Nous sommes heureux de vous présenter ce fort beau texte issu de l’orthodoxie serbe. Il va de soi que nous ne pouvons souscrire à toutes les affirmations du Père Popovitch (notamment celles touchant au rôle de la Tradition orthodoxe). Nous laissons cependant nos lecteurs apprécier à sa juste valeur ce que cet extrait a d’excellent.
La Rédaction
Le dogme de l’existence de Dieu est le dogme initial dans l’économie du salut des hommes ; c’est la place qui lui revient : Car croire convient à celui qui va vers Dieu (Héb. 11:6). D’ailleurs l’Église orthodoxe fonde aussi ce dogme sur la foi. C’est cela qu’elle exprime par les premières paroles du Symbole : « Je crois en un seul Dieu. » C’est parce que pour la foi Dieu existe, qu’elle n’a ni besoin ni désir de transformer les vérités dogmatiques de la Révélation divine en une hypothèse logique de l’intelligence humaine. Pour elle, l’existence de Dieu est une vérité révélée par Dieu ; il faut la croire et la recevoir par la foi, ce n’est pas une hypothèse à démontrer logiquement, qu’on devrait recevoir sur la base de démonstrations logiques – car de l’hypothèse à la fiction, il y a trop peu de distance. Elle ne démontre pas l’existence de Dieu, mais elle la montre par la présence des vérités divines éternelles en elle et par la présence du surnaturel même dans la nature de l’homme.
L’enseignement dogmatique de l’Église sur l’existence de Dieu est donc conforme à l’enseignement donné par la sainte Révélation elle-même, enseignement qu’elle garde et qu’elle confesse dans sa plénitude. La Révélation ne se lance pas dans une démonstration de Dieu. Elle le montre dans ses œuvres. Le début même de la Révélation en témoigne : Dieu n’y est pas démontré. Elle y montre bien plutôt ses œuvres comme œuvres de Celui dont l’existence précède tout, qui conditionne toute chose et sans lequel il n’est pas d’autre existence ni création qu’on puisse concevoir : Au commencement Dieu créa les cieux et la terre (Gen. 1:1).
Cependant – et bien qu’elle ne démontre pas Dieu intentionnellement – la sainte Révélation, sous l’illumination divine, éclaire si bien la nature visible comme Création de la Trinité surnaturelle que même la raison naturelle de l’homme, dans son ingratitude, peut accéder à la conviction de l’existence de Dieu. Toute la Création édifiée par Dieu est comme un poteau indicateur qui sans cesse renvoie au Dieu-Créateur : Les cieux rendent la gloire de Dieu, et l’œuvre de ses mains, le firmament l’annonce (Ps. 18:1). Le Dieu invisible s’est rendu comme visible dans la nature ; le Dieu inconnaissable s’est rendu comme connaissable à travers la nature ; ils n’ont aucune excuse ces hommes qui ne trouvent pas assez de raisons dans la nature visible pour croire en l’existence du Dieu invisible. Ce que l’on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux : Dieu le leur a manifesté, car ce qui de Lui est invisible – sa puissance infinie et sa divinité – peut si bien se voir depuis la Création du monde – pourvu que l’on considère ses créatures – qu’ils en sont inexcusables (Rom 1:19-20). Stupéfait devant la grandeur et la beauté du monde créé par Dieu, le bien-aimé de la sagesse de Dieu s’exclame : La grandeur et la beauté des créatures font par analogie contempler leur Auteur (Sag. 13:5). Non seulement l’existence de la nature visible mais aussi l’existence de la vie, du mouvement et de l’être des hommes montre par leur mystère qu’ils ont en Dieu la source de cette vie, de ce mouvement et de leur être même : Car en lui nous avons et la vie et le mouvement et l’être (Actes 17:28). Vivant en ce monde plein des mystères et des forces de Dieu, l’homme ne saurait avoir de prétexte pour ignorer Dieu. C’est pourquoi saint Jean Chrysostome voyait en la Création le « maître de la connaissance de Dieu ». Dieu est si évident dans ses œuvres, qui entourent l’homme de tous côtés, que seul un insensé, seul un homme qui a perdu l’esprit, seul un homme au cœur impur, peut nier Dieu : L’insensé a dit dans son cœur : il n’y a pas de Dieu ! (Psaume 13:1). C’est pourquoi saint Athanase le Grand peut à bon droit prétendre que « nier Dieu, qui nous a faits et qui nous a créés, est le propre de ceux qui n’ont pas d’esprit ». L’homme – l’athée – qui a renié Dieu, va plus loin dans sa folie que les diables eux-mêmes, car eux, ils n’ont pas renié Dieu : ils le craignent. […]
Les prétendues preuves de l’existence de Dieu – cosmologique, téléologique, ontologique-psychologique, historique, morale, et beaucoup d’autres – qui au cours des temps ont été formulées au sein du rationalisme philosophico-religieux, ne peuvent, pour la dogmatique de l’Église orthodoxe, avoir valeur de preuves. Elles sont en effet fondées sur les principes de la raison de l’homme – relative, limitée et pécheresse – et sur ses observations sensibles. Pour l’Église comme pour la Révélation, la vérité sur l’existence de Dieu n’est pas une hypothèse logique qu’il faudrait démontrer par le moyen de syllogismes logiques, c’est une vérité révélée par Dieu et donc incontestable. En tant que réalité divine, cette vérité ne découle pas d’une preuve, d’une démonstration ou des fonctions logiques de la raison. Les preuves recouvrent Dieu autant qu’elles le découvrent. Aussi l’homme se perd-il dans les antinomies, parce qu’il ne peut trouver à partir d’elle ce pont de la foi qui fait passer vers Dieu par-dessus l’abîme infranchissable des antinomies irréconciliables. C’est parce que le dogme de l’existence de Dieu est une vérité révélée et éternelle qu’il tire sa principale force démonstrative de la sainte Révélation, c’est-à-dire de la sainte Écriture et de la sainte Tradition telles que les garde et telles que les commente la sainte Église orthodoxe du Christ.
La faculté par laquelle l’homme parvient à une conviction inébranlable de l’existence de Dieu est la foi véritable et vivante. Par la voie de la science, au sens strict du mot, on ne peut démontrer l’existence de Dieu. La science positive s’arrête aux faits qui sont soumis à la perception sensible, c’est-à-dire aux phénomènes. Dieu n’est point objet de perception sensible, ni d’une compréhension fondée sur elle, parce qu’il ne peut être objet d’une recherche savante. La science travaille selon la méthode assurée de l’observation, de l’analyse et de la synthèse ; la démonstration de l’existence de Dieu ne peut utiliser une telle méthode en raison de la nature même de Dieu qui est absolue, infinie et éternelle. Dépassant de tous côtés les limites et les possibilités de la connaissance humaine – et en particulier de la connaissance par la méthode scientifique expérimentale –, Dieu ne peut être objet d’investigation. Inaccessible aux moyens de la connaissance savante, Dieu ne peut être ni connu ni démontré par la voie de la science. « Si par la voie d’une preuve, dit saint Clément d’Alexandrie, il faut entendre une connaissance qui exige un principe plus profond que celui que nous désirons démontrer, il n’est pas de preuve pour Dieu, Dieu ne peut être le produit d’une preuve. » Et saint Athanase le Grand explique la vérité évangélique en disant : « La Divinité ne cède pas aux démonstrations logiques, mais à la foi et à la piété de la raison. »
Si l’on pouvait démontrer l’existence et l’être de Dieu par la voie savante, alors seraient inutiles et superflues, tant la Révélation que l’Église et la foi ; c’est la nature même de la Divinité qui rend indispensables la Révélation, l’Église et la foi. Par sa nature infinie, Dieu est – la Révélation le montre – invisible (I Jean 4:12). Il vit dans une lumière inaccessible (I Tim. 6:16), et c’est pourquoi il ne peut être l’objet de la connaissance scientifique humaine. Poussés par l’esprit de la sainte Révélation, les saints Pères proclament particulièrement que Dieu est, dans son infinité, insaisissable à la raison humaine, inaccessible à toutes les démarches sensibles et discursives dont elle se sert dans son activité.
Père Justin Popovitch