L’Église et le changement politique

par | Résister et Construire - numéros 32-33

Déclaration de PACLA IL, Nairobi, novembre-décembre 1994

 

Remarques préliminaires

Nous reproduisons la déclaration de PACLA II concernant les rapports entre la politique et le christianisme malgré le caractère insatisfaisant de bon nombre de ses affirmations. Elle fut adoptée à Nairobi en décembre 1994. Nous retrouvons malheureusement dans cette déclaration l’utopisme politique abstrait d’inspiration humanitariste tant à la mode aujourd’hui en Occident. On aurait espéré y voir, provenant des églises évangéliques d’Afrique, un texte à la fois plus réaliste et plus biblique. Les problèmes spécifiques à l’Afrique ne sont guère évoqués de manière concrète.

Voici quelques-unes des difficultés propres à l’économie et à la politique africaine ignorées par ce document :

  • Le néocolonialisme tribal et financier qui règne partout en Afrique, régime qui, par certains côtés, est pire pour la vie du peuple que ne l’était l’ancien système colonial.
  • La clef de la nouvelle servitude : l’endettement systématique auquel collaborent les élites politiques avides de se remplir les poches de la manne internationale aux dépens de l’avenir de leurs propres peuples.
  • L’adoption des mythes les plus éculés de la vie politique occidentale : démocratie, droits de l’homme, humanocentrisme, œcuménisme, etc., tous témoins d’une mentalité apostate qui se passe de Dieu et des exigences de Sa révélation dans le domaine public.
  • Absence de toute référence aux traditions et à l’histoire propre au continent et au christianisme africain.
  • L’ignorance d’une des causes principales de la misère africaine : un christianisme qui ignore presque tout d’une application pratique de la loi de Dieu aux situations concrètes de la vie ordinaire des chrétiens ; on ne veut rien entendre de l’étude de la Loi de Dieu comme cadre indispensable et bienfaisant à l’obéissance du chrétien régénéré, et cela dans tous les domaines de la vie.
  • Incitation à un ministère prétendument prophétique des églises à l’égard de l’État qui, parce qu’il n’exprime aucun contenu théologique et biblique précis, ne peut que virer à la contestation pure et simple du pouvoir politique et, s’il est maintenu, à l’action révolutionnaire la plus stérile.
  • Ignorance du danger pour la société et pour l’État lui-même de la vague d’illuminisme religieux, véritable feu de brousse embrasant tout le continent, et qui passe sous le nom de charismatisme. Cette mystique irrationnelle et non biblique, souvent plus proche du paganisme que du christianisme historique, encourage ceux qui s’y livrent à la désobéissance aux commandements écrits de Dieu. Cette mystique les pousse à suivre des directives morales purement subjectives, provenant de prétendues révélations divines, et ceci souvent aux dépens des consignes claires de la Bible. Aucune société saine ne peut s’édifier sur les bases d’un tel mysticisme irrationnel et antibiblique.
  • Absence totale d’exhortation adressée aux églises à vivre visiblement la sainteté à laquelle Dieu les appelle au travers d’une obéissance communautaire scrupuleuse aux enseignements de la Bible ; cela en refusant les hérésies de toutes sortes, les séductions spirituelles, la contamination du paganisme ambiant, l’immoralité, la corruption et l’utilisation de l’exercice du ministère à des fins d’ambition propre, fléaux qui attaquent les églises d’Afrique, comme d’ailleurs, à des degrés divers, celles du monde entier. La discipline biblique est ainsi jetée aux orties.
  • Les dangers très graves que le renouveau des maladies tropicales fait courir au continent africain ne sont pas mentionnés. L’immense problème politique lié à la pandémie du SIDA en Afrique ne trouve pas non plus la moindre mention dans ce texte…
  • À aucun point cette déclaration ne témoigne que ses rédacteurs aient éprouvé le moindre besoin d’adresser un appel à la repentance aux églises et aux chrétiens d’Afrique.
  • L’incapacité apparente du christianisme évangélique ou catholique africain à former une communauté de chrétiens solides, aptes à assumer leurs responsabilités dans tous les domaines de la vie : famille, églises, économie, politique, culture, vie intellectuelle, etc.
  • Pour conclure une liste bien incomplète, le pire, pour un document d’origine évangélique, c’est de n’y trouver, à aucun instant, la moindre référence précise, ni aux enseignements de la Bible, ni aux enseignements de la tradition réformée (ou catholique !) sur la vie de la cité.

Ce document est un singulier exemple de l’imprécision et de la platitude auxquelles conduit le bavardage religieux que l’on pratique (pour se donner bonne conscience à peu de frais !) dans ces palabres internationaux qu’on appelle conférences œcuméniques.

La foi chrétienne vaut mieux qu’un tel constat d’impuissance.

Rédaction

L’Introduction : La mission de l’Église

En tant que chrétiens et Églises, nous confessons que Jésus-Christ est le Seigneur de toute la Création : ceci inclut les êtres humains, les structures de la société et leur environnement. La mission de l’Église est donc de proclamer cette Seigneurie totale, qui comprend la sphère politique. Nous reconnaissons et nous voyons également dans le monde d’aujourd’hui que la Chute a affecté ces mêmes êtres humains, ces structures de la société et leur environnement.

C’est pourquoi, envoyés par le Seigneur Jésus-Christ, nous, en tant que chrétiens et en tant qu’églises, sommes appelés à rendre témoignage, à la fois en paroles et en actes, à ce Royaume. Ce témoignage insiste sur le fait que les êtres humains, aussi bien que les sociétés, doivent être transformés, tout en gardant à l’esprit que l’Église est dans, mais pas du monde.

Nous distinguerons trois niveaux pour un tel témoignage dans la sphère politique :

A) À l’échelon institutionnel, ce témoignage est rendu par les conseils d’églises, les synodes, les assemblées d’évêques et d’anciens, etc.

B) À l’échelon des paroisses, ce témoignage est rendu par la prédication de l’Évangile, qui couvre tous les terrains de la vie, et par la pratique de la communion fraternelle, avec les politiciens également.

C) À l’échelon du chrétien individuel, nous sommes appelés à mener une vie chrétienne devant les autres.

À tous ces trois échelons, la Parole de Dieu nous appelle à éviter une approche de la vie dualiste, laquelle sépare la soi-disant sphère spirituelle (limitée à la vie intérieure, l’âme, la foi) du reste de nos activités.

II. Les problèmes.

  • Dans certains pays, l’Église a eu la tendance à se laisser coopter par l’État, affaiblissant ainsi son message prophétique.
  • Les nominations politiques sont effectuées sur une base partisane, par exemple ethnique, raciale, ou suivant l’affiliation politique.
  • Les églises n’ont pas suffisamment équipé pour la tâche politique les personnes existantes hautement éduquées et formées.
  • Les développements économiques et politiques sont étroitement liés les uns aux autres, s’affectant mutuellement d’une manière négative.
  • Les églises ont omis de jouer un rôle actif et constructif dans les conflits politiques, qu’ils se déroulent à l’intérieur de l’État ou entre différentes nations.
  • Beaucoup s’engagent dans l’arène politique ayant des visées égoïstes.
  • De nombreux gouvernements ont pris le contrôle d’institutions qui ont été fondées par des églises, par exemple des écoles, cliniques, hôpitaux, etc., sans maintenir le même niveau de conscience éthique.
  • Les églises n’ont pas exercé un ministère effectif à l’égard de ceux qui forment l’opinion publique dans la société.
  • À quel point les nombreuses démocraties en Afrique sont-elles démocratiques, si l’on tient compte de la tendance courante à empiéter sur les droits individuels, ceux des minorités ou des majorités.

III. Stratégie recommandée.

  • Le rôle de l’Église institutionnelle devrait être d’exprimer sa voix, ou de faire des déclarations contre les gouvernements mauvais, les politiques répressives, les lois impies et tout autre mal que ce soit ; ceci en tant que corps œcuméniques, paroisses locales ou individus.
  • En vue d’une solution à long terme, l’Église devrait à tous les échelons être bien informée et au courant des structures de pouvoir ainsi que des systèmes des pays respectifs.
  • À tout moment, l’Église doit pouvoir avoir accès auprès des gouvernants et de ceux qui forment l’opinion publique :
    1. En maintenant une communion fraternelle constante avec ses membres.
    2. En maintenant un dialogue et en ayant des consultations régulières avec ceux du dehors.
  • Les églises devraient encourager, soutenir et si possible équiper leurs membres afin de les promouvoir dans une situation de leadership politique voire national.
  • Il est fort recommandé pour chaque pays d’avoir un petit groupe de chrétiens, de préférence de composition œcuménique, pour analyser les systèmes et les structures de pouvoir : de suivre de près l’action de gouvernement sur une base continue et d’évaluer l’action des chrétiens qui se trouvent dans des postes de leadership politique ou national, et d’en rendre compte régulièrement aux églises.
  • Finalement, nous recommandons à PACLA II et ses corps commanditaires (AEAM, AACC, AEA) d’établir chacune une commission Chrétiens, églises et politique, afin d’encourager les chrétiens à prendre leurs responsabilités et à accroître leur intérêt pour le leadership politique et national dans leurs pays respectifs. Cette recommandation devrait être transmise à tous les corps nationaux de ces corps commanditaires.