L’intolérance, l’agressivité et l’arrogance des intégristes musulmans du Pakistan ne cessent de se manifester sous les formes les plus diverses.
Elles visent en particulier les chrétiens qui, après avoir été accusés de blasphème contre le Prophète ou le Coran, ont cependant été acquittés par les tribunaux. C’est tout d’abord le cas de Gul MASIH, (déjà mentionné) qui, libéré le 29 novembre 1994, a été obligé de se cacher, car menacé de mort par les intégristes, et a finalement dû quitter le pays début janvier 1995 pour se réfugier en Allemagne.
Deux autres chrétiens, Rehmat Masih et Salamat Masih (14 ans), qui avaient été libérés sous caution respectivement en janvier 1994 et novembre 1993 ont dû d’abord vivre dans la clandestinité. Après quoi ils ont été condamnés à mort pour blasphème le 9 février 1995. Mais le 12 février, leurs avocats ont fait appel, et la Haute-Cour de Lahore les a acquittés le 23 du même mois, malgré une foule excitée par les intégristes qui hurlait mort aux blasphémateurs ! Etant donné les risques connus, ils ont été autorisés à quitter le pays dès le 25, à destination de l’Allemagne.
Un autre chrétien, également déjà mentionné, Ghand Barkat, qui avait été acquitté et libéré au début de 1993, a vécu deux ans dans une insécurité permanente, risquant sans cesse d’être assassiné, de sorte qu’il a dû se réfugier au Sri Lanka.
Mais les chrétiens pakistanaus sont en outre victimes d’exactions multiples, auxquelles sera consacré cet article.
Assassinats
Tahit Iqbal, musulmans converti au christianisme depuis trois ans, a été emprisonné à Lahore en décembre 1990, accusé par un musulman d’avoir profané un exemplaire du Coran. Bien qu’il soit paralysé des deux membres inférieurs, la Cour Suprême a rejeté sa mise en liberté sous caution, et il a été trouvé pendu le 20.7.92 dans la prison centrale de Lahore, dans des conditions suspectes.
L’agitation créée par les mesures anti-blasphème et soigneusement entretenue par les extrémistes est telle que des musulmans, agissant par eux-mêmes, croient obéir à la volonté d’Allah en exécutant eux-mêmes des chrétiens accusés de blasphème.
A cet égard, on peut citer le cas du protestant Naimat Ahmer (45 ans), expert renommé en littérature du Pendjab, qui dirigeait une école d’État près de Faisalabad, et qui fut assassiné le 6 janvier 1992. Peu de temps avant, certains de ses professeurs l’avaient interrogé au sujet du Prophète, et il avait répondu qu’en tant que chrétien, il croyait que seul Jésus conduisait à Dieu. Ces professeurs l’avaient alors accusé d’insulter le Prophète et lui avaient dit qu’il était passible de la peine de mort. Peu après, il fut appelé hors de son bureau sous un fallacieux prétexte, et aussitôt attaqué par un jeune musulman nommé Sheik Farooq… boucher de profession. Celui-ci lui trancha la gorge avec un couteau, puis le poignarda dans l’aine avant de lui ouvrir l’abdomen. Après quoi, il déclara que sa victime avait insulté le Prophète, ce qu’il ne pouvait supporter. En 1994, cet assassin a finalement été condamné à 14 ans de prison, ce qui est là-bas considéré comme une peine légère.
Toujours en 1992, le chrétien Bantu Mashi (65 ans), qui avait été arrêté a Lahore pour blasphème, a été poignardé à l’intérieur du poste de police par un jeune musulman fanatisé. Grièvement blessé, il a passé un mois à l’hôpital, mais dès sa sortie, il s’est réfugié dans la clandestinité, renonçant à son commerce pourtant florissant, mais qui excitait la jalousie des musulmans…
Depuis l’introduction de la sharia en mai 1993, la détention et la consommation d’alcool sont totalement interdites à la population musulmane, et dès lors, il n’est pas rare de voir des policiers abuser de leur pouvoir auprès des non-musulmans pour obtenir de l’alcool que ceux-ci peuvent acheter. Dans deux cas connus, cette pratique a entraîné la mort de chrétiens.
Le 21 mai 1993, Nazir Masih, qui avait refusé d’acheter de l’alcool pour deux policiers, a été tabassé à mort dans un poste de police à Faisalabad. La nouvelle de cette mort a été transmise par des haut-parleurs de l’église, et une foule de 5 000 personnes a encerclé le poste de police, dont les occupants ont tiré en l’air pour se dégager. La justice a refusé d’enregistrer la plainte de la famille et la veuve allait être accusée d’avoir empoisonné son mari, au cas où elle persistait à porter plainte.
Toujours pour une affaire d’alcool, des policiers ont sauvagement battu à mort Emanuel Masih le 25 mai 1993 dans une ville du Pendjab et ont torturé son compagnon chrétien Victor Kamar, qui a dû être hospitalisé (15 points de suture). Tous deux avaient refusé de leur procurer de l’alcool
Progroms
Dans le district de Guiran WALA (Pendjab) le maulvi intégriste Mohammed Fazl e Haq tient bien en main la communauté musulmane, en particulier celle du village de Ratta Dhoteran, où en mai 1993 il a fait arrêter pour blasphème trois chrétiens déjà mentionnés : Manzour Masih (assassiné depuis, voir article précédent) ainsi que Rehmat MASIH et l’enfant Salamat Masih. Par ses sermons intégristes diffusés par haut-parleurs, il ne cesse de semer la haine contre la minorité chrétienne de ce village, laquelle a demandé à la municipalité, mais en vain, de calmer ce maulvi.
Bien plus, au début mais 1993, un progrom a été fomenté contre les chrétiens du district. En tête du cortège se trouvaient le maulvi et un instituteur. Ce jour-là fut endommagée la porte de l’église de KOT LADHA, et des maisons de chrétiens furent incendiées.
Plus tard, en avril 1994, plus de 200 chrétiens de Ratta Dhoteran ont été chassés de leurs terres ancestrales, à la suite des harcèlements pratiqués par les jeunes musulmans, qui ont notamment couvert les murs de slogans antichrétiens et incendié la maison d’un chrétien. Finalement seules sont restées 5 familles sur 32. Les expulsés ont été réinstallés à Francisabad, camp pour personnes déplacées fondé par l’évêque belge FRANCIS dans la banlieue de Gujranwala. Comme ils ont perdu leurs terres et n’ont pas de travail, ils sont soutenus par l’Église catholique, qui s’occupe également des protestants.
Toujours dans le Pendjab, le maulvi de Khan Jajja, du nom de Mounawar Ahmad, s’est attaqué aux 60 familles chrétiennes de ce village, afin d’extirper les chrétiens du Pakistan. Le 14 mai 1994, il a convoqué les musulmans par haut-parleurs entre 4 et 5 heures du matin, en leur ordonnant d’attaquer toutes les familles chrétiennes, et de détruire leurs maisons ainsi que l’église. Les violences commencèrent à 5 heures… après la prière du matin, et le travail fut terminé en une heure. Les musulmans déchainés ont frappé jeunes et vieux, femmes et enfants. Les femmes furent déshabillées et plusieurs d’entre elles violées, tandis que trois jeunes filles furent enlevées et renvoyées trois jours plus tard, après avoir été violées. Treize maisons ont été rasées, les biens qui s’y trouvaient étant volés ou détruits. La police locale a été informée, mais n’est pas intervenue.
Au début de 1994, une foule de musulmans fanatiques excités par un imam a attaqué l’église du village de Jindra (environ de Lahore) pendant la célébration de la messe. Ils ont forcé les portes, harcelé les femmes et jeunes filles, ont arraché leur robe et blessé de nombreux croyants ; deux hommes gravement blessés à la tête ont dû être hospitalisés. Là encore, la police est restée passive, car elle craint les divers groupes intégristes.
Conversions sous la contrainte
Ces dernières années, de nombreuses femmes chrétiennes ont été enlevées par des musulmans et mariées de force à leurs ravisseurs, qui les obligent à se convertir à l’Islam. En 1993, les dirigeants chrétiens pakistanais ont affirmé que, dans les régions rurales, des milliers de femmes auraient été victimes de ces mœurs barbares au cours des deux dernières années.
Un cas typique et particulièrement odieux est celui de l’enlèvement, dans la province du SINDH, de Mary Bhagul Victor, mariée depuis 17 ans à un bapTiste, Rayan Victor, et mère de cinq enfants. Elle fut enlevée de chez elle le 17 mai 1993, obligée de se convertir à l’Islam et d’épouser un de ses ravisseurs dès le lendemain. Le mari a porté plainte, mais la police a refusé d’ouvrir une enquête.
D’ailleurs, en juillet 1988, la Cour Fédérale de la charria a statué que, si un chrétien ou une chrétienne devient musulman(e), son mariage est automatiquement dissout. Cet arrêt sert désormais de rempart juridique aux enlèvements suivis de conversions forcées, et il garantit l’impunité à leurs auteurs. Et en 1992, la Haute-Cour de Lahore, statuant sur le cas d’une chrétienne enlevée et convertie de force, déclara que son mariage chrétien antérieur était dissout et que son remariage musulman était valable.
Attaques contre des bâtiments du culte
A Islamabad, une foule déchaînée de fanatique musulmans a attaqué en février 1989 l’Église anglicane Saint-Thomas, alors en cours de construction (avec un permis en bonne et due forme, et dont la première pierre avait d’ailleurs été posée en 1986 par le Duc de Gloucester). Ces débordements ont été provoqués par des harangues violentes prononcées dans les mosquées de la ville contre l’écrivain Salman Rushdie, condamné par l’ayatollah Khomeiny. Chauffé à blanc par leurs maulvis, les musulmans mirent à sac pendant deux heures cette église anglicane avant que n’intervienne la police, pourtant présente sur les lieux. Au mois de mai 1989, eut lieu une nouvelle tentative de reprise de la construction, mais des foules déchaînées arrivèrent aussitôt, accompagnées d’officiers de police qui informèrent le Révérend Burton, responsable des travaux, de l’annulation du permis de construire. La police maintint une présence sur les lieux, intervenant chaque fois qu’il y avait une tentative de reprendre les travaux. Nous ignorons la suite de cette affaire.
Le 10 novembre 1990, l’Église catholique Saint-Jean à Peshawar a été profanée par des étudiants musulmans qui protestaient ainsi, sans raison, contre des événements survenus à Ayodhia, en Inde, au cours desquels des fondamentalistes hindous avaient tenté de détruire une mosquée.
Mais la mosquée en question fut finalement détruite par les hindous fin 1992, et au Pakistan, des masses de musulmans fanatisés entreprirent de venger l’Islam en mettent à sac plus de cent temples hindous. Pour faire bonne mesure, elles en profitèrent pour s’attaquer çà et là aux chrétiens qui n’avaient aucune responsabilité dans l’affaire survenue en Inde, en incendiant ou détruisant plusieurs églises, ou en les endommageant gravement. La police et les forces de sécurité sont restées passives devant ces foules en colère. D’ailleurs la nonciature apostolique à Islamabad a reçu des informations attestant que ces actes de violence anti-chrétiens faisaient partie d’un plan soigneusement préparé.
A Karachi, ces exactions furent particulièrement sauvages. Le 8 décembre 1992, une foule de 4 000 musulmans s’en est pris à plusieurs églises catholiques, dont deux furent incendiées, tandis que des objets consacrés, des habits liturgiques étaient brûlés. En outre, une école chrétienne et des presbytères furent incendiés. Dans cette même ville le curé de l’église du Sacré-Cœur, essayant de protéger le bâtiment, a été blessé et a manqué de peu d’être pendu et brûlé ; deux chrétiens ont d’ailleurs été tués.
Des attaques violentes ont été menées dans la première quinzaine de mars 1993 dans le Pendjab contre des églises catholiques à Renala Kurd et Okara. En outre le couvent de Sahiwal a été attaqué le 3 mars vers minuit par des hommes armés qui ont pillé les bâtiments, blessé des religieuses et des membres du personnel, puis volé tout l’argent et des objets de valeur.
Et le 23 mars, six hommes armés de kalashnikovs ont tenté d’assassiner le P. Archangelus, curé de Renata Kurd, et ils ont criblé de balles le presbytère ainsi que la maison du catéchiste.
À cette même époque de nombreux villages chrétiens de cette même région étaient fréquemment victimes des propriétaires terriens musulmans, et on semblait assister à une recrudescence des enlèvements et des viols.
Le 2 juillet 1993 une unité mobile de police a fait une descente sur le chantier de construction de l’Église anglicane Saint-Philippe à Karachi et donné l’ordre d’arrêter les travaux, malgré le permis de construire accordé par la municipalité en 1992. Cette intervention faisait suite à une plainte déposée par un groupe de musulmans qui s’étaient déjà illustrés dans une initiative similaire conte la construction d’une église pentecôtiste dans la même rue.
Expropriations
Dans certaines régions les propriétaires terriens musulmans se comportent en véritables féodaux envers les villageois chrétiens et, bien plus, ils n’hésitent pas à s’approprier, par la violence et la destruction, des biens immobiliers appartenant à ceux-ci, comme en témoignent les deux cas suivants.
Le 9 juillet 1993 un propriétaire musulman a fait raser au bulldozer un cimetière chrétien à Shanghara (province du Sindh), prétendant qu’il était le seul propriétaire légitime du terrain. Ce cimetière était vieux de trente ans, mais ce musulman, du nom de Chotta Nizmani, affirmait que le terrain en cause avait été attribué aux chrétiens par erreur. Il n’a pas attendu le jugement des tribunaux et a réglé le problème à sa façon.
Dans le sud, près de Nawabashah, des propriétaires terriens musulmans ont carrément fait main basse sur un village occupé par une quarantaine de familles catholiques. Ils ont commencé par détruire l’église et l’école et soumettre les habitants à la terreur, notamment par des enlèvements avec rançon. Puis, à l’automne 1993, ils ont rasé le village au bulldozer, afin de récupérer les terres, pendant que les villageois cherchaient refuge aux environs. L’évêque d’Hyderabad a condamné ces violences et demandé des réparations au gouvernement.
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Toute cette étude montre combien est critique, parfois dramatique, la situation des chrétiens pakistanais face à l’intolérance et à la violence liées à la poussée islamiste. « Il semble que nous soyons entrés dans une période d’intolérance croissante, a déclaré en octobre 1994 Mgr Trindade, évêque de Lahore, au cours d’une visite au Vatican.
Toutefois on ne peut passer sous silence le fait qu’il existe aussi dans ce pays des musulmans raisonnables et modérés, ainsi que des associations pour le dialogue interreligieux créées dans quatre grandes villes. Ces musulmans travaillent en coopération avec des chrétiens sur divers projets liés au développement (notamment santé et agriculture). Par ailleurs la Conférence chrétienne d’Asie a organisé à Lahore du 27 au 30 septembre 1994 une réunion au cours de laquelle des musulmans et des catholiques ont étudié les moyens d’une lutte commune pour les droits de l’homme. Bien plus, au cours d’une émission sur la chaîne supervisée par l’État, deux imams ont eu en octobre 1994 le courage d’affirmer que l’on devait traiter les minorités religieuses avec respect, parce que tel était l’ordre donné par Mahomet à tous ses sectateurs. Quel sera l’avenir de ce courant modéré face aux intégristes et à la décomposition du tissu social ?
Au début de cette étude nous avons signalé qu’avant de reprendre le pouvoir en octobre 1993 Mme Benazir Bhutto avait promis de défendre les droits des minorités religieuses, mais ces promesses (de même que les réformes politiques) se sont plus ou moins enlisées dans les rouages bureaucratiques et ont été freinés par les intégristes. C’est ainsi qu’au printemps 1994 ceux-ci ont violemment protesté dans de nombreuses villes contre un projet d’adoucissement des articles du code pénal relatifs au blasphème qui avait été présenté par le Ministre de la Justice Iqbar Haïdar. Cela s’est traduit par des grèves et par de manifestations au cours desquelles les extrémistes ont crié des slogans, brûlé des pneus et forcé les commerçants à fermer leurs boutiques. Ces manifestations ont souvent dégénéré en émeutes, et certains meneurs ont même mis à prix la tête du ministre (valeur de 240,000 FF).
Mais les Églises ont insisté, et obtenu que le 6 juin 1994 une délégation du gouvernement reçoive des représentants chrétiens qui ont exigé que les mesures antiblasphème soient abolies, et non seulement amendées. Leur requête a été accueillie favorablement, et en septembre la Chambre des députés a mis en route une commission chargée de revoir tous les amendements à apporter à la Constitution. Ce serait donc un pas en avant… pour autant que cette commission aille jusqu’au bout de son travail.
Frédéric Goguel, mai 1995