Il n’y a donc pas à s’étonner que les théologiens orthodoxes aient dit que la pénétration des modes de pensées païens déforme la foi. Saint Hippolyte (170-235), par exemple, écrit que chaque secte a altéré la foi pour avoir suivi l’une ou l’autre philosophie païenne. Tertullien appelle Platon le fournisseur de toutes les erreurs. Endre Ivanka a tenté de démontrer que la manière de voir d’Hippolyte relative aux grandes hérésies de l’Antiquité est topique (un lieu commun) : il montre que les intrusions unilatérales de platonisme, d’aristotélisme et de stoïcisme ont conduit à des déformations graves de la foi. On retrouve aussi ce phénomène aux siècles suivants. À l’époque de saint Thomas d’Aquin (1227-1274), la pénétration de certaines thèses des écrits d’Aristote et surtout des commentaires d’Averroès (1126-1198) ont mené à des errements graves dans le milieu universitaire. Actuellement nous pouvons constater des déviations dues à l’acceptation insuffisamment critiquée de thèses historicistes, marxistes, existentialistes ou subjectivistes. Ces développements devraient mettre en garde contre une reprise inconsidérée de doctrines issues de cultures ou de philosophies non chrétiennes.
Henry van Straelen, L’Église et les religions non chrétiennes au seuil du XXIᵉ siècle, p. 26, 27, Beauchesne, Paris, 1994.
Introduction
Suite à la conférence de Shafique Keshavjee, Le christianisme, une religion parmi d’autres ?, organisée par la Ligue Vaudoise au Café du Vieux Lausanne, le jeudi 16 janvier 1997, et vu l’ambivalence de son discours, il nous a paru utile de creuser un peu plus le fond de sa pensée en examinant quelques-uns de ses écrits, ses méthodes d’action et les auteurs qui l’ont formé.
Shafique Keshavjee, théologien et sociologue, est l’auteur d’une thèse de doctorat en histoire comparative des religions. Dans la maison de l’Arzillier à Lausanne, il organise des dialogues entre les tenants des différentes religions.
La conférence qu’il a donnée au Café du Vieux Lausanne et les discussions qui ont suivi ont été révélateur de l’état actuel du christianisme vaudois. S. Keshavjee eut droit à des remerciements chaleureux pour sa fermeté et son esprit d’ouverture aux autres religions. Une personne enthousiaste a ajouté qu’elle pensait aussi que l’esprit christique devait animer Bouddha, puisque le Christ, selon notre orateur, serait à l’œuvre dans toutes les religions. S. Keshavjee confirmait ainsi les idées de ceux qui pensaient comme lui.
Ceux qui ont essayé d’obtenir un débat de fond sur cette question ont été court-circuités. Du coup, il n’était plus question de dialogue !
Le but visé par S. Keshavjee est de travailler à la paix et à une meilleure compréhension entre les hommes. Pour ce faire, il faut œuvrer pour que les chrétiens et les partenaires des différentes dénominations et religions apprennent à se connaître, à s’accepter et à se respecter mutuellement.
Ce n’est pas pour rien que le pasteur S. Keshavjee a été nommé médiateur des religions par l’Église Évangélique Réformée du Canton de Vaud. Il excelle dans cet art d’établir des ponts et sait parfaitement s’accommoder à tous, à tel point que, où qu’il aille, chacun le prend pour l’un des siens, à quelques exceptions près !
Cette meilleure compréhension se réalisera par des séminaires et des dialogues entre les différents groupements religieux. Là, on apprendra d’abord à rechercher les points communs et toutes les approches et les ressemblances possibles plutôt que ce qui divise. On découvrira que dans toutes les religions réside le prodigieux, le sublime et le perturbé. Chacun sera enrichi par les autres. Ainsi, petit à petit, les partisans des différentes religions s’apprivoiseront et s’apercevront, en fait, qu’ils ne sont pas si différents. Il faut que les méfiances et les barrières tombent entre les hommes de bonne volonté !
Tout cela se fera sans désir de syncrétisme et sans confusion ! Chacun restera dans la religion de ses pères ou dans celle qu’il aura choisie.
Dans un tel programme, bien sûr, tout prosélytisme est impensable à moins qu’il ne se fasse sournoisement.
Mais quelle place est réservée pour la notion de vérité dans cette démarche ? Un bouddhiste, un hindou, un musulman, un juif, un chrétien convaincus ne pourraient adhérer à la Charte des amis de l’Arzillier qui a été distribuée en fin de soirée. Il reste les autres, ceux qui sont encore en recherche, ceux qui n’ont pas été enfermés dans le carcan de la doctrine ou des dogmes, mais qui déchiffrent les traces de l’Esprit Saint partout où elles se trouvent, quelles que soient les religions. Bref, ceux qui ne sont pas sectaires et qui sont ouverts. Ah ! l’ouverture ! Ce grand mot ! C’est la clé du succès ! Grâce à elle, on entre partout !
S. Keshavjee, lors de la conférence au Café du Vieux Lausanne, répondait aux questions qu’il posait lui-même, ou qui lui étaient posées, par oui et par non. Ce n’était pas le ni oui ni non, bien au contraire, du vaudois qui ne veut pas se compromettre, mais le oui et le non, d’une pensée dialectique. Quand on entre dans ce schéma de pensée du oui + non = la vérité, la logique s’envole et tout devient relatif et confus, car toutes les pensées se trouvent placées sur le même plan, bien et mal, vrai et faux, juste et injuste, beau et laid, foi et raison, etc. La « vérité » se retrouve alors partout et chacun peut librement puiser à la source qui lui convient.
Cette forme de pensée qui inclut à la fois le oui et le non, et qui en fait constitue un oui à tout – on est d’accord avec tous et il n’y a plus d’opposition ou d’antithèse –, est contraire à la pensée radicalement antithétique de la Bible (le vrai est opposé au faux, le bien au mal, etc.), donc au christianisme, qui, s’il est conséquent, a sa norme dans l’Écriture Sainte[1].
La manière de penser présentée par S. Keshavjee ressemble fort à celle pratiquée dans le taoïsme ou dans le bouddhisme zen :
Celui-ci (= le bouddhisme) nous emmène dans un domaine où il n’y a pas d’antithèse. À moins de supprimer l’antithèse du oui et du non, nous ne pourrons jamais espérer vivre une vraie vie de liberté. Pour être libre, la vie doit être une affirmation absolue[2].
Ou encore :
Aussi longtemps que subsiste une vision dualiste des choses, il n’y a pas d’émancipation. La lumière se dresse contre les ténèbres, les passions contre l’illumination[3].
Dans la perspective hindoue également, les opposés sont réconciliés dans la vie. S. Keshavjee se situe dans cette tradition dialectique où le processus de la thèse confrontée à l’antithèse se réconcilie dans une synthèse toujours renouvelée. C’est la négation irrationnelle du principe de la non-contradiction, base de tout raisonnement droit et logique.
S. Keshavjee dans son exposé défendait une position nominaliste dans laquelle le nom est détachée de la chose qu’elle nomme, les mots n’ont pas de signification propre. Ils peuvent signifier ceci ou cela. Selon lui les mots idoles ou statues dans l’Ancien Testament, ne disent pas en fait ce qu’ils veulent dire, et en conséquences, pour le citer, « les idoles ne sont pas là où l’on croit ». Toute l’histoire du peuple d’Israël devient dans cette perspective un ensemble de faits à réinterpréter, pleins de mythes et de symboles. Le fait que, durant cette soirée, l’orateur esquivait toute discussion théologique et qu’il ne répondait jamais logiquement aux questions fondamentales qu’on lui posait en était la démonstration.
Ce n’est pas impunément que l’on cherche à se mettre au diapason de toutes les religions !
Quand on veut fabriquer la paix et l’unité à tout prix, cela ne peut se faire que par le biais d’un amour sans quête de vérité. On tombe dans le piège de la recherche d’un dénominateur commun minimum qui fait fi de toute identité religieuse. C’est ainsi au nivellement par le bas que travaille S. Keshavjee, bien qu’il le nie. Quand on entre dans l’engrenage de ce genre de dialogue – compréhension + amour = unité – on est manipulé, qu’on le veuille ou non, puisque l’on ne peut plus parler de la vérité selon la Bible, de la notion du bien et du mal selon le décalogue, du péché, de la condamnation, de la Rédemption en Jésus-Christ seul, etc. On n’a plus la force de dire ce que l’on pense par crainte d’effaroucher les autres, de déplaire. On craint de paraître sectaire, simpliste ou réducteur, attitude que S. Keshavjee condamne publiquement comme idolâtre. On n’ose plus penser autrement que le groupe, on ne supporte plus le moindre blâme.
Quelqu’un veut-il travailler à ce qu’un projet se réalise à tout prix, il lui faut chercher à plaire et à être apprécié, à aimer et à être aimé… C’est bien l’apprentissage dans l’art d’une séduction qui agit au niveau des sentiments au détriment de la raison. On ne peut plus réfléchir objectivement, le cerveau en devient comme paralysé. C’est la confusion dans les pensées et la logique s’en va – le principe de non-contradiction, base de tout discours raisonnable est évacué –, il n’y a plus de cohérence. Dans un tel contexte, la foi se ramollit peu à peu et l’on ne s’en rend même pas compte ! C’est bel et bien une manipulation typique de la dynamique de groupe !
Le véritable dialogue, nous pouvons l’obtenir naturellement et n’importe quand : il suffit de le vouloir. Pourquoi chercher à fabriquer publiquement, à une grande échelle et à force d’efforts considérables de tels dialogues faussés, à moins de viser un but bien précis : promouvoir la paix mondiale en travaillant à la paix entre les religions. Toute l’histoire nous montre que c’est là une recherche utopique illusoire. Ce n’est pas en cherchant ainsi à manipuler les masses que l’on arrivera à la paix, mais en proclamant l’Évangile qui apportera la réconciliation avec Dieu et avec le prochain.
Accepter la première orientation, c’est refuser le mandat du Christ : Allez, faites de toutes les nations des disciples… Mais cet ordre du Seigneur est considéré par beaucoup comme une forme d’arrogance qu’il ne faut plus tolérer.
L’héritage théologique
Les idées de S. Keshavjee ne datent pas d’aujourd’hui. Plusieurs auteurs l’ont particulièrement marqué, auteurs qu’il cite d’ailleurs lui-même à la fin de l’un de ses articles, Une religion parmi d’autres ?[4], comme référence, pour ceux qui voudraient approfondir le sujet. Dans cet article nous voyons que la synthèse du oui et du non est la réponse à toutes les questions ; l’auteur cherche à remettre en valeur les grandes religions pour parvenir à cette tolérance universelle qui seule apportera la paix aux hommes. Pour S. Keshavjee, toutes les religions mènent plus ou moins à Dieu, bien que le Christ demeure quand même pour lui, d’une certaine façon, le sommet de la révélation. Voici les trois ouvrages auxquels il se réfère explicitement :
- Hans Küng : Le Christianisme et les religions du monde, Seuil, Paris, 1986.
- -A. Keller : Le Dieu des chrétiens et les dieux des religions, in : Communication avec l’Ultime, Labor et Fides, Genève, 1987. À la fin de cet ouvrage une bibliographie complète des œuvres du Professeur Keller a été établie par S. Keshavjee.
- Mircea Eliade : Puissance et sacralité dans l’histoire des religions, in : Mythes, rêves et mystères, Gallimard, Paris, 1957.
Ces trois auteurs refusent totalement la revendication du Christ à être la Révélation définitive et absolue de la Vérité.
Afin que le lecteur comprenne mieux la pensée et le but poursuivi par S. Keshavjee, nous avons jugé opportun de donner d’importantes citations de deux des auteurs sur lesquels il s’appuie.
Hans Küng : théologien catholique
Nous constatons dans les écrits de Hans Küng un changement de paradigme, c’est-à-dire de modèle, quant à la notion traditionnelle de la mission. Il n’est plus question d’accomplir le mandat du Christ : « Allez, faites de toutes les nations des disciples… » Ceci est dépassé, car considéré par beaucoup comme une forme de colonialisme et d’intolérance[5]. La nouvelle orientation est donc au dialogue inter-confessionnel et à l’affirmation, de plus en plus courante, qu’à travers toutes les expériences religieuses, on aboutit à une rencontre avec le même Dieu, l’Un, l’Unique.
Nous voyons ainsi un œcuménisme non doctrinal s’affirmer de plus en plus nettement et se transformer en un véritable syncrétisme. Pour cet œcuménisme syncrétiste – une nouvelle religion – la Bible n’est évidemment plus la Parole normative de Dieu. Écoutons Hans Küng :
Qu’est-ce qui s’exprime partout en dépit de la diversité déconcertante et contradictoire des religions ? Une confiance qui échappe, certes, à toute preuve rationnelle, insaisissable, non disponible, cachée derrière, au-dessus de, dans le visible, saisissable, disponible ! Il s’agit finalement de cet Un – sous quelque déguisement ou nom que ce soit – qui porte le terrestre, le pénètre de part en part et l’explique, et qui se manifeste dans le terrestre. Les religions se disputent, certes, sur la façon dont cet Un se manifeste dans le multiple…[6]
Ce à quoi nous sommes conviés, aujourd’hui, ce n’est pas à une activité missionnaire dans le style colonial (activité missionnaire des chrétiens auprès des musulmans, aujourd’hui des musulmans auprès des chrétiens), mais bien ce témoignage de notre propre foi (des musulmans face aux chrétiens et des chrétiens face aux musulmans) : pour une information réciproque, pour une interpellation réciproque et donc, finalement, une transformation réciproque.
Dans cette tentative de réponse chrétienne, qui ne voudrait pas être une fin, mais le début d’un dialogue, nous laisserons le mot de la fin à un intellectuel musulman croyant, Mahmoud Ayoub, que nous avons déjà cité : « Cette dernière phase de la longue histoire des relations entre musulmans et chrétiens en est encore à ses tout premiers débuts. Quand elle sera devenue vraiment réalité, elle conduira, nous l’espérons, à l’œcuménisme authentique : un œcuménisme qui reconnaîtra sa place à l’islam, non celle d’une hérésie par rapport au véritable christianisme, mais celle d’une expression authentique de la vérité divine immuable. Dans cet esprit de reconnaissance et d’estime mutuelle, l’islam pourra avoir quelque chose à apprendre aux chrétiens, qui affermira leur propre foi en la vérité, la vérité qui surpasse toute expression concrète dans une tradition religieuse, un individu ou une communauté quelconque[7].
Nous lisons encore :
La situation à l’intérieur des grandes Églises chrétiennes s’est aussi fondamentalement modifiée. Depuis que Vatican II a pris à son compte, du moins en partie, le paradigme réformé et moderne de la théologie et de l’Église, l’attitude à l’égard des autres religions est devenue positive. C’est ainsi que l’Église chrétienne met l’accent aujourd’hui, à l’égard du bouddhisme comme des autres grandes religions, sur l’information au lieu de la dénonciation, sur la complémentarité au lieu de l’antagonisme, sur le dialogue au lieu de la mission, sur le parler du Christ avec ceux qui croient autrement au lieu de la conquête des non-croyants pour le Christ. […]
Ont contribué à faire prendre ce tournant au christianisme – outre l’organisation de la World Conference on Religion and Peace, du World Congress on Faith et du Interreligious Peace Colloquium – la nouvelle orientation du Conseil œcuménique des Églises avec les conférences d’Ajaltoun (Liban) en 1970 et de Colombo en 1974, et les assemblées de Nairobi (1975) et de Vancouver (1983), mais surtout les énoncés de Vatican II, déjà cités, sur le salut possible pour les non-chrétiens et même pour les athées de bonne volonté. Dans sa Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, qui a réellement fait date (1965), il est dit au sujet du bouddhisme : « Dans le bouddhisme, selon ses formes variées, l’insuffisance radicale de ce monde changeant est reconnue et on enseigne une voie par laquelle les hommes, avec un cœur dévot et confiant, pourront acquérir l’état de libération parfaite, soit atteindre l’illumination suprême par leurs propres efforts ou par un secours venu d’en haut. De même aussi, les autres religions qu’on trouve de par le monde s’efforcent d’aller, de façons diverses, au-devant de l’inquiétude du cœur humain en proposant des voies, c’est-à-dire des doctrines, des règles de vie et des rites sacrés. – L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. » (Art. 2)
Les Églises se sont donc, elles aussi, irrévocablement engagées sur le chemin du dialogue. Cette opération dialogue ne va toutefois pas sans interrogations. Quel en est l’enjeu ? La comparaison des doctrines et théories, des structures et pratiques ? Ou bien l’échange d’expériences religieuses ? [8]
Enfin :
Le dialogue œcuménique interreligieux n’est plus aujourd’hui la spécialité de quelques religieux irénistes étrangers au monde dans lequel ils vivent, mais pour la première fois dans l’histoire, il est aussi une nécessité urgente au regard de la politique mondiale ; il peut aider à rendre notre terre plus habitable, parce que plus pacifique et plus fraternelle.
Pas de paix entre les peuples de la terre sans paix entre les religions du monde ! Pas de paix entre les religions du monde sans la paix entre les Églises chrétiennes ![9]
C.-A. Keller : Théologien protestant, Professeur honoraire de l’Université de Lausanne
À travers trois citations, nous découvrirons un nouveau vocabulaire, celui du Nouvel Age. Son Christ mystique et cosmique, présent dans toutes les religions, nous mène tout droit au syncrétisme.
Voici un extrait d’un cours donné dans le cadre de l’Université populaire de Lausanne d’octobre à décembre 1986 (notes dactylographiées par une participante) :
Attitudes requises du chrétien :
- Assurance. L’assurance, c’est la certitude d’être guidé par la vérité. […] Mon assurance est enracinée dans le fondement de l’Univers qui est Dieu en Christ, vivifiée par l’énergie cosmique universelle. Le Christ est le Logos, la Raison, la Logique interne de l’Univers qui porte notre assurance. L’assurance est une sérénité tranquille, ouverte et accueillante à l’égard des autres religions. Le chrétien qui a cette assurance est tolérant face aux autres religions sans tomber dans les pièges.
- Ouverture. Comment le chrétien peut-il s’ouvrir aux autres religions ? Le chrétien se sait entraîné par le Christ sur une voie qui est la connaissance totale et il découvre le Christ dans toutes les religions ; partout, dans le monde entier, on voit le Christ qui est à l’œuvre. Le Christ n’abandonnera jamais les humains qui ont été créés à son image…
Il est présent dans l’anonymat. Il est présent dans les valeurs bouddhistes : formalisation thérapeutique de la religion, méthodes méditatives, enseignements moraux du bouddhisme. Dans l’hindouisme ; malgré les défauts de cette religion, elle est d’une richesse inouïe ; – réflexions profondes des théologiens hindouistes – signe de la présence du Christ dans l’Inde – ; les yogas, dont surtout le Bakti yoga qui est la dévotion amoureuse pour Dieu – ; existence effacée, modeste et méconnue des gourous, des vrais maîtres. Dans l’Islam (pas la charia) : certaines affirmations des premières sourates du Coran reflètent des affirmations bibliques – et surtout : l’œuvre du Christ dans la glorieuse tradition du Soufisme.
Le Christ est aussi présent dans le souci de l’Unité du monde et dans l’importance de la gnose qui dévoile aux yeux de l’homme la présence secrète du Christ (y compris dans l’Ère du Verseau…). Le chrétien peut dialoguer avec les autres, modifier, approfondir, ajuster sa propre connaissance du Christ cosmique et humanitaire. Le chrétien est théocosmanthropique, c’est-à-dire Théos=Dieu – cosmos=l’univers – anthropos=l’homme. L’homme peut parler de l’œuvre et de la majesté de Dieu dans l’Univers. Il peut découvrir les richesses de toutes les religions du monde au travers du Christ, qui est à l’œuvre partout.
Syncrétisme : Tentative de mélanger les religions pour concocter une nouvelle religion. Certains chrétiens croient au syncrétisme qui est infondé, car, ce qui compte dans la vie religieuse, ce n’est pas le système doctrinal, mais la relation intime avec l’Ultime, avec le Christ vivant. Il ne faut pas craindre le syncrétisme : il faut seulement contempler le Christ dans sa splendeur, dans sa révélation historique, dans la Bible qui est un livre d’une richesse inépuisable. Nous devons être reconnaissants et avoir de la gratitude pour ce christianisme extraordinaire tel qu’il nous est présenté dans la Bible.
L’avenir du christianisme. […] Le chrétien de l’avenir sera un mystique – ou il ne sera pas. L’Ère du Poisson arrive à sa fin, et l’Ère du Verseau commence ; c’est une ère de paix religieuse, de religiosité très personnelle et anonyme. Le chrétien de l’avenir sera mystique et il sauvera le christianisme. […] Le mystique fait l’expérience de Dieu […] Il faut sentir Dieu en soi-même, mettre Dieu à l’épreuve en nous, poser des conditions et vérifier scientifiquement que Dieu est vraiment en nous.
Écoute – Approfondissement – Contemplation : ces trois étapes ont été prêchées par le Bouddha qui a mis en mouvement la roue de la doctrine. [… ]
Dans la prochaine citation, C.-A. Keller pose la question à savoir si les dieux des religions existent oui ou non ; le christianisme est-il inclusiviste, ou exclusiviste ? Il cite différents points de vue puis conclut :
Contrairement aux prévisions de certains stratèges missionnaires, les religions non chrétiennes ne sont pas mortes : elles sont bien vivantes. […]
Les dieux de ces religions existent-ils, oui ou non ? Si non, comment justifier l’affirmation que le Dieu chrétien seul existe ? Si oui, quel est le statut des dieux ? Sont-ils des reflets, des préfigurations, ou des manifestations du Dieu qui s’est révélé en Jésus-Christ, ou du Christ lui-même ? Sont-ils identiques au Christ ? Ou bien plutôt : ces dieux entrent-ils en conflit avec le Christ, à l’instar des démons dont parle le Nouveau Testament ? Si les dieux existent, quel est alors le degré de vérité des révélations qui leur sont prêtées ? La parole d’Allah dite le Coran, la parole de Krisna recueillie dans la Gita, la parole du Bouddha précepteur des dieux et des hommes […], et de bien d’autres, sont-elles vérité ou mensonge ou demi-vérité ?
La perplexité qui règne à ce sujet parmi les théologiens est le reflet du statut social extraordinairement variable, souvent incertain, des groupes chrétiens eux-mêmes. Le vague théologique n’est que le symptôme d’un vague social. Une communauté chrétienne a toujours la théologie qu’elle mérite et dont elle sent instinctivement qu’elle répond à ses aspirations sociales – ou à sa résignation.
Prenons quelques exemples. Un groupe de type évangélique, soucieux de conserver son identité évangélique, insistant sur la nécessité d’une conversion, c’est-à-dire d’une séparation nette d’avec d’autres groupes, préférera un modèle de réflexion exclusiviste. Persuadé que la foi et le salut sont l’apanage exclusif de communautés minoritaires se soumettant totalement au Christ, ce groupe déclarera, Bible en main, que le Christ est l’unique Sauveur.
Remarquons en passant que la conversion chrétienne n’est pas d’abord une séparation d’avec d’autres groupes – ceci est le propre des sectes – mais une séparation en Christ d’avec l’erreur, le mensonge et le péché. C.-A. Keller continue :
Par contre, une communauté chrétienne qui entend acquérir ou maintenir un statut majoritaire ou universel – une Église multitudiniste, par exemple, qui fait partie d’une sorte d’« establishment » – donnera son appui à un modèle d’inclusion. Il est significatif que le Conseil œcuménique des Églises qui vise à la création d’une communauté chrétienne d’extension planétaire tend dans sa réflexion sur les religions non chrétiennes vers une solution de type inclusiviste, alors que les associations rivales de groupes et de communautés évangéliques se retranchent derrière un modèle d’exclusion. […]
Vu la diversité des points de vue chrétiens sur l’existence ou la non-existence des dieux, diversité qui est solidaire de la diversité du statut social des groupes chrétiens, notre conclusion ne saurait être que personnelle, solidaire, elle aussi, d’une insertion sociale particulière. […]
Dans son ensemble, la communauté chrétienne est à la fois ouverte et fermée. Ouverte, parce qu’elle comprend des hommes et des femmes de toutes races et de toutes les nations, qu’elle est virtuellement universelle. Fermée, parce qu’elle se doit de conserver une certaine spécificité en prenant ses distances par rapport à la population non chrétienne. Particulariste, la communauté chrétienne a besoin d’une réflexion exclusiviste ; universaliste, elle ne se satisfera que d’une pensée inclusiviste. Nous nous acheminerons ainsi vers une solution du problème : nous souhaitons qu’une pensée exclusiviste s’articule sur une pensée inclusiviste.
C’est bien ici la démarche dialectique du oui et du non si habilement pratiquée par S. Keshavjee.
L’adoption d’un modèle d’exclusion est une nécessité de survie ; elle recèle également des avantages tactiques. L’affirmation que le Christ est l’unique Sauveur, qu’en dehors de lui il n’y a pas de salut, qu’il est la Vérité, la Résurrection et la Vie, que son Nom seul représente le Divin dans sa totalité, que par conséquent tous les dieux sont ou bien inexistants ou sans importance, est la condition de toute vie religieuse spécifiquement chrétienne. Elle seule fait naître la foi, elle seule la fait croître. Elle seule fait avancer le disciple sur la voie du Seigneur. Elle préside aussi à l’édification de l’Église, à toute prédication efficace, à l’élaboration d’un discours doctrinal spécifiquement chrétien.
Toutefois, l’universalité de l’Église et de son message requiert un fondement inclusiviste de la théologie exclusiviste. Le Christ est le Seigneur de tout l’univers et la base ultime de tout ce qui existe. Il est le Logos du Tout, la raison d’être des choses matérielles et spirituelles, leur origine et leur fin. Par conséquent, le Christ est aussi l’origine et la fin de tous les phénomènes religieux : des références ultimes de tous les groupes, et des langues au moyen desquelles les groupes communiquent avec leur divin.
Nous pouvons encore remarquer ici le saut dialectique du professeur Keller qui passe du Christ exclusiviste des Écritures au « Christ » inclusiviste, principe de toutes les religions.
Le Christ est la Vérité et par là même le critère de vérité des références ultimes et des langues religieuses des groupes non chrétiens. Si le Christ, référence ultime de la communauté chrétienne, a une existence réelle, il faut concéder cette existence aussi aux dieux, référence ultime des groupes non chrétiens.
Pourquoi faire une telle concession au paganisme, puisque Jésus-Christ est le seul vrai Dieu et que les prétendus autres dieux ne sont que des illusions, des marionnettes animées par des démons ? Et C.-A. Keller demande alors :
Et en niant l’existence du Christ, on se situerait en dehors de la communauté chrétienne. Disposons-nous d’un critère permettant de choisir l’une ou l’autre des trois variantes du modèle d’inclusion ?
Cette manière de poser les questions n’est pas biblique, car elle se situe à un niveau purement horizontal et sociologique et ne tient aucunement compte des critères théologiques verticaux établis par Dieu Lui-même dans sa Parole. De tels critères n’ont rien à voir avec l’habile dialectique de C.-A. Keller et de son disciple S. Keshavjee. C’est pourquoi nous n’entrerons pas dans sa façon de penser en employant à sa suite les mots inclusiviste et exclusiviste.
Mais examinons comment se présente la pensée de l’Ancien et du Nouveau Testament. C’est une pensée pleine d’antithèses, opposant le vrai au faux, le bien au mal et le saint à l’impur. Ce qui importe pour Dieu, c’est que son peuple Lui ressemble, c’est-à-dire qu’il soit saint, séparé du mal, du faux et de l’impur. C’est par la nouvelle naissance, œuvre du Saint-Esprit, que ce processus se réalise. Dieu se constitue un peuple tiré de toutes races et de toutes nations, un peuple dont chaque individu se repent de ses péchés, croit au Fils de Dieu, reçoit le sceau du Saint-Esprit et marche selon les lois du Royaume de Dieu. C.-A. Keller poursuit :
La simple identité du Christ et des dieux est difficile à maintenir en vertu des différences indéniables entre la nature des dieux et celle du Christ. – Le modèle relativiste supposerait que le Christ, à l’instar de tous les autres dieux, n’est qu’un Sauveur possible parmi beaucoup d’autres, ce qui rendrait caduque et mensongère toute prédication exclusiviste (par ailleurs indispensable à la survie de la communauté chrétienne). Le modèle hiérarchique en revanche est parfaitement compatible avec une pensée tactique de type exclusiviste : les dieux des religions sont des attributs ou des manifestations du Christ ou encore, si l’on préfère, des hypostases[10] de telle de ses vertus ou de son pouvoir qui s’exerce sur tous les peuples. Le Christ agit à travers les dieux des religions qui sont ses lieutenants, ses « messagers », ses « anges », mais il reste et demeure, lui seul, la plénitude de toute transcendance, plénitude qui est tellement riche qu’elle se déploie en un foisonnement inouï de formes, de couleurs – et de vérités[11].
Le modèle hiérarchique présenté par C.-A. Keller, et qui est aussi celui de S. Keshavjee, quoiqu’il s’en défende, est un modèle d’apparence polythéiste. Ce qui relie tous ces dieux serait le principe christique, ou le « Saint-Esprit » qui agit en chacun et qui est nommé différemment suivant les religions. Mais ce principe christique n’a absolument rien à voir avec le Christ des Écritures. L’on a opéré une synthèse entre les dieux païens et le principe christique évoqué par C.-A. Keller. C’est pourquoi, dans cette perspective, les dieux peuvent être considérés comme des facettes du Christ, exactement comme si les idoles étaient des expressions du Dieu Saint. Ces citations de C.-A. Keller nous permettent de voir très clairement le reflet de la pensée du maître dans celle de son disciple S. Keshavjee.
À propos de l’expérience mystique des religions chrétiennes et non chrétiennes, citons encore C.-A. Keller pour qui les contrefaçons démoniaques n’existent manifestement pas. Pour lui, toutes les religions se rejoignent dans l’expérience du divin, si elles sont authentiques ; chaque croyant entre finalement en union avec le même Dieu, l’Unique, l’Absolu.
La rupture du niveau de conscience fait vivre au mystique l’au-delà du monde phénoménal. Comme la conscience normale est liée aux phénomènes, la conscience mystique est liée, elle, à l’au-delà des phénomènes.
Or, au-delà des phénomènes, la foi chrétienne ne perçoit que Dieu, le Dieu qui se révélera en Jésus-Christ, mais dont l’essence trine et ineffable est au-delà de toutes les conceptualisations. Le théologien est donc amené à admettre que la mutation du niveau de conscience place le mystique chrétien devant le Dieu qui s’est révélé en Jésus-Christ. J’ai dit : place le mystique devant Dieu, l’expression est bien sûr inadéquate, peut-être est-elle même fausse. Nous n’en savons rien. Mais la Grande Ténèbre où pénètre le mystique ne saurait être que Dieu, Dieu en Jésus-Christ, car au-delà des phénomènes il n’y a rien, et ce rien, comme je viens de le dire, ne saurait être que Dieu, Dieu transcendant et mystérieux dans sa Sainteté et dans sa Gloire ineffables.
Mais cela signifie que le mystique non-chrétien, s’il réalise la grande mutation de la conscience – s’il la réalise vraiment – se trouvera également en face de Dieu, de Dieu en Jésus-Christ, en présence de la Trinité que notre théologie, dans son langage forcément inadéquat, essaie de cerner et de décrire, mais qui dépasse l’entendement de notre conscience habituelle, de même que sat-cit-ânanda ou Nirvana sont au-delà des possibilités de notre conscience habituelle.
Dieu, dans la Grande Ténèbre, est au-delà des phénomènes. Mais il est aussi la cause des phénomènes. Il soutient, il porte, il illumine les phénomènes. C’est dire que le mystique fait une double expérience (dont il parle d’ailleurs assez souvent) : d’une part, sa conscience est radicalement transformée puisqu’elle n’est plus soumise à la perception sensorielle ; d’autre part, il perçoit néanmoins les choses, il perçoit le monde tel qu’il est vraiment, puisqu’il le perçoit en Dieu. Il devient ainsi un guide religieux digne de confiance, ou – pour employer un langage bouddhiste – il est compétent pour mettre en mouvement la roue du dharma. Mystique chrétienne et mystiques non chrétiennes : il semble, d’après le point de vue théologique, qu’elles aboutissent toutes à la même réalité, la seule qui se situe au-delà des phénomènes : Dieu.
Quelle sera alors notre attitude ? Je dirai qu’elle sera double.
D’une part, nous approfondirons notre connaissance des mystiques non chrétiennes et nous en encouragerons l’étude. Cette étude se poursuivra certes selon les exigences de la méthode historique dans le respect de ces méthodes. Il s’agira d’étudier des textes, de les interpréter, de les traduire, de les situer dans leur contexte historique et littéraire. Mais à l’intérêt philologique et historique s’ajoutera un engagement plus personnel, plus existentiel : nous prendrons conscience du fait que ces textes contiennent les éléments d’un itinéraire vers Dieu et qu’ils peuvent nous aider dans notre propre recherche.
D’autre part, nous nous pencherons avec un intérêt tout nouveau sur notre propre tradition mystique. Nous n’oublierons pas que le christianisme est, lui aussi, dans son essence, un cheminement vers Dieu, donc une mystique, et que toutes les traditions chrétiennes, qu’elles soient orthodoxes, catholique-romaine ou protestantes, possèdent leurs maîtres qui peuvent nous montrer la Voie[12].
Les maîtres de S. Keshavjee expriment au moins clairement leurs idées. Les lire nous aide à comprendre leur disciple dont les propos sont souvent confus et contradictoires. Veut-il encore ménager la chèvre et le chou pour faciliter ses entrées dans tous les milieux ? N’oublions pas qu’il a été nommé médiateur entre les différentes religions par l’Église Évangélique Réformée du Canton de Vaud.
S. Keshavjee à travers ses écrits et les critiques théologiques que nous formulons.
Penchons-nous à présent sur quelques ouvrages de notre auteur pour voir comment il développe ses thèses théologiques.
Une confession chrétienne du Dieu vivant[13]
Dans cette confession de foi, S. Keshavjee ne manifeste aucun respect pour l’héritage confessionnel de l’Église de Dieu telle qu’elle s’est développée dans l’histoire. Il y esquisse une comparaison entre les différentes religions et le christianisme. Il s’attache à marquer à la fois les ressemblances et les différences entre les diverses professions de foi relatives à un Dieu qui serait le bien commun de toutes les religions, mais qui se serait révélé pleinement dans le christianisme et imparfaitement dans les autres religions[14].
Nous lisons dans cette confession chrétienne du Dieu vivant que,
- le Père est au-delà de tout et de tous ;
- le Fils s’approche de tout et de tous ;
- le Saint-Esprit est au-dedans de tout et de tous.
N’avons-nous pas là l’expression typiquement gnostique de l’approche de Dieu par intermédiaires. Cette approche comprendrait trois étapes dans une hiérarchie progressive, allant de toutes choses pénétrées par l’Esprit au Père qui est au-dessus de toutes choses, en passant par Jésus-Christ, qui serait l’étape intermédiaire ? Cette continuité entre les étapes et l’ascension progressive de tous et de toutes choses aboutirait à l’Unité finale de tous et de toutes choses dans le Père. On reconnaît ici des éléments de gnose mêlés au panthéisme[15].
Dans cette conception de la trinité, il y a subordination ontologique[16] du Fils au Père et de l’Esprit au Fils. Or, dans l’Écriture, il n’y a pas de subordination ontologique (c’est là une ancienne hérésie)[17]. Si les trois personnes œuvrent toujours ensemble, elles peuvent avoir des fonctions différentes ; par exemple, c’est le Fils seul qui s’est incarné, prenant la nature de l’homme. Mais, quelle que soit leur action, les trois personnes sont toujours et partout présentes ensemble. Elles sont UN SEUL ET MÊME DIEU. Le terme UN, en hébreu, echod, s’applique à une unité composée[18]. Selon les Écritures, les trois Personnes de la Trinité possèdent tous les mêmes attributs. Ainsi, la notion du Dieu Père lointain, du Fils plus proche, et de l’Esprit en tout et en tous, ne correspond pas à l’Écriture, car elle donne des attributs différents à chacun, ce qui les sépare au lieu de les unir. Il est par ailleurs inexact d’affirmer que le Père est toujours au-delà de nous puisque le Christ a dit : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui. » (Jean 14:23) Et Paul, parlant aux fidèles en Jésus-Christ qui sont à Ephèse déclare : « Il y a un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et parmi tous et en tous. » (Ephés. 4:6)
D’autre part, l’emploi du mot différent dans la même note prête à confusion. Les personnes divines sont distinctes et non de nature différente, sinon nous aurions affaire à trois dieux.
Cette Confession de foi du Dieu vivant, en employant un vocabulaire et des concepts tirés du Christianisme et des religions non chrétiennes, et par un va-et-vient savant de mots et de notions très subtiles, en devient un mélange de contradictions, aboutissant à une grande confusion théologique. S. Keshavjee affirme qu’il se trouve un peu de vérité dans toutes les religions, et qu’au nom de cette vérité, il est possible de confesser ce qu’il y a de ressemblant et de différent avec les adeptes des autres religions. Or nous ne pouvons rien confesser en commun avec les juifs, les musulmans, les hindous, les animistes ou les athées, car les fondements de leurs pensées sont diamétralement opposés à ceux du christianisme. Car ils ont tous une conception de Dieu totalement différente du seul vrai Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit que nous révèle la Bible.
Les 14 Thèses de La théologie chrétienne des religions non chrétiennes[19]
Examinons quelques-unes de ces thèses :
Thèse Nº 2 : « Selon la Bible, les autres dieux sont des productions terrestres (Jér. 10 ; Rom. 1:23 ; 1 Cor. 8:4) et/ou des puissances célestes (angéliques ou diaboliques) (Fils de Dieu, Armée du ciel, dieux, dominations, éléments du monde, démons. […] Leur existence est illusoire ou relative (1 Cor. 8:4-6). S’ils ne sont pas pur néant, ils ne sont que des puissants alors que le Dieu judéo-chrétien est Tout-Puissant (Lc 1 : 49 ; Mc 14:62). S’ils ne sont pas des idoles, ils ne sont que des dieux, alors que Yahweh est le Dieu des dieux (Dan. 2:47 ; Dt. 10:17). L’Écriture présente des perspectives à la fois monothéistes (donc exclusives) et hénothéistes (donc inclusives). Le monothéisme est la perspective selon laquelle l’Unité divine conteste la prétention à la divinité de toute autre réalité. L’hénothéisme[20] est la perspective selon laquelle l’Unité divine englobe et intègre les autres puissances prétendument divines. »
Même si S. Keshavjee ne met pas les dieux des religions sur le même plan que le seul vrai Dieu et ne confond pas les faux dieux, les idoles, les démons, les anges célestes et les anges déchus avec le Créateur qui est pleinement et totalement Dieu, il établit cependant un lien, une continuité entre l’Être ineffable et transcendant et ces réalités (ici, il suit explicitement C.-A. Keller). Mais le vrai Dieu appartient à un ordre de réalité tout autre que celui des créatures, même angéliques. Il est en conséquence impossible de passer de l’ordre de Dieu à celui des dieux. Le Dieu en Trois Personnes, Père, Fils et Saint-Esprit, n’englobe ni n’intègre les autres puissances, prétendument divines ou non. Il n’englobe rien d’extérieur à Lui. Le faire serait du Panthéisme[21].
Thèse Nº 3 : « Les religions ne sont ni divines, ni sataniques, mais humaines. En elles peuvent se greffer du divin et du satanique. »
Quelle est la théologie de S. Keshavjee sur Satan, le péché, la condamnation éternelle ? Voilà la grande question. Les mots diabolique ou satanique ne semblent absolument pas vouloir dire ce que dit la Bible, si, pour lui, elle est normative. Cela nous fait mieux comprendre la démarche et sa pensée. Selon la Bible, les religions sont le produit d’un sentiment religieux perverti, faussé par le péché. Elles ne sont pas le fruit d’une révélation divine mais l’émanation de la puissance des ténèbres. C’est pourquoi, Jésus, se révélant à Paul lui dit : « Je t’ai choisi du milieu de ce peuple et du milieu des païens, vers qui je t’envoie, afin que tu leur ouvres les yeux, pour qu’ils passent des ténèbres à la lumière et de la puissance de Satan à Dieu, pour qu’ils reçoivent, par la foi en moi, le pardon des péchés et l’héritage avec les sanctifiés » (Actes 26:17-18). Il y a de l’idolâtrie dans toutes les religions non chrétiennes, car leurs adeptes adorent ou des créatures, ou leurs propres œuvres.
Thèse Nº 9 : « La plénitude de la grâce de Dieu s’exprime en Jésus-Christ, mais la plénitude de Jésus-Christ déborde l’Église (et à plus forte raison une Église). « Le dialogue interreligieux et l’œcuménisme sont des grâces qui nous sont offertes pour que nous devenions chrétiens d’une manière plus profonde et plus riche. » (Henri Le Saux). »
Selon S. Keshavjee, la plénitude de Christ déborde l’Église et peut aussi se déverser dans les autres religions. La deuxième affirmation est directement démentie par Eph. 1:22-23 qui dit que l’Église, son Corps, est la plénitude de Christ : « Il a tout mis sous ses pieds, et il l’a donné pour chef suprême à l’Église, qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous. »
Nous pensions que pour devenir un chrétien mûr et fécond, il fallait mettre davantage sa confiance en Dieu, méditer de plus en plus les Écritures et obéir de mieux en mieux à la Parole de Dieu (2 Pierre 1.3-11), c’est-à-dire, la mettre en pratique avec le secours du Saint-Esprit. Or, pour S. Keshavjee, c’est par le dialogue et l’œcuménisme que nous grandissons en Christ.
Thèse Nº 10 : « L’Esprit Saint communique la grâce protectrice et salvatrice de Dieu révélée en Christ. En tout lieu où mûrit un amour authentique pour Dieu et pour les humains, il se peut que l’Esprit Saint communique des semences de cette grâce. La finalité de l’Esprit est d’humaniser et de faire communiquer à la nature divine, de faire reconnaître le Christ et d’offrir tout être au Père (quel que soit le nom qu’on lui donne). Pour ce faire, il se peut qu’il emploie les langages religieux et culturels d’autres traditions comme lieux de transmission de la grâce. Quelques critères de discernement de l’action de l’Esprit sont, outre la confession de Jésus comme Christ, comme Fils du Dieu Vivant, l’ouverture existentielle au règne de Dieu, l’expérience d’appartenir à la famille de Dieu ainsi que le déploiement dans sa vie de fruits tels l’amour, la joie, la paix… et la liberté. » [Nous soulignons, réd.]
En dehors des affirmations scripturaires, il n’y a aucune certitude de foi : de là les deux il se peut, si incertains de S. Keshavjee. Il semble nager en pleine religion fiction. Est-ce l’Écriture qui parle ou sont-ce ses propres spéculations ? Comment peut-il juger si cet amour est authentique ? Comment peut-il reconnaître la présence du Dieu Vivant ou du Christ ? Par des sensations, par une expérience mystique, par l’amour qu’il ressent en lui ou qu’il voit chez les autres ? De plus, il néglige totalement les concepts de base qu’utilise la Bible pour décrire comment l’homme reçoit le salut. Le mot grâce chez lui est une notion vague, pas suffisamment définie. Ce mot est très employé chez les tenants de cette nouvelle orientation syncrétiste et ne signifie en tout cas pas la grâce que Dieu accorde au pécheur repentant. La finalité de l’action de l’Esprit Saint est certes de révéler Christ et de le faire reconnaître, de le faire confesser comme Seigneur par les hommes[22] ; mais son œuvre première, base de tout ce qui suivra, est de convaincre les hommes de péché[23].
La phrase « Le Père, quel que soit le nom qu’on lui donne » (de la thèse Nº 10) sous-entend dans toutes les religions. Le texte qui est donné en référence à la note 26, Rom. 8:15, est carrément détourné de son sens car Paul écrit à des Romains convertis au Dieu de Jésus-Christ[24]. De plus, le Dieu de Jésus-Christ n’est pas le Dieu des autres religions puisque « celui qui me hait, hait aussi mon Père » dit Jésus à ses disciples[25]. Les autres religions ne prient pas le vrai Dieu. Comment le pourraient-elles puisqu’elles détournent les hommes du seul vrai Dieu et s’opposent à Lui. Dieu ne peut pas transmettre sa grâce autrement que par son Fils, seul médiateur entre Dieu et les hommes, et par sa Parole proclamée. S’Il n’est pas le Dieu des juifs qui n’ont pas cru en Lui, à plus forte raison ne l’est-Il pas des autres religions qui ne le connaissent pas[26].
Thèse Nº 11 : « Le Dieu Vivant est Seigneur de l’Histoire (des religions, aussi). S’il maintient les religions non chrétiennes, c’est peut-être d’une part pour préserver les vérités – le prodigieux – qu’elles véhiculent et que l’Église néglige et d’autre part pour manifester les erreurs – le perturbé – qu’elles transmettent et qui guettent aussi l’Église. Un des sens des religions non chrétiennes est d’éprouver l’Église chrétienne et cela dans la double acception du terme : a. l’Église aime-t-elle suffisamment son Seigneur pour préserver sa fidélité au Christ ? et b. l’Église aime-t-elle suffisamment son Seigneur pour se laisser purifier de ses infidélités ? Dieu peut utiliser aujourd’hui les mouvements religieux (ou non) comme il a utilisé du temps d’Ésaïe l’Assyrie comme gourdin de sa colère. Il serait également faux d’adopter ces religions – se laisser convaincre par elles – que de ne pas s’adapter – ne pas se laisser corriger par elles. »
Selon lui, un des buts de l’existence des religions non chrétiennes serait de préserver les vérités, le prodigieux qu’elles contiennent et que l’Église néglige… Ceci manifeste une fois de plus où il se situe. D’autre part, il serait également faux d’adopter ces religions que de ne pas s’adapter à elles. Ces deux propositions contradictoires ne gênent nullement S. Keshavjee puisque pour lui, le principe de non-contradiction ne semble pas exister. Le peut-être trahit le côté spéculatif de tout ce paragraphe vraiment fantaisiste. La référence au rôle historique de l’Assyrie (Es. 10) est déplacée, car le contexte d’Ésaïe parle d’un châtiment national sur le plan politico-militaire.
Nous n’avons pas à nous adapter aux religions non chrétiennes. Nous avons à respecter tous les hommes puisqu’ils ont été faits à l’image de Dieu, mais nous avons aussi à leur proclamer la Bonne Nouvelle du Salut, ce qui n’est pas de l’irrespect. Cette Bonne Nouvelle ouvre ou ferme les cœurs. C’est une épée à deux tranchants. Nous pouvons en constater les effets dans les Actes des Apôtres. Tantôt elle amène la libération et la joie, tantôt elle apporte la persécution. Il n’y a rien de nouveau. Le disciple n’est pas plus grand que son Maître. Jésus avait averti ses disciples[27].
Thèse Nº 12 : « L’Église chrétienne… doit viser un théocentrisme christologique qui déchiffre les traces de l’Esprit Saint partout où elles se trouvent.… »
Sans le moindre appui scripturaire, S. Keshavjee dit que l’on peut voir des traces de l’Esprit Saint ou de Dieu dans les autres religions. Dans la thèse no 13, il parle aussi de trace de l’amour de Dieu dans la vie, la culture, la religion des autres.
À vrai dire, on peut voir des traces de Dieu dans la conscience de l’homme ou dans la Création, mais ce qu’on prétend voir du vrai Dieu dans les autres religions n’est qu’une contrefaçon idolâtre. Il y a des pratiques religieuses : la prière, les sacrifices, la mortification, la méditation… qui témoignent de l’aspiration religieuse universelle de l’homme. Mais ces pratiques ne sont que des déformations du vrai culte que nous devons rendre à Dieu. Cette aspiration est étouffée par les différents systèmes religieux idolâtres et est ainsi détournée du vrai Dieu.
Dieu cherche l’homme là où il se trouve. Il prépare dans le secret le cœur de ceux qu’Il s’est choisis depuis longtemps (Gal. 1:13-17). Mais l’homme ne peut arriver à la connaissance du vrai Dieu que par la prédication de l’œuvre de Jésus-Christ à la croix, folie pour ceux qui périssent, mais puissance de Dieu pour tous ceux qui croient. La découverte du vrai Christ, vrai homme et vrai Dieu, devra passer par le rejet de ces faux chemins qui conduisent à une totale impasse spirituelle.
Thèse Nº 13 : « Dans toute réalité ou relation, l’amour du Dieu Unitrinitaire nous précède. L’évangélisation (ou la mission) consiste tout d’abord à partir des traces de cet amour – dans la vie, la culture, la religion de l’autre – et à les accueillir avec reconnaissance. Ensuite, elle consiste en une communication plus pleine de cet amour. »
Voilà en quoi consiste la mission pour S. Keshavjee. Partir à la trace de l’amour, puis communiquer avec cet amour. L’amour émanant de son Christ est sans limite ni contenu. Il ne fait qu’accumuler des notions vagues et subjectives. Pourtant le Christ a précisé : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui. Celui qui ne m’aime pas ne garde point mes paroles » (Jean 14:23-24). Aimer le Christ n’est pas une vague sensation subjective. Garder sa Parole signifie lui obéir et mettre en pratique ses commandements[28].
Pour S. Keshavjee, Dieu ne semble pas être le Maître de l’univers puisque nous ne Le voyons jamais exiger quoi que ce soit de ses créatures. Il ne cite jamais Sa Loi qui a été donnée comme règle de vie pour tous les hommes afin qu’ils soient heureux sur cette terre[29], mais aussi pour qu’ils prennent connaissance de leur péché. Selon Rom. 1, ils sont inexcusables, car cette loi est inscrite dans leur conscience par Dieu, quoiqu’elle soit en partie voilée par le péché.
Et moi, face à la tolérance ?[30]
Pour nous chrétiens, le chemin qu’est Jésus, Fils de Dieu, est digne de confiance […]. Faut-il alors en déduire que toutes les autres Voies ne sont que des impasses ? Je n’en sais rien. Jésus n’a pas dit : « Nul ne vient au Père que par l’Église » ou encore moins « Nul ne vient au Père que par votre Église ». Il a affirmé : « Nul ne vient au Père que par moi » (Jean 14:6).
Ce que je crois, c’est que Jésus est une « Voie nouvelle et vivante » (Hébreux 10:20). Parce qu’il est ressuscité, il est un Chemin Vivant et non un sentier figé et mort. Est-ce à moi d’exclure la possibilité que Jésus, voyant un bouddhiste ou un musulman en difficulté, sur sa propre voie, ne vienne lui tendre la main pour l’aider à retrouver son Chemin et à entrer par sa Porte ? Je ne crois pas que le salut soit dans le bouddhisme, dans l’islam ou dans toute autre religion, ni même dans le christianisme – défini comme un chemin tout tracé – mais il est bien plutôt dans la présence et l’action du Dieu Vivant qui appelle tout être à entrer dans sa Ville éternelle, ouverte à l’humanité par le don et le pardon en Jésus. Si un bouddhiste, un musulman ou toute autre personne croyante ou non, accède lui aussi à la Ville de Lumière, ce sera comme pour les chrétiens, à cause de la générosité du Portier, et cela quelle que soit la Voie qu’il aura empruntée. [Nous soulignons encore.]
Pourquoi n’en sait-il rien alors que l’Écriture est tout à fait explicite ? Il préfère « ne pas savoir » de sa propre autorité parce que pour lui, la Parole de Dieu n’a pas vraiment autorité, elle n’est pas normative.
Jésus serait une Voie nouvelle et non La Voie. Avant Lui, il y en avait d’autres qu’on peut encore emprunter aujourd’hui pour arriver à Christ. Les pensées de S. Keshavjee sur Dieu ou sur son Fils sont des pensées subjectives, vagues, qui n’ont aucun contenu scripturaire et qui sont le reflet des idées de théologiens tels que C.-A. Keller, Stanley J. Samartha, Raimundo Panikkar, Karl Rahner, etc, qui sont en réalité des hindouistes chrétiens ou des chrétiens hindouistes.
Jésus-Christ serait-Il un chemin vague ? Ses enseignements seraient-ils douteux ? Oui, pour ceux qui acceptent la remise en question du texte biblique selon la critique historique pratiquée dans les facultés de théologie et qui appliquent le doute systématique comme méthode de réflexion.
3.4. Mircea Eliade et la coïncidence des opposés ou l’existence en duel[31]
Dans sa thèse de doctorat, S. Keshavjee montre que le thème de la convergence ou coïncidence des opposés[32] est profondément enraciné dans l’existence même d’Eliade. On sent que notre auteur a de profondes affinités avec ce philosophe qui le fascine et qui a fortement façonné sa propre pensée. S. Keshavjee a, en quelque sorte, la nostalgie d’un paradis perdu, d’un monde d’où tout conflit aurait disparu. Pourquoi les contraires ou les distinctions se transforment-ils si facilement en divisions ? Eliade lui a fait découvrir qu’il y a des expériences de dépassement de la dualité et des possibilités d’unifications intérieures et extérieures… :
Ce qui semble avoir particulièrement intéressé Eliade, c’est que dans toutes les perspectives dualistes, il existe presque chaque fois une unité à découvrir.
Après Eliade, il n’est plus possible d’ignorer ces multiples lieux de coïncidence des opposés nous proposant des expériences de dépassements de la dualité. […]
Découvrir les innombrables mythes et symboles de l’homo religiosus, ses divinités androgynes et ambivalentes, ses hiérophanies attirantes et atterrantes… peut suggérer des possibilités d’unifications intérieures et extérieures qui ont fait vivre les hommes depuis le paléolithique jusqu’à nos jours.
[…] Quant à la coïncidence des opposés, elle nous aide à surmonter les distinctions durcies en dichotomies et à articuler les polarités en des unités complexes[33]
Face à tout ce qui s’oppose, se heurte ou simplement diffère, comment arriver à une vision d’unité ? S. Keshavjee répond :
Seule une théologie véritablement œcuménique ouverte non seulement aux différentes confessions chrétiennes mais aussi aux religions non chrétiennes – pourra désormais rendre compte de cette grâce. Eliade – avec et par la catégorie de la coïncidence des opposés – a été à sa façon le précurseur d’une telle théologie […]. Si l’œuvre d’Eliade peut suggérer une telle théologie, celle de H. Küng la propose explicitement en particulier son récent ouvrage intitulé Une théologie pour le 3ᵉ millénaire[34]
C’est exactement le but poursuivi par S. Keshavjee par le biais de ses conférences, de ses séminaires et de ses écrits.
Sa tactique
S. Keshavjee est fréquemment invité à parler dans les Églises de différentes confessions et dénominations, dans des écoles bibliques, dans divers groupements, pour y donner des sermons, des conférences et des séminaires sur l’histoire comparée des religions. II a l’art de s’adapter à chaque auditoire et séduit sans peine ceux pour qui la doctrine propre à leur religion respective est tout à fait secondaire, voire sans importante aucune. Car pour eux, ce qui importe avant tout, c’est l’expérience, le fait de ressentir l’Ultime, le Divin, le Christ en soi. Or n’importe qui par une ascèse mystique associée à des exercices de méditation qui établissent le vide en soi – réciter des mots indéfiniment (mantras, mots incompréhensibles ou non, etc.), visualiser intensément ce que l’on recherche, se livrer à des exercices de training autogène et d’auto-hypnose, etc. – peut fabriquer, à s’y méprendre, la sensation du divin en lui. Son expérience de Dieu n’aura été qu’une illusion, car Dieu ne se laisse pas ainsi manipuler.
Dans ses séminaires, il fait des lectures de forts beaux textes qui témoignent des aspirations profondes de l’homme et de sa quête religieuse. Les participants sont ensuite invités à deviner d’où ils sont tirés. Chacun pourrait croire, presque sans hésitation, qu’ils ont été écrits par des chrétiens. Eh bien, non ! Ils ont été choisis parmi des œuvres d’auteurs hindous, bouddhistes ou autres. Et chacun de manifester alors son étonnement ou son admiration…
Voilà une manière bien subtile d’inciter les participants à s’ouvrir à ce nouveau mode de pensée, à considérer les autres religions comme égales ou très proches du christianisme, et à dire enfin que tous, nous adorons le même Dieu. Ceci est de la manipulation psychologique. C’est tout le contraire du procédé biblique.
S. Keshavjee, dans sa conférence au Café du Vieux Lausanne, a abondamment exposé sa propre pensée sur le christianisme et les religions, et les approches pour parvenir à une meilleure compréhension entre elles. Mais qu’en est-il, en fait, de la pensée du Dieu qu’il affirme confesser ? C’est à peine si l’on ose demander ce que le Dieu des Écritures aurait déclaré au sujet des dieux des autres religions, tellement il semble honteux pour certains de s’appuyer franchement sur Sa Parole. C’est la lettre qui tue, dit-on. Nous préférons nous réunir autour du Christ Vivant et non autour de la doctrine qui est un sentier figé et mort. Oppose-t-on Bouddha à son enseignement ? Oppose-t-on Mahomet à son enseignement ? Pourquoi vouloir opposer le Christ à son enseignement ? Un Christ vide d’enseignement est un Christ qui n’a rien à dire. C’est un faux Christ et non celui de la Bible. Peut-on suivre un Maître muet ?
Ce que dit Dieu à propos des dieux des autres religions : « Ce sont des idoles, je hais ceux qui s’attachent à des idoles, je ne donnerais pas ma gloire aux idoles, j’exterminerai tes idoles et tes statues »[35].
Ces textes nous montrent que le Dieu de la Bible est un Dieu exclusif (c’est-à-dire un Dieu saint) et non un dieu inclusif (c’est-à-dire un Dieu mélangé, impur). Il dit être le seul vrai Dieu, tous les autres ne sont que des faux dieux, des tromperies, des illusions suscitées par le diable pour mieux perdre les hommes. L’exclusivisme du christianisme ne peut se ramener à la conviction qu’auraient les chrétiens de posséder la vérité et au fait qu’ils la placent au-dessus de tous les autres systèmes, mais sur le fait que Jésus-Christ Lui-même dit être la Vérité, et qu’Il demande un attachement exclusif à Sa Personne, une foi exclusive dans Sa Parole qui témoigne en toute vérité de Son œuvre de rédemption et de salut, et une obéissance persévérante et exclusive à Sa doctrine qui, comme Lui est Vérité.
Les prophètes de l’Ancien Testament, qui étaient les porte-parole authentiques de Dieu, n’invitaient pas le peuple d’Israël à entrer dans l’expérience des religions des peuples qui les entouraient. Au contraire, ce peuple devait rester à l’écart de tout ce qui touchait aux cultes des idoles. S’il désobéissait et ne revenait pas au vrai Dieu, il était menacé de subir ses jugements. Et lorsque nous lisons les prophètes qui annoncent ces jugements, et les descriptions qu’ils en donnent quand ils eurent effectivement lieu, nous pouvons mesurer l’intensité de la colère de Dieu envers de telles pratiques idolâtres.
Dans le Nouveau Testament, Jésus va dans le même sens. Il ordonne à ses disciples d’« allez par tout le monde et de prêcher la bonne nouvelle à toute la création. Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné » (Marc 16:15). Comme dans l’Ancien Testament, Il parle de condamnation pour ceux qui rejettent son message.
Jésus n’a pas demandé à ses disciples d’imposer par la force ou par les feux de l’inquisition la foi en sa Personne. Il leur a demandé de prêcher la Bonne Nouvelle. Le Saint-Esprit fera le reste. Il convaincra de péché, amènera à la justice… – Il n’y a pas à chercher à manipuler les gens ; la conversion, la nouvelle naissance ne sont pas une œuvre humaine. – À ceux qui auront cru, l’Église doit enseigner à observer tout ce que le Christ a prescrit. Est-ce vraiment là l’objectif du dialogue tel que le présente S. Keshavjee ?
Ceux qui deviennent disciples de Christ doivent se repentir de leurs péchés, renoncer à leurs idoles passées et servir le Dieu vivant et vrai en obéissant aux commandements de Jésus. Il y a rupture entre leur vie passée et leur nouvelle vie en Christ[36].
L’exemple de Paul
Dans son célèbre discours apologétique sur l’Aréopage, Paul ne s’appuyait pas sur les pratiques religieuses idolâtres des Athéniens, mais sur le Dieu qui leur était inconnu, un Dieu saint qui ne veut pas être mêlé aux autres religions. Il veut s’en démarquer, car il y a une radicale incompatibilité entre Lui et elles[37]. S’il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus, la grâce commune, par contre, est pour tous. Dieu est proche de tous les hommes[38]. S’Il fait du bien à tous, quelle que soit leur religion, il demande cependant aux hommes de renoncer aux choses vaines et de se tourner vers le Dieu vivant et vrai[39]. En tant que Seigneur de l’Univers, nous lui devons obéissance et honneur. Mais comment lui obéir si nous ne le connaissons pas ? Jésus, lui seul est venu nous le révéler.
Examinons attentivement comment Paul prêchait l’Évangile à un peuple idolâtre :
Hommes Athéniens, je vous trouve à tous égards extrêmement religieux. Car, en parcourant votre ville et en considérant les objets de votre dévotion, j’ai même découvert un autel avec cette inscription : À un dieu inconnu ! Ce que vous révérez sans le connaître, c’est ce que je vous annonce.
Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s’y trouve, étant le Seigneur du ciel et de la terre, n’habite point dans des temples faits de main d’homme ; il n’est point servi par des mains humaines, comme s’il avait besoin de quoi que ce soit, lui qui donne à tous la vie, la respiration et toutes choses.
Il a fait que tous les hommes, sortis d’un seul sang, habitassent sur toute la surface de la terre, ayant déterminé la durée des temps et les bornes de leur demeure ; il a voulu qu’ils cherchassent le Seigneur, et qu’ils s’efforçassent de le trouver en tâtonnant, bien qu’il ne soit pas loin de chacun de nous, car en lui nous avons la vie, le mouvement et l’être. C’est ce qu’ont dit aussi quelques-uns de vos poètes : Nous sommes de sa race […]
Ainsi, donc, étant de la race de Dieu, nous ne devons pas croire que la divinité soit semblable à de l’or, à de l’argent, ou à de la pierre, sculptée par l’art et l’industrie de l’homme.
Dieu, sans tenir compte des temps d’ignorance, annonce maintenant à tous les hommes, en tous lieux, qu’ils aient à se repentir, parce qu’il a fixé un jour où il jugera le monde selon la justice, par l’homme qu’il a désigné, ce dont il a donné à tous une preuve certaine en le ressuscitant des morts…
Lorsqu’ils entendirent parler de résurrection des morts, les uns se moquèrent, et les autres dirent : Nous t’entendrons là-dessus une autre fois.
Ainsi Paul se retira du milieu d’eux. Quelques-uns néanmoins s’attachèrent à lui et crurent, Denys, l’aréopagite, une femme nommée Damaris, et d’autres avec eux. (Actes 17:22-34)
Ces Athéniens ne connaissaient pas le vrai Dieu. Même s’ils avaient une vague notion d’un dieu inconnu, ce n’était pas suffisant, ils devaient se repentir et croire au Fils de Dieu ressuscité qui reviendra pour juger tous les hommes.
Annexes
Nous sommes loin d’êtres les seuls à penser encore de la manière traditionnelle et biblique quant au rapport entre le christianisme et les religions non chrétiennes. Quant aux vues de C.-A. Keller, H. Küng, S. Keshavjee, nous les rencontrons ailleurs également et depuis fort longtemps[40]. Pour que vous puissiez avoir accès à des textes fort instructifs, nous les citerons dans cette annexe, malgré leur longueur.
À propos des religions non chrétiennes
Pour les hindous, le pardon n’est pas imaginable à cause de la loi du Karma. Ce qui est fait est fait. Le pardon est impossible.
Rabindranath Maharaj, ancien guru converti à Jésus-Christ :
Le Karma est une loi fondamentale de l’hindouisme qui détermine le destin ou le sort de l’homme. Dans le domaine moral ou spirituel, chaque pensée, chaque mot, chaque action, produit inévitablement un effet. Comme une seule vie ne suffit pas à l’application de cette loi, le Karma demande des réincarnations. Les conséquences des vies passées se répercutent dans le présent. Chaque homme doit souffrir pour ses fautes[41].
Le système des castes est au centre de l’hindouisme. Il est enraciné au plus profond de la pensée des hindous. Les castes sont le résultat logique du karma et de la réincarnation. Ce sont les différents niveaux par lesquels l’homme doit s’élever vers Dieu. Les états supérieurs de conscience recherchés dans la méditation sont un subtil prolongement du système des castes.
En Occident, des millions de personnes qui croyaient autrefois à la résurrection de Christ comme à un fait historique, croient maintenant à la réincarnation. L’idée que Jésus de Nazareth était l’une des nombreuses réincarnations de l’esprit du Christ, qui habitait aussi en Rama, Krishna et Bouddha, devient de plus en plus populaire. Bientôt on dira que l’Antichrist lui-même est la dernière réincarnation de Jésus. Le Dieu de la Bible se confond dans l’esprit de beaucoup de gens avec la nature, les forces cosmiques, les lois naturelles du Maharishi ou le Fondement de l’être du théologien Paul Tillich.
Toutes ces conceptions de Dieu ne sont qu’une manière occidentale de parler du Brahaman hindou[42].
Quand un hindou se convertit vraiment au Christ, il y a un changement radical. Aucun compromis, aucune alliance n’est possible entre l’hindouisme et le vrai christianisme. Les deux religions sont totalement opposées. L’une est les ténèbres, l’autre la lumière. L’hindouisme est l’un de ces nombreux chemins qui conduisent à la destruction. La foi chrétienne, selon les paroles de Jésus, est l’étroit sentier qui mène à la vie éternelle.
Brahaman : est tous les dieux en Un. Il est la Réalité Ultime, sans forme, ineffable, inconnaissable et sans connaissance ; ni personnel ni impersonnel, à la fois créateur et création. Brahaman est tout, et tout est Brahaman. Le salut hindou consiste à atteindre l’Ultime Vérité, c’est-à-dire à prendre conscience qu’on est soi-même Brahaman. L’homme et l’univers ne sont qu’un être unique. Brahaman est tout et rien. Il est le bien et le mal, la vie et la mort, la santé et la maladie et même l’irréalité du maya (l’illusion)[43]…
L’abbé Raimondo Panikkar, un hindouiste chrétien contemporain, grand promoteur du syncrétisme :
Christ, le logos a toujours été à l’œuvre partout, non seulement lors de la création des cieux et de la terre, mais également lorsque les rishis indiens composèrent et mirent par écrit les sruti (les écrits sacrés). […] Dieu est à l’œuvre dans toutes les religions : le christianisme n’annonce pas un nouveau Dieu, mais les merveilles de Dieu dont le Mystère de Christ caché en Dieu est l’alpha et l’oméga. […]
Christ peut être actif et à l’œuvre dans l’être humain qui reçoit un sacrement quelconque ; qu’il soit chrétien ou non. Un bon hindou religieux, de même qu’un bon chrétien sont sauvé par Christ – pas par l’hindouisme ou le christianisme, mais par leur sacrement, ultimement, par l’action mystérieuse qui agit à l’intérieur de ces deux religions. Reconnaître la présence de Dieu dans les autres religions est équivalent à proclamer la présence de Christ en elles. Car ce que Dieu fait vers l’extérieur arrive par Christ et en lui toutes choses subsistent (Col. 1:15).
Je parle de la Réalité inconnue, que les chrétiens nomment Christ, découvert dans le cœur de l’hindouisme, non comme un étranger, mais comme son principe même de Vie, comme la lumière qui illumine chaque homme qui entre dans ce monde[44]
Vinoth Ramachandra, apologète évangélique traditionnel du Sri Lanqua :
Dans la tradition chrétienne, Jésus-Christ est incompréhensible sans la trinité. Un Dieu non trinitaire ne peut pas s’incarner. Un Christ non trinitaire ne peut pas être pleinement divin et pleinement humain. Panikkar reconnaît et partage le personnalisme théologique des religions sémites pour autant qu’il puisse fusionner avec une vision purement indienne de la non-dualité dans laquelle Dieu, l’homme et le monde constituent un seul être, maintenant et dépassant tout à la fois la distinction courante entre l’immanence et la transcendance. L’homme est, dans cette perspective, un être théocosmanthropique dans lequel l’homme et le monde sont aussi nécessaire à Dieu que Dieu l’est à l’homme et au monde. Il n’y a plus de rencontre entre Dieu et l’homme, mais leur union.
Dans son ouvrage La trinité et l’expérience religieuse de l’humanité, Panikkar pose la question : « Peut-on concevoir une spiritualité authentique dans laquelle Dieu ne devient pas personnel à l’homme, et dans laquelle son commandement n’est pas l’ultime de toute perfection ? » Il trouve une réponse dans l’hindouisme advaitique : les Upanishads nous indiquent une attitude religieuse « qui n’est pas fondée sur la foi en un Dieu personnel, ou un Dieu-Volonté-Souveraine, mais en une expérience supra-rationnelle d’une réalité qui, d’une certaine manière, nous aspire en elle-même .
Le Dieu des Upanishads ne parle pas : il n’est pas Parole. Il inspire, il est esprit. Dans le schéma personnaliste, Dieu est Quelqu’un. Il est une personne qui appelle à lui une autre personne. Celle-ci est rencontrée, pour ainsi dire, face à face, et est capable, ou bien de répondre par l’amour à l’amour d’un autre ou de le refuser.
Dans le schéma des Upanishads, la place principale n’est accordée ni à l’appel – réponse, ni à l’acceptation – refus. Les catégories fondamentales sont ici la connaissance et l’ignorance. L’Absolu est découvert dans sa propre réalisation, c’est-à-dire dans l’expérience par laquelle on l’atteint. Cette rencontre ne se situe pas au niveau du dialogue. On le dépasse[45] ».
Les voies non chrétiennes mènent toutes à une impasse. Le Père Henry van Straelen, missionnaire pendant 40 ans au Japon, l’exprime admirablement dans son ouvrage : Ouverture à l’autre, laquelle ?
On observe en Inde une profonde aspiration vers l’absolu et la perfection, qui n’est cependant jamais comblée. Comme si c’était un mirage, des apparitions surviennent et disparaissent aussitôt. La parole que nous voudrions entendre n’est pas prononcée. La vision que nous voudrions saisir et retenir s’échappe et disparaît. Le désir qui traverse l’Inde entière est comme un frémissement de douleur.
Ce peuple et ce pays, marqués par la grandeur et la noblesse, ont une seule vision : la dernière réalité est de nature spirituelle. C’est là une vérité profonde. On s’attendrait à ce qu’en sorte une communication intime avec Dieu, mais les plus profonds penseurs de l’Inde négligent cette communion pour tendre vers une complète identité de l’humain et du divin. A cause de cela précisément, ils ne parviennent à atteindre aucun des deux et ils finissent le plus souvent dans une sorte de bégaiement spirituel. Il nous arrive d’être enclins à penser qu’ils peuvent nous donner cette parole gorgée d’expérience spirituelle, que nous attendons ardemment. Mais nous ne la recevons pas. Ils ont compris qu’en cette vie tout travail demande à être divisé et réparti et ainsi sont nées les castes : les chefs spirituels (brahamanes) ; les protecteurs (kshatryas) ; les marchands (vasiyas) et les ouvriers (shoudras). En vérité, ce système, au plan social et économique, a accablé un grand peuple de misère et d’horreur, au lieu de lui apporter la justice.
Bouddha également était sur le point de voir une nouvelle lumière. Il comprit que le désir est la racine de notre souffrance et il y a là, de fait, une profonde vérité[46]. Mais il n’a pas su entrevoir que le désir peut être sublimé en une aspiration plus élevée, à savoir, faire ce que l’amour de Dieu ordonne de manière à ce que s’ouvre la porte vers la vraie vie éternelle. Bouddha n’a vu qu’en négatif : il faut tuer le désir, car alors s’ouvrira la porte qui donne sur le rien. La lumière devient ténèbres. L’expérience a enseigné aux missionnaires combien sont épaisses ces ténèbres, en Asie, encore de nos jours.
En réalité, le bouddhisme est plus un ensemble de normes éthiques qu’une religion. Il ne connaît pas un Dieu personnel, ni un Être suprême. Il ne connaît pas de puissances surnaturelles, qui exercent une influence sur l’homme. Sans doute, dans le bouddhisme, on ne se prive pas de prier, mais sans s’adresser à une puissance déterminée. La prière en effet n’est qu’un exercice en vue de purifier l’esprit. Sous cet angle, on peut tenir que le bouddhisme est athée. Bouddha a mis à l’écart les problèmes philosophiques les plus importants comme la finitude ou le caractère infini du monde, sous prétexte que ce sont là des spéculations stériles[47].
Une nouvelle appellation a enrichi le vocabulaire du christianisme libéral : celui de chrétien anonyme. Les promoteurs et les partisans de la théorie des chrétiens anonymes déclarent que les adeptes des autres religions sont déjà, par la pratique de ces religions, des chrétiens sans le savoir. H. van Straelen rapporte qu’un missionnaire rentré en Europe après 40 ans d’absence s’exclamait : « Il y en a qui disent que l’Asie et l’Afrique sont remplis de chrétiens anonymes, je dirai que l’Europe est pleine de païens anonymes qui s’ignorent ».
Vinoth Ramatsandra, dans l’excellent ouvrage cité plus haut, The Recovery of Mission (Récupérer la mission), nous montre à travers les écrits de trois théologiens contemporains que ce qui nous préoccupe constitue actuellement un courant de pensée important.
Qu’il s’agisse de l’Asie ou du monde gréco-romain, le problème que posait le pluralisme religieux a été reconnu depuis les débuts de l’ère missionnaire. En Asie, les théologiens chrétiens se sont attelés depuis longtemps à la recherche de la meilleure manière de communiquer le Christ aux personnes d’autres religions. Cependant, dans la situation actuelle, nous pouvons observer un phénomène nouveau : un nombre important de théologiens et de chefs d’Églises chrétiens, non seulement reconnaissent l’existence d’un pluralisme religieux comme fait social, mais actuellement ils cherchent à comprendre le rapport théologique du christianisme avec les autres religions.
Ainsi, les éditeurs du livre The Myth of Christian Uniqueness (Le mythe d’un christianisme unique), qui fut l’objet d’une grande publicité, expriment leur conviction que l’adoption du modèle pluraliste constitue aujourd’hui un tournant capital. C’est ce qu’on pourrait appeler un changement de paradigme par rapport aux tentatives, tant passées que présentes, de la théologie chrétienne, pour comprendre le monde des autres religions et la place qu’y détient le christianisme. (The Myth of Christian Uniqueness, S.C.M. Press, 1987, p. vii, édité par J. Hick et P. Knitter)
Dans un ouvrage publié deux ans plus tôt, l’un de ces éditeurs, l’Américain Paul Knitter, proposait le modèle d’un pluralisme unique, affirmant que les religions du monde, dans toutes leurs différences étonnantes, étaient plus complémentaires que contradictoires. Il établissait ainsi un nouveau but et une nouvelle inspiration pour le travail missionnaire afin que puisse se développer le processus d’enrichissement réciproque entre les hommes de toute religion ou d’aucune.
Le succès d’une telle entreprise se mesurerait par le fait que les chrétiens deviendraient de meilleurs chrétiens et les bouddhistes, de meilleurs bouddhistes.
C’est dans ce sens à la fois normatif et programmatique que le mot pluralisme en est venu à être compris dans la discussion chrétienne contemporaine[48].
C’est bien ce que nous constatons en écoutant les conférences ou en lisant les écrits de S. Keshavjee.
Une autre réponse que celle proposée par S. Keshavjee
Le cardinal Daniélou
Est-ce que le christianisme est vraiment quelque chose de différent de ce que sont les autres grandes religions du monde : l’hindouisme, l’Islam, les grandes religions de la Grèce antique ? Est-ce que le christianisme est simplement la religion du monde occidental ? Est-ce que l’hindouisme, le bouddhisme et l’Islam ne nous offrent pas des formes religieuses tout aussi valables ? Est-ce que, dans cette perspective, ce n’est pas une sorte d’intolérance insupportable que la prétention des chrétiens de vouloir, dit-on, imposer leur religion aux autres ? Est-ce qu’il n’y a pas dans l’apostolat missionnaire quelque chose qui relèverait d’une sorte de méconnaissance de la valeur des autres religions ?… N’a-t-on pas aujourd’hui tendance à une sorte de majoration des religions païennes, allant même jusqu’à leur donner la même valeur qu’à la Révélation ?
Toutes les grandes religions sont des expressions du génie religieux de l’homme ; elles représentent un aspect impérissable du patrimoine religieux de l’humanité… Mais ces religions sont aussi des créations de l’homme. Je veux dire par là qu’elles ne sont pas des religions qui ont été révélées directement par Dieu… Il est vrai qu’il y a toujours dans toutes les religions païennes de l’idolâtrie… L’idolâtrie, c’est traiter comme divin ce qui n’est qu’une créature… Il y a sur le plan de la mystique, c’est-à-dire de ce qui constitue la recherche intérieure de la communion avec l’absolu, toutes les déformations d’un certain panthéisme, pour qui il ne s’agit que de se perdre et se dissoudre dans un absolu impersonnel ; ce que nous trouvons souvent dans des religions comme celles de l’Inde, sans jamais aboutir à une rencontre avec le Dieu vivant… En plus, il y a toujours chez elles un certain nombre de déformations ou de déviations…
Une chose est certaine : c’est que la Révélation biblique et chrétienne n’est pas une religion parmi les religions. Nous devons protester fermement contre l’idée qui ferait du christianisme la religion de l’Occident de même que l’hindouisme serait la religion de l’Inde, l’Islam la religion du monde arabe et les religions africaines celles du monde africain. C’est là une totale déformation de la réalité des choses. Sans doute les religions sont-elles toujours les religions d’une race, car elles sont l’expression du génie religieux d’un peuple : et c’est pourquoi il est absurde de changer de religion. Mais la Révélation n’est à aucun degré l’expression du génie religieux d’un peuple : elle est essentiellement quelque chose qui ne vient pas de l’homme, mais qui vient de Dieu ; et il est parfaitement normal de passer de la religion à la Révélation. Ce sont deux problèmes absolument différents, parce qu’à ce moment-là on change d’ordre. Il est absurde de passer du paganisme indien au paganisme africain, parce que ce sont des choses du même ordre et qu’il vaut mieux s’en tenir à ce qui correspond à la tradition de sa propre race.
Mais le christianisme est quelque chose qui est totalement libre à l’égard de toutes les cultures et de toutes les races. C’est une Parole qui est annoncée à tous les hommes, de toutes les religions, comme une intervention divine ayant un caractère universel et qui concerne la totalité des hommes. Vinoth Ramachandra : The Recovery of Mission, Paternoster Press, 1996, p. IX)[49].
Henry van Straelen
Nous citerons plusieurs textes tirés d’ouvrages du Père Henry van Straelen, auteur de plusieurs livres remarquables réfutant en détail des thèses similaires à celles de S. Keshavjee.
Une remarque préliminaire, il ne faudrait pas considérer les écrits du père Henry van Straelen comme représentant la pensée dominante de l’Église catholique romaine. Voici d’ailleurs quelques extraits de la revue des jésuites romains, La Civilta Catolica, considérée comme le porte-parole de la Secrétairerie d’État du Vatican, qui rejoignent certains des propos de S. Keshavjee :
Les traditions religieuses non chrétiennes sont des voies extraordinaires de salut en raison des éléments qui s’y trouvent pouvant être le fruit de la présence en elles du Saint-Esprit. (7 octobre 1995)
Sur les livres religieux non chrétiens, tel que le Coran, nous y lisons :
On peut retenir qu’écrits par des hommes profondément religieux, non sans une influence particulière du Saint-Esprit, ils contiennent par conséquent, dans une certaine mesure, une révélation divine. (21 octobre 1994)[50].
Revenons à Henry van Straelen. Voici comment nous est présenté cet éminent apologète catholique :
Henry van Straelen est un missionnaire hollandais de la Société du Verbe Divin. Son port d’attache est, au Japon, l’Université Nanzan de Nagoya, où il a enseigné, pendant plus d’un quart de siècle, la philosophie moderne et la science des religions comparées, en langue japonaise qu’il maîtrise parfaitement comme cinq ou six autres langues. Ce polyglotte voyage beaucoup, mais pas n’importe où. Là où il faut se battre. Car le Père van Straelen est un homme engagé : la rectitude de sa foi l’oblige à démasquer tout ce que sa compétence découvre d’imposture, d’erreur, d’illusions.
Parmi les illusions qui l’indignent à cause de leur source, quelques-unes touchent profondément à sa vocation missionnaire enracinée en Extrême-Orient, au Japon, et à la vocation missionnaire universelle du christianisme…[51].
Henri van Straelen, dans son ouvrage Le Zen démystifié, cite un excellent indologue, le Professeur Dr Paul Hacker mort en 1979, qui le 26 octobre 1978 tint à Munich une remarquable conférence dont nous reproduisons un extrait :
Le terme dialogue s’est chargé, ces quinze dernières années, d’une étrange puissance magique. Aux Indes, le dialogue se nimbe d’une aura toute spéciale, on pourrait dire d’un sens magique renforcé. Ce dialogue se passe entre chrétiens, c’est-à-dire entre catholiques, auxquels sont invités à se joindre des adhérents d’autres confessions chrétiennes, d’un côté, et de l’autre côté des non-chrétiens, principalement des hindous. Le but de tels colloques n’est nullement celui qui reviendrait de droit en pays de mission, à savoir que le chrétien expose au non-chrétien la vérité de la foi chrétienne et la signification de l’activité caritative chrétienne en vue de la conversion. Au contraire, une telle tentative serait énergiquement écartée comme étant du prosélytisme. Ce qui est souhaité, c’est que non-chrétiens et chrétiens échangent au cours de l’entretien leurs expériences spirituelles. Telle est aujourd’hui en Inde la signification spécifique du terme dialogue. Les jugements de valeur sont exclus : les concepts de vrai et de faux sont expressément écartés. On se flatte, par là, (des deux côtés) d’être utile et de progresser au plan spirituel. En conséquence, se trouvent en fait éliminés les fondements spirituels de la mission ou de l’activité missionnaire, tant par les théologiens que par l’autorité officielle. J’insiste : officiellement ; car ce sont des évêques, conseillés naturellement par des théologiens européens, qui expriment de telles opinions approuvées dans les communautés de la Conférence épiscopale. (Ceci n’est pas le cas au Japon, van Straelen.). Le Christianisme aux Indes se doit de vivre en coexistence avec l’hindouisme et, au sein de cette coexistence, se distinguer par son action caritative sociale et son engagement pour la libération politique[52].
Van Straelen continue :
Vers la fin de l’été de 1971, un missionnaire en Inde, alors de passage en Allemagne de l’Ouest, vint rendre visite au Professeur Paul Hacker et lui demanda s’il serait prêt à donner une conférence dans un congrès international de théologiens, à Nagpur, en Inde. Ses vues étaient connues en Inde et on attendait un soutien moral d’une telle conférence. Car entre temps la situation avait empiré au point que, si un Hindou se présentait à une station de mission et exprimait sa volonté de se faire chrétien, il s’entendait répondre par le prêtre : « Il ne saurait en être question ! Vous resterez dans la religion qui est la vôtre, car c’est celle de votre société, et vous y obtiendrez le salut. [53]
C’est ici qu’il est utile d’entendre Alain Besançon sur la différence entre vrai et faux dialogue :
Le « dialogue » est ce qu’il y a de plus destructeur. Je ne parle pas du dialogue dans lequel on recherche la vérité, mais de celui qui consiste à s’aplatir devant la parole d’autrui sans lui opposer quelque chose de solide parce qu’on a peur d’avoir des ennemis.
La terreur d’avoir des ennemis, croire qu’il est mal en soi d’en avoir est une habitude extrêmement dangereuse par sa lâcheté, et, surtout, parce qu’elle nous introduit dans un monde qui n’est pas le monde réel. Quand le Christ nous demande d’aimer nos ennemis, cela signifie d’abord qu’on a des ennemis. Si on nie d’avance qu’on a des ennemis, on se fera écraser sans même oser les nommer.
Sur la conduite à tenir à l’égard de l’ennemi, là encore, il y a une théologie classique, qui nous dit qu’on ne peut pas aimer l’ennemi en tant qu’ennemi, mais en tant qu’il partage avec nous une nature humaine créée par Dieu [54].
Rappelons la Thèse Nº 9 de S. Keshavjee où il affirme que le dialogue et l’œcuménisme sont « des grâces pour que nous devenions chrétiens d’une manière plus profonde et plus riche ». Ce genre de dialogue n’est-il pas plutôt un fléau pour les non-chrétiens puisqu’il entraîne une capitulation par rapport à la tâche missionnaire, qui consiste à les amener à la lumière du Christ ? D’autre part, si le dialogue et l’œcuménisme sont des grâces qui nous sont offertes pour devenir chrétien d’une manière plus profonde et plus riche, comment comprendre que ces mêmes grâces enfoncent les non-chrétiens dans leur paganisme ?
Van Straelen continue :
Le Père Y. Raguin, S.J., missionnaire expérimenté et sinologue compétent, écrivait il y a quinze ans ce qui suit : « Le grand problème que posent ces religions, c’est précisément le rapport de la vérité qu’elles contiennent à la vérité révélée. En effet, c’est souvent la part de vérité qu’elles contiennent qui semble les rendre incapables d’accueillir la vérité totale. Ceci cessera de paraître paradoxal, si l’on songe que la religion qui était destinée à préparer le christianisme (le judaïsme) a été son premier obstacle. L’Islam qui en est si près lui semble plus foncièrement opposé que beaucoup d’autres religions. Ces fameuses pierres d’attente dont on parle tant peuvent devenir, dans les religions les plus évoluées, des obstacles presque insurmontables. Les religions dites primitives fournissent au contraire un terrain facile à la prédication chrétienne. Elles sont assez naturelles pour ne pas fournir d’obstacles réels au christianisme qui est resté malgré certaines apparences une religion très humaine et je dirais très naturelle. […]
C’est faire preuve d’un bel esprit œcuménique que de dire de l’Inde qu’elle est le pays le plus religieux du monde. Mais est-ce cette manière d’être religieux que Dieu a voulu pour le monde en y envoyant son Fils ? Il est bien certain qu’à prendre pour définition du parfait esprit religieux ce qui caractérise l’Inde, on risque de devoir reconnaître que le Christ ne nous a enseigné qu’une religion imparfaite trop mêlée d’humain… et l’Incarnation devient un compromis. [55]
Conclusion : la vraie conversion selon l’Ancien et le Nouveau Testament
Sur l’enseignement de l’Ancien Testament van Straelen écrit :
L’histoire d’Israël est l’histoire d’une lutte séculaire contre les dangers provenant des religions de son milieu culturel : les maux qui accablaient Israël étaient, selon les auteurs sacrés, la conséquence de l’infidélité du peuple envers Yahvé. En effet, Yahvé seul est Dieu, mais les dieux des païens « ne sont rien, néant que leurs œuvres, du vent et du vide leurs statues » (Isaïe 41:29). Une deuxième raison de l’interdiction totale de participer aux pratiques religieuses des autres peuples était l’immoralité liée à celles-ci. « Lorsque tu seras entré dans le pays que Yahvé ton Dieu te donne, tu n’apprendras pas à commettre les mêmes abominations que ces nations-là (Deut. 18:9).
Mais cette opposition au paganisme ne relève-t-elle pas surtout d’une condamnation de pratiques immorales, sans concerner une religion qui éviterait des excès ? Certains auteurs appellent Abel, Melchisédech, Lot, la reine de Saba, etc. les saints de l’Ancien Testament et estiment que l’alliance, que Dieu a conclue avec Noé et tous les êtres vivants, est une légitimation de certaines religions (Genèse 9 : 9-10). Mais ces conclusions ne tiennent pas ; d’une part on ne peut pas conclure de la noblesse de certaines personnes à la valeur de la religion de leur milieu culturel, et, d’autre part, l’alliance conclue avec Noé ne concerne pas le salut, car elle s’adresse aussi aux animaux, mais elle est une promesse divine de veiller désormais sur les êtres vivants.
L’Ancien Testament ne dit rien à propos des soi-disant religions élevées, mais des textes comme Genèse 6:5 et 11:4 semblent indiquer que l’humanité se détourne facilement de Dieu, quand elle fait des progrès culturels. Ceux qui étaient capables de scruter l’univers, mais qui n’ont pas découvert le Créateur, sont impardonnables (Sagesse 12:8). Les hommes ne trouveront le salut que quand ils ne regarderont plus vers les autels, ouvrages de leurs mains, mais vers leur Créateur et vers le Saint d’Israël (Isaïe 17:7). »
Il évoque ensuite l’enseignement du Nouveau Testament :
Dans le Nouveau Testament, il y a une autre perspective : les païens ne sont plus quelque chose de marginal, mais l’histoire du salut les concerne directement : Dieu a envoyé son Fils pour sauver le monde (Jean 3:16). Pourtant, le portrait que les Évangiles dessinent des païens n’est pas très positif : « Dans vos prières, nous dit Jésus, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s’imaginent qu’en parlant beaucoup, ils se feront mieux écouter » (Matthieu 6:7). D’ailleurs, ils cherchent les choses de ce monde (Mat. 6:32). Jésus envoie ses apôtres prêcher et baptiser (Mat. 28:19). Les païens doivent donc se convertir.
Voici pour conclure une magnifique description que donne van Straelen de ce qu’est une réelle conversion selon la Bible, un changement de direction et de pensée :
Le Nouveau Testament utilise de nombreux mots clefs pour décrire la progression du pèlerinage de l’humanité vers Dieu. Dans la prédication de Jésus, la metanoia occupe une place centrale. Son message met l’homme devant une décision à prendre. Le terme metanoia est si riche de contenu qu’il ne suffit à vrai dire pas d’un seul mot français pour le rendre. Il signifie tour à tour et tout à la fois pénitence, renouvellement de l’esprit, contrition et conversion. Le total changement d’orientation de l’esprit concerne le passage d’un monde sans rédemption à un monde rempli de béatitude et de salut en Jésus-Christ. C’est à cela que Dieu peut appeler l’homme. Ceci implique cependant une totale conversion de vie et un changement complet de l’esprit et du cœur. Un homme qui réalise cette metanoia a changé l’axe de son existence. Il n’est plus satisfait de lui-même et il ne se suffit plus. Même si extérieurement sa vie quotidienne n’a pas beaucoup changé, c’est en réalité toute la perspective dans laquelle elle est vécue qui est devenue autre. Tout se passe comme si tous les décors avaient été déplacés. Sa vie a revêtu un autre sens et est enveloppée par une lueur éclatante qui désormais le conduira. C’est ce qu’exprime clairement l’exclamation des juifs convertis à Jérusalem, lorsqu’ils apprennent le baptême de Corneille : « En entendant cela, ils se tinrent tranquilles et ils glorifièrent Dieu en disant : Ainsi donc, aux païens aussi Dieu a donné la conversion (metanoia) qui mène à la vie » (Actes 11:18). Paul résume son service de l’Évangile, en réponse à Agrippa, en ces mots : « Aux gens de Damas d’abord, puis à Jérusalem, ensuite par tout le pays de Judée et enfin aux païens, j’ai annoncé qu’il fallait se repentir et se tourner vers Dieu et avoir une conduite digne de repentir (conversion) » (Actes 26:20). Ainsi la prédication de Jésus et celle des apôtres mettent l’homme devant une décision à prendre. Le salut qui est proposé à l’homme suppose qu’il y a chez lui une conscience de son état de délaissement, et d’impuissance, qui lui permet précisément d’accepter ce salut. Le mot vocation suppose aussi une pareille conscience. Le verbe kalein évoque un appel et demande à celui qui est appelé de se livrer sans réserve à quelque chose de neuf. C’est avec l’engagement de toute sa personne qu’il doit donner une réponse. Il est en effet transporté des ténèbres vers la lumière. Il cesse de vivre dans l’ombre de la mort pour respirer la lumière étincelante du matin. Cet appel ne vient pas jusqu’à l’homme parce qu’il le mérite, mais parce que Dieu, dans son élection l’appelle, lui précisément et nommément. Et ce n’est pas assez de dire qu’à cet appel ou à cette vocation est attaché l’immense privilège du salut et de la grâce ; il renferme également le jugement. Le choix personnel de l’homme en même temps que son individualité sont d’une importance vitale dans cet appel au salut. […]
Celui qui sait qu’il est appelé a le sentiment d’avoir reçu une grâce qu’il n’a pas méritée. Il se sait maintenant indépendant et détaché de tout ce qui est de ce monde (II Cor. 1:1) et l’espérance de cet homme n’est pas fondée sur ce qu’il peut faire de lui-même, par ses propres ressources (Col. 1:27 ; I Tim. 1:12-17). L’obéissance à l’appel de Dieu a pour conséquence que l’homme devient en quelque sorte un étranger dans son propre milieu. Il est très significatif que, pour qualifier cette situation, il est fait usage dans le Nouveau Testament du mot hagios, généralement traduit par saint, alors que sa signification primitive est autre. Dieu est l’Autre. Le temple est saint, parce qu’il diffère de tous les bâtiments profanes. Le sabbat est saint, parce qu’il est un jour autre que les autres jours de la semaine. Dans son grand ouvrage consacré au sacré, Rudolf Otto est parti du mot hébreu kadosj pour mettre nettement en lumière cet être autrement. Et si le chrétien est appelé saint, c’est pour désigner son être autrement. C’est en ce sens qu’il faut comprendre entre autres Phil. 1:1 (à tous les saints) et I Pierre 1:15-17 (le saint peuple de Dieu).
Ceci dit, on doit bien admettre que quelque chose de ce processus de conversion se déroule implicitement, lorsque Dieu accorde sa grâce à des païens, qui vivent dans une culture et dans une religion non chrétiennes.
Le salut peut difficilement s’accomplir pleinement, si l’intéressé ne prend pas ses distances vis-à-vis de son passé et s’il n’est pas conscient d’une réalité transsubjective et surnaturelle, dont il lui est fait don et qu’il doit s’approprier par la décision personnelle de croire. La façon dont la rédemption et le salut sont donnés, telle qu’elle est décrite dans la Bible, ne pourra jamais devenir réalité, si le non-chrétien en reste au niveau de sa religion indigène. Il doit s’en défaire et s’en détacher. L’exigence d’une rupture avec le passé est souvent inhérente à l’appel à la conversion et au don de la grâce du salut. Ceci vaut certainement pour le travail missionnaire au Japon, en Chine, en Inde ou en Corée. Les chrétiens japonais exemplaires ont toujours su, comme intuitivement, que la conversion implique pour eux le devoir d’abjurer de nombreux aspects de la vie japonaise non chrétienne. Partout dans le monde, les missionnaires peuvent attester cette rupture avec le passé, ce passage obligé des ténèbres vers la lumière, à l’occasion d’une conversion à la foi chrétienne, parce que souvent il s’agit alors de bien davantage que d’un changement de religion seulement. Les convertis ne vivent plus au même niveau qu’avant. Par la foi dans le Christ et la communion avec Lui, la vie du Christ en eux devient une réalité. On peut exprimer ce renouvellement de vie par le mot régénération. L’apôtre Paul en est un exemple. Le Christ est venu à lui et il s’est laissé faire violence par Lui. Plus tard il parlera, avec plus d’intériorité, de vie dans le Christ. Mais le couronnement de cette nouvelle vie est exprimé par ces mots : « Et cependant je vis, mais non plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Gal. 2:20)[56].
[…] Pour peu qu’on se donne la peine d’examiner de plus près la conception biblique au sujet des autres religions, dans les épîtres de Paul, il n’est question en aucun endroit d’un compromis en ce qui concerne son attitude à l’endroit de ces religions. Jamais il ne considérera les faux dieux et les idoles comme des symboles, par lesquels l’esprit d’adoration accède au culte purement spirituel du seul et vrai Dieu. Et pour ce qui est du culte des idoles de nos jours, il se rallierait sans aucun doute au point de vue d’un des plus grands réformateurs de l’Inde actuelle. Nous pensons ici aux propos de Ram Mohum Roy :
« J’ai observé que, à la fois dans leurs écrits comme dans leurs discours, beaucoup d’Européens veulent atténuer et amollir les caractéristiques de l’idolâtrie de l’Inde. Ils ont tendance à dire que tous les objets du culte sont considérés par ceux qui le pratiquent comme des représentations de la Déité suprême. Mais la vérité est que l’Hindou actuel n’a pas les mêmes idées sur ce sujet, il croit fermement en l’existence réelle d’innombrables dieux et déesses qui ont chacun, dans leur propre champ d’action, de pleins pouvoirs indépendants : et pour se les concilier, eux, et non le vrai Dieu, ils leur ont érigé des temples et y font toutes sortes de cérémonies. »
L’apôtre Paul écrivait aux chrétiens de Corinthe : « C’est pourquoi, mes bien-aimés, fuyez l’idolâtrie […] Vous ne pouvez boire la coupe du Seigneur et la coupe des démons ; vous ne pouvez participer à la table du Seigneur et à la table des démons » (I Cor. 10:14, 21). « Vous le savez : lorsque vous étiez païens, vous vous laissiez entraîner irrésistiblement vers les idoles muettes » (I Cor. 12:2). « Donc, pour ce qui est de manger des viandes immolées aux idoles, nous savons qu’une idole n’est rien dans le monde et qu’il n’y a de Dieu que l’Unique » (I Cor. 8:4).
Paul était convaincu que l’idolâtrie ou les religions de son temps n’offraient aucune issue à l’homme. Les Éphésiens étaient sans espérance et étaient devenus étrangers à la vie de Dieu, jusqu’à ce qu’ils eurent trouvé la vie en Jésus-Christ (Eph. 2:12 ; 4:18). Et nous lisons dans le livre de l’Apocalypse (2:13) : « Je sais où tu habites, là où est le trône de Satan. » Jean pense au temple d’Auguste et de Roma à Pergame. Nous inclinerions peut-être à reconnaître encore une certaine valeur au culte célébré dans ces temples, mais Jean n’y voyait que des influences sataniques[57].
[…] Le point de vue généralement adopté dans la conception traditionnelle de la Mission et du travail missionnaire est que l’on doit connaître le vrai Dieu, si l’on veut qu’il soit question de Foi. Il trouve son fondement dans Hébr. 10:26 ; I Tim. 2:4 ; Gal. 4:8 et I Thess. 1:9. Même si l’on admettait qu’un début de connaissance implicite de Dieu peut déjà suffire, on aurait bien du mal à le trouver aussi bien dans l’hindouisme que dans le bouddhisme, précisément parce que le fondement de ces soi-disant religions s’y oppose. Qu’on se rappelle ce passage de l’Épître aux Romains :
« Mais comment peut-on l’invoquer sans d’abord croire en Lui ? Et comment croire en Lui, sans l’avoir d’abord entendu ? Et comment l’entendre, sans que personne ne Le proclame ? Et comment le proclamerait-on sans que l’on ait été envoyé ? Ainsi qu’il est écrit : Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la Bonne Nouvelle ! Mais tous n’ont pas obéi à l’Évangile. Déjà Isaïe le dit : « Seigneur, qui a cru à ce que nous avons fait entendre ? » Donc la Foi naît de la prédication et la prédication a lieu au nom du Christ. (Romains 10:14-18) »[58]
R.-M. et J.-M. Berthoud
Quelques ouvrages sur l’histoire des religions
Aaron R. Kayayan, Connaissance de l’Islam, Perspectives Réformées, 1994. Aaron R. Kayayan, Discerner les esprits : hindouisme, bouddhisme, judaïsme et brève introduction à la connaissance des sectes. Foi et Vie Réformées, 1997. Pour ceux qui lisent l’anglais nous recommandons très vivement l’ouvrage de W. J. Hanegraaff, New Age Religion and Western Culture, Brill, Leiden, 1996.
[1] Le Christ a dit : « Que votre parole soit oui, oui ; non, non ; ce que l’on rajoute vient du malin. » (Matthieu 5:37).
[2] D. T. Suzuki : An Introduction to Zen Buddhism, New York, 1949, p. 66, 68.
[3] William Barret (ed.), Zen Buddhism, Doubleday, New York, 1956, p. 169-170.
[4] Collectif, Des questions à vos réponses à propos du christianisme, P.B.U., Lausanne, 1990.
[5] Si des missionnaires ont failli dans leur tâche en voulant imposer le christianisme par la manipulation ou par la force, ceci n’était en aucun cas la volonté du Christ et le modèle biblique. Lorsque La Bonne Nouvelle est annoncée, c’est librement que les auditeurs acceptent ou refusent le message de repentance envers Dieu et de salut en Jésus-Christ.
[6] Hans Küng : Le christianisme et les religions du monde, Paris, Seuil, 1996, p. 364.
[7] Ibid., p. 187.
[8] Ibid., p. 425, 426, 427.
[9] Ibid., p. 606, 607.
[10] Hypotase : selon les théories à tendance gnostique de C.-A. Keller il s’agirait de personnifications divines sur un plan inférieur, des intermédiaires entre le Père et les humains. Selon le Vocabulaire technique et critique de la philosophie d’André Lalande, (p. 427), le mot hypostase, support, fondement, s’applique « aux trois personnes divines en tant qu’on les considère comme substantiellement distinctes. ». Il n’y a là aucune notion de subordination. Dans Hébreux 1:3 il est dit du Christ qu’il est la substance (hypostase) du Père, traduit dans Segond par l’empreinte de sa Personne, c’est-à-dire qu’il est de la même substance que le Père.
[11] C.-A. Keller, Le Dieu des chrétiens et les dieux des religions, dans Communication avec l’Ultime, p. 252, 253, 254.
[12] Ibid., p. 265-266.
[13] Dans Tolérer l’intolérance ?, dossier publié par Semailles et Moissons, périodique des Assemblées Évangéliques de Suisse Romande.
[14] Cf. la thèse no 7, Pour une théologie chrétienne des religions non chrétiens où S. Keshavjee va imprudemment au-delà de ce qui est écrit, I Cor. 4:6.
[15] Cf. ci-dessus.
[16] Ontologie : ce qui se rapporte à l’Être de Dieu, sa substance, ce qu’Il est, en et par Lui-même.
[17] Comme l’écrit R. J. Rushdoony dans son ouvrage classique, Les Fondements de l’Ordre social : « Toute hérésie dans l’Église, d’une manière ou d’une autre, a eu une tendance subordinationniste. » Foundations of Social Order. Studies in the Creeds and Councils of the Early Church, Presbyterian and Reformed, Philadelphia, 1968, p. 93. En revanche, il y a subordination volontaire du Fils dans l’économie de la rédemption (Jean 6:38-40 ; Phil. 2:5-11 ; Jean 17:18). Le Fils est l’envoyé du Père. Mais cette subordination laisse intacte l’égalité substantielle des trois Personnes divines. Quant à l’Esprit, il est l’envoyé du Père par le Fils (Jean 14:26 ; Jean 17:4 ; I Cor. 15:27-28).
[18] Voir à ce sujet Lumière sur les témoins de Jéhova de Christian Piette et Le Messie de la Bible de Robert Schrœder, Éditeurs de Littérature Biblique, Braine-L’Alleud.
[19] Dans, Tolérer l’intolérance ?
[20] En grec, hénotès = unité.
[21] Cf. C.-A. Keller qui se fait explicitement le défenseur du gnosticisme dans le christianisme ; voir Communication avec l’Ultime, p. 9, 251-252.
[22] I Cor. 12:3.
[23] Jean 16:8-9.
[24] Et vous n’avez pas reçu un esprit de servitude, pour être encore dans la crainte ; mais vous avez reçu un Esprit d’adoption, par lequel nous crions : Abba ! Père ! »
[25] Jean 15:23.
[26] Jean 1 ; Jean 8:30-44 ; Jean 4:22 ; I Thess 4:5
[27] Jean 16:1-4.
[28] I Jean 1:3-6.
[29] « Observe ses lois et ses commandements que je te prescris aujourd’hui, afin que tu sois heureux, toi et tes enfants après toi…» (Deut. 4:40). « Vous les observerez et vous les mettrez en pratique ; car ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples, qui entendront parler de toutes ces lois et qui diront : Cette grande nation est un peuple absolument sage et intelligent ! Quelle est, en effet, la grande nation qui ait des dieux aussi proches que l’Éternel, notre Dieu, l’est de nous toutes les fois que nous l’invoquons ? Et quelle est la grande nation qui ait des lois et des ordonnances justes, comme toute cette loi que je vous présente aujourd’hui ? » (Deut. 4:6-7).
[30] dans Tolérer l’intolérance ?
[31] Shafique Keshavjee, Mircea Eliade et la coïncidence des opposés ou l’existence en duel, Peter Lang, 1993 (Thèse de doctorat).
[32] Convergence ou coïncidence des opposés : catégorie de pensée qui cherche à réconcilier et unifier ce qui s’oppose (mort–vie ; bonheur–malheur ; jour–nuit ; amour–haine ; bien–mal).
[33] Shafique Keshavjee, Mircea Eliade et la coïncidence des opposés ou l’existence en duel, p. 385 et 447.
[34] Op. cit., p. 448. Voyez, Hans Küng, Une théologie pour le 3ᵉ millénaire, Seuil, 1987.
[35] I Chron. 16:25 ; Psaume 31:7 ; Ésaïe 42:8 ; Michée 5:12.
[36] « Car on raconte à notre sujet quel accès nous avons eu auprès de vous et comment vous vous êtes convertis à Dieu en abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et vrai » (I Thes. 1:9).
[37] II Cor. 6:14-17.
[38] Actes 17:25.
[39] Actes 14:17.
[40] Pour ne prendre qu’un exemple, voyez les 900 thèses publiées par Giovanni Pico della Mirandola à Rome en 1486. Elles avaient été tirées de toutes les philosophies et constituaient un programme de réconciliation syncrétiste des religions connues.
[41] Rabindranath Maharaj et Dave Hunt : La mort d’un guru, Ed. Farel, Paris, 1989, p. 232.
[42] Op. cit., p. 226.
[43] Op. cit., p. 230.
[44] Raimundo Panikkar dans The Unknown Christ of Hinduism (p. 168, 85, 86, 169), cité par Vinoth Ramachandra dans The Recovery of Mission, p. 79-80, Paternoster Press, London, 1996.
[45] Raimundo Panikkar dans The Trinity and the Religious Experience, cité par Vinoth Ranachandra, Op. cit., p. 87, 88.
[46] Le véritable problème de l’homme n’est pas celui du désir (bon ou mauvais), mais du péché qui peut animer tant ses pensées que ses désirs, pour enfin dévoyer sa volonté et le conduire à pécher et à enfreindre les commandements de Dieu.
[47] Henry van Straelen, Ouverture à l’autre, laquelle ? Beauchesne, Paris, 1982, p. 204-206.
[48] Vinoth Ramachandra : The Recovery of Mission, Paternoster Press, Carlisle, 1996, p. IX.
[49] Le Cardinal Daniélou, La Foi de toujours et l’homme d’aujourd’hui, Beauchesne, Paris, 1969, pp. 62, 63, 75, 76, 77. Cité dans Le zen démystifié par Henry van Straelen, p. 7-8.
[50] Textes cités par Claude Barthe dans son ouvrage Trouvera-t-il encore la foi sur la terre ?, Éditions François-Xavier Guibert, 1996.
[51] Tiré de la Préface du livre de Henry van Straelen, Ouverture à l’autre, laquelle ?, Beauchesne, Paris, 1982, p. 7.
[52] Henry van Straelen, Le Zen démystifié, Beauchesne, Paris, 1985, p. 215-216
[53] Ibid., p. 216.
[54] Famille chrétienne, No 981, 31 octobre 1996.
[55] Henry van Straelen, Ouverture à l’autre, laquelle ?, p. 211-212.
[56] Toutes ces citations proviennent de l’ouvrage de Henry van Straelen, Ouverture à l’autre, laquelle ?, pp. 195-199. Quelle admirable description ne trouvons-nous pas ici de ce que devrait être une véritable conversion à Dieu par Jésus-Christ. On aimerait bien entendre de tels sermons prêchés dans les Églises d’Europe, vu la quantité de « païens anonymes qui s’ignorent » qu’on y trouve et qui s’imaginent être chrétiens parce qu’ils ont été baptisés. Heureusement Dieu n’est pas dupe.
[57] Ibid., p. 200-201.
[58] Ibid., p. 206.