Situation générale
Comme on peut le penser, l’arrivée au pouvoir de Khomeyni et des ayatollahs a été néfaste pour les chrétiens d’Iran, de sorte qu’un bon nombre d’entre eux ont préféré émigrer. Alors qu’on en comptait plus de 200 000 en 1973, il n’en restait plus que 120 000 en 1994, soit environ 0,2 % de la population totale.
Ils se divisent en plusieurs catégories, tant du point de vue ethnique que du point de vue des dénominations :
- Groupe des chrétiens orientaux: assyro-chaldéens et arméniens, qui ont le statut de protégés, protection tout à fait théorique comme on le verra. À titre d’exemple, mentionnons dès maintenant que la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies signalait en 1992 que des membres de l’Église Assyrienne faisaient l’objet de tracasseries et de menaces d’emprisonnement. Les Assyro-Chaldéens, qui utilisent à la maison et à l’église la langue araméenne que parlait le Christ, ne sont plus que 17 000 (contre 70 000 en 1978 et 31 700 en 1988), et ils se divisent en :
Église Assyrienne (ou nestorienne) avec 7 000 membres (contre 15 000 en 1988). Église Chaldéenne (catholique) avec 8 000 membres (contre 15 000 en 1988). Protestants (presbytériens et pentecôtistes) avec 2 000 membres.
Les Arméniens étaient au nombre d’environ 100 000 en 1994, dont :
- 95 000 de l’Église grégorienne arménienne
- 1000 catholiques arméniens
- 2000 évangéliques et 1 500 pentecôtistes
- Persans convertis, certains dès le XIXᵉ siècle, d’autres récemment. Ils n’étaient que 2 300 en 1994 :
- 100 anglicans (Église Épiscopalienne) contre 4 000 en 1979
- 600 évangéliques et 500 pentecôtistes
Ils n’ont pas le statut de protégés et font l’objet de mesures discriminatoires, voire de persécutions, puisqu’il s’agit de musulmans convertis.
Mesures diverses
Peu après la révolution islamique en Iran, la liberté et les activités religieuses des minorités (chrétiens, juifs, zoroastriens) ont été soumises à de sévères restrictions. Le gouvernement a créé un Bureau des Minorités religieuses, afin de les surveiller et de les contrôler, d’où de nombreuses ingérences dans la vie de leurs communautés. En particulier, la Société Biblique a reçu l’ordre de ne plus mentionner Jésus comme Fils de Dieu ou comme Seigneur, mais tout simplement comme prophète. Après le refus de cette Société, le pouvoir lui a retiré toute autorisation d’imprimer, et il l’a dissoute fin 1990, sous le vague prétexte qu’elle s’était livrée à des « activités » contraires à la « Révolution ». Ses bureaux à Téhéran avaient d’ailleurs été fermés de force six mois plus tôt.
Au début de 1990 les autorités ont dissout la Société iranienne d’Étude de la Bible. Puis elles ont fermé toutes les librairies chrétiennes du pays, et interdit l’importation et l’impression de Bibles, de Nouveaux Testaments et de littérature chrétienne en langue farsi (perse).
Selon certains observateurs de la vie religieuse en Iran, il s’agirait d’une campagne menée par la SAVAMA (police secrète dont les agents proviennent pour la plupart de la SAVAK, ex-police secrète du Shah), devant laquelle le Bureau des minorités religieuses serait impuissant, et qui serait également à l’origine de divers méfaits en 1990 : campagne contre les musulmans convertis au christianisme, fermeture de quatre églises protestantes et pendaison d’un pasteur.
Campagne contre les protestants
La situation des dénominations protestantes et évangéliques constituées de musulmans convertis s’est fortement dégradée, d’autant plus que le nombre des conversions de musulmans ne cesse de croître. Depuis en gros 1990, les autorités mènent contre elles une violente politique répressive :
- mesures contre les pasteurs : harcèlement, interrogations accompagnées de mauvais traitements ;
- pendaison de l’un d’eux, assassinats ;
- interdiction d’admettre des musulmans dans les lieux de culte ;
- brutalités sauvages contre les musulmans convertis.
Mais, d’une façon générale, le pouvoir s’en prend également aux pasteurs des communautés protestantes et évangéliques dont les membres ne sont pas des musulmans convertis. Deux pasteurs d’origine arménienne ont d’ailleurs été assassinés en 1994.
Protestants : chronologie des persécutions
En 1990 le pouvoir s’attaque à l’Assemblée de Dieu de Mashad qu’il frappa à la tête, en pendant le 3 décembre son pasteur, cela après deux mois de prison et de tortures. Le pasteur, Hossein Soodmand, était d’origine musulmane, et il était engagé depuis 24 ans au service de Dieu. Il laissait une femme aveugle et quatre enfants. Peu après, deux autres pasteurs ont été arrêtés, interrogés et battus par des agents de la Savama, avant d’être libérés. L’un d’eux, Robert Manaserian (presbytérien) a été si sauvagement battu qu’il a eu une attaque cardiaque et a dû être hospitalisé. Il a été tellement traumatisé qu’il n’a plus osé mettre les pieds dans son église, où les cultes ont alors cessé d’être suspendus. Peu de temps après, le pasteur presbytérien de Tabriz, Edmund Sergisian, a été arrêté et détenu pendant deux semaines, subissant le même traitement que R. Manaserian.
En 1993 on signalait que le pasteur Mohamed Sepehr, qui avait succédé au pasteur Soodman à la tête de l’Église de Mashad, a été lui aussi arrêté et détenu pendant une courte période. Par la suite, il a dû se rendre à la prison pour interrogatoire presque toutes les deux semaines, et l’on s’efforça de l’obliger à abjurer sa foi chrétienne.
Et début janvier 1994, la police lui ordonna de quitter la ville, tandis que de nombreux chrétiens locaux ont subi des interrogatoires.
Dans l’ensemble, on peut dire que presque tous les pasteurs d’Iran ont été arrêtés, interrogés, et parfois condamnés.
Pendant cette même année 1994, les autorités n’ont d’ailleurs cessé d’arrêter et de torturer systématiquement les musulmans qui se convertissent en nombre croissant au christianisme. En effet, à cause des atrocités commises au nom de l’Islam, de nombreux Iraniens tournent le dos à cette religion et s’intéressent au christianisme. Les persécutions ont notamment visé l’Assemblée de Dieu de Mashad (déjà mentionnée) et ses quarante membres, et également les communautés de Tabriz, Urumiyeh, Sari et Gorgon. Au cours des interrogatoires, la police demande aux responsables les noms des musulmans assistant à leurs réunions et, comme ils refusent de les révéler, ils sont sauvagement battus.
En 1993, le Parlement a voté une loi qui rend obligatoire la mention de la religion sur les cartes d’identité, ce qui facilite à la police le contrôle des musulmans se rendant dans des lieux de culte chrétiens. Une autre conséquence a été que des chrétiens ont été évincés des services publics, des écoles, de l’armée et d’autres institutions de l’État.
Les persécutions contre les chrétiens d’origine musulmane ont parfois atteint un haut degré de brutalité. C’est ainsi qu’à Gorgon, où l’église d’une assemblée de Dieu a finalement été fermée, des chrétiens ex-musulmans ont été sauvagement battus pendant des heures, au point qu’ils auraient fini par renier leur foi. A Isfahan et Chiraz la police a ordonné aux communautés d’exclure de leurs cultes les musulmans et les anciens musulmans.
Au cours de l’été 1993, la police d’Isfahan a fait irruption au milieu d’un culte d’une Assemblée de Dieu célébré dans un jardin privé. Les agents ont encerclé les fidèles et vérifié les cartes d’identité, pour voir s’il n’y avait pas de musulmans. Deux jours plus tard, des gardes islamiques ont interdit l’accès de cette assemblée à tout converti de l’Islam et à tout musulman intéressé. A Chiraz, tous les musulmans convertis au christianisme ont été convoqués et menacés de conséquences graves s’ils continuaient d’assister aux cultes. A Kermanshah, toutes les Églises de maison fréquentées par des musulmans convertis ont été fermées, et ceux-ci frappés de verges et suspendus pendant des heures, la tête en bas.
Allant encore plus loin dans sa campagne contre les conversions de musulmans, le pouvoir a ordonné en juin 1993 à toutes les paroisses chrétiennes de signer une déclaration par laquelle elles s’engageraient à ne plus faire d’évangélisation parmi les musulmans. Les dirigeants des Églises assyriennes arméniennes et presbytériennes auraient accepté, mais ceux des Assemblées de Dieu et des Frères auraient refusé.
À la mi-juin 1993, deux pasteurs pentecôtistes de Téhéran ont reçu l’ordre de supprimer le culte du vendredi et, le dimanche, de demander à toute personne entrant dans l’église de présenter sa carte d’identité, qui renseigne sur la religion du titulaire. Le vendredi étant jour férié, le culte attire toujours beaucoup de monde, non seulement des chrétiens, mais aussi des musulmans intéressés. Les deux pasteurs ont poliment refusé, mais le vendredi suivant, cinq policiers se tenaient à l’entrée de leur église et demandaient les cartes d’identité. Le pasteur protesta, mais ils lui ordonnèrent d’annuler le culte, qui fut cependant célébré.
1994 : année des assassinats
En 1994, la lutte contre les chrétiens s’intensifie, pour aboutir notamment à l’assassinat de trois pasteurs remarquables. Le cas le plus typique est celui du Pasteur Mehdi Dibaj, converti de l’Islam à l’âge de 19 ans, qui avait été arrêté en 1985 et avait passé 9 ans en prison (dont deux dans un cachot de un m2). Il fut condamné à mort par pendaison le 21 décembre 1993, alors âgé de 64 ans, pour avoir renié l’Islam, mais libéré le 16 janvier 1994 après de nombreuses interventions de l’étranger, puis finalement assassiné fin juin ou début juillet de la même année. Cet homme remarquable, qui était pasteur des Assemblées de Dieu, était l’auteur d’émissions radio en langue farsi, encore diffusées aujourd’hui en Iran depuis l’étranger. Il avait collaboré à la traduction du Nouveau Testament et avait traduit plusieurs livres, dont une bible illustrée pour enfants, et avait été missionnaire pendant deux ans au Pakistan, avant d’en être expulsé. En 1992, il avait été contraint de divorcer sous la menace, et sa femme, menacée de lapidation, fut ensuite remariée à un musulman fondamentaliste. Mais ses quatre enfants, âgés de 17 à 22 ans en 1994, ont continué à se déclarer chrétiens, et ils furent pris en charge par la communauté chrétienne de Sari.
L’annonce de son exécution, qui devait avoir lieu le vendredi 14 janvier 1994, a provoqué un vaste mouvement international de protestations. En France, l’organisation « Portes ouvertes » (Strasbourg) déploya toute son énergie pour le sauver, aidée par la Fédération protestante et même la Cimade. Il y eut des interviews du directeur de « Portes ouvertes » à la radio et à la TV sur France 2, ainsi que des articles dans la presse écrite. De son côté, le Quai d’Orsay est intervenu auprès de Téhéran, ainsi que le Vatican, la Communauté Européenne, les États-Unis, la Suède, ainsi que les Alliances Évangéliques de Suisse, d’Allemagne et de Roumanie.
Face à toutes ces protestations, le pouvoir des ayatollahs finit par céder, et Mehdi Dibaj fut libéré le 16 janvier, mais placé sous contrôle judiciaire à cause de deux autres inculpations : insultes envers l’ayatollah Khomeyni et espionnage pour l’Occident. Mais il ne devait pas jouir longtemps de sa liberté, car il disparut de son domicile le 24 juin 1994, et on retrouva son corps dans un parc de Téhéran le 5 juillet.
Le 19 janvier 1994, donc trois jours seulement après la libération de Mehdi Dibaj, disparaissait le pasteur Haik Hovsepian, ami intime de celui-ci, et qui avait joué un grand rôle dans la campagne internationale en sa faveur. Il avait été enlevé, puis assassiné par des inconnus alors qu’il se rendait à l’aéroport de Téhéran. Son corps aurait été retrouvé dès le 20 dans une rue de cette ville, mais ce n’est que le 30 janvier que les autorités annoncèrent son assassinat. Selon un de ses fils, son corps portait des traces de tortures. Plus de deux mille personnes assistèrent à son enterrement au cimetière chrétien le 3 février. La cérémonie dura plus de deux heures, étroitement surveillée par la police, qui confisqua les pellicules photographiques. Une cérémonie religieuse eut lieu ensuite à l’Église Pentecôtiste de Téhéran.
Le pasteur Hovsepian, qui était Secrétaire Général des Assemblées de Dieu et Président du Conseil des Pasteurs d’Iran, s’était opposé avec courage à la fermeture de la Société Biblique et avait dénoncé avec vigueur les persécutions contre les chrétiens d’Iran, refusant de signer une déclaration selon laquelle ceux-ci jouiraient de tous les droits constitutionnels. Son frère Édouard l’a remplacé à la tête de sa communauté pentecôtiste à Téhéran.
Le 2 juillet 1994, le Pasteur Tadeos Michaelian, qui avait disparu le mercredi 29 juin, a été retrouvé assassiné, abattu de trois balles dans la tête. Pasteur de paroisse à Téhéran, âgé de 62 ans, il avait été Secrétaire du Synode Presbytérien d’Iran et également Secrétaire Général de la Société Biblique d’Iran. Après l’assassinat du Pasteur Hovsepian, il était devenu Président du Conseil des Pasteurs d’Iran. Licencié en droit et en théologie, il enseignait la philosophie, la psychologie et la littérature persane. Traducteur renommé, il avait traduit en farsi plus de 60 livres chrétiens. Comme les deux pasteurs ci-dessus, c’était une personnalité gênante, donc à faire disparaître.
À la suite de cet assassinat, coïncidant avec celui de Mehdi Dibaj, la Fédération Protestante de France a publié un communiqué de presse, et son Secrétaire Général J. Stewart a demandé une audience auprès de l’Ambassade d’Iran à Paris, où un chargé d’affaires mit ces crimes sur le compte de terroristes du mouvement des Moudjahidins, qui cherchaient ainsi à déstabiliser le pouvoir actuel. Version formellement démentie par les Moudjahidins.
En juillet 1994, l’inquiétude n’a cessé de croître dans les milieux chrétiens d’Iran, car les assassins du Pasteur Hovsepian avaient laissé sur son corps une liste d’autres chrétiens à abattre, tandis que les disparitions se multipliaient. Le Pasteur Diamalisadeh, de Chiraz, a disparu à cette date, ainsi que deux chrétiens arrêtés à Ahwas, dont un pasteur sous le nom de Beni Paul, tandis qu’un autre pasteur était arrêté le 4 juillet à Téhéran.
Un rapport d’enquête publié par Middle East Concern, organisation de défense des minorités religieuses, a affirmé, preuves à l’appui, que les pasteurs Dibaj, Hovsepian et Michaelian avaient été assassinés par un escadron de la mort opérant sur instructions directes des milieux politiques les plus élevés.
Autres églises
1. Assyro-chaldéens
Église Assyrienne : En 1992, la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU a signalé qu’à Orumiyeh (Azerbaïdjan iranien) les membres de cette église faisaient l’objet de tracasseries et de menaces d’emprisonnement, cela malgré leur statut de protégés. Les commerçants assyriens étaient tenus de placer sur la vitrine de leurs magasins des signes indiquant leur confession, ce qui entraînait une diminution de leurs ventes.
Église chaldéenne : Le clergé de cette Église unie à Rome s’est considérablement réduit par suite d’une politique persistante d’expulsions de prêtres et d’évêques (encore deux cas en 1993). Fin 1993, il ne devait plus rester que deux prêtres pour un diocèse et trois prêtres pour l’autre. Dans un quartier de la périphérie de Téhéran, où vivent un certain nombre de familles chaldéennes, il a été interdit en 1993 de célébrer la messe et d’enseigner le catéchisme aux enfants.
2. Église Épiscopalienne
Cette église anglicane a beaucoup souffert dès les premiers mois du régime islamique. Un prêtre a été assassiné, et un attentat a été commis contre l’évêque Dehquani Tafti et son épouse (qui fut blessée). Puis, alors qu’il était à Chypre pour un congrès, leur fils unique fut assassiné. Sa femme et ses filles le rejoignirent à Chypre, d’où il continue à diriger le diocèse. Mais en 1986 il devint évident qu’il ne pourrait rentrer en Iran, et le Révérend Iraj Mottahhedah fut consacré évêque auxiliaire par quatre évêques d’Australie et du Pakistan.
3. Église arménienne
Sa situation semble être une des moins mauvaises. En effet, selon l’archevêque Mgr Manoukian, d’ailleurs très prudent dans ses propos : « À condition de ne pas faire de prosélytisme, nous pouvons célébrer notre culte. » Par ailleurs, les autorités ont permis de construire de nouvelles églises.
Mais cela n’est qu’un des aspects du statut de protégés consenti (ou imposé) aux Arméniens, et l’archevêque en question s’est bien gardé de mentionner que la communauté arménienne d’Iran est soumise à des règles strictes. C’est ainsi que, selon le mensuel catholique français Peuples du Monde (août 1995), les femmes arméniennes doivent porter le tchador tout comme les musulmans, et que l’alcool est interdit aux Arméniens comme aux Iraniens. En outre, les manuels scolaires arméniens sont soigneusement examinés par les autorités avant leur impression. Enfin, dans 13 des 26 écoles arméniennes, les enseignants ont été remplacés par des professeurs musulmans.
Les ayatollahs d’Iran ont donc une bien curieuse façon d’envisager le dialogue islamo-chrétien. Pour eux, il s’agit uniquement d’obéir à ce verset bien connu du Coran :
Faites la guerre aux gens du Livre qui ne pratiquent pas la vraie religion…
Sourate 9, v. 29
Frédéric Goguel