Notre façon de défendre la foi chrétienne doit se conformer aux normes bibliques. Les présuppositionnalistes affirment que seule leur méthode apologétique répond aux normes véritablement scripturaires. Cornelius Van Til est connu comme celui qui, au XXᵉ siècle, a développé cette méthode de manière précise et détaillée. Mais une telle affirmation ne doit pas être confondue avec l’idée erronée qui attribuerait à ce théologien l’invention de cette méthode.
Comme cela est également vrai pour de nombreuses autres doctrines chères à l’Église de Dieu qui ont vu leur articulation précise et leur définition exacte se développer au cours des âges, il en est de même pour le présuppositionnalisme biblique. Bien des doctrines parfaitement bibliques faisaient partie de la vie et de la pensée des chrétiens bien avant leur définition conceptuelle exacte. Il est en conséquence important d’examiner l’histoire du développement de certains concepts théologiques qui n’ont pas dans le passé porté le nom qui leur est aujourd’hui attribué. Il en est ainsi des doctrines de la Trinité, de l’Incarnation, de la Justification, de l’Inspiration plénière d’une Bible inerrante, de la Théonomie et j’en passe. Il faut se souvenir, par exemple, que les fameux Cinq points du Calvinisme étaient reconnus comme des doctrines bibliques bien avant leur formulation précise lors du Synode de Dordrecht en 1619 et leur attribution de ce sobriquet.
Lorsqu’Augustin affirma : Je crois pour comprendre, il posait le postulat fondamental de toute apologétique présuppositionnelle ; car, dans la perspective biblique, la foi précède toujours l’intelligence. On ne peut échapper à cette règle. Mais ajoutons tout de suite que sur le fondement de cette foi, les outils fournis par la raison, assistés des lumières provenant du Saint-Esprit, produisent chez le chrétien l’intelligence. Ainsi est manifesté le fait que la foi que nous défendons est aussi une foi raisonnable. Alors apparaît aux yeux du croyant un véritable déluge de preuves de la vérité du Christianisme. De cette façon les évidences justifiant la foi chrétienne ne feront jamais défaut. Mais ce qui manque à l’homme sans Dieu, en conséquence de son incrédulité, c’est la capacité de recevoir d’une manière adéquate ce débordement de preuves raisonnables qui l’entourent de toutes parts.
La vérité qui fonde la méthode d’apologétique présuppositionnelle se trouve dans la Bible. Nous devrions en conséquence nous attendre à retrouver l’utilisation de cette méthode à travers l’histoire de l’Église par ceux qui se réclament de l’autorité de l’Écriture. Dans ce bref article, je défendrai l’affirmation selon laquelle la méthode apologétique de Calvin, telle qu’elle s’exprime dans l’Institution de la Religion chrétienne, doit être considérée comme étant essentiellement une méthode présuppositionnelle. Car, comme le dit Calvin,
[…] il faut bien dire que tous ceux qui ne trouvent point saveur en leur doctrine (celle des prophètes), sont par trop dégoûtés et par trop stupides. (Institution de la religion chrétienne, Labor et Fides, Genève, 1955, I, viii, 2, p. 45.)
Calvin reconnaît ici clairement que l’absence de connaissance à salut doit être attribuée à un problème se rapportant au pécheur lui-même. Il ne voyait aucun manque dans les témoignages si abondants que Dieu avait donnés aux hommes, tant dans l’ordre de la création que dans la révélation spéciale qu’est la Bible. Le message donné par Dieu est en conséquence clair comme du cristal. C’est celui auquel le message est adressé qui a perdu cette clarté d’esprit qui aurait pu lui permettre de le recevoir sans peine.
Pour être un peu plus précis, nous devons affirmer que l’apologétique présuppositionnaliste de Calvin se trouve en opposition antithétique complète à l’apologétique évidentialiste (celle de Thomas d’Aquin) si courante aujourd’hui. Les huit premiers chapitres de l’Institution chrétienne défendent et illustrent l’idée que la révélation divine est, comme fondement épistémologique, d’une nécessité absolue à toute connaissance salvatrice du Dieu Rédempteur. Sans assistance d’en haut, la raison corrompue et déchue de l’homme ne pourra jamais, par ses propres lumières, conduire les hommes à Dieu.
Car les tendances (ou les pensées) de la chair sont ennemies de Dieu, parce que la chair ne se soumet pas à la loi de Dieu, et elle en est même incapable. (Rom 8:7)
Les preuves empiriques ou rationnelles soutiennent la vérité ; elles ne peuvent pas la fonder.
Dans l’Institution chrétienne, la place première que Calvin accorde à la question épistémologique montre qu’elle joue un rôle capital dans sa théologie. Pour Calvin, il est impossible aux hommes de ne pas connaître Dieu en tant que Créateur. Ainsi, même celui qui ne croit pas possède intactes certaines capacités épistémologiques qui devraient l’attirer à Dieu. Calvin affirme que tous les hommes ont une certaine connaissance, une compréhension réelle de l’ordre créé. Cependant, à cause de leur péché, ils se montrent incapables d’atteindre la vérité, c’est-à-dire de parvenir à ce que Calvin appelle une connaissance céleste (I, ii, 12-17, p. 33-39). Cette connaissance céleste, qui équivaut à la foi, est bien plus vaste que les preuves rationnelles de l’homme ou que sa perception empirique du monde. Contrairement à ce que fait l’apologète évidentialiste qui se tourne vers la logique et les preuves rationnelles pour fonder une telle connaissance céleste, Calvin commence par reconnaître que cette connaissance doit débuter par la révélation divine, telle que nous la fournit l’Écriture.
Sans doute, c’est la connaissance de Dieu qui fonde la foi. Mais nous ne pouvons parvenir à cette connaissance irremplaçable que lorsque nous nous soumettons à la Vérité telle que Dieu nous la révèle dans l’Écriture. C’est uniquement dans ce que déclare l’Écriture que l’homme peut véritablement commencer à comprendre Dieu tel qu’il est (un Dieu à la fois Saint et Créateur) et en même temps parvenir à une vraie connaissance de lui-même dans sa condition présente : créature de Dieu, mais pécheur. Tous les hommes, sans exception, croient en Dieu. Ceci est vrai même pour ceux qui se disent être privés d’une telle connaissance. Mais cette connaissance universelle de Dieu n’est pas du tout comparable à celle qui nous mène au salut. L’apologétique de Calvin postule que pour avoir une connaissance juste et correcte du monde et de nous-mêmes, nous devions d’abord connaître Dieu tel qu’il est ; mais également que pour connaître Dieu, nous devions aussi avoir une connaissance juste, et de nous-mêmes et du monde. Comme l’écrit Calvin,
… de là on peut bien conclure que les hommes ne sont jamais assez bien touchés et émus du sentiment de leur pauvreté, jusqu’à ce qu’ils se soient comparés à la majesté de Dieu (I, i, 3, p. 5).
Une connaissance vraie de Dieu ne peut nous venir que de la révélation que Dieu nous donne de lui-même dans les Écritures.
Calvin affirme que si, dans un certain sens, tous les hommes connaissent Dieu comme Créateur et Juge, et cela par l’œuvre de la grâce commune dans leur cœur, ils ne font cependant que pervertir cette connaissance reçue. Et, dans un tout autre sens, ces mêmes hommes ne peuvent par eux-mêmes parvenir à la connaissance du Dieu Rédempteur.
Voilà ce qu’est la vraie et pure religion : à savoir la foi conjointe avec une vive crainte de Dieu, en sorte que la crainte comporte sous soi une révérence volontaire, et tire avec soi un service tel qu’il appartient, et tel que Dieu même l’ordonne en sa Loi. Et d’autant plus est ceci à noter, que tous indifféremment font honneur à Dieu, et bien peu le révèrent, vu que tous montrent belle apparence, mais bien peu s’y adonnent de cœur (I, ii, 2, p. 8).
L’homme ne peut échapper à cette connaissance élémentaire de Dieu car il n’est pas du pouvoir de l’homme de réfléchir sur lui-même sans être en même temps nécessairement confronté à Dieu, car tous les hommes sont créés à l’image divine. A ce sujet Calvin remarque :
Nous mettons hors de doute que les hommes aient un sentiment de divinité en eux, même d’un mouvement naturel. Car, afin que nul ne cherchât son refuge sous titre d’ignorance, Dieu a imprimé en tous une connaissance de soi-même, de laquelle il renouvelle tellement la mémoire, comme s’il en distillait goutte à goutte, afin que quand nous connaissons depuis le premier jusqu’au dernier qu’il y a un Dieu, et qu’il nous a formés, nous soyons condamnés par notre propre témoignage, de ce que nous ne l’aurons pas honoré, et que nous n’aurons pas dédié notre vie à lui obéir (I, iii, 1, p. 9).
La seule manière d’atteindre une connaissance véritable et salutaire de Dieu, c’est d’abord de se soumettre, pour aboutir ensuite à une vraie consécration et piété (I, iv, 4, p. 14-16). Il est ainsi impossible à l’homme d’esquiver la connaissance de Dieu comme son Créateur et Juge.
Vu que Dieu se révèle avec tant de clarté, aussi bien dans la nature qu’en l’homme lui-même, les hommes se trouvent être tous sans excuse aucune devant Lui. Calvin affirme avec confiance que…
Quoi qu’il en soit, c’est là un point résolu à tous ceux qui jugent justement, que l’esprit humain a un sentiment de divinité engravé si profond, qu’il ne se peut effacer. Même que cette persuasion soit naturellement enracinée en tous, à savoir qu’il y a un Dieu, et qu’elle soit attachée comme en la moelle des os, la fierté et rébellion des iniques et testifie, lesquels, en combattant furieusement pour se débarrasser de la crainte de Dieu, n’en peuvent venir à bout (I, iii, 3, p. 11).
Le problème auquel l’homme est confronté n’est pas celui d’une information insuffisante, mais bien plutôt celui du péché qui pervertit cette information certaine dont Dieu l’a pourvu. Ainsi l’apologétique de Calvin reconnaît que même si certains disent qu’il n’y a pas de Dieu (Ps. 14:1), l’athéisme intégral est en fait impossible.
Le cœur rebelle de l’homme est cependant obligé, lorsqu’il rejette le vrai Dieu, de reconnaître un dieu quelconque en lieu et place du vrai Dieu. Ceci le conduit dans des démarches innombrables par lesquelles la vérité qu’il connaît est pervertie (Rom. 1). La connaissance de Dieu que possède tout homme est ainsi supprimée par son ignorance volontaire et sa méchanceté.
Bien qu’ils soient contraints de connaître quelque Dieu, toutefois ils anéantissent sa gloire en lui ôtant sa puissance (I, iv, 2, p. 13).
Mais cette clarté inextinguible de la révélation divine prive l’homme de toute excuse.
Pour Calvin, cette connaissance de Dieu a un caractère immédiat et intuitif, plutôt que discursif, logique et raisonné. Cette constatation s’oppose à toute prétention d’attribuer à Calvin une théologie naturelle, du type de celle développée par Thomas d’Aquin, selon laquelle l’homme, en usant de ses facultés naturelles, pourrait examiner, en toute liberté, l’ordre naturel du monde d’une manière prétendument neutre, afin d’en déduire une quelconque vérité rationnelle sur Dieu. Plutôt que de considérer que l’homme parvient à la connaissance de Dieu en conséquence d’une démarche progressive d’arguments logiques rigoureux, Calvin insiste sur le fait que les hommes voient le témoignage de Dieu dans la création de manière quasi directe.
Non seulement il a engravé cette semence de religion que nous avons dite en l’esprit des hommes, mais aussi il s’est tellement manifesté à eux en ce bâtiment tant beau et exquis du ciel et de la terre, et journellement s’y montre et présente, qu’ils ne sauraient ouvrir les yeux qu’ils ne soient contraints de l’apercevoir. Son essence est incompréhensible, tellement que sa majesté est cachée bien loin de tous nos sens ; mais il a imprimé certaines marques de sa gloire en toutes ses œuvres, voire si claires et notables, que toute excuse d’ignorance est ôtée aux plus rudes et hébétés du monde (I, v, 1, p. 17).
Cependant, les hommes dans leur ingratitude se tournent contre Dieu, substituant la nature à Dieu, et le hasard à sa Providence, confondant ainsi la créature avec le Créateur.
Bien que Calvin reconnaisse que l’univers tout entier est rempli de témoignages attestant la vérité du Christianisme (point de la démarche apologétique fortement défendu par l’école présuppositionnaliste), cependant il se rend bien compte qu’aucun de ces signes, aucune de ces preuves rationnelles, ne peuvent, par leur propre force, conduire les hommes pécheurs et rebelles à embrasser la vérité. La manifestation si claire de Dieu dans la nature parle en vain aux hommes révoltés contre Lui. Ce témoignage si abondant reste sans effet sur l’homme à cause de son cœur corrompu.
Nous voyons qu’il n’est pas besoin d’user de longues disputes et d’amener beaucoup d’arguments pour montrer quels témoignages Dieu a mis partout pour éclaircir et maintenir sa majesté. Car de ce bref récit, par lequel j’en ai seulement donné quelque goût, il appert, de quelque côté qu’on se tourne, qu’ils viennent promptement au-devant et nous rencontrent, en sorte que nous les puissions marquer de vue et montrer au doigt (I, v, 9, p. 25).
Calvin défend manifestement ici une position présuppositionnaliste, et son apologétique ne peut être identifiée à la démarche évidentialiste.
Tous les chemins – outre la seule vraie voie : Je suis le chemin, la vérité et la vie (Jean 14:6) – fabriqués par les hommes pour les conduire à Dieu sont faux et sont rejetés par le Saint-Esprit. Calvin reconnaît clairement qu’il n’existe aucun terrain d’entente, aucun terrain commun neutre, entre l’erreur et la vérité. Il écrit :
Bref, bien que tous n’aient point été plongés en des vices si lourds et énormes, et qu’ils ne soient point tombés en des idolâtries manifestes, il n’y a eu toutefois nulle religion pure ou approuvée, étant seulement fondée sur le sens commun des hommes. Car bien qu’un petit nombre de gens n’ait point été si forcené que le vulgaire, le dire de S. Paul n’en demeure pas moins vrai : que la sagesse de Dieu ne se comprend point par les plus excellents du monde (I Cor. 2:8) ; (I, v, 12, p. 29).
Ainsi, si l’apologétique de Calvin garde une place certaine pour la connaissance universelle de Dieu comme Créateur au travers de la révélation naturelle, cependant elle maintient que la connaissance de Dieu comme Rédempteur exige une œuvre et une révélation spéciale de la part de Dieu. La révélation naturelle est suffisante pour rendre l’homme sans excuse devant Dieu (c’est-à-dire elle lui ferme la bouche), mais elle demeure insuffisante pour l’amener à une connaissance salutaire de Dieu.
Le seul guide suffisant, apte à conduire à Dieu quiconque le cherche en tant que Rédempteur, c’est l’Écriture. Tandis que Thomas d’Aquin (et avec lui tout l’évidentialisme moderne) défend la position selon laquelle les hommes peuvent parvenir à une véritable connaissance de Dieu par leurs propres moyens rationnels, Calvin, lui, a bien compris combien l’Écriture est indispensable à une juste interprétation de l’ordre créé. Voici comment Calvin résume sa position :
Car comme les vieilles gens ou larmeux, ou ayant comment que ce soit les yeux débiles, quand on leur présentera un beau livre et de caractères bien formés, bien qu’ils voient l’écriture, toutefois à grand’peine pourront-ils lire deux mots de suite sans lunettes, mais les ayant prises en seront aidés pour lire distinctement : ainsi l’Écriture recueillant en nos esprits la connaissance de Dieu, qui autrement serait confuse et éparse, abolit l’obscurité, pour nous montrer clairement quel est le vrai Dieu (I, vi, 1, p. 32).
L’évidentialisme ne reconnaît pas suffisamment les effets noétiques [sur notre capacité de connaissance] du péché. L’apologétique présuppositionnelle de Calvin apprécie à sa juste portée tous les effets de la chute sur l’intelligence de l’homme. Sa méthode apologétique reconnaît également la nécessité absolue de présupposer la vérité de l’Écriture afin de pouvoir comprendre justement l’ordre créé. Il nous faut mettre les lunettes de l’Écriture avant de pouvoir connaître quoi que ce soit de manière satisfaisante.
Il est ainsi indispensable que l’Écriture soit notre point de départ, c’est-à-dire notre autorité ultime, si nous voulons saisir la vérité. Calvin fait comprendre cela lorsqu’il écrit :
Voici donc un point résolu, que pour être éclairés et adressés en la vraie religion, il nous faut commencer par la doctrine céleste, et que nul ne peut avoir seulement un petit goût de saine doctrine pour savoir ce qu’est Dieu, jusqu’à ce qu’il ait été à cette école pour être enseigné par l’Écriture sainte ; car de là procède le commencement de toute droite intelligence, quand nous recevons révéremment tout ce que Dieu y a voulu testifier de soi. Car non seulement la foi, en sa perfection et toutes ses parties, est engendrée d’obéissance, mais aussi tout ce que nous avons à connaître de Dieu (I, vi, 2, p. 34).
C’est uniquement lorsque l’homme pécheur croit aux Écritures, et qu’il obéit aux commandements qui s’y trouvent, qu’il peut commencer à se placer sur le fondement épistémologique indispensable à toute connaissance vraie qu’est la Parole de Dieu.
L’autorité de l’Écriture provient de Dieu lui-même ; c’est une autorité qui se confirme par elle-même. Elle ne se fonde pas sur l’autorité de l’Église, comme le prétend l’Église catholique romaine. Bien au contraire, c’est l’Église qui trouve son fondement dans l’Écriture. Calvin n’entre même pas en discussion sur la question de l’inspiration de l’Écriture, et ne cherche aucunement à fonder la crédibilité de son autorité sur quelque chose qui serait extérieur à l’Écriture. La vérité de l’Écriture trouve en elle-même sa propre évidence ! Calvin écrit :
Quant à ce que ces canailles demandent d’où et comment nous serons persuadés que l’Écriture est procédée de Dieu, si nous n’avons refuge au décret de l’Église : c’est autant comme si quelqu’un s’enquérait d’où nous apprendrons à discerner la clarté des ténèbres, le blanc du noir, le doux de l’amer. Car l’Écriture a de quoi se faire connaître, voire d’un sentiment aussi notoire et infaillible comme ont les choses blanches et noires de montrer leur couleur, et les choses douces et amères de montrer leur saveur (I, vii, 2, p. 38-39).
Ce point est si important dans l’apologétique de Calvin, que celui-ci va jusqu’à faire l’éloge des prophètes qui n’ont pas cherché à justifier leur message par des preuves rationnelles humaines.
Les Prophètes et Apôtres ne se vantent point de leur subtilité et haut savoir, et tout ce qui acquiert crédit aux hommes, et n’insistent point aux raisons naturelles ; mais pour assujettir tous les hommes et les rendre dociles, ils mettent en avant le nom sacré de Dieu. […] Or si nous voulons bien pourvoir aux consciences, à ce qu’elles ne soient point tracassées sans cesse de doutes et légèretés, qu’elles ne chancellent point, n’hésitent pas à tous scrupules, il est requis que la persuasion que nous avons dite soit prise plus haut que de raisons humaines, ou jugements, ou conjectures : à savoir du témoignage secret du Saint-Esprit (I, vii, 4, p. 40).
Mais Calvin ne se tourne pas non plus vers une foi aveugle ; il défend le caractère crédible et raisonnable de l’Écriture, car elle contient des preuves manifestes de son authenticité. Ces évidences ou preuves sont de nature à confirmer ce qu’elle affirme être, et non à en fonder l’autorité. Elles ne fonctionnent pas indépendamment du présupposé biblique fondamental : la soumission préalable à l’autorité d’une Écriture se suffisant à elle-même. Plutôt que d’établir l’autorité de l’Écriture, ces preuves ne font que la confirmer. Et ce faisant, elles servent à soutenir notre foi et nos convictions chrétiennes. Calvin définit en ces termes sa propre doctrine des évidences :
Si nous n’avons cette certitude plus haute et plus ferme que tout jugement humain, en vain l’autorité de l’Écriture sera approuvée par arguments, en vain elle sera établie par le consentement de l’Église, ou confirmée par autres aides. Car si ce fondement est mis en premier lieu, elle demeure toujours en suspens : comme au contraire, après qu’elle aura été reçue en obéissance selon qu’il appartient, et exemptée de tout doute, les raisons qui auparavant n’avaient point grande force pour ficher et planter en notre cœur la certitude de cette Écriture seront alors très bonnes aides (I, viii, 1, p. 43-44).
L’apologétique de Calvin est clairement présuppositionnelle. Les Calvinistes contemporains qui ont adopté une apologétique évidentialiste n’ont pas été fidèles à sa théologie. En réalité, leur apologétique s’oppose complètement à l’enseignement du réformateur, sur la manière dont l’homme pécheur parvient à une connaissance véritable de Dieu. Si les papilles gustatives de l’homme non converti ne peuvent pas apprécier la douceur de la doctrine prophétique, alors aucune dose de saccharine, confectionnée à l’aide des seules preuves rationnelles, ne pourra le conduire à apprécier la saveur de la doctrine céleste et à manger la bonne nourriture de Jésus-Christ.
Robert R. Booth[1]
[1] Robert R. Booth est le pasteur de la Grace Covenant Church à Texarkana, Arizona, USA. Publié dans Penpoint le bulletin d’information du Southern California Center For Christian Studies fondé par le regretté Greg L. Bahnsen. Vol 7, No 10, novembre 1996, p.1-3