Cher Monsieur et frère,
Par la présente, permettez-moi de vous faire part de mon étonnement par rapport à votre intervention. Ne le prenez pas en mauvaise part, car c’est en toute confraternité et non sans respect que je me permets de vous écrire ces quelques réflexions en tant que pasteur.
Tout d’abord, il ne me semble pas que l’émission Corpus Christi puisse être considérée, comme vous l’avez on ne peut plus clairement dit – mais peut-être vous ai-je mal compris ? –, comme une approche enrichissante, voire même incontournable pour une juste compréhension de la Foi. Prétendre que l’on ne peut lire les Évangiles comme on le faisait il y a trente ans, et encore moins comme il y a cent ans – pour reprendre vos propres mots – me paraît une affirmation hautement contestable d’un point de vue évangélique – ou orthodoxe –, dans la ligne du christianisme biblique et historique – catholique, dans le sens de selon le tout de la Parole de Dieu, en opposition avec l’hérésie qui opère un tri dans la Révélation divine, qui choisit arbitrairement tel aspect de la Doctrine chrétienne tout en occultant certains autres, pourtant non moins importants[1].
À cet égard, sachez que l’Association des Amis de l’Abbé Jean Carmignac a récemment adressé deux motions à Monseigneur Louis-Marie Billé, Président de l’Assemblée des Évêques de France, ainsi qu’à Monsieur le Cardinal Jean-Marie Lustiger, Archevêque de Paris, à Monsieur le Cardinal Pierre Eyt, Archevêque de Bordeaux et Président de la Commission doctrinale de l’Épiscopat apostolique à Paris, l’une concernant Corpus Christi, l’autre la nouvelle édition de la Bible de Jérusalem. En voici le contenu[2]
Première motion : L’Assemblée générale de l’AAC, réunie le 28 mars 1998 en l’abbaye Sainte-Marie […] demande avec insistance que nos évêques mettent en garde les fidèles contre les émissions de la série Corpus Christi qui seront rediffusées et poursuivies sur la chaîne Arte durant la Semaine Sainte, et dont la partialité antichrétienne est évidente.
En tant qu’homme d’Église, j’aurais souhaité autant de clarté dans votre discours.
Deuxième motion. L’AAC […] exprime son étonnement devant le fait que la Bible de Jérusalem, entièrement révisée et transformée en 1998, puisse encore se prévaloir d’un imprimatur donné en 1955 pour un texte extrêmement différent.
Et pour cause : la préexistence de Jésus-Christ est niée dans cette nouvelle édition de la Bible de Jérusalem. Arius n’est pas loin…
Permettez-moi de vous faire remarquer de même que, contrairement à ce que l’on a pu entendre dans l’émission Corpus Christi, la méthode dite historico-critique qu’ont prônée et prônent encore aujourd’hui il est vrai bon nombre d’exégètes protestants – à commencer par Bultmann et ses disciples – et – hélas ! – de plus en plus de théologiens catholiques – surtout depuis Vatican II –, est loin de faire l’unanimité, et se trouve même largement contestée dans bien des milieux[3]. En effet, il apparaît qu’une telle méthode ne rend pas justice au caractère sacré révélationnel de l’Écriture Sainte, à son statut unique comme Parole inspirée de Dieu, revêtue d’une autorité canonique pour tous les temps, car procédant de Dieu même – doctrine de l’inspiration et de l’inerrance de la Bible. Les motifs de bases rationalistes et anthropocentriques, issus du criticisme cartésien et kantien, de ladite méthode sont, de toute évidence, étrangers à la foi chrétienne historique. Il ne faut pas s’étonner dès lors d’aboutir, avec de tels principes, à certaines conclusions hasardeuses de Corpus Christi, conclusions ô combien préjudiciables – quoi que vous puissiez en penser – et en contradiction flagrante avec la vraie foi : Et si Jésus n’était que le disciple mutin de Jean-Baptiste ? Et si Barrabas et Jésus n’étaient qu’une seule et même personne ? Et si Jésus-Christ n’était pas réellement ressuscité ? Et si… On croit rêver !
Et si ces « conclusions » n’étaient en réalité que des aveux d’incrédulité devant le Mystère de l’Incarnation dont dépend celui de la divinité du Christ, de sa mort et de sa résurrection ? Je crains fort que ce nouveau magistère de savants – eux seuls, à les en croire, étant à même d’avoir accès au Jésus de l’histoire, par-delà les textes bibliques, « derrière la toile »… – ne prenne bientôt la place, si ce n’est déjà fait, du Magistère de l’Église Catholique Romaine à laquelle vous appartenez ! Pour ma part, je préfère suivre humblement le seul Magistère posé par Dieu, à savoir l’Écriture Sainte, le fondement inébranlable de la foi transmise aux saints une fois pour toutes (Jude 3), sans méconnaître pour autant les questions herméneutiques liées à l’interprétation de cette dernière[4].
Permettez-moi, pour terminer, de citer Charles Péguy (ce texte ne vous vise pas en particulier, mais exprime on ne peut mieux mes réserves quant à ce que notre auteur appelait déjà en son temps les nouveaux théologiens, tout imprégnés du rationalisme des Lumières) :
Vous n’entrez chez nous, Messieurs les nouveaux théologiens, que pour nous trahir. Vous n’entrez dans notre maison que pour nous vendre. Je dis que les vérités de foi que vous reniez, vous les reniez parce que vous en avez honte. Et les vérités de foi que vous gardez encore, vous en avez honte. […] Messieurs les nouveaux théologiens, vous voulez nous faire un christianisme honteux, une chrétienté honteuse, qui aurait honte de soi, honte de Dieu. […] L’Église est une, Messieurs les nouveaux théologiens, identique à soi, la même à soi-même, historiquement une, chronologiquement une, temporellement éternelle. La foi est une. Il faut que vous renonciez à cette idée qu’il y aurait eu un christianisme, une communion, une chrétienté honteuse de gens extrêmement intelligents comme vous. Il faudra que Messieurs les nouveaux théologiens se fassent à cette idée que nous sommes bêtes une fois pour toutes. Que nous sommes aussi bêtes que saint Jean Chrysostome[5].
En vous priant de bien vouloir me pardonner ma franchise ainsi que la longueur de cette lettre, je vous prie de croire, cher Monsieur et frère, à l’expression de mes sentiments respectueux et fraternels en notre Seigneur Jésus-Christ, Créateur de l’Univers, Roi des Nations et Sauveur de son Église.
Vincent Bru
Générarques, samedi le 25 avril 1998
[1] Voir à ce propos le livre incontournable du Doyen honoraire de la Faculté libre de Théologie réformée d’Aix-en-Provence, Pierre Courthial, Le jour des petits recommencements, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1997, en particulier les pages 123 et suivantes.
[2] Voir La Lettre des Amis de l’Abbé Jean Carmignac, Nº 35, avril 1998.
[3] Voir à ce sujet : Pierre Ch. Marcel, Face à la critique : Jésus et les Apôtres, Aix-en-Provence, La Revue Réformée, Nº 147, 1986, paru aussi aux éditions Labor et Fides ; Paul Wells, La méthode historico-critique et les problèmes qu’elle pose, La Revue Réformée (1982/1), pp. 1-15 ; B. Gerhardsson, Mémoire et Manuscrits, La Revue Réformée (1963/2) ;, etc.
[4] À cet égard je me permets de vous recommander l’article du Professeur Pierre Courthial, Sur l’herméneutique, in Fondements pour l’avenir, Aix-en-Provence, Kerygma, 1981, pp. 53 et suivantes. Je cite : La règle fondamentale de l’herméneutique chrétienne, c’est que l’Écriture doit être interprétée selon l’Écriture. (p. 55) Voir de même : Paul Wells, Comment interpréter et prêcher la Parole de Dieu, in Dieu parle !, Kerygma, 1984, pp. 69 et suivantes. Pour bien lire la Bible, il convient d’avoir une attitude qui soit en accord avec sa qualité spécifique. Autrement dit, il faut la lire selon l’analogie de la foi. (p. 71)
[5] Charles Péguy, Un nouveau théologien. M. Fernand Laudet, Œuvres en prose, La Pléiade, Tome II, pp. 903 et suivantes. Voir de même : André Frossard, Le parti de Dieu. Lettre aux évêques, Paris, Fayard, 1992 et Dietrich Von Hildebrand, La vigne ravagée, Paris, Cèdre, 1974.