Situation critique des chrétiens au Pakistan (I)

par | Résister et Construire - numéros 32-33

Généralités

Lorsqu’on parle de l’islam, on envisage en général les musulmans des pays arabes, plus ceux d’Iran et de certains pays d’Afrique noire, qui pourtant ne constituent qu’une partie relative du monde musulman, lequel comprend également des pays bien plus peuplés, en Asie du Sud-Est, tels que le Pakistan, le Bangladesh, la Malaisie et l’Indonésie.

Le Pakistan a été fondé comme État indépendant lors de la partition de l’Inde britannique en 1947, par Ali Jinnah, chef de la Ligue Musulmane, et la Constitution de 1956 en fit une République islamique, dont la religion d’État est l’Islam.

Ce pays compte actuellement environ 120 millions d’habitants, pour une superficie de 804 000 km2. 97 % des Pakistanais sont musulmans, et le Pakistan est l’un des grands centres de diffusion de l’Islam dans le monde. En effet plusieurs organisations islamiques y ont leur siège, notamment la Fédération Mondiale des Missions Islamiques et le Congrès Islamique Mondial, créé déjà en 1926 et qui a des représentants dans une cinquantaine de pays.

Selon des statistiques gouvernementales, la proportion des chrétiens au Pakistan serait seulement de 1 %, alors que les Églises affirment atteindre les 2 %.

Les catholiques, qui représentent un peu plus d’un tiers des chrétiens, se répartissent en deux groupes bien distincts : les « Goanais » (venus de l’ancienne possession portugaise de Goa, en Inde) et les « Punjabis ». Les Goanais, qui vivent surtout à Karachi, au Sud, sont les plus riches et les mieux éduqués, et ils fournissent la plus grande partie de la hiérarchie catholique. Quant aux Punjabis, qui vivent dans le Nord et qui représentent 70 à 75 % des catholiques du Pakistan, ils appartiennent en général aux couches socio-économiques les plus basses. La plupart d’entre eux sont des chrétiens de deuxième génération, convertis de l’hindouisme, de la secte dikh ou de l’animisme. Ce sont en général des fermiers sans terre, qui cultivent celles des propriétaires musulmans dont ils ne reçoivent qu’une assez maigre pitance, selon un système quasi féodal qui leur impose de se tenir 24 heures sur 24 à la disposition de leur propriétaire.

Quant aux chrétiens non catholiques, ils ont formé en 1970, l’« Église du Pakistan », qui regroupe dans une même organisation les diverses dénominations : anglicans, méthodistes, presbytériens et luthériens.

Situation des chrétiens

Officiellement la Constitution assure la liberté religieuse aux minorités non musulmanes, mais la pression musulmane est très forte. Les campagnes missionnaires des musulmans les invitent en permanence à la conversion, et les moyens de communication accordent une large place à l’instruction religieuse musulmane. Par contre la conversion de musulmans au christianisme est condamnée par la charia (loi islamique), et la presse signale parfois les convertis à la vindicte publique. C’est ainsi qu’en avril 1993, l’hebdomadaire « Takbir », publié à Karachi par le « Jamaat-i-Islami » (groupe fondamentaliste islamiste très influent), a publié pendant cinq semaines consécutives, en première page, les noms, adresses et photos de musulmans convertis au christianisme. À la suite de cela plusieurs chrétiens ont perdu leur emploi.

Depuis 1977, la loi électorale fait une distinction entre musulmans et non musulmans, et les groupes religieux minoritaires constituent des électorats séparés, avec une représentation parlementaire à part.

En 1990 a été créé un « Conseil Consultatif » de 50 membres destiné à faciliter les relations entre les gouvernements et les minorités religieuses. Par ailleurs, il existait à l’époque, à côté du Ministère des Affaires religieuses, un Ministère d’État pour les minorités, dont le titulaire était un chrétien, le P. Julius Rufin, d’ailleurs controversé et dont nous ignorons la situation actuelle.

En 1972, le gouvernement d’Ali Bhutto (père de Benazir, actuellement au pouvoir) a porté un coup terrible aux Églises en nationalisant les écoles chrétiennes, dont l’état se détériora rapidement. Les enseignants sont des non chrétiens, et au Punjab, les enfants chrétiens rencontrent à présent les pires difficultés pour se faire admettre dans ces établissements construits par l’Église catholique au prix de bien des sacrifices.

Islamisation et charia

L’arrivée au pouvoir du Général Zia Ul-Hak, qui en 1977 renversa par un coup d’État le Premier ministre Ali Bhutto, fut suivie par une vague d’islamisation du pays. Il commença par instaurer diverses mesures telles que : interdiction de l’alcool, mise en place d’un « système bancaire islamique », ségrégation renforcée des sexes, discrimination pratique des femmes dans la vie professionnelle. Et les tribunaux furent autorisés à prononcer des « peines islamiques » : lapidation en cas d’adultère, amputation en cas de vol, flagellation pour l’usage d’alcool ; mais au moins jusqu’en 1988, les sentences n’auraient pas été exécutées.

Cette vague d’islamisation a eu pour conséquence l’émigration de milliers de catholiques « goanais », qui avaient les moyens de s’installer à l’étranger (USA, Canada, Angleterre) pour offrir à leurs enfants un meilleur avenir et une pratique religieuse libre. En 1992, on signalait aussi que plus d’une vingtaine de prêtres catholiques s’étaient exilés. Mais les catholiques « punjabi », plus pauvres, n’avaient pas les moyens de s’installer à l’étranger dans des conditions acceptables, et un grand nombre d’entre eux ont quitté la campagne pour s’enfuir vers les villes. Cet exode rural concerna notamment les jeunes, sans instruction ni formation, qui dans les villes ne trouvent que des tâches serviles « contraires à l’Islam », et indignes des musulmans selon une déclaration récente du maire de Lahore : balayeurs de rues, travail dans des fours à briques, coolies portant de lourdes charges, etc.

Mais Zia Ul-Hak voulut aller plus loin et, par décret du 15 juin 1988, il décida que la charia, ou loi islamique, deviendrait la loi suprême du Pakistan. Au terme de ce décret, qu’il annonce lui-même à la télévision, toutes les lois existantes et futures devront se conformer aux « injonctions de l’Islam, couchées par écrit dans le Coran ». La charia doit être la source suprême de la loi au Pakistan, et elle inspirera et guidera la politique de l’État, déclare ce décret.

Mais l’adoption de ce texte par le Parlement (deux chambres) tarda quelque peu pour diverses raisons (assassinat du Général Zia, opposition des huit partis religieux les plus importants, dissolution du Parlement) et ce n’est que le 15 mai 1991 que le nouveau Parlement vota l’adoption de la charia, de sorte qu’une nouvelle ère d’inquiétude devait commencer pour les chrétiens du Pakistan. Cela d’autant plus que quelques mois plus tôt un tribunal fédéral avait décidé que la peine de mort devait être appliquée dans les cas de « blasphème contre le Prophète ». Et, comme nous allons le voir, divers chrétiens ont été mis en accusation ces dernières années pour de prétendus blasphèmes.

Mais il faut signaler également qu’en plus des discriminations et persécutions officielles, les chrétiens pakistanais sont régulièrement les victimes d’exactions de toutes sortes, qui feront l’objet d’un deuxième article : assassinats, conversions sous la contrainte (notamment de femmes), attaques contre des églises, expropriations illégales pratiquées par des propriétaires terriens musulmans.

Répression du « blasphème contre l’Islam »

En 1982, sous le régime dictatorial du Général Zia, le blasphème contre l’Islam est devenu un délit passible d’une peine d’emprisonnement à vie (article 295B du Code pénal), peine pouvant être prononcée notamment contre quiconque profanerait ou endommagerait un exemplaire du Coran. Plus tard, en 1986, un membre du Parti fondamentaliste Jamaat-i-Islami a présenté un autre article (295C) prévoyant la prison à vie ou la peine de mort pour toute personne qui, directement ou indirectement, en paroles ou par un geste, par insinuation ou « autrement », « salirait » le nom du prophète Mahomet. Mais en 1991, un arrêt du Tribunal Fédéral de la Charia a supprimé la peine de prison à vie, jugée trop légère, pour ne conserver que la peine de mort.

Ces articles 295B et 295C du Code pénal sont très pratiques pour les imams et les intégristes dans la lutte contre les chrétiens, et ils servent aussi de prétexte à divers musulmans pour se débarrasser des chrétiens avec lesquels ils ne s’entendent pas, car il est très facile d’inventer de toutes pièces un « blasphème ». Nous avons hélas connaissance de divers cas de ce genre.

Cas de Gul Masih

Nous commencerons par le cas de ce jeune protestant de 42 ans, électricien de métier, condamné à mort le 2.12.92 pour blasphème, membre d’une famille qui fait partie de l’Église Presbytérienne Unie de Sargodha, dans le Punjab, à 310 km au sud d’Islamabad.

Le 10 décembre 1991, un étudiant musulman voisin, Sajjad Hussein, le provoque en faisant un commentaire déplacé sur Marie et la naissance de Jésus, ce à quoi Gul réplique en disant que Mahomet avait eu onze épouses, dont une mineure. Ces propos ont été échangés dans le calme, sur un ton dépourvu d’hostilité, mais ils ont été ensuite rapportés par Sajjad à un chef de l’organisation fondamentaliste musulmane Sipah-Sahada qui, avec d’autres chefs religieux, décida d’engager une action pénale sur la base de l’article 295 C. Le 13 décembre, Sajjad alla donc trouver la police, qui arrêta Gul Masih le lendemain. Après un an de prison préventive, celui-ci fut condamné à mort par pendaison le 2 novembre 1992. Deux hommes ayant assisté à la discussion et qui avaient été racolés pour témoigner contre lui se sont rétractés devant le juge, en déclarant catégoriquement qu’il n’avait rien prononcé d’offensant contre le Prophète. Le juge s’en tint donc uniquement aux affirmations de l’accusateur, et preuve très nette de la partialité de la justice islamique face à des accusés chrétiens, il écrivit dans son rapport : « Sajjad Hussein est un jeune homme de 24 ans, étudiant en 4ᵉ année, avec la barbe et l’aspect d’un bon musulman, et je n’ai aucune raison de mettre sa parole en doute… » Il convient d’ajouter qu’un grand nombre de « maulvis » (mollahs) fanatiques assistaient au procès afin de faire pression sur le juge. Gul Masih a fait appel pour la révision de son procès par la Haute Cour de Lahore, qui ne semble guère pressée, car cette révision est sans cesse ajournée, de sorte qu’actuellement (septembre 1994) Gul est toujours sous le coup de cette condamnation à mort.

Il a été enfermé seul pendant de longs mois, et des « maulvis » venaient à tout moment pour l’engager à se convertir à l’Islam. Ils ont d’ailleurs si bien monté les gardiens contre lui qu’ils l’ont torturé physiquement et moralement, en le battant chaque jour. La haine semée contre lui était telle que même le médecin qui venait de temps en temps évitait tout contact avec lui et restait à bonne distance, en lui jetant les médicaments. Plus Gul persistait dans son refus de l’Islam, plus on le torturait.

Finalement il fut transféré dans une section normale de la prison, mais les maulvis ont excité contre lui les autres prisonniers, qui en particulier ne lui permettaient pas, en tant que chrétien « impur », de toucher à la cruche d’eau de la cellule. Actuellement ses conditions de détention semblent s’être améliorées, puisqu’il a commencé à annoncer l’Évangile en prison.

Après son arrestation, sa famille entière a été frappée d’ostracisme, des gens qui la fréquentaient depuis des années ont cessé de se montrer, car les maulvis ont proféré des menaces de mort contre quiconque garderait le moindre contact avec elle.

Mais le martyre de Gul est bien connu maintenant par des chrétiens du Pakistan et de l’étranger, qui lui ont adressé un nombreux courrier.

Heureuse nouvelle (fin janvier 1995)

Dieu soit loué ! Gul Masih, condamné à mort pour « blasphème » en novembre 1992, a été libéré le 29 novembre 1994. Mais il a aussitôt été menacé de mort par les intégristes musulmans et a dû se cacher. Finalement, grâce à l’Ambassade d’Allemagne et au diocèse de Faisalabad, il a pu émigrer et se réfugier en Allemagne, où il est arrivé début janvier 1995.

Autres cas

Le 8 octobre 1991 fut arrêté à Karachi un commerçant catholique nommé Chand Barkat, après une dispute avec un commerçant musulman. La police lui déclara qu’il était accusé en vertu de l’article 295C pour offense au Prophète. Le procès a traîné, car ses accusateurs ne se sont pas présentés au Tribunal, tandis que des témoins oculaires ont déclaré qu’il était innocent des charges retenues contre lui. Finalement il a été acquitté, et libéré le 24 janvier 1993, mais cela n’a pas été du goût de son accusateur, ni des milices musulmanes du parti extrémiste Sipah-Sabaha (PSS), et depuis sa libération il a reçu de nombreuses menaces de mort, de sorte qu’il s’efforce de partir pour l’étranger. Mais en juillet 1993, il a été attaqué en pleine rue à Karachi par un groupe d’inconnus, et sa vie est vraiment en danger.

En 1992, toujours sous l’accusation de « blasphème », la police a arrêté Sarwar Bhatti (21 ans), jeune évangéliste de l’Église Pentecôtiste de Shangar (province du Sindh), qui était accusé par quatre musulmans – dont aucun n’a affirmé avoir été témoin oculaire !– d’avoir brûlé un exemplaire du Coran chez son oncle le 19 juin. Or à cette date, Sarwar était dans le Pendjab, et en son absence un de ses jeunes fils a allumé le feu, mais quelques livres se trouvant près du poêle se sont mis à flamber. Les enfants ont pu étouffer les flammes et ils ont jeté à la rue les restes des livres presque entièrement détruits. Aussitôt une foule de musulmans en colère s’est rassemblée, accusant la famille Bhatti d’avoir brûlé le Coran, et scandant des slogans hostiles à tous les chrétiens de la ville. Ce qui est certain, c’est qu’un Nouveau Testament et un livre de Psaumes ont été brûlés.

Une semaine plus tard, des intégristes musulmans ont inondé la ville de propagande contre Bhatti et les chrétiens de Shangar (environ 1 % des 250 000 habitants). Des calicots hostiles ont été accrochés au grand bazar et des discours incendiaires antichrétiens prononcés dans les mosquées.

À son retour de Pendjab le 30 juin, Sarwar a dû être placé sous la protection de la police par sa famille, et le 2 juillet il a comparu devant le président du Comité municipal assisté d’une centaine de dirigeants musulmans et de onze chrétiens. Mais ce président, terrifié par une foule menaçante de 2 000 musulmans qui exigeaient la pendaison de Sarwar, décida de suspendre la séance et de le remettre aux mains de la justice.

Pendant huit mois, aucun avocat n’accepta de prendre la défense de ce chrétien, de sorte que pendant les douze premières séances il a assuré seul sa défense devant la cour. Sarwar Bhatti a finalement été acquitté le 28 février 1994, au terme de la 42ᵉ audience de son procès, mais il a dû entrer dans la clandestinité, car les musulmans fanatiques veulent l’assassiner.

Le chef local du Parti extrémiste PSS (déjà mentionné) de Sammundri, dans le district de Faisalabad, a déposé le 2 février 1993 une plainte pour « blasphème » contre le chrétien Anwar Masih, un blanchisseur, qui est accusé « d’avoir discuté bruyamment, insulté des musulmans et blasphémé ». Il fut arrêté le jour même et inculpé selon l’article 295 C. Le soi-disant « blasphème » aurait été proféré le 1ᵉʳ février lors d’une discussion entre Masih et un épicier nommé Mohammed Aslam, dont ce chrétien est un client régulier. L’incident aurait été monté de toutes pièces : Aslam, membre du PSS, aurait rassemblé d’autres membres de ce parti et provoqué la discussion. Le 2 février, des manifestations organisées ont protesté contre ce « blasphème » et demandé que Masih soit pendu en public comme exemple, et le lendemain les musulmans ont organisé à Sammundri une grève générale qui a amené la police à faire venir des renforts pour maintenir l’ordre. Nous n’avons aucune autre information sur ce cas.

Comble de l’abjection et du fanatisme, un garçon de 10 ans illettré a été emprisonné le 9 mai 1993, accusé d’avoir écrit des blasphèmes contre le Prophète sur le mur d’une mosquée de son village de Rati, dans le Pendjab. Il s’agit de Salamat Masih, fils d’un pauvre balayeur de rues catholique de ce village. En même temps que lui furent arrêtés deux chrétiens adultes, Manzoor Masih, catholique, et son ami Rehmat Masih, presbytérien.

Il convient de signaler qu’il n’y a aucun lien de parenté entre ces trois Masih, pas plus qu’entre eux et les chrétiens du même nom mentionnés plus haut : Masih, qui signifie Messie, a été adopté comme nom de famille par nombre de chrétiens pakistanais pour bien marquer leur appartenance religieuse.

Selon les accusateurs, qui d’ailleurs n’ont pu en fournir la preuve, l’enfant aurait recopié sur le mur à l’aide d’une pierre le contenu d’un billet en ourdou remis par Rehmat. À ce sujet il a déclaré avoir été battu par les dirigeants musulmans du village, jusqu’à ce qu’il reconnaisse les faits…

Selon des villageois, c’est l’installation d’un amplificateur de sonorisation dans l’Église presbytérienne de Rati par la famille de Rehmat Masih qui serait à l’origine de l’affaire. L’hostilité des musulmans contre les chrétiens s’était alors exacerbée, bien que l’église ait reçu une autorisation officielle, car le maulvis local, qui avait tout fait pour l’empêcher, a déclenché une violente campagne anti-chrétienne, au point que ces chrétiens (une vingtaine de familles) ont dû fuir ce village par la suite.

Fort heureusement, l’enfant Salamat a été libéré sous caution le 13 janvier 1994, en attendant d’être jugé, mais ni lui ni sa famille ne sont retournés dans leur village de Rati. Par les haut-parleurs des mosquées et une campagne de lettres, les intégristes musulmans ont d’ailleurs appelé publiquement à l’assassinat de cet enfant. Quant aux deux autres chrétiens arrêtés en même temps que lui, ils ont été également libérés sous caution. Mais ces trois chrétiens, dont le calvaire n’était hélas pas terminé, ont dû comparaître le 13 février devant le Tribunal de Lahore, et la nouvelle de cette comparution avait attiré une foule d’extrémistes musulmans irrités par leur libération conditionnelle. À la demande de leur avocat, la police les a escortés à leur sortie du tribunal et sur le chemin du retour, mais cela n’a pas découragé une douzaine d’extrémistes armés, qui se sont lancés à leur poursuite, sans résultat d’ailleurs. Mais ce n’était que partie remise, car le 5 avril ces trois chrétiens ont été victimes d’une fusillade à leur sortie du Tribunal de Lahore, où ils avaient été entendus encore une fois. Ils étaient attendus par quatre extrémistes musulmans, qui ont vidé sur eux les chargeurs de leurs kalachnikovs, avant de s’enfuir en motocyclette. Manzoor Masih, touché par douze balles, est mort sur le coup ; Rehmat, touché par cinq balles, a perdu beaucoup de sang, et a dû être conduit à l’hôpital dans un état grave. Quant à l’enfant Salamat, qui a été atteint à une main par deux balles, il a également dû être hospitalisé. Dans le village de Rati, l’insécurité est telle que Manzoor Masih a dû être enterré ailleurs.

Les auteurs de ce crime ont pu être identifiés, et la police n’a pas craint d’arrêter trois d’entre eux, parmi lesquels un membre du clergé musulman, et en août, on apprenait que la Haute Cour de Lahore avait rejeté leur demande de libération sous caution. Étant donné l’ambiance générale anti-chrétienne attisée par les « maulvis » et les intégristes musulmans, on peut s’étonner que la police ait osé arrêter des agresseurs de chrétiens, et que le Tribunal ait refusé leur libération. Y aurait-il là un changement dû à l’actuelle Premier-ministre Benazir Bhutto, qui lors de sa campagne électorale fin 1993 avait promis de défendre les droits des minorités religieuses ? Il faut bien entendu se garder de tout optimisme à ce sujet, car il y a lieu de se demander dans quelle mesure elle osera et pourra affronter le pouvoir des « maulvis », ainsi que les divers extrémistes musulmans.

Il convient cependant de noter que le 7 mai 1994 le gouvernement fédéral a approuvé deux amendements à la loi sur le blasphème : le premier prévoit de n’enregistrer une plainte pour blasphème que s’il y a des preuves suffisantes, et le second de poursuivre en justice les auteurs de fausses accusations et d’abus de cette loi. Mais nous ignorons les réactions du Parlement. Par ailleurs la notion de « preuves suffisantes » est assez élastique (voir les déclarations du juge ayant condamné Gul Masih).

Ces divers cas de chrétiens arrêtés pour « blasphème » ne sont hélas pas les seuls, car le bulletin « Portes Ouvertes », qui s’est renseigné au Pakistan au début de 1994, signale qu’une vingtaine de chrétiens seraient détenus pour ce motif, parmi lesquels un pasteur du nom de Niyamat Masih, sur lequel nous n’avons pas d’autres informations.

Frédéric GOGUEL
septembre 1994