Grand Arbitre du Sort, ta crainte est mon partage ;
Sous ton aile en tout temps je trouve la santé :
J’en use sans abus, et ma tranquillité
Sur les enfants d’Orgueil me donne l’avantage.

Ta conduite m’assure au plus fort de l’orage.
Je t’invoque, et soudain j’éprouve ta bonté.
Si ta justice veut que je sois agité,
Je ne le suis jamais jusqu’à faire naufrage.

Un seul penser m’afflige, et je meurs quand je vois
Qu’un dévot hypocrite est lui-même sa loi,
Et te croit bien connaître en son erreur profonde.

Il jeûne, il veille, il prie, il n’est jamais las.
Mais la part qu’il prétend à la gloire du monde,
Me fait bien voir, Seigneur, qu’il ne te connaît pas.

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Je suis las de parler, et d’user de redites,
Pour tâcher de fléchir tous ces cœurs endurcis.
Ils ne m’écoutent point, ils ont d’autres soucis,
Ce ne sont que mondains, ce ne sont qu’hypocrites,

Traitons d’indifférence, et selon leurs mérites,
Ceux qui toujours errants ont peur d’être éclaircis.
Une vapeur d’enfer a leurs yeux obscurcis,
Et leur fatale nuit n’aura point de limites.

Le siècle a des appas dont ils sont enchantés.
Les biens et les honneurs font leurs félicités,
Et ta clarté, Seigneur, leur est inaccessible.

Qui a beau les presser de parole ou d’écrit,
Et l’humaine Raison, pour se rendre sensible,
Demande le secours de ton divin Esprit.

Jean Ogier de Gombauld (v. 1588-1666)

Tiré des Sonnets chrétiens (XIV et XXXV) recueillis dans Les Poésies de Gombauld, Chez Augustin Courbe, Paris, 1646. (Avec privilège du Roi.) Voyez de Lydie Morel, Jean Ogier de Gombauld. Sa vie, son Œuvre, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1910.