Le monde est un théâtre, où de Dieu la Puissance,
La Justice, l’Amour, le Savoir, la Prudence,
Jouent leur personnage, et comme à qui mieux mieux,
Les esprits plus pesants ravissent[1] sur les cieux.
Le monde est un grand livre, où du souverain maître
L’admirable artifice on lit en grosse lettre.
Chaque œuvre est une page, et chaque sien effet
Est un beau caractère et tous ses traits parfait. […]
Pour lire là dedans il ne nous faut entendre[2]
Cent sortes de jargon, il ne nous faut apprendre
Les caractères turcs, de Memphe les portraits[3],
Ni les points des Hébreux, ni les notes des Grecs.
L’Antarctique brutal, le vagabond Tartare,
L’Arabe plus cruel, le Scythe plus barbare,
L’enfant qui n’a sept ans, le chassieux[4] vieillard,
Y lit passablement, bien que dépourvu d’art.
Mais celui qui la Foi reçoit pour ses lunettes,
Passe de part en part les cercles des Planètes :
Comprend le grand Moteur[5] de tous ces mouvements,
Et lit bien plus courant dans ces vieux documents.
Ainsi donc, éclairé par la foi, je désire
Les textes plus sacrés de ces Pancartes lire :
Et depuis son enfance, en ses âges divers,
Pour mieux contempler Dieu, contempler l’univers.
Guillaume Saluste du Bartas (1544-1590)
La Semaine (1581), Nizet, Paris, Tome I, p. 8-10.
[1] Escaladent
[2] Connaître, comprendre.
[3] Les hiéroglyphes de Memphis en Égypte.
[4] Dont coule les yeux.
[5] Dieu le premier moteur selon la philosophie d’Aristote.