Lettre ouverte a Eugenio Corti

par | Résister et Construire - numéros 41-42

Cher Monsieur,

Comment vous dire ma grande reconnaissance, ainsi que celle de tous ceux auxquels j’ai pu recommander votre chef-d’œuvre, d’un art si pleinement chrétien, Le cheval rouge ? Je l’ai terminé en Toscane l’été passé où mon épouse et moi-même passions de belles vacances. Il me tenait compagnie avec la passionnante étude d’Augusto del Noce sur le problème de l’athéisme dont votre roman est, d’une certaine manière, le complément, la concrétisation charnellement imaginée.

Je ne connais pas d’autre roman auquel je pourrais comparer le vôtre, tant par la restauration que vous y accomplissez du caractère normal de la vision chrétienne de tous les aspects de la réalité (la sécularisation athée paraissant, par contraste, anormale, hors du réel, vide), que pour le regard inébranlable que vous dirigez sur la réalité du mal dont notre siècle de fer et de sang nous fournit (et il n’a pas encore pris fin !) un témoignage inégalé.

Comment assez vous dire merci pour tout le bien que vous m’avez procuré, à moi et à mes enfants, à travers votre livre à la fois si beau et si vrai. Votre roman a confirmé de manière éclatante pour eux ce que nous avions toujours, mon épouse et moi-même, cherché à leur démontrer par notre foi, par une pensée qui se voulait en conformité avec les normes de la Sainte Écriture et par une vie de famille et un combat dans la cité qui cherchaient, dans une lutte quotidienne contre le mal en nous et autour de nous, à leur manifester la réalité présente du règne de Jésus-Christ. Ce règne, qui constitue comme la trame de votre livre, se déploie à travers la bonté de la création et se montre à nous dans les soins infinis que prodigue la Providence divine à ceux qui veulent bien se confier en Elle qui veille, comme vous le montrez si admirablement, sur chacun de nos instants. C’est l’œuvre du Pantocrator, de Jésus-Christ, Créateur, Providence et Rédempteur.

Car il me faut le dire. Votre livre a pour personnage principal le Dieu du Christianisme. Et c’est en cela qu’il possède une originalité qui ne nous permet de le comparer à aucun autre. Chez Tolstoï, par exemple, (ce fut, en vous lisant, ma première comparaison), nous voyons l’évocation des réalités chrétiennes comme étant normales, dans une société anormale, corrompue par le péché. Ceci, nous le retrouvons, de manière parfois indirecte, parfois explicite, mais jamais non imaginée, non concrétisée, à chaque page de votre livre. Mais chez Tolstoï, qui est croyant par nostalgie et par héritage plus que par une foi active personnelle, nous ne trouvons pas cette paisible assurance, qui se découvre au tournant de chaque page de votre roman Le cheval rouge. En vous lisant, on voit bien que cette manière chrétienne de voir la réalité est la seule véritable ; tout le reste n’est qu’illusion et brouillard de mensonge. Dans le livre du prophète Ésaïe, le voyant inspiré nous révèle la gloire de Dieu remplissant la terre tout entière. Vous nous montrez dans votre livre, même dans ses moments les plus sombres, les plus douloureux et les plus terribles, que notre monde, avec ses perversions les plus horrifiantes, ne pourra jamais écarter entièrement la lumière et la gloire de la sagesse et de la bonté divines. Ce qui m’étonne, c’est que jamais sous votre plume nous ne trouvons la moindre complaisance, ni envers le bien, ni pour le mal. Ici il faut le dire : votre regard est plus impitoyable, que tout autre. Il ne cède devant rien. Il révèle des profondeurs du mal que même un Soljénitsyne n’a pas osé regarder en face. Mais vous ne vous attardez sur rien, ni par sentiment, ni par horreur. Vous ne faites que regarder avec attention, jugement et bonté, la vie des hommes et de la création, à la lumière de Dieu, et dire les choses que vous voyez de manière si juste qu’elles en deviennent pour votre lecteur évidentes. Elles paraissent ainsi au lecteur bienveillant tout naturellement vraies. Elles deviennent pour lui simplement incontestables.

Pour moi, il ne peut y avoir de doute. Sur le plan de la création artistique, ce siècle sera marque par Le cheval rouge comme d’un signe surnaturel provenant de Dieu. Ce signe nous indique, qu’au travers des jugements terribles que le Souverain Maître de toutes choses déploie justement sur un monde qui, en Le rejetant, se perd dans un enfer déjà tangible ici-bas, Il ne nous a pas oublié et continue son œuvre de reconstruction, de vie et de joie céleste. Comme c’est étrange de voir à quel point votre livre nous ouvre des vues pleinement terrestres tant sur le ciel, que sur l’enfer !

Votre ouvrage a été reconnu par certains de vos lecteurs français (étant eux-mêmes catholiques romains) comme étant un magnifique roman catholique. Je le veux bien, si l’on accorde au mot de catholique son sens premier : celui de tout, intégral, n’écartant rien et n’ajoutant rien à la vérité chrétienne révélée. Mais, dans un autre sens, votre livre est certainement bien plus qu’un livre catholique romain, expression qui ne représenterait qu’un aspect, un fragment de la vérité chrétienne complète, elle seule véritablement catholique. Votre volonté de parvenir à une vérité entière, dans l’imagination la plus concrète des personnages et des événements apocalyptiques dont vous évoquez l’existence devant nos yeux effrayés, touchés et éblouis, conduit à un degré d’universalité concrète (n’est-ce pas là une manière indirecte d’évoquer le reflet que jette la sainte Trinité dans ses créatures ?), qui renverse toutes les barrières confessionnelles. Car la vision de la réalité qui transparaît à travers la lecture de votre livre parvient à toucher tout véritable chrétien au cœur le plus intime de sa propre vie avec Dieu dans ce monde. C’est pour cela que votre livre, qui ne renie rien de la spécificité de la foi romaine qui est la vôtre, a suscité un tel écho chez des lecteurs d’autres confessions chrétiennes. Et pas des moindres.

Je ne peux m’empêcher de citer la réaction d’amis réformés confessants auxquels j’ai fait lire votre roman. I] s’agit ici d’une catégorie que semble méconnaître Michele Tintori dans son effort, si constamment tendu, pour comprendre d’où peut donc provenir le mal dont nous souffrons. Un Pierre Courthial, doyen des calvinistes français et, peut-être, le meilleur théologien chrétien de ce temps – qui est sans doute d’un peu votre aîné – et son épouse, ont reçu votre ouvrage comme un immense bienfait de Dieu. Le pasteur Huib Klink, père d’une nombreuse famille et une des lumières du calvinisme des Pays-Bas, n’avait qu’un souhait : que votre livre paraisse en néerlandais. Le professeur Douglas Kelly, une des grandes forces du calvinisme américain, qui vient de publier une admirable défense biblique, philosophique et scientifique de la doctrine de la création contre tous les sophismes philosophiques et scientifiques a la mode, a lu votre livre avec une approbation de foi et un enthousiasme que je ne lui ai pas vu pour une autre lecture. Aux dernières nouvelles, il se proposait d’en faire une importante recension en anglais.

Mais vous pourrez vous-même juger du bien que fait votre ouvrage à la lecture du compte rendu que vient d’en donner une amie protestante française, Laurence Benoit, venue à la foi à partir du laïcisme le plus endurci. Comme vous le verrez, il s’agit là d’une plume brillante, celle d’une critique littéraire de premier ordre, bien que par profession, simple mère de famille. Pour moi, c’est par reconnaissance envers Dieu pour ce qu’il vous a permis d’accomplir pour sa gloire et pour le bien de vos lecteurs, que je lui ai demandé cet article qui paraît dans Résister et Construire, la revue que je dirige. C’est ma manière de vous dire aussi merci. Que Dieu vous rende au centuple ici-bas tout le bien que vous faites à Ses enfants dispersés et malmenés de toutes parts par ceux qui prétendent diriger son Église et que, dans l’au-delà, Il vous accorde un libre accès à sa présence glorieuse.

Avec ma reconnaissance et mes salutations les plus cordiales et fraternelles.

J-M Berthoud