Éditorial – Libérés en Christ… Mais sommes-nous libérés de la Loi de Dieu ?

par | Résister et Construire - numéros 43-44

Commentaire sur le livre d’Edgar Andrews, La liberté est en Christ. L’épître de Paul aux Galates[1]

Europresse publie des livres, souvent traduits de l’anglais, qu’il vaut la peine de lire. Ces livres sont édifiants. Nous pensons, en particulier, à la traduction récente du livre de Jonathan Edwards sur les fruits de l’Esprit. Nous sommes reconnaissants à Europresse de mettre de telles lectures à notre disposition.

Edgar Andrews est un scientifique reconnu pour les travaux qu’il a faits. Il occupe la chaire de Physique du solide à l’Université de Londres. Sur le plan chrétien et biblique, nous apprécions sa défense du créationnisme, qui va à l’encontre du courant actuel.

Dans le livre La liberté est en Christ, Andrews présente un commentaire biblique de l’épître aux Galates.

Ce commentaire a beaucoup de qualités. Il a une approche pédagogique – une section peut être lue chaque jour comme une méditation du texte biblique. Il est clair, propose des résumés à la fin de chaque chapitre et utilise un langage simple pour expliquer des textes difficiles. Andrews donne des explications utiles au sujet de la justification par la foi. Tout chrétien, conscient de ce que représente la justification par la foi seule, ne peut que se réjouir en lisant les chapitres consacrés à ce sujet, sans doute les meilleurs du livre (ch. 10, 25, 28-32).

Notre « liberté en Christ » est affirmée avec hardiesse. Beaucoup de chrétiens, accablés par la culpabilité ou par la super-spiritualité ambiante, pourraient tirer profit de cette lecture. L’auteur montre que nous sommes libres de la malédiction de la loi, de la malédiction du péché d’Adam (la mortalité et la corruption), de la crainte de la mort, de la mort spirituelle, de la condamnation, de la puissance du péché et de l’autorité de Satan. La vraie liberté est donc en Christ.

Mais là où le bât blesse, c’est lorsque l’auteur affirme que notre liberté de chrétiens tient au fait que nous serions libérés de la Loi, en particulier de la loi mosaïque. Dans ce commentaire, cette notion structure tout, d’une façon ou d’une autre. En quelque sorte, malgré les bémols que l’auteur met pour atténuer sa thèse principale – bien sûr, un chrétien ne voudrait pas désobéir à la loi morale ou aux dix commandements de la Torah ! –, tout son commentaire constitue un refus du rôle de la Loi dans la vie du chrétien.

Il faut donc lire ce livre avec précaution, en ayant bien conscience des présupposés de l’auteur, lesquels ont une influence déterminante sur les commentaires des textes. C’est pourquoi nous nous devons de tempérer notre appréciation positive de ce livre par les trois réserves ci-après :

La notion de la Loi de Dieu

M. Andrews a une vision très restreinte de la Loi de Dieu telle qu’elle est présentée dans l’Écriture. Quand il en parle, même s’il reconnaît la grande diversité de sens du mot Loi, il le fait dans un sens limitatif – la Loi de Moïse. La fonction de cette loi est avant tout temporelle et temporaire : elle concerne l’homme déchu qui attend d’être libéré en Christ (ch. 18, p. 184).

Que penser de cette idée restrictive ?

La notion de Loi divine a été décrite de façon magistrale par E. F. Kevan[2]. Dans le premier chapitre de son livre, Kevan fait une distinction importante entre le Dieu-législateur qui donne la Loi, et la Loi positive appliquée à différentes situations et à différents moments de l’histoire du salut. Les Puritains, dit Kevan, n’avaient pas une idée abstraite de la Loi :

[…] pour eux, la Loi doit être toujours la Loi de Dieu, et leurs formulations étaient tout imprégnées de la notion de la grandeur de Dieu.

J. I. Packer, cité par Kevan, dit que :

[…] pour l’orthodoxie calviniste, la Loi de Dieu est l’expression permanente, inchangeable, de la sainteté et de la justice divines… Dieu ne pourrait changer sa Loi, dans ses rapports avec les hommes, sans se renier Lui-même[3].

La Loi de Dieu, dans cette perspective, relève du droit de Dieu à commander ses créatures ; elle exprime sa volonté, sa majesté et sa souveraineté sur toute chose. Ainsi elle n’est rien d’autre que la perfection de Dieu en relation avec les hommes, exprimant ses attributs dans ses actions envers eux.

La Loi de Dieu, qu’est-ce que c’est ? Ce n’est autre chose que la sainteté, la justice, la perfection de Dieu, de sa personne ineffable dans tous ses rapports avec l’humanité. La Loi n’est pas limitée à une dispensation, à une période – celle de la loi mosaïque –, mais elle est comme l’expression de la nature même de Dieu et concerne tous ses rapports avec les hommes.

La Loi divine est l’infrastructure de toutes les alliances que Dieu a faites avec les hommes et que présente l’Écriture : qu’il s’agisse d’Adam, d’Abraham, de Moïse ou de la nouvelle alliance en Christ.

Expression de la perfection du Dieu de l’alliance, la Loi n’est pas contre la grâce de Dieu. Elle est le fondement même de cette grâce. Dans cette perspective, John Murray a indiqué que même l’alliance des œuvres (adamique) exprime la grâce de Dieu envers l’homme[4]. Et la nouvelle alliance n’a d’autre fondement que l’obéissance passive et active de Jésus à la Loi : sa mort qui satisfait la justice de Dieu contre le péché, et sa vie parfaite qui accomplit la vocation originale de l’homme à servir Dieu de façon parfaite. Ainsi, Jésus-Christ accomplit, dans sa vie et sa mort, l’alliance adamique (des œuvres) et l’alliance mosaïque (le sacrifice pour le péché).

Cette vision globale de la Loi de Dieu, comme expression du caractère même de Dieu est absente du livre de M. Andrews qui, même lorsqu’il parle de la justice et de la sainteté de Dieu, a tendance à proposer une dialectique entre la Loi de Dieu donnée à Moïse et la liberté en Christ, qui est liberté de la Loi.

Nous ne pouvons pas être d’accord avec cette perspective qui constitue un rétrécissement de la vision biblique de la Loi de Dieu. Cette Loi énonce les droits de Dieu par rapport à toute l’humanité. L’homme n’est jamais libéré de la Loi de Dieu dans ses rapports avec le Créateur, qu’il soit en Adam, en Moïse (le peuple sauvé de l’Égypte qui porte la promesse) ou en Christ. Cette Loi peut avoir des applications positives qui varient selon les époques, mais comme Loi associée à la personne de Dieu, elle est permanente et inchangeable.

Comme Cornelius Van Til l’a dit : le seul choix pour l’homme, tous les hommes, est l’autonomie ou la théonomie. Kevan résume cette pensée de façon précise :

La Loi morale en l’homme est une copie de la nature divine, et ce que Dieu veut dans la Loi morale est tellement en harmonie avec la justice et la bonté éternelles de Dieu qu’une abrogation de la Loi impliquerait une négation de la justice et de la bonté divines. Contrevenir à la Loi de Dieu, c’est porter atteinte à Dieu Lui-même, car l’original existe en Dieu Lui-même[5].

Les deux alliances dans la Bible

Avec sa vision morcelée de la Loi de Dieu, Andrews établit un contraste entre la loi mosaïque et la nouvelle alliance de la liberté en Christ. Il appelle la première alliance des œuvres[6] et la deuxième alliance de la promesse. Les deux sont différentes dans leurs principes et leurs résultats et elles s’excluent mutuellement. La loi, la chair et la servitude sont opposées à la promesse, à l’Esprit et à la liberté. La première alliance comporte des conditions, la deuxième est de pure grâce. Dans l’alliance des œuvres, c’est l’homme qui promet ; dans la nouvelle alliance, c’est Dieu qui promet (p. 237-244).

Ainsi Andrews émiette l’Écriture. Nous nous trouvons face à une nouvelle sorte de dispensationalisme qui aurait non pas sept périodes, mais deux. L’alliance mosaïque est différente dans son principe de l’alliance avec Abraham et de l’alliance en Christ.

L’unité de l’alliance dans toutes les Écritures, telle que nous la trouvons dans l’orthodoxie calviniste et ses confessions[7] ou, récemment dans le livre remarquable de O. Palmer Robertson[8], est ainsi abolie. Entendons ce que dit T. E. McComiskey à ce sujet :

La loi et la grâce ne sont pas des concepts opposés […] La loi ne nous demande pas d’œuvrer pour établir une relation avec Dieu. La loi suppose une relation déjà établie[9]. »

L’alliance mosaïque est une alliance de grâce aussi bien que la nouvelle alliance. Elle est conclue avec un peuple sauvé, selon les promesses faites à Abraham – dont l’alliance comportait aussi des éléments charnels – la circoncision, la promesse d’un pays et d’une descendance : La loi est-elle contre les promesses ? Certes non ! (Gal. 3:21).

Ainsi Andrews affirme que l’erreur fondamentale des judaïsants des Galates est de ne pas avoir vu le caractère distinctif de chacune de ces deux alliances et de les confondre. C’est une thèse très osée sur le plan de la lecture des textes ! Pour Andrews, les judaïsants n’ont pas ajouté quelques pratiques cérémonielles à l’Évangile, à l’œuvre de Christ. Leur erreur fondamentale (p. 34 et suivantes, p. 109) a été de chercher à se remettre sous le joug de l’ancienne alliance. Ce point de vue est difficile à maintenir. Quand Paul utilise le mot loi en Galates, et en particulier au ch. 3, il évoque non pas la dispensation mosaïque, mais la pratique de la loi afin d’arriver à la justice. L’argument de l’apôtre n’est pas de s’élever contre la Loi, mais contre une pratique qui vise à établir la justification en dehors de la foi.

Curieusement, Andrews lui-même formule cette vérité avec beaucoup de lucidité, mais mal à propos, dans une section où il affirme que « Paul inclut la loi de Moïse parmi les principes élémentaires (du monde) ».

Comment Paul peut-il placer la loi donnée par Dieu dans une telle catégorie ? La réponse tient en ce qu’il ne condamne pas la loi en elle-même, mais l’idée selon laquelle l’observance de cette loi peut justifier l’homme. C’est la croyance en l’efficacité de l’observation de la loi, ou des œuvres en général, pour justifier ou purifier le pécheur qui constitue le principe de base du monde et place les êtres humains dans la servitude (p. 202).

Si M. Andrews avait utilisé cette interprétation légitime de la pratique de la loi partout dans son commentaire, il serait sans doute arrivé à une compréhension plus correcte de la notion paulinienne de Loi de Dieu, de la relation entre les deux alliances et du rôle de la Loi dans la vie du chrétien.

Accepter l’Évangile équivaut à accepter l’abolition de l’ancien ordre mosaïque… (p. 75).

Ainsi l’ancienne alliance est abolie, selon Andrews. Il est difficile d’être totalement en désaccord avec cette affirmation sur le plan de la progression de l’histoire de la rédemption, mais M. Andrews ne l’entend pas seulement en ce sens. Il affirme que l’ordre mosaïque, comme alliance, est une unité composée d’éléments cultiques, civiques et moraux et que l’ensemble est aboli par la nouvelle alliance[10].

La théologie réformée orthodoxe a refusé l’idée d’une abolition totale de l’alliance mosaïque y compris de la Loi morale. J. Douma a montré que si nous sommes libres du joug de la loi et de sa malédiction, en tant que pécheurs, nous ne le sommes pas de la Loi morale comme norme. Douma montre que tous les commandements du Décalogue sont repris, de façon explicite, dans les écrits du Nouveau Testament[11]. P. Marcel a affirmé qu’il y a plus de 500 commandements et exhortations dans le Nouveau Testament, et que tous s’appuient sur la Loi morale du Décalogue.

Le modèle théologique de M. Andrews nous semble en désaccord avec ce que disent les Confessions de foi de Westminster et de Londres au sujet de la Loi de Dieu :

La Loi morale oblige à l’obéissance, pour toujours, tous les hommes, qu’ils soient ou non justifiés, et cela non seulement en regard à son contenu, mais aussi par respect pour l’autorité de Dieu le Créateur qui l’a donnée. Christ, dans l’Évangile, loin de l’abroger, en a considérablement renforcé l’obligation[12].

La fonction de la Loi dans la vie chrétienne

M. Andrews nie, de façon explicite, le troisième usage de la Loi, sa fonction dans la vie chrétienne. Selon lui, la loi de Moïse, dans son ensemble, peut être décrite par l’expression principes élémentaires du monde, un principe extérieur, une forme d’esclavage, quelque chose que « le croyant, en croyant, a détruit », une entité qui est « caduque » et qui a été « démantelée » – mot qui revient à plusieurs reprises.

La justification par Christ détruit la loi, à la fois en l’accomplissant et en la remplaçant (p. 111).

Ainsi M. Andrews abolit le « troisième usage de la Loi » cher à Calvin. La fonction que la loi garde est celle qui consiste à susciter une conscience du péché et à diriger les pécheurs vers Christ. La Loi n’est pas la règle de vie du chrétien, mais l’union à Christ et la foi. Le chrétien marche selon l’Esprit, par la foi.

Nous pensons que cette dichotomie entre l’obéissance à la Loi et la marche par l’Esprit selon la foi, en les considérant comme deux principes différents, l’un extérieur, rituel et servile, l’autre étant intérieur et spirituel, est néfaste. Heureusement, M. Andrews ne peut pas maintenir une cohérence totale avec son principe de fond, ce qui se voit lorsqu’il affirme :

Marcher selon l’Esprit implique clairement recevoir l’instruction des Écritures en ce qui concerne les choses qui plaisent à Dieu. […] Ainsi le croyant obéit à la volonté révélée de Dieu, et à l’exhortation de l’Écriture, en matière de vie et de conduite, y compris le contenu des dix commandements. Mais il le fera comme quelqu’un que le Saint-Esprit conduit et à qui il donne la capacité d’obéir, et non pas comme une affaire de conformité extérieure à une alliance qui n’est plus en vigueur (p. 110, cf. p. 108).

Dans ce passage, l’auteur affirme que le décalogue demeure la volonté révélée de Dieu et que le chrétien obéit toujours à la norme de la Loi. Aussi nous est-il difficile de comprendre comment Andrews peut reconstruire avec la truelle ce qu’il vient de démolir avec l’épée. Nous sommes reconnaissant pour ce manque de cohérence.

Conclusion

Ces perspectives théologiques influencent profondément l’exégèse de l’auteur et le conduisent à des interprétations fort discutables. Il faudrait un autre article pour les examiner toutes ! Deux exemples suffisent. Nous mettons en contraste ce que dit Andrews avec le commentateur luthérien R. C. H. Lenski[13] :

  1. en ce qui concerne le « joug de la servitude » de Galates 5:1, Andrews dit qu’il s’agit de l’ancienne alliance dans sa totalité (p. 55). Lenski affirme que Paul pense à l’esclavage légal des judaïsants, mais qu’il élargit sa perspective pour considérer aussi l’esclavage des chrétiens qui étaient auparavant païens (p. 252).
  2. par rapport à Galates 2:18, Andrews affirme que la faute des judaïsants est de ne pas voir que la loi est détruite en tant qu’alliance (p. 109). Lenski nous semble donner une interprétation plus textuelle en rapportant cette affirmation au comportement de Pierre (v. 14, 15) qui estime que « certaines pratiques cérémonielles juives étaient après tout nécessaires, y compris pour les gentils (p. 113).
  3. Quand Andrews dit que Jésus n’est pas venu abolir la Loi, mais qu’en l’accomplissant il l’a détruite en la rendant caduque, n’est-ce pas de la pure spéculation ? Des études exégétiques récentes suggèrent que « Jésus comme fin de la Loi (telos) » signifie que Jésus n’est pas la fin temporelle de la loi au sens d’abrogation, mais qu’en incarnant parfaitement la Loi, il la confirme.
  4. L’affirmation que la loi de Moïse et la loi « écrite dans le cœur » sont deux lois distinctes, et que le Sermon sur la Montagne n’est pas une exposition du décalogue par Jésus nous paraît gratuite (p. 115).

Nous espérons que ces quelques remarques aideront les lecteurs de M. Andrews à faire ce que tout chrétien doit faire en lisant n’importe quel livre, à savoir faire preuve de discernement et ne retenir que ce qui est conforme à l’enseignement de l’Écriture[14].

Paul Wells[15]

[1]      Edgar ANDREWS, La liberté est en Christ. L’épître de Paul aux Galates, Europresse, Chalon-sur-Saône, 1997.

[2]      The Grace of Law. A Study of Puritan Theology (1963), Baker Book House, Grand Rapids, 1976, 1983.

[3]      ibid, p. 67.

[4]      J. Murray, Works IV, Banner of Truth Trust, Edinburgh, 1982, pp. 216-240. Murray dit, en ce qui concerne l’alliance adamique, que l’administration de cette alliance est caractérisée par la grâce et qu’il vaudrait mieux l’appeler « alliance de vie », p. 222.

[5]      Kevan, op. cit., citant les Puritains Burgess, Venning et Manton, p. 63.

[6]      C’est déjà introduire un biais à la question, car l’expression « alliance des œuvres », en théologie, indique normalement l’alliance avec Adam.

[7]      Y compris La Confession de Londres de 1689 (confession réformée baptiste).

[8]      The Christ of the Covenants, Baker, Grand Rapids, 1980.

[9]      The Covenants of Promise, Baker, Grand Rapids, 1985, p. 223.

[10]    Il est intéressant de noter que le théologien libéral (luthéro-piétiste-lacanien) de Montpellier, Jean Ansaldi, utilise ce même argument dans son livre Éthique et Sanctification pour opposer la loi et l’Évangile et pour refuser la fonction de la Loi dans la vie chrétienne.

[11]    J. Douma, Christian Morals and Ethics, Premier Publishing, sd., ch. 5, et The Ten Commandments. Manual for the Christian Life, Presbyterian & Reformed, Philadelphia, 1997.

[12]    Confession de foi réformée baptiste, dite de Londres (1689), XIX, 5. Il est évident, dans le contexte de ce chapitre, que la Confession envisage la permanence de la Loi morale, de Adam à la Nouvelle création. La même notion unitaire de l’alliance se trouve exposée dans le ch. VII. 3.

[13]    R.C.H. Lenski, Interpretation of Galatians, Ephesians and Philippians, Wartburg, 1946.

[14]    En ce qui concerne la Loi et l’alliance, nous recommandons la lecture de J.-M. Berthoud, Apologie pour la Loi de Dieu, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1996.

[15]    Professeur de Théologie Systématique, Faculté libre de Théologie réformée, Aix-en-Provence