équivalence dynamique ne sont donc pas celles que je préconise pour les croyants qui veulent serrer de près le sens du texte.

Cela dit, je pense que pour initier des lecteurs non avertis, un type de traduction plus aisément compréhensible a son utilité. Il y a une cinquantaine d’années un jeune juif converti à nos réunions me disait qu’au début de sa fréquentation de notre Église, il ne comprenait rien, ni au texte biblique, ni à nos prédications !

Surtout je ne vois pas que les versions dites à équivalence dynamique ou fonctionnelle aient des affinités avec le nominalisme des scolastiques du Moyen Âge. Dans ce que j’ai lu de Nida et de Jean-Claude Margot, je n’ai rien trouvé qui suggère que les mots du texte original ne correspondrait pas à une réalité objective. L’idéal qu’ils visent, c’est de bien cerner le sens du passage et de le rendre d’une façon exacte, sans adjonction, sans réticence et sans altération. Le décalage qu’il y a d’une langue à l’autre n’implique pas que l’on ait le droit de manipuler la révélation pour l’accommoder au goût du jour, ni de considérer toute expression verbale de la pensée comme entachée de subjectivisme.

Dans le détail, je m’associe à plusieurs de vos remarques. Je regrette par exemple que metaneo soit rendu par changer de vie ou de comportement. Car la notion de repentance me paraît essentielle, et d’ailleurs compréhensible pour les moins avertis des lecteurs. J’ajoute qu’une note indiquant que le terme grec implique un changement de mentalité – ce que le mot français de repentance ne comporte pas nécessairement – semble hautement souhaitable.

En revanche je ne vois pas la nécessité de rendre episkopos par évêque. D’ailleurs bien peu de traductions, même formelles, emploient ce terme dans le passage de 1 Pierre 2:25.

Il n’y a pas non plus de quoi s’indigner lorsque prophètes est rendu par porte-parole de Dieu. Dans le langage courant, un prophète est quelqu’un qui prédit l’avenir, ce que le prophète biblique fait souvent, mais ce qui n’est pas sa fonction spécifique, ainsi que cela ressort de textes comme Deut. 18:15-18 ; Jér. 23:16-23 ; 2 Pierre 1:21.

Je n’ai pas collaboré directement à la Bible du Semeur, mais je connais bien deux des principaux responsables de cette traduction, Alfred Kuen et Sylvain Romerowski, et je sais que leur position en ce qui concerne l’inspiration de la Bible est exactement semblable à la vôtre et à la mienne. Dans le détail cette version peut certes être améliorée, par exemple pour la traduction de Matt. 19:9. Mais ce n’est pas juste d’y voir une entreprise qui risque de porter préjudice à la Parole de Dieu, alors que leurs auteurs sont préoccupés de rendre honnêtement et fidèlement le message divin.

L’Écriture seule est infaillible. Notre manière de la comprendre ne l’est pas, bien que l’Esprit nous préserve des erreurs graves si nous nous soumettons humblement à ses directives.

Que Dieu nous aide les uns et les autres à trouver le juste équilibre entre la modération et la fermeté, afin que notre témoignage sont toujours plus convaincant.

Croyez, cher frère en Christ, à mes sentiments fraternels.

Jules-Marcel NICOLE,
Nogent-sur-Marne, début juin 1994.

Nous répondions comme suit au professeur Nicole :

Je vous remercie de tout cœur de votre bonne lettre reçue ce matin. Je suis touché que vous vous donniez tant de peine à me dire les raisons pour lesquelles vous ne pouvez pas me suivre dans la critique des méthodes de traduction dites d’équivalence dynamique ou fonctionnelle, telles qu’elles sont pratiquées dans certaines traductions modernes comme la NIV américaine ou la Bible du Semeur. Si je me suis permis de traiter de ce sujet comme je l’ai fait, c’est évidemment que je considère la déviation manifestée par ces traductions comme extrêmement grave.

Je suis heureux de pouvoir ici vous dire toute ma reconnaissance pour le travail magnifique qui a été accompli par ceux qui ont œuvré à la révision dite à la Colombe de la traduction Segond. Cette Bible m’est d’une grande bénédiction et ce qui me fait surtout du bien c’est de me savoir avec cette traduction en terrain sûr, c’est-à-dire très proche du texte original, tout en étant en présence d’une Bible vraiment française. Pour ne prendre qu’un exemple, j’aie trouvé cette traduction plus fidèle qu’aucune autre que j’ai pu consulter lorsque j’ai fait il y a quelque temps un travail important sur la théologie biblique des nations. Là où la plupart des versions faussaient le sens du mot goy en le traduisant par gentils, la Colombe s’en tenait rigoureusement au sens hébraïque exact qui est celui de nation. Cela m’a permis de trouver avec une certaine facilité les grandes articulations de la théologie biblique des nations. M. Stuart Olyott, qui fut pendant plus de huit ans le pasteur de notre Église baptiste ici à Lausanne, affirmait que cette traduction était la meilleure qu’il connaissait et qu’il n’existait pas d’équivalent à la Colombe en anglais.

Je ne veux pas revenir sur le détail de mon différend avec les traducteurs de la Bible du Semeur. Je me permets de vous communiquer copie de l’épuisante correspondance que j’ai eue avec notre frère Alfred Kuen. Vous verrez qu’à aucun moment je n’émets le moindre doute sur sa bonne foi. C’est bien davantage à son bon sens (ou plutôt à son manque de bon sens) que j’en veux. Ici nous nous trouvons face aux conséquences catastrophiques de la généralisation dans notre culture de l’épistémologie subjectiviste (et idéaliste) héritée de Descartes, de Kant et de leurs successeurs. Cette épistémologie nominaliste a été très largement adoptée par la linguistique moderne dont s’inspirent nos nouvelles méthodes de traduction. Mais là où M. Kuen et ses émules se trompent le plus lourdement, c’est lorsqu’ils s’imaginent que l’obstacle majeur à la compréhension de la Bible se place d’abord au niveau des difficultés linguistiques. Comme nous le savons fort bien, ici le problème essentiel est avant tout d’ordre spirituel, car nous nous trouvons face à une difficulté qui ne peut qu’être résolue spirituellement, par la conversion de l’intelligence. C’est ici que le manque de formation philosophique de nos théologiens (même les plus fidèles) leur joue les plus mauvais tours. Au début du XVIIᵉ siècle Agrippa d’Aubigné avait constaté la même faiblesse dans les Académies réformées de France ; il leur reprochait de ne pas connaître la pensée de leurs adversaires, ignorance qui allait les laisser sans défense devant les attaques subtiles du rationalisme arminien et amyraldien naissant. Mais je vous prie de vous référer aux chapitres qui traitent de ces questions dans mon livre Des Actes de l’Église paru aux Éditions L’Âge d’Homme. Il faut avant tout le renouvellement de la pensée pour lire la Bible et pour la comprendre justement. Pour un jeune chrétien une traduction fidèle comme la Colombe est bien plus utile qu’une traduction apparemment plus compréhensible, mais très souvent infidèle, comme celle du Semeur.

Pour ce qui concerne mon attribution du qualificatif de nominalisme aux traductions dites à équivalence dynamique ou fonctionnelle, elle n’a rien de particulier à voir ni avec le Moyen Âge, ni avec la scolastique. J’évoque ici en fait deux attitudes possibles face au langage : le réalisme ou le nominalisme. Le problème que je cherche à poser est un problème épistémologique général, problème que l’on retrouve à toutes les époques et sous toutes les latitudes. Le nominalisme pratiqué par les méthodes de traduction dites d’équivalence dynamique est un nominalisme se rapportant spécifiquement à la traduction. On établit une distance, non entre le mot et les choses elles-mêmes, mais entre le mot hébreu ou grec et le mot français ou anglais, par exemple. On ne croit pas qu’il y ait de rapport rigoureux (il ne s’agit évidemment pas d’une relation linguistique d’identité !) entre les mots d’une langue et ceux d’une autre. C’est-à-dire qu’en bons nominalistes ces traducteurs aux méthodes nouvelles nient l’existence de ces universaux qui sous-tendent les mots de toutes les langues. C’est l’existence de ces universaux reliant le langage à la réalité nommée et les langues entre elles qui rend possible la traduction ! Cette attitude nominaliste dans la traduction laisse une grande place à la liberté d’interprétation du traducteur, liberté subjective qui ne peut que nuire à la fidélité de la traduction du texte biblique. Elle révèle une façon de penser qui considère que la relation des mots des différentes langues entre eux et la réalité qu’ils nomment ne serait pas stricte. C’est cela le nominalisme. C’est cette attitude nominaliste que vous avez si justement refusée dans la traduction à la Colombe. C’est cette attitude nominaliste que je reconnais dans la traduction à équivalence dynamique pratiquée par la NIV et, bien plus encore, par la traduction du Semeur. M. Kuen va jusqu’à trouver un avantage pour le travail de traduction de ne pas connaître les langues d’où la traduction a été faite ! On voit bien que pour lui (contrairement à ce que vous écrivez au sujet de ceux qui travaillaient avec vous à la révision de la Bible Segond) le sens premier du texte original n’est pas ce qui lui importe le plus.

Évidemment, vos amis (comme par ailleurs les traducteurs de la NIV qui étaient souvent ceux-là mêmes qui rédigèrent les grandes Déclarations de Chicago sur l’inspiration, l’inerrance et l’interprétation de la Bible) confessent, sans réserve aucune, les doctrines de l’inspiration, de l’infaillibilité, de l’inerrance et de l’autorité de la Bible. Mais, comme toujours, ce n’est pas le dire qui importe le plus, c’est bien plutôt le faire qui compte. Dans leur confession de foi ils sont sans doute orthodoxes ; mais dans les méthodes qu’ils adoptent pour la traduction de la Bible ces mêmes hommes confessent par leurs propres œuvres que le texte qu’ils encensent comme inspiré et infaillible peut néanmoins être traité avec la plus grande désinvolture linguistique et sémantique. N’est-ce pas là une espèce de schizophrénie intellectuelle ? C’est en particulier la grande distance entre le dire et le faire qui trahit également l’attitude morale nominaliste chez nos traducteurs théoriquement orthodoxes. Et votre amitié pour certains de ces traducteurs ne vous conduirait-elle pas elle aussi à certaines inconséquences sur le plan logique ? Car en quoi une traduction infidèle au texte original serait-elle d’une quelconque utilité à des jeunes croyants, ou même à de vieux croyants, comme vous et comme moi ? Dieu ne nous avertit-il pas sévèrement contre le travail mal fait ? Ce n’est guère servir le peuple de Dieu (ou les incroyants !) que de cautionner de telles malfaçons.

En vous remerciant de votre attention je vous prie, cher Monsieur et frère, de croire à mes sentiments respectueux, reconnaissants et cordiaux en Jésus-Christ.

Jean-Marc Berthoud, Lausanne, le 6 juin 1994.

Le professeur Nicole nous répondait à son tour :

Un grand merci pour votre envoi. Ce que vous m’écrivez au sujet de la Bible à la Colombe m’a profondément réjoui, et je tiens à vous en exprimer ma gratitude.

J’ai tardé à vous répondre, parce que je désirais réfléchir à la question et prier avant de vous écrire. J’ai lu attentivement le volumineux dossier que vous avez eu la bonté de me communiquer, et j’ai essayé de comprendre à quoi tenait votre différend avec notre ami Kuen.

Comme vous le dites, il y a un problème épistémologique (théorie de la connaissance, réd.) qui se pose. En gros, trois attitudes principales peuvent être envisagées :

  1. L’épistémologie réaliste rationaliste à la Descartes qui n’accepte que ce qui est conforme avec la raison humaine. Dans le débat en cours, elle n’entre pas en ligne de compte.
  2. L’épistémologie nominaliste mise au point par Kant, selon laquelle les mots ne sont que des symboles, alors que la réalité dernière nous est inaccessible. Cette théorie a été poussée jusqu’à l’extrême par l’existentialisme, où chacun prétend créer son propre univers selon sa fantaisie. Dans cette optique, il est impossible de parvenir à une vérité objective ;
  3. L’épistémologie réaliste qui voit dans le langage un moyen de formuler et de communiquer la réalité d’une façon adéquate, et dans la parole biblique la révélation infaillible de la vérité. Herman Dooyeweerd et Francis Schaeffer apparaissent comme les champions de cette épistémologie dans notre 20ᵉ siècle.

Vous êtes engagé depuis plusieurs années dans un combat courageux contre les tendances aberrantes de certaines commissions scolaires influencées par l’épistémologie existentialiste et qui préconisent une vraie décomposition de la langue française. Dans les principes de l’équivalence dynamique ou fonctionnelle vous avez cru voir une manifestation de la même épistémologie pernicieuse et vous désirez mettre en garde ceux que, inconsciemment, pourraient être séduits par une telle erreur.

  1. Kuen ne répond pas aux questions que vous lui adressez à ce sujet. Je pense que cela provient du fait qu’il n’a pas réfléchi comme vous à ce problème épistémologique. Mais cela ne signifie pas qu’il endosse la conception existentialiste de la relativité. Bien plutôt, il croit à l’exactitude objective et verbale des textes bibliques originaux et à la possibilité de les traduire fidèlement dans d’autres langues. Il doit donc forcément avoir une position réaliste, mais en quelque sorte instinctive et spontanée, alors que la vôtre est mûrement réfléchie.

En revanche, il a longuement réfléchi à un problème que vous n’écartez pas, mais qui vous préoccupe moins que lui. Les mots de n’importe quelle langue (y compris le grec et l’hébreu) ont des sens divers selon le contexte tout en exprimant dans chaque cas correctement la réalité. De plus, d’une langue à l’autre les termes correspondants ne couvrent pas exactement le même champ sémantique.

Je vous propose très succinctement un exemple que ni vous, ni lui, vous n’avez évoqué, mais qui me semble concluant.

Le mot hébreu néphech, grec psuche peut se rendre habituellement par âme. Il peut désigner :

  • une partie de notre personnalité, le siège de nos émotions : « maintenant mon âme est troublée » (Jean 12:27) ;
  • le siège de notre vie chrétienne : « je souhaite que tu prospères à tous égards comme ton âme prospère » (3 Jean 3) ;
  • quelquefois notre personnalité tout entière : « l’homme devint un être vivant (ou une âme vivante) » (Gen. 2:7, I Cor. 15:45) ;
  • y compris notre personnalité entre notre décès et notre résurrection : « les âmes sous l’autel » (Apoc. 6:9).
  • Il y a d’autres passages où il signifie vie physique : « ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez » (Matt. 6:25), souffle vital – à distinguer de haïm, zoè, la jouissance des fonctions vitales.

À cet égard nous ne disposons pas en français de deux vocables pour désigner ces deux réalités pourtant distinctes. Pour ne pas créer de confusion, nous sommes donc tantôt obligés de traduire le même mot de l’original par deux mots différents en français – âme et vie – tantôt de rendre deux mots différents de l’original par le même mot français. Pour permettre au lecteur de vérifier ce qu’il y a dans le texte, nous nous en sommes tirés dans la Colombe en mettant habituellement une note là où nous avons traduit néphech ou psuchè par un autre terme que âme.

Cela n’empêche pas que, dans ses diverses acceptions, le mot de l’original corresponde objectivement à la réalité, et le terme par lequel nous le traduisons aussi. Aucune interprétation fantaisiste n’est admise pour autant.

Dans ce que j’ai lu de Nida ou de Jean-Claude Margot je n’ai trouvé aucune velléité de considérer le langage biblique comme symbolique ou inadéquat, aucun encouragement à le traduire d’une manière subjective. Au contraire ils recommandent de bien saisir le sens du texte et de le rendre sans altération[21]. Leur souci de rendre le message biblique compréhensible pour nos contemporains peut donner l’impression qu’ils font chorus avec les protagonistes égarés des  nouvelles méthodes d’enseigner le français. En dépit des apparences, les responsables de la Bible du Semeur, puisqu’ils croient à l’inerrance biblique, ne peuvent pas en même temps avoir une épistémologie relativiste qui irait à l’encontre de leur conviction[22].

Naturellement je suis pleinement d’accord avec vous pour souligner que la compréhension de la Bible n’est pas avant tout un problème linguistique, mais une question spirituelle. Il faut que le lecteur soit guidé par le Saint-Esprit.

N’empêche qu’il est souhaitable, au fur et à mesure qu’une langue évolue, que des traductions soient mises au point. Du Vᵉ au Xᵉ siècle ce qui est devenu l’italien, le français, l’espagnol était du latin massacré. On comprend que les ecclésiastiques de ce temps-là aient hésité à traduire la Bible en des dialectes méprisables. Mais on doit le regretter, car cela préparait l’interdiction de lire l’Écriture en langue vulgaire qui dans la suite a si fâcheusement caractérisé le catholicisme.

Je n’ai pas lu la Bible du Semeur d’un bout à l’autre. Mais tout en regrettant certaines options de nos amis (entre autres l’exclusion du mot repentance), je l’ai trouvée, là où je l’ai vérifiée, fidèle au sens du texte. Je pense donc qu’elle peut utilement initier un jeune chrétien en attendant qu’il puisse bien comprendre une traduction plus formelle, à laquelle, comme vous, je donne la préférence[23].

Excusez cette lettre un peu longue. J’espère qu’elle pourra contribuer à débloquer la discussion. J’ajoute que dans cette correspondance avec vous j’ai agi de ma propre initiative. Je n’ai consulté pour cet échange de lettres ni M. Kuen, ni mon ami Sylvain Romerowski.

Veuillez croire, je vous prie, à mes sentiments fraternels en Christ.

Jules-Marcel Nicole,
Nogent, le 2 juillet 1994.

Nous répondions au professeur Nicole en ces termes :

Je vous remercie de tout cœur de votre bonne lettre du 2 juillet. Je vous suis reconnaissant d’avoir consacré le temps nécessaire à prendre connaissance du dossier volumineux que je vous avais envoyé contenant ma correspondance avec notre frère Alfred Kuen relative à la traduction dite du Semeur dont il est le responsable. Je vous suis particulièrement reconnaissant de vos efforts à chercher à comprendre la nature de notre différend et d’en tenter une explication. Il est évident que le caractère divergent de nos préoccupations propres que vous signalez a joué un rôle dans ce que M. Kuen a bien voulu appeler un dialogue de sourds.

Pour ma part je considère l’impasse dans laquelle s’est finalement trouvé notre échange de lettres comme témoignant d’une difficulté caractéristique aux discussions que nous pouvons engager avec la plupart de nos intellectuels évangéliques, car rares sont ceux qui comprennent la nécessité d’une réformation de notre intelligence, réformation qui doit s’opérer dans tous les aspects de la pensée des hommes par l’action conjuguée du Saint-Esprit et de la Parole écrite de Dieu éclairant d’un jour nouveau toute la réalité créée. Il nous faut absolument revenir à une vision chrétienne du monde – vision par laquelle tous les domaines de la pensée doivent être systématiquement ramenés à leurs fondements bibliques – si nous ne voulons pas être balayés par le vent impétueux des courants idéologiques à la mode. Si nous refusons cette réforme de la pensée profane, elle en viendra à la longue infecter la théologie et la spiritualité chrétienne. Nous savons fort bien que l’amour du monde, que l’adhésion à la pensée du monde, (adhésion consciente ou naïve peu importe) n’est autre chose que la marque de notre inimitié envers Dieu.

Le point central d’où découle tout le différend qui m’oppose à nos nouveaux traducteurs, est celui de la relation entre les mots de la Bible hébraïque et grecque et leur sens.

  • La position nominaliste qu’affectionnent les partisans de la méthode dite d’équivalence dynamique (dont M. Kuen et les traducteurs de la Bible du Semeur) conçoivent une relation assez lâche entre les mots de la Bible et leur sens. Cela leur permet de prendre de grandes libertés dans la traduction du texte sacré. En fin de compte par cette méthode on en vient à soumettre le texte biblique au champ sémantique, aux présupposés de la langue dans laquelle on le traduit.
  • La position réaliste (qui est la vôtre et celle des traducteurs de la Bible à la Colombe, et aussi celle du professeur Pierre Courthial, par exemple) conçoit la relation entre les mots hébraïques et grecs de la Bible et leur sens comme étant très étroite. Cela oblige ces traducteurs à coller de près au texte original, tout en travaillant dans le champ linguistique de la langue dans laquelle le texte de la Bible est traduit. Cette attitude réaliste doit, en fin de compte, mener à réformer le champ sémantique de la langue dans laquelle on traduit la Bible selon les critères linguistiques, critères de valeur absolue, exprimées dans les mots eux-mêmes et dans les structures grammaticales des textes originaux de la Parole inspirée et infaillible de Dieu.

Le choix que l’on fera ici conduira inévitablement à des attitudes divergentes sur de nombreux plans, dogmatique, liturgique, éthique, etc. Il est, par exemple, naturel que les partisans de la méthode d’équivalence dynamique donnent dans la théologie d’acculturation (les textes bibliques doivent être séparés de leur contenu culturel propre), démarche qui ne peut que vider les textes de la Bible d’une part importante de leur contenu doctrinal et éthique. D’autre part une attitude aussi désinvolte face aux mots de la Bible ne peut que conduire en fin de compte à l’antinomisme, au refus des prescriptions précises de la loi de Dieu. Car en rejetant les mots propres à la Bible (la lettre qui tue !) on se refuse en fin de compte à considérer les commandements détaillés de la Bible (surtout ceux que l’on trouve dans l’Ancien Testament) comme étant revêtu d’un contenu de sens moral et social (c’est-à-dire culturel) apte à être appliqué aux situations concrètes variées auxquelles sont confrontés les chrétiens de cette fin du XXᵉ siècle. Il deviendrait alors évident que nous, gens du XXᵉ siècle, serions beaucoup plus intelligents que les hommes qui auraient écrit ces livres si anciens !

Mais le problème se corse si l’on rejette la position libérale, si, comme notre frère Alfred Kuen, l’on croit dur comme fer que l’Auteur de cette législation rétrograde serait Dieu lui-même ! Mais il est quand même téméraire de traiter avec tant de désinvolture Dieu le Saint-Esprit, Inspirateur de cette Écriture divine, comme étant d’une intelligence moindre que nous autres chrétiens évangéliques éclairés de cette fin du XXᵉ siècle ! Pour ma part je préfère me soumettre humblement à la sagesse infinie de l’Auteur de toute la Bible, de respecter les mots eux-mêmes de la Révélation divine et de Lui demander de me permettre de comprendre le sens des lois inspirées par Lui !

Il me semble que par bienveillance vous mésestimiez la portée – radicale à mes yeux – de la différence qui sépare la méthode utilisée pour la Colombe de celle qui a été pratiquée par les traducteurs de la Bible du Semeur. Dans votre lettre vous soulevez en passant nombre de problèmes parfaitement légitimes quant à toute traduction d’une langue à une autre. Ce qui nous est aujourd’hui si difficile à comprendre c’est qu’avec ces nouvelles traductions à équivalence dynamique nous nous trouvons devant des problèmes de méthodes essentiellement nouveaux. Cela provient du fait que ces traducteurs ont assimilé, bon gré mal gré, le poison si dangereux du nominalisme méthodologique qui est à la base de la linguistique moderne. Il faudra du temps (et une réflexion plus poussée) pour que nos milieux chrétiens parviennent à une saine compréhension du danger intellectuel qui les menace.

En attendant prions Dieu qu’Il continue à protéger son Église et qu’Il daigne, dans son infinie miséricorde, nous accorder à tous un esprit de repentance (de repenser, de renouvellement de l’intellect) et en particulier à nos docteurs évangéliques qui, souvent inconsciemment, égarent le troupeau du Seigneur.

Avec l’expression de tout mon respect veuillez, Monsieur et cher frère, croire à mes sentiments les meilleurs en notre Sauveur et Seigneur, Jésus-Christ.

Jean-Marc Berthoud, Lausanne, le 18 juillet 1994

[1]      Nous ajoutons quelques notes de la rédaction au texte de M. Kuen.

[2]      Il ajoute « de ses péchés ».

[3]      Et Gide mentionné par A. Kuen lui-même ? Sans parler des nombreux exemples modernes (18ᵉ, 19ᵉ, et même 20ᵉ) cités par le Grand Robert pour les mots analogues, repentir et se repentir. Il est frappant de constater que la dernière édition du Petit Larousse a restauré le mot repentance.

[4]      L’origine étymologique d’un mot ne nous dit rien sur son usage actuel, ni sur la nécessité de le rétablir dans l’usage chrétien pour signifier des réalités spirituelles ignorées par la pensée et l’usage contemporain.

[5]      Nous soulignons. Comme nous le verrons, c’est ce sens biblique de changement de pensées que M. Kuen rejette systématiquement dans sa traduction qui met l’accent sur le changement de comportement.

[6]      Nous soulignons. Nous voyons de nouveau le sens essentiel de l’expression se situer dans le domaine du changement de la pensée d’abord. Le changement du comportement doit évidemment suivre si la repentance a été véritable (Rom 12:1-2).

[7]      Ces informations sont très intéressantes mais n’ont rigoureusement rien à voir avec le problème actuel de la traduction, car l’usage de la théologie, des traductions de la Bible et de l’utilisation courante du mot repentance, ont changé le sens du mot. On ne peut utilement citer des masses de textes et de faits sans déduire des conséquences réfléchies sur ce que l’on vient de citer ! La réflexion n’est pas une compilation !

[8]      Tout cela est fort intéressant mais ne nous concerne guère. Notre tradition dans l’usage des termes théologiques et bibliques n’est pas d’abord celle de Tertullien, d’Ambroise et de Jérôme, bien que leur pensée soit digne de notre plus grande attention. Notre propre tradition de traduction est celle issue de la Réforme du XVIᵉ siècle qui a fait un sort à l’usage catholique de l’expression pénitence-repentance, en refusant complètement l’intrusion des œuvres méritoires dans la justification de l’homme, justification qui s’effectue par la seule grâce de Dieu, au moyen de la foi seule, accompagnée d’une repentance véritable, changement de pensée, puis changement de vie. Il est curieux que M. Kuen ne mentionne jamais cette tradition réformée par laquelle l’usage biblique de metanoia a été restauré.

[9]      Traduction de l’Ancien Testament en grec dite la Septante du fait qu’elle aurait été traduite par 70 érudits juifs d’Alexandrie en Égypte, au troisième siècle avant Jésus-Christ.

[10]    Nous soulignons, à l’encontre de la définition que donne la traduction du Semeur de la repentance.

[11]    Qu’est-ce à dire ? Comme si cette même idée de changement de pensée et de réorientation de vie chez Paul n’était pas exprimée de toutes sortes de manières (2 Cor. 10:3-6, parmi bien d’autres textes).

[12]    Ici encore Alfred Kuen escamote le changement de pensée exigé par l’apôtre Jean. (« Je n’ai pas de plus grande joie que d’entendre dire de mes enfants qu’ils marchent dans la vérité » – 3 Jean 4.) M. Kuen oserait-il s’exprimer ainsi, lui qui minimise constamment ce nécessaire changement de pensée qui est le commencement de la repentance ?) Le refus de tenir unis changement de vie et changement de pensée est typique de la séparation libérale et moderniste de la vie chrétienne de la doctrine chrétienne, comme si l’une pouvait subsister sans l’autre.

[13]    Encore ici il ne saurait être question d’un quelconque changement de pensée.

[14]    Comme si l’on demandait au dictionnaire, souvent composé par des non-chrétiens, le sens exact des expressions bibliques. Depuis la Réforme l’usage théologique et biblique évangélique du mot français repentance a l’immense avantage de réunir sous un même vocable les deux notions de changement de pensée et de changement de vie. La traduction inexacte de la Bible du Semeur, en jetant aux orties le mot repentance, ne retient que le dernier sens.

[15]    Cela, sous notre plume, ne veut absolument pas dire faire de la langue réceptrice d’une traduction la norme du sens à donner au texte traduit. Cela n’est pas traduction, mais trahison.

[16]    Quel traducteur censé en a jamais douté ?

[17]    Le Père Bruckberger ?

[18]    Jamais nous n’avons affirmé une telle chose !

[19]    Comme si nos contemporains si éloignés des pensées bibliques pouvaient parvenir à comprendre ces pensées divines par eux-mêmes, sans changement de cœur, c’est-à-dire d’intelligence. Comme si la Bible leur devenait compréhensible que lorsque nous l’adaptions à leur pensée privée de la connaissance de Dieu. C’est implicitement faire l’économie de la grâce, de la repentance des pensées, de la conversion, de la nouvelle naissance, de l’action de Dieu, de la nécessité absolue de l’Incarnation pour l’achèvement de notre salut. Si M. Kuen croit effectivement ce qu’il écrit – ce que nous doutons fort – il a alors tout simplement adopté la position pélagienne d’un salut acquis par l’intelligence non régénérée et l’acte de volonté entièrement libre de l’homme sans Dieu. S’il pense effectivement – ce que nous doutons encore – que l’on peut sans autre transposer la pensée de Dieu qu’est la Bible dans des formulations exprimant les pensées de nos contemporains sans Dieu, il nie pratiquement la doctrine de l’inspiration divine des Écritures, car il place les pensées de nos contemporains et celles de Dieu exactement sur le même plan.

[20]    On peut traduire ce proverbe anglais ainsi : Un homme convaincu contre son gré n’en pense cependant pas moins.

[21]    La méthode d’équivalence dynamique ou fonctionnelle établit une distance importante entre les mots grecs ou hébraïques et leur sens, l’idée qu’ils expriment. C’est cette distance nominaliste (ce sont des signes arbitraires sans rapport étroit avec leur sens) qui leur permet des traductions pour le moins très libres du texte hébreu ou grec. L’exemple que donne le professeur Nicole en analysant comment il faut traduire les mots nephech ou psuchè démontre exactement ce que doit faire un traducteur. Mais ce n’est pas ici la manière d’agir des traducteurs de la Bible du Semeur ou de celle dite En français courant. Dieu voulant, nous publierons dans un prochain numéro une analyse détaillée de ces méthodes de traduction nouvelles telles que nous pouvons les observer dans la Bible du Semeur.

[22]    Il ne suffit pas de prôner des convictions orthodoxes pour effectivement en avoir. Il y a souvent une distance considérable entre le dire et le faire, même chez le chrétien qui se veut fidèle. L’on peut théoriquement croire à l’inerrance de la Bible et agir – dans sa manière de traduire, par exemple, ou dans son éthique – de manière à nier de façon toute pratique cette croyance orthodoxe dogmatiquement affirmée. Il nous semble que les méthodes de traduction employées par les responsables de la Bible du Semeur démontrent de manière éclatante une telle contradiction entre le dogme et la pratique. Les vrais disciples du Christ ne sont pas ceux qui disent seulement, mais qui s’efforcent d’ajouter à leur dire le faire.

[23]    Pourquoi initier les nouveaux lecteurs de la Bible à une traduction – à lire M. Nicole – pour le moins inférieure et ainsi leur donner des habitudes de lecture et de compréhension mauvaises de la Bible ? Cela va à l’encontre de tout bon sens pédagogique. En musique, par exemple, il n’est pas recommandable de prendre des habitudes techniques mauvaises, même si dans un premier temps de telles méthodes rendent apparemment plus facile l’apprentissage musical de l’instrumentiste débutant.