Lire les Écritures avec Augustin, Thomas d’Aquin et Jean Calvin

par | Résister et Construire - numéros 43-44

Introduction[1]

Depuis une quinzaine d’années, ceux qui sont attentifs au développement de la recherche historique sur l’exégèse de la Bible ont pu constater avec étonnement que les frontières chronologiques traditionnellement acceptées commencent à connaître des bouleversements inattendus. Si ces recherches, provenant à la fois de chercheurs catholiques romains et réformés[2], ne mettent pas en question les différences dogmatiques qui ont marqué la séparation entre l’Orient orthodoxe et l’Occident romain, et encore moins les divisions provoquées en Occident entre l’Église romaine et les diverses dénominations protestantes par les mouvements de réformes du XVIᵉ siècle, par contre elles mettent en lumière une attitude largement commune de l’ancienne chrétienté face à la lecture et l’étude pieuse de la Bible. Ici le clivage historique ne se situe plus (comme on l’a bien longtemps pensé) entre Réforme et Moyen Âge[3], ou encore moins entre la Réforme et une prétendue néo-scolastique protestante au XVIIᵉ siècle. Bien au contraire, dans l’histoire de l’étude de la Bible nous devons placer la rupture fondamentale entre, d’une part, la grande tradition de l’Église chrétienne, tradition respectueuse du donné biblique et qui inclut les Pères, la Scolastique médiévale, la Réforme et la Scolastique protestante[4] – cette tradition orthodoxe, catholique et réformée est aujourd’hui encore bien vigoureuse[5] –, et de l’autre, la tradition d’exégèse critique, rationaliste et scientiste qui, si elle a existé de manière latente au cours de l’histoire du christianisme[6], est devenue la tradition exégétique dominante depuis le siècle des Lumières[7].

C’est cette tradition exégétique critique et rationaliste qui a été la préoccupation prioritaire de notre réflexion dans les premiers articles que nous venons de consacrer dans ce numéro de Résister et Construire à l’attitude du chrétien face à la Bible. Je voudrais, dans les pages qui suivent, essayer de vous permettre de goûter la manière dont nos pères dans la foi lisaient et méditaient la sainte Écriture en respectant le caractère saint de ce livre, c’est-à-dire en adaptant la méthode de leur étude de la Bible au caractère véritable de l’objet étudié ; ceci à travers une description, malheureusement beaucoup trop sommaire, de l’attitude exégétique d’Augustin d’Hippone, de Thomas d’Aquin et de Jean Calvin. Car l’origine divine de cet objet d’étude scientifique, la sainte Écriture, ne saurait être ignorée (comme le fait constamment la tradition historico-critique) sans faire, du même coup, disparaître du champ d’étude de l’exégète l’objet même de son étude. En effet, en suivant sur ce point l’enseignement d’Aristote, c’est toujours l’objet étudié lui-même qui doit, par sa structure interne propre, déterminer la manière dont il faut l’aborder, si nous souhaitons par notre effort scientifique le connaître. C’est ainsi que procède la tradition véritablement chrétienne d’étude de la Bible[8].

En fin de compte, ce qu’il faut avant tout reprocher à la méthode historico-critique, plus que ses résultats souvent impies, c’est sa méthode elle-même. Car en évacuant a priori le caractère divin de la sainte Écriture devenue objet d’une attention qui se veut avant tout scientifique, la méthode historico-critique parvient tout simplement à faire disparaître de son champ de vision le phénomène qu’elle prétend vouloir étudier[9]. En appliquant à la Bible des critères scientifiques, appropriés aux disciplines physiques et chimiques, la méthode historico-critique parvient d’emblée à quitter le domaine de la science véritable – qui cherche toujours l’adaptation de sa méthode à l’objet qui lui est propre – pour entrer dans celui que François Lurçat appelle la scientification universelle, et que, pour notre part, nous nommerions le royaume de l’utopie. Ce phénomène est depuis longtemps connu sous les vocables de scientisme ou de positivisme, n’étant qu’une application à tous les domaines de la réalité d’un modèle épistémologique particulier, celui des sciences mathématiques et expérimentales, élaboré lors de la révolution scientifique du XVIIᵉ siècle[10]. Dans cette scientification universelle, nous discernons l’idole culturelle qui domine la civilisation occidentale depuis près de quatre siècles[11]. C’est cette idole culturelle et épistémologique qui a investi les études bibliques sous le nom de la méthode historico-critique et qui a rendu l’exégèse rationaliste moderne méthodologiquement incapable de rendre compte de l’objet qu’elle se donne la tâche d’étudier.

Mais avant d’aborder notre thème – celui de l’exégèse pieuse et croyante des saintes Écritures –, je me permets de citer un extrait de l’ouvrage de déboulonnage intellectuel magistral de François Lurçat, L’autorité de la science, récemment paru aux éditions du Cerf. Ce qu’il nous dit de la tyrannie exercée par la scientification universelle sur les disciplines pédagogiques et psychologiques peut, mutatis mutandis, s’appliquer à l’emprise toute semblable du modèle épistémologique scientiste sur l’exégèse historico-critique[12]. S’étant, par la scientification universelle (comme la physique et la chimie), soustraite aux causes finales et formelles, cette méthode pseudo-scientifique d’étude de la Bible peut, comme l’indique fort justement le Père Roland de Vaux, être considérée comme méthodologiquement athée. Par une telle scientification abusive, la méthode historico-critique fait perdre à ceux qui s’y adonnent le sens de la finalité du texte qu’ils étudient – Dieu Lui-même – ainsi que la forme substantielle propre du texte sacré – l’histoire de l’alliance du salut. Mais écoutons sans plus de délais les propos roboratifs de François Lurçat :

« La différence majeure entre le scientisme et la science véritable, c’est que chaque science est régionale. Elle se construit dans une région d’être déterminée ; elle a certes tendance à s’étendre, mais chaque accroissement de son domaine l’oblige à réexaminer la validité de ses fondements pour la nouvelle région investie. C’est ainsi que la science, malgré sa tendance constante à l’automatisation, à la technicisation qui la vide de son sens, peut rester dans son principe compatible avec l’esprit critique et même en avoir besoin. Le scientisme, pour sa part, imite la science et ne peut donc pas accepter l’idée que les méthodes et les fondements des sciences sont régionaux.

[…] Là, comme dans les autres disciplines scientifiques, l’invention inspirée des conquérants de la science classique fait place à une dévotion mécanique à la science, définie par les traits universels (et non régionaux) qui nous ont servi à caractériser la social-scientificité. Du même coup, on renonce à la prudence de la science véritable, qui avance pas à pas et préfère parler par hypothèse. Le discours scientiste ne retient de la science que ses certitudes, non son sens critique[13]. Il est péremptoire justement parce qu’il imite, et aussi (mais c’est tout un) parce qu’il manque d’arguments. Il est, de ce fait, bien plus intimidant que la science[14].

On comprend ainsi qu’ait pu s’imposer, dans l’école et ailleurs, une thèse dont l’universalité creuse suffit à montrer le caractère évidemment non scientifique – celle de la scientification universelle, qui s’énonce : toute scientification est un progrès ; une pratique scientifique est a priori supérieure à une pratique empirique. […] Ce dont il s’agit, c’est d’enterrer définitivement les vieilles pratiques empiriques (en dissimulant leurs succès), pour les remplacer par des méthodes qui, avec l’appui de l’institution social-scientifique, échappent à toute critique.

Et si ça ne marche pas ? […] Qu’importe : il n’est pas question que des théories scientifiques s’inclinent devant de misérables faits empiriques, si massifs soient-ils. Pas question non plus que des chercheurs tiennent compte d’éventuelles objections que pourraient leur opposer les praticiens. Ceux-ci d’ailleurs sont le plus souvent trop intimidés pour dire quoi que ce soit. Après vingt ans de spontanéisme, ils n’ont plus la certitude que donne le succès dans la pratique[15]. De plus, ils ne disposent d’aucun lieu où ils pourraient exprimer leurs doutes ou leur opposition[16]. »

Un mot enfin pour expliquer la démarche que nous avons adoptée pour cet exposé. Nous lirons et commenterons des textes tant des auteurs que nous prenons comme exemples de l’exégèse traditionnelle de l’Église – Augustin, Thomas d’Aquin et Jean Calvin – que de leurs commentateurs autorisés – Bertrand de Margerie, Maurice Pontet, Marc Aillet et Ronald Wallace. Ainsi, d’une certaine manière, nous prendrons le contre-pied des émissions Corpus Christi en montrant, nous l’espérons, l’unité véritable des défenseurs de la Foi donnée une fois pour toutes par Dieu à son Église.

Augustin d’Hippone

Les commentaires de Bertrand de Margerie

Nous commencerons par Augustin d’Hippone. Nous citerons d’abord des extraits du troisième volume, consacré à Saint-Augustin, de l’Introduction à l’histoire de l’exégèse[17] de Bertrand de Margerie. Je cite :

De son éducation chrétienne, il avait retenu, fasciné, le nom de son Sauveur ; son cœur d’enfant l’avait pieusement bu dans le lait de sa mère ; ce qui lui fit décider d’appliquer son esprit aux Saintes Écritures.

Mais elles lui parurent indignes d’entrer en comparaison avec la dignité cicéronienne et sa vue n’en pénétra pas les profondeurs, littéralement l’intérieur.

Dans les Confessions, Augustin dit, d’une façon très générale, que son refus de l’Écriture s’originait à son orgueil : L’Écriture était faite pour grandir avec les petits, mais moi, dédaigneusement, je refusais d’être petit et, gonflé de morgue, je me voyais grand.

Ce passage ne devient pleinement compréhensible que s’il est mis en parallèle avec un passage du sermon LI :

Moi qui vous parle, j’ai été trompé autrefois, quand, encore dans l’enfance, j’ai voulu commencer par appliquer aux divines Écritures la discussion critique plutôt que la recherche pieuse. Par mes mauvaises mœurs, je me fermais à moi-même la porte d’accès à mon Seigneur… Dans mon orgueil, j’osais chercher ce qu’à moins d’être humble nul ne peut trouver.

[…] La principale difficulté sur laquelle ait achoppé […] le jeune Augustin, lors de sa première lecture des Livres Saints, c’est la discordance entre les deux généalogies du Christ, chez Matthieu et Luc. […] La critique manichéenne s’attaquait spécialement aux allégations de Matthieu et de Luc, relatives à la naissance virginale du Christ ; selon elle, l’impossibilité de concilier les deux généalogies montrait l’absence de valeur des chapitres où elles se trouvent ; loin de s’être enfermé dans la chair impure d’une femme, Jésus n’a eu qu’un corps apparent, comme les Anges lorsqu’ils apparaissent sous des traits humains.

Le motif fondamental pour lequel Augustin a embrassé le manichéisme paraît donc être son appétit rationaliste, plus particulièrement face à la lecture des Écritures. Ainsi que lui-même l’a laissé entendre assez clairement, Augustin n’a pas pris soin d’examiner longuement les passages des Écritures incriminés par les manichéens, car leurs griefs s’accordaient trop bien avec les difficultés qui l’avaient personnellement choqué. Ayant depuis longtemps perdu toute piété, il n’a pas prié Dieu de tout son cœur pour obtenir la lumière. Hostile à l’esprit d’autorité, il s’est gardé de consulter les commentaires des exégètes catholiques et ne s’est pas défié de soi ; il a jugé la foi catholique ridicule, les autorités qui l’imposaient stupides. En l’espace de quelques jours, il s’est tout à fait détaché, non plus seulement par dérèglement moral, mais intellectuellement, de la foi catholique :

Avec toute l’intelligence de notre jeunesse et son étonnant besoin d’enquête rationnelle, sans avoir même feuilleté ces Livres, sans chercher de maîtres, sans incriminer tant soit peu notre lenteur d’esprit, sans faire crédit d’un bon sens même ordinaire à ceux qui ont voulu que de tels écrits fussent si longtemps lus, conservés, maniés par le monde entier, nous avons jugé qu’il n’y avait là-dedans rien à croire, nous nous sommes laissé impressionner par les dires de leurs pires ennemis qui, par une fausse promesse de justification rationnelle, devaient nous contraindre à croire et à vénérer chez eux-mêmes mille fables inouïes…

On comprend mieux, à la lumière de cette première expérience de lecture des Écritures, lecture-échec, l’insistance postérieure d’Augustin sur une lecture priante, ecclésiale, croyante et contemplative, reconnaissant la parole unique et unifiée, sans contradictions, du Dieu unique dans les multiples paroles des livres constituant le Livre unique !

[…] Augustin, en écrivant ses Confessions, est convaincu que Dieu l’a converti en l’invitant à s’appliquer très particulièrement à lui-même, à un moment décisif de sa vie, un extrait de l’Écriture, plus précisément d’une lettre de Paul (Rom. 13 : 13 ss.) ; autrement dit, il pense que ce texte écrit, apparemment mort, est en réalité la parole toujours vivante du Dieu vivant, qui continue de parler aux hommes à travers elle pour leur salut, en s’adaptant à chacun. […]

La conversion biblique d’Augustin au Dieu des Écritures fut suivie de toute une vie d’étude contemplative et de proclamation inlassable comme d’explication approfondie de cette Parole écrite de la Providence.

Et de Margerie de citer ces paroles qu’Augustin adressa à Dieu :

Ainsi puisque nous étions sans force pour trouver la vérité par un raisonnement limpide, et que pour ce motif nous avions besoin de l’autorité des saintes Lettres, j’avais déjà commencé à croire que, d’aucune façon, tu n’aurais accordé à cette Écriture une autorité aussi prépondérante sur toute la terre si tu n’avais pas voulu, et que par elle on crût en toi, et que par elle on te cherchât.

Car déjà l’absurdité qui me choquait d’habitude dans ces Lettres je l’attribuais, après avoir entendu sur bien des passages des interprétations plausibles, à la profondeur de leurs vérités mystérieuses. Et cette autorité de l’Écriture m’apparaissait d’autant plus digne de foi sacrée qu’elle était à la portée de lecture pour tous et réservait en même temps la dignité de son mystère à une interprétation plus profonde ; dans les termes les plus simples, dans le style le plus humble, elle s’offrait à tous et elle exerçait aussi l’attention de ceux qui ne sont pas légers de cœur, afin d’accueillir tous les hommes dans son sein ouvert à tous.

Les commentaires de Maurice Pontet

Voici pour Bertrand de Margerie. Nous prenons à présent pour guide de l’exégèse du grand docteur africain l’étude si riche et si précise de Maurice Pontet, L’exégèse de saint Augustin, prédicateur[18], dont nous vous lirons d’abondantes citations. Écoutons maintenant Maurice Pontet :

S’il a fait progresser l’exégèse, saint Augustin n’en a pas trouvé les principes. Il s’est inséré à son heure, avec les ressources et la subtilité de son esprit, dans une tradition d’évêques et de chercheurs chrétiens qui se rattachaient aux apôtres. Il n’a donc jamais prétendu se faire le seul juge, ni du texte qu’il lisait, ni de la méthode avec laquelle il le déchiffrait. Original, il l’est peut-être, mais il se veut d’abord dépendant.

Assez volontiers, en expliquant les Psaumes, il en appelle aux exégètes qui les ont commentés avant lui. Autant que nous pouvons suivre ces indications assez légères – on sait combien les anciens avaient peu le souci des références nettes ! – elles nous conduisent à Hilaire, à Ambroise, et le plus souvent à Jérôme. Autant dire qu’elles relient Augustin à la tradition grecque, à celle d’Alexandrie surtout, dont ces trois Pères latins furent si marqués. […]

Cependant, s’il se donne des modèles, il n’a qu’un maître, saint Paul. Aucun des apôtres mieux que lui n’avait montré l’unité de l’Écriture, cru à l’insuffisance de sa lettre et à la force vivifiante de son esprit, découvert enfin le secret accord des deux Testaments, ce qui restera pour saint Augustin le plus grave problème de la Bible. […]

Il distingue avec netteté deux zones dans les explications exégétiques qu’il donne à son auditoire : la zone de l’incontestable et celle du plausible. Lorsqu’un apôtre a tiré au clair le sens d’un texte, en somme lorsque l’Écriture s’est elle-même commentée, toute discussion cesse, il n’y a qu’à répéter fidèlement. Au contraire, si l’énigme scripturaire demeure, si nulle explication infaillible n’en a été donnée, la recherche reste ouverte. Il faut partir de la règle de foi, en déduire les conséquences, suivre, achever si possible les pointillés de l’exégèse paulinienne. Dans cette seconde zone, il n’y a pas d’orgueil à offrir ses suggestions personnelles, pas de honte à se corriger. L’émulation est bonne ; il faut que le prédicateur interroge le public, que les fidèles cherchent pour leur part, et que l’on choisisse enfin ce qui semble le plus profond et le plus chrétien.

Cette méthode d’exégèse est d’un côté une méthode a priori ; elle ne remonte pas vers la foi par une induction de plus en plus poussée ; elle se place d’emblée dans le dogme ; elle se fait et se dit, dès le commencement, nicéenne, chalcédonienne avant la lettre ; puis elle montre que les données scripturaires sont la conséquence et l’illustration des croyances chrétiennes fondamentales : le Verbe s’est fait chair, il y a deux natures en Jésus-Christ, le Christ total comprend et la tête, qui est Jésus-Christ, et les membres qui sont les fidèles. […]

Il faut ici ajouter que si les croyances chrétiennes, qui sont éternelles, précèdent leur expression biblique, la formulation spécifique de ces croyances dans les Symboles de l’Église n’est qu’un prolongement et une explicitation, aussi fidèle que possible, des données contenues dans les Écritures, données bibliques qui constituent le fondement et la justification des formulations dogmatiques exprimées dans les Symboles et les Confessions de l’Église. Reprenons notre lecture de Pontet :

Il saute aux yeux qu’une telle exégèse est fort loin de la critique moderne, soit indépendante, soit même catholique. Depuis Lefèvre d’Etaples et Richard Simon[19], on s’est avant tout préoccupé d’exactitude et d’exactitude littérale. Fixer les sens des mots, la nature des Livres, leur date de composition, l’unité ou la multiplicité de leurs auteurs, connaître les mœurs du moment, la topographie, l’histoire, serrer enfin le texte de l’Écriture dans un réseau de triangulation intellectuelle aussi rigoureux que possible, telle fut l’intention dominante. L’aspect divin de l’Écriture, son souffle vivant pour ainsi dire, ont été moins observés et moins sentis. Tandis que les Pères abordaient la Bible par l’intérieur et se mouvaient à travers elle d’une marche très libre et très simple, les modernes l’abordent du dehors, à l’aide des sciences exactes, et, selon leurs idées religieuses, ils vont plus ou moins loin dans sa profondeur. Ils se soumettent à des conditions a priori auxquelles doit désormais se soumettre quiconque veut passer pour un travailleur sérieux. Saint Augustin a ignoré les avantages et les périls de cette méthode. Il aborde l’Écriture moins comme un savant que comme un enfant de Dieu.

C’est-à-dire que chez Augustin – comme chez Thomas d’Aquin et Jean Calvin – le savant, (ici un des plus grands !) est d’abord, et avant tout, enfant de Dieu. Comme nous le verrons, c’est la condition même de l’exercice de sa science dans les saintes Écritures.

Cette différence est fondamentale. Pour comprendre la Bible, il pense, comme les Pères ses prédécesseurs, qu’il n’est pas nécessaire de sortir de la Bible même. Car elle est prégnante de sa propre explication. Il faut donc multiplier les confrontations entre les mots et les symboles semblables, si éloignés qu’ils soient par leur place dans l’Écriture, rapprocher deux passages, dont la parenté, d’abord latente, devient l’évidence même, enfin comparer données spirituelles à données spirituelles, selon le texte de saint Paul.

Saint Jean Chrysostome fonde son exégèse sur ce principe :

Quand un fait est spirituel et difficile, je cherche des preuves tirées de faits spirituels. Avançai-je par exemple que le Christ est ressuscité, qu’il est né de la Vierge ? J’apporte des preuves, des exemples, des illustrations : le séjour de Jonas dans le cétacé et sa délivrance postérieure, les maternités de femmes stériles, de Sarah, de Rébecca et des autres, la production des arbres dans le paradis sans qu’on y ait semé, sans qu’il y ait plu, sans qu’on ait labouré. Car le corps des événements futurs était figuré et délimité comme à l’état d’ombre par ces événements anciens, de façon qu’on les crût quand ils se produiraient[20].

Nous estimons que des textes semblables nous placent aux sources mêmes de l’exégèse patristique. Cette méthode de rapprochement et d’inclusion, qui part des ressemblances superficielles entre deux textes, paraît verbale, non historique, peu fructueuse : elle est cependant la première règle exégétique de saint Augustin et des Pères. C’est qu’ils croient l’Écriture composée d’un bout à l’autre par le même Esprit ; le retour d’un même mot, d’un même thème, doit donc s’interpréter comme une intention de l’auteur divin. Peu à peu, à travers l’Écriture entière, ont été disposés les éléments d’une sémantique sacrée, que l’exégète à pour rôle de découvrir. Il doit rassembler dans le feu de son esprit ce qu’ont dispersé les textes.

Pontet cite ici un exemple de l’exégèse de S. Augustin :

Quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu, dit Jésus-Christ à Nathanaël (Jean 1:48). Que signifie à cette place le mot figuier et quel aspect de la connaissance de l’Homme-Dieu nous révèle-t-il ? Pour le comprendre, il faut d’un trait remonter jusqu’à la Genèse. Après leur faute, pour couvrir une nudité dont ils commençaient d’avoir honte, nos premiers parents se tressèrent des ceintures de feuilles de figuier.

L’idée de péché est donc mise en avant par la récurrence de ce mot « ficus », et Jésus veut dire à Nathanaël : Je t’ai vu comme pécheur, et c’est alors que je t’ai prédestiné.

Cette lecture synoptique, continue Pontet, saint Augustin la fait quelquefois pour retrouver le même mot en dix passages et pour montrer qu’il est le support d’une idée divine, proposée à travers l’Écriture un peu comme une phrase musicale passant et repassant dans un choral ou un nocturne. Par exemple, veut-il commenter ce verset : Ils m’ont placé dans les ténèbres, comme les morts de ce monde (Psaume 143:3). Il s’exprime de la sorte :

Qui sont les morts de ce monde ? et comment (notre chef) n’était-il pas un mort de ce monde ? Les morts de ce monde sont ceux qui ont mérité la mort, qui ont reçu le châtiment de leur iniquité, et dont la mort a pour raison l’hérédité de la faute, ainsi que le dit la sentence : Moi, en effet, j’ai été conçu dans l’iniquité et ma mère m’a conçu dans les péchés (Psaume 51:7). Mais lui, il est venu, en s’incarnant dans une vierge, sans prendre l’iniquité de la chair, prenant au contraire une chair pure et purificatrice. Mais les Juifs, qui le croyaient pécheur, le rangeaient parmi les morts de ce monde. Cependant le Christ qui dit dans un autre psaume : J’ai payé ce que je n’ai pas pris (Psaume 69:5), dit aussi dans l’Évangile : Voici que s’avance le prince de ce monde, le maître de la mort qui conseille les actions mauvaises […] et il ne trouvera rien en moi. Qu’est-ce dire : Il ne trouvera rien en moi ? Il ne trouvera aucune faute, rien qui mérite la mort. Seulement, ajoute le Maître pour que tous sachent que je fais la volonté du Père, debout, sortons d’ici (Jean 14:30-31). Si je meurs c’est que je fais la volonté du Père, car je ne mérite pas la mort. Je n’ai rien fait qui me vaille la mort, mais j’agis de manière à mourir, afin que par la mort d’un innocent soient libérés les coupables à qui la mort était due. Ils m’ont placé dans les ténèbres comme dans l’enfer, comme dans la tombe… comme les morts de ce monde, moi qui dis ailleurs : Je suis comme un homme privé de secours, libre au milieu des morts (Psaume 88:5-6).

Libre, qu’est-ce à dire, pourquoi libre ? Parce que tout homme qui commet le péché est esclave du péché (Jean 8:34), et qu’en définitive il ne délivrerait pas des liens, s’il n’était pas libre de tout lien. Libre, il a tué la mort, lié le lien, emprisonné la captivité, et pourtant, ils l’ont placé dans les ténèbres, comme les morts de ce monde.

On voit, enchaîne Pontet, comment s’est formée cette magnifique composition, typiquement augustinienne. L’oreille et la mémoire ont guidé l’esprit. S’évoquent les uns les autres les textes qui ont une parenté à la fois dans les mots et dans le sens. En fait l’association est profonde. Toute l’histoire du péché, suggéré à l’homme par Satan, transmis par la génération charnelle, cause de mort pour l’âme et la chair, et parallèlement, toute l’histoire de l’innocence, née de la virginité, incapable de faute personnelle, incapable donc de mourir autrement que par une volonté d’amour, sortent puissamment de l’Écriture même ; le courant théologique passe sans peine sur cette limaille de textes que l’exégète a su disposer.

Trop matériellement appliqué, ce principe conduit à l’erreur. […] Mais les excès ou les bizarreries ne doivent pas nous faire mépriser le principe auguste auquel obéissaient les Pères : l’Écriture se commente elle-même.

Voici un principe d’exégèse que l’on croyait découvert par la Réforme au XVIᵉ siècle ! Il n’en est rien. C’est une donnée qui remonte, comme le montre Pontet, jusqu’aux pratiques exégétiques des Pères et même de celles de la Synagogue juive.

[…] il n’est que de découvrir comment. […] Mais les clés sont dans la Bible ; ne sortons donc point du divin texte pour le comprendre.

On pourrait dire que l’exégèse de saint Augustin est liturgique, plus que scientifique.

La liturgie dans l’Église chrétienne se fonde sur les événements décrits par l’Écriture sainte et par les textes de cette Écriture eux-mêmes, comme d’ailleurs les Symboles et les Confessions de l’Église. La liturgie ne fait que refléter les grands faits de la Foi chrétienne, tels qu’ils sont rapportés par les écrivains sacrés. Dans l’optique de la critique moderne c’est la liturgie et les Symboles qui, eux, fonderaient les Écritures.

Elle oppose (cette exégèse liturgique), pour qu’ils se commentent l’un l’autre, deux pages ou deux points de la Bible, et cette mise en regard elle la reçoit d’une tradition fixée dans la liturgie[21]. Complétée par la réflexion personnelle, cette exégèse part de données et d’habitudes qui remontaient sans doute aux premiers temps du christianisme. Ou plutôt, cette méthode d’éclairer l’Écriture par l’Écriture avait précédé le christianisme ; elle venait des Juifs. Entre la Loi et les prophètes, des correspondances déjà se dessinaient, une composition en partie double qui avait permis aux rabbins, tout au long du cycle liturgique, une mise en lumière de l’unité de l’Écriture.

Formés, et parfois dès leur enfance, par des maîtres d’Israël, les écrivains du Nouveau Testament, évangélistes ou apôtres, avaient composé selon ce principe leur Loi Nouvelle ; ils avaient tenu à l’écrire comme dans les interlignes de l’ancienne Loi. Ainsi apparaissait-elle à des lecteurs israélites comme un aboutissement, comme une transfiguration suprême de leurs Saintes Lettres, non comme un commencement absolu. Pour ces écrivains, la preuve, l’unique preuve est la prophétie, et la réalité de la prophétie se démontre, ou mieux se montre, lorsqu’on peut mettre en vis-à-vis, d’une part la prédiction dans sa richesse confuse, d’autre part l’événement dans la netteté de ses lignes. Ce que la loi et les Prophètes annoncent de l’avenir, ceci est démontré accompli et complet dans l’Évangile.

Souvent les hagiographes citent clairement le texte prophétique, dont l’événement qu’ils racontent est la réalisation dans l’histoire. […] Mais il arrive que tout en étant aussi voulue par les écrivains sacrés, la preuve prophétique se dissimule dans la minceur apparente de leur texte. […]

Ainsi, lorsqu’ils racontent la Transfiguration de Jésus-Christ sur la montagne, les trois synoptiques entrent-ils dans leur récit par les mots d’un texte de Daniel où nous était décrite la gloire de l’Ancien des jours et du souverain juge. […] Les évangélistes, pour faire comprendre à leurs lecteurs la pleine égalité de Jésus-Christ avec Dieu, décrivent la gloire du Verbe Incarné dans les termes mêmes dont se servait Daniel pour décrire la gloire de Dieu. Cette reprise d’expressions identiques a pour eux la valeur de preuve. […]

Saint Paul, afin d’établir lui aussi l’égalité du Fils avec le Père, s’était servi d’un procédé tout semblable. Dans l’Épître aux Philippiens, après avoir rappelé son anéantissement dans la forme d’un esclave, il affirme que Dieu le Père l’a souverainement élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confessât, à la gloire de Dieu le Père, que Jésus-Christ est Seigneur (Philippiens 2:9-11). C’était investir le Christ du texte le plus jalousement monothéiste peut-être de tout l’Ancien Testament, celui d’Isaïe 45:23 : Tout genou pliera devant moi, et toute langue jurera par moi que plus tard les rabbins opposeront inflexiblement à la foi chrétienne en la divinité de Jésus. […]

Une des conséquences de cette méthode qui explique l’Écriture par l’Écriture, sera la quasi-suppression de l’histoire. Dans la Bible, les différences compteront moins que les similitudes. Il va sembler que tous les textes, écrits de la même encre et de la même main, sont datés de la même époque. […] A force de lire dans les Psaumes des fragments de l’Évangile, et de trouver dans un Abraham ou un Job la perfection de la Loi Nouvelle, saint Augustin, entre ces compositions si différentes, supprime le temps. C’est la cause d’une de ses faiblesses exégétiques. […] Se mouvant d’emblée sur le plan de la foi, une telle exégèse s’engage peu dans les replis et les contingences de l’histoire ; elle tend à l’éternel. […]

Ce dénigrement du rôle de l’histoire dans la théologie biblique est un lourd tribut qu’Augustin paie à son héritage néo-platonicien. Sur le plan exégétique il marque ici sa dépendance envers la tradition alexandrine d’exégèse allégorique d’Origène. La Bible est un livre éminemment historique et le développement de l’histoire, loin d’être une faiblesse, face aux pures idées platoniciennes immuables, est un aspect de l’œuvre créationnelle et rédemptrice de Dieu et fait en conséquence partie intégrante de la révélation écrite donnée par Dieu aux hommes. Mais il faut tout de suite ajouter que dans les écrits d’Augustin cette tendance idéaliste platonicienne bien réelle est constamment combattue par un réalisme biblique très fort.

Si nous acceptons ce premier principe que seule l’Écriture éclaire l’Écriture, nous sommes prêts pour assister, avec saint Augustin, à une transfiguration de ses apparences. Tout comme celui qui du dehors regarde les vitraux d’une cathédrale, en n’y apercevant qu’opacité, s’il entre dans la nef et lève les yeux, voit maintenant de mystérieuses grandes roses entre ses yeux et le soleil, celui qui entre dans l’Écriture avec foi et sans chercher à projeter sur elle une clarté humaine, va la voir aussi rayonner de divines significations. […]

Le sens littéral est pour lui un sens réel désignant un fait arrivé, tout ce qu’il y a de plus vrai. Sous peine de ne reposer sur rien, les superstructures du sens spirituel doivent s’appuyer sur cette base historique. Augustin ne veut pas de ces constructions en l’air. De la sorte il réagit à la fois contre le mépris des manichéens pour la lettre de l’Écriture, et contre les excès d’un mauvais origénisme. […] Saint Augustin lit d’abord la Bible comme un latin réaliste, prêt à croire que les choses se passèrent comme il est raconté. […] Nulle part il n’insinue l’idée que certains récits de l’Exode pourraient avoir subi un grossissement épique ou contiendraient une part de symbole. Il se pose en champion de l’objectivité des faits.

Que personne n’aille dire : il est bien écrit que l’eau fut changée en sang, mais c’est une image ; le fait ne s’est pas réellement passé. Parler de la sorte revient à chercher la volonté de Dieu en insultant sa puissance.

Ce parti pris de réalisme ne l’empêche nullement de croire que l’Écriture soit toujours spirituelle, bien qu’elle semble parfois parler de manière matérielle, mais il s’oblige à trouver l’esprit dans la lettre, comme l’intelligence et la sensibilité d’un interlocuteur dans les traits de son visage. Il se dirige donc toujours, même quand il paraît le plus immobile, vers ce sens haut et secret, partout contenu dans l’Écriture, et qui n’est autre que la présence de Jésus-Christ et de son Église. Mais il veut y mener son auditeur lentement et à coup sûr, en partant avec lui des paroles ou des faits de la Bible.

[…] L’exégèse des pères, et celle entre autres de saint Augustin, est dominée par la pensée que l’Écriture est spirituelle. Saint Paul l’affirme aux Romains : La Loi est spirituelle (Rom. 7:14). Cette proposition générale, que l’apôtre éclairera lui-même par des interprétations précises, doit empêcher le chrétien qui lit l’Écriture de jamais prendre le sens littéral pour le principal et le dernier. Il est la base et non le couronnement, ce qui supporte le reste, non ce qui s’élance le plus haut. Ainsi donc le lecteur charnel ne comprendra pas la Bible. Car ce n’est pas comprendre une parabole que d’en saisir l’affabulation sans en voir l’application et la portée.

Ici prennent fin nos citations de Maurice Pontet.

Thomas d’Aquin

Nous passons maintenant à Thomas d’Aquin. D’abord nous citerons un certain nombre d’extraits de la Question I de la Somme théologique[22] consacrée à la sacra doctrina, la doctrine sacrée, identifiée, comme le signale Florent Gaboriau à la suite d’autres connaisseurs de la pensée de saint Thomas[23], avec la sacra Scriptura, l’Écriture sainte, comme source unique, sola Scriptura, l’Écriture seule, de la doctrine sacrée. Par doctrine sacrée Thomas d’Aquin entend ce que nous appelons la théologie. Il réserve normalement ce terme de théologie à la forme la plus haute de la Métaphysique, celle des Premiers Principes qui, selon Aristote, donneraient une connaissance naturelle, philosophique de Dieu.

Ces citations particulièrement claires de Thomas d’Aquin seront suivies de la lecture de commentaires détaillés consacrés à cette Question I par Marc Aillet dans son excellent ouvrage, Lire la Bible avec Saint-Thomas.

Question I

Laoctrine sacrée. Qu’est-elle ? À quoi s’étend-elle ?

Article 1

Une telle doctrine est-elle nécessaire ?

Saint Paul dit (2 Tim. 3:16) : Toute Écriture divinement inspirée est utile pour enseigner, réfuter, redresser, former à la justice. Or, une Écriture divinement inspirée n’a rien à voir avec les disciplines philosophiques, qui sont des œuvres de la raison humaine ; c’est donc qu’une autre doctrine, celle-là d’inspiration divine, a bien sa raison d’être.

Article 5

La doctrine sacrée est-elle supérieure aux autres sciences ?

La vérité est que cette science, à la fois spéculative et pratique, dépasse sous ce double rapport toutes les autres. Parmi les sciences spéculatives, on doit appeler la plus digne celle qui est la plus certaine et s’occupe des plus hauts objets. Or, à ce double point de vue, la science sacrée l’emporte sur les autres sciences spéculatives. Elle est la plus certaine, car les autres tirent leur certitude de la lumière naturelle de la raison humaine qui peut faillir, alors qu’elle tire la sienne de la lumière de la science divine qui ne peut se tromper. C’est elle aussi qui a l’objet le plus élevé, puisqu’elle porte principalement sur ce qui dépasse la raison, au lieu que les autres disciplines envisagent ce qui est soumis à la raison.

La science sacrée peut faire des emprunts aux sciences philosophiques, mais ce n’est pas qu’elles lui soient nécessaires, c’est uniquement en vue de mieux manifester ce qu’elle-même enseigne. Ses principes ne lui viennent en effet d’aucune autre science, mais de Dieu immédiatement, par révélation ; d’où il suit qu’elle n’emprunte point aux autres sciences comme si celles-ci lui étaient supérieures, mais au contraire qu’elle en use comme d’inférieures et de servantes ; ainsi en est-il des sciences dites architectoniques, qui utilisent leurs inférieures, comme fait la politique pour l’art militaire. Du reste, que la science sacrée utilise les autres sciences de cette façon-là, le motif n’en est point son défaut ou son insuffisance, mais la faiblesse de notre esprit, qui est acheminée, avec plus d’aisance à partir des connaissances naturelles, d’où procèdent les autres sciences, vers les objets qui la dépassent, et dont cette science traite.

Article 6

Cette doctrine est-elle une sagesse ?

La doctrine sacrée n’emprunte ses principes à aucune science humaine ; elle les tient de la science divine, qui règle, à titre de sagesse souveraine, toute notre connaissance.

Les principes des autres sciences, ou bien sont évidents, et donc ne peuvent être prouvés, ou bien sont prouvés par quelque raison naturelle dans une autre science ; or la connaissance propre à notre science est obtenue par révélation et non par raison naturelle. C’est pourquoi il n’appartient pas à la doctrine sacrée de démontrer les principes des autres sciences mais seulement d’en juger. En effet, tout ce qui, dans ces sciences, se trouverait contredire la vérité exprimée par la science sacrée doit être condamné comme faux, selon l’Apôtre (2 Cor. 10, 4-5) : Nous détruisons les sophismes et toute puissance altière qui se dresse contre la science de Dieu.

Article 7

Dieu est-il le sujet de cette science ?

On doit considérer comme le sujet d’une science cela même dont on parle dans la science ; or dans la science sacrée, il est question de Dieu : d’où son nom de théo-logie, autrement dit de discours sur Dieu. Dieu est bien le sujet de cette science.

[…] Or, dans la doctrine sacrée, on traite tout sous la raison de Dieu, ou du point de vue de Dieu lui-même, soit qu’il ait rapport à Dieu comme à son principe ou comme à sa fin. D’où il est que Dieu est vraiment le sujet de cette science. Ceci d’ailleurs est aussi manifeste si l’on envisage les principes de cette science, qui sont les articles de foi, laquelle concerne Dieu ; or, le sujet des principes et celui de la science tout entière ne font qu’un, toute la science étant connue dans ses principes. […]

Il est vrai, nous ne pouvons pas savoir de Dieu ce qu’il est ; toutefois, dans notre doctrine, nous utilisons, au lieu d’une définition, pour traiter de ce qui se rapporte à Dieu, les effets que celui-ci produit dans l’ordre de la nature ou de la grâce. […]

Article 8

Cette doctrine argumente-t-elle ?

Les autres sciences n’argumentent pas en vue de démontrer leurs principes ; mais elles argumentent à partir d’eux pour démontrer d’autres vérités comprises dans ces sciences. Ainsi la doctrine sacrée ne prétend pas, au moyen d’une argumentation, prouver ses propres principes, qui sont les vérités de foi, mais elle les prend comme point d’appui pour manifester quelque autre vérité, comme l’Apôtre (1 Cor. 15:12) prend appui sur la résurrection du Christ pour prouver la résurrection générale. […]

Bien que les arguments de la raison humaine soient impropres à démontrer ce qui est de foi, il reste qu’à partir des articles de foi la doctrine sacrée peut prouver autre chose, comme on vient de le dire.

Il est certain que notre doctrine doit user d’arguments d’autorité ; et cela lui est souverainement propre du fait que les principes de la doctrine sacrée nous viennent de la révélation, et qu’ainsi on doit croire à l’autorité de ceux par qui la révélation a été faite. Mais cela ne déroge nullement à sa dignité, car si l’argument d’autorité fondé sur la raison humaine est le plus faible, celui qui est fondé sur la révélation divine est de tous le plus efficace.

Toutefois la doctrine sacrée utilise aussi la raison humaine, non point certes pour prouver la foi, ce qui serait en abolir le mérite [la valeur spécifique, réd.], mais pour mettre en lumière certaines autres choses que cette doctrine enseigne. Donc, puisque la grâce ne détruit pas la nature, mais la parfait, c’est un devoir, pour la raison naturelle, de servir la foi, tout comme l’inclination naturelle de la volonté obéit à la charité. Aussi l’apôtre dit-il (II Cor. 10:11) : Nous assujettissons toute pensée pour la faire obéir au Christ. De là vient que la doctrine sacrée use aussi des autorités des philosophes, là où, par leur raison naturelle, ils ont pu atteindre le vrai. St. Paul, dans les Actes (17:28), rapporte cette sentence d’Aratus : Nous sommes de la race de Dieu, ainsi que l’ont affirmé certains de vos poètes.

Il faut prendre garde cependant que la doctrine sacrée n’emploie ces autorités qu’au titre d’arguments étrangers à sa nature, et n’ayant qu’une valeur de probabilité. Au contraire, c’est un usage propre qu’elle fait des autorités de l’Écriture canonique. Quant aux autorités des autres docteurs de l’Église, elle en use aussi comme arguments propres, mais d’une manière seulement probable. Cela tient à ce que notre foi repose sur la révélation faite aux Apôtres et aux Prophètes, non sur d’autres révélations, s’il en existe, faites à d’autres docteurs. C’est pourquoi, écrivant à St. Jérôme, St. Augustin déclare :

Les livres des Écritures canoniques sont les seuls auxquels j’accorde l’honneur de croire très fermement leurs auteurs incapables d’errer en ce qu’ils écrivent. Les autres, si je les lis, ce n’est point parce qu’ils ont pensé une chose ou l’ont écrite que je l’estime vraie, quelque éminents qu’ils puissent être en sainteté et en doctrine.[23]

Article 10

Est-ce que la « lettre » de l’Écriture sainte peut revêtir plusieurs sens ?

L’auteur de l’Écriture sainte est Dieu. Or, il est au pouvoir de Dieu d’employer, pour signifier quelque chose, non seulement des mots, ce que peut faire aussi l’homme, mais également les choses elles-mêmes. Pour cette raison, alors que dans toutes les sciences ce sont les mots qui ont valeur significative, celle-ci a en propre que les choses mêmes signifiées par les mots employés signifient à leur tour quelque chose. La première signification, celle par laquelle les mots signifient certaines choses, correspond au premier sens, qui est le sens historique ou littéral. La signification par laquelle les choses signifiées par les mots signifient encore d’autres choses, c’est ce qu’on appelle le sens spirituel, qui est fondé sur le sens littéral et le suppose.

À son tour, le sens spirituel se divise en trois sens distincts. En effet, dit l’apôtre (Heb. 7:19), la loi ancienne est une figure de la loi nouvelle, et la loi nouvelle elle-même, ajoute Denys, est une figure de la gloire à venir ; en outre, dans la loi nouvelle, ce qui a lieu dans le chef est le signe de ce que nous-mêmes devons faire. Donc, lorsque les réalités de la loi ancienne signifient celles de la loi nouvelle, on a le sens allégorique [sens théologique, réd.] ; quand les choses réalisées dans le Christ, ou dans ce qui signifie le Christ, sont le signe de ce que nous devons faire, on a le sens moral [sens éthique, réd.] ; pour autant, enfin que ces mêmes choses signifient ce qui existe dans la gloire éternelle, on a le sens anagogique [sens mystique, réd.].

Comme, d’autre part, le sens littéral est celui que l’auteur entend signifier, et comme l’auteur de l’Écriture sainte est Dieu, qui comprend simultanément toutes choses dans la simple saisie de son intelligence, il n’y a pas d’obstacle à dire, à la suite de St. Augustin, que selon le sens littéral, même dans une seule lettre de l’Écriture, il y a plusieurs sens.

Ce dernier Article mérite quelques explications. Prenons un exemple qui fera mieux comprendre la portée véritable du principe herméneutique médiéval et patristique des quatre sens de la sainte Écriture.

Le récit de l’instauration de la cène du Seigneur dans les Évangiles décrit de manière précise et concrète un aspect du repas pascal juif que Jésus-Christ a pris avec ses disciples à la veille de sa crucifixion.

A. Nous y voyons le Christ, dans le cadre de la liturgie très précise de cette cérémonie pascale inaugurée à la sortie d’Égypte des Israélites, prendre du pain, le rompre et le partager entre ses disciples et leur offrir à tous à boire dans une coupe de vin. Ces actions du Christ étaient accompagnées de certaines paroles explicatives de sa part ainsi que de l’ordre donné à ses disciples de répéter ces gestes et ces paroles jusqu’à son retour. C’est là le sens littéral du texte.

Mais ce repas n’a pas qu’un sens littéral. Il comporte aussi un, ou plutôt des sens spirituels, c’est-à-dire des sens qui se rapportent aux réalités spirituelles, celles qui concernent Dieu et le déploiement dans l’histoire de son Alliance de grâce. Ce sens spirituel est divisé en trois sens distincts : le sens allégorique (ou théologique), le sens anagogique (sens mystique ou eschatologique) et le sens moral (ou exemplaire).

B. Ce repas a un sens théologique : il exprime la communion réelle des disciples, on pourrait presque dire leur identification, par la foi, à certains des effets des souffrances du Christ. Cette communion est signifiée par la participation des disciples au pain et au vin de ce repas sacramentel. Ce pain et ce vin sont les signes matériels d’une réalité spirituelle, le sacrifice que leur Maître allait faire de sa Personne à la croix de Golgotha pour le salut du monde, sacrifice par lequel il allait payer le prix de notre rançon, du rachat de notre péché devant le Tribunal de Dieu. C’est le premier sens spirituel, le sens allégorique ou théologique.

C. Mais ce saint repas ne constitue pas un but en soi. Ce repas regarde au-delà de lui-même, et même au-delà de la croix, vers son accomplissement parfait dans le Royaume à venir. Ce repas pascal chrétien, lui-même accomplissement du repas pascal juif, annonce un autre repas dont il est lui-même les prémices : ce festin de noces de l’agneau, festin que l’époux, Jésus-Christ, célébrera avec son épouse, l’Église sainte, sans ride et parfaite, dans cette nouvelle terre et ces nouveaux cieux que nous attendons avec espérance et qui apparaîtront lors du renouvellement de toutes choses. C’est le sens anagogique, ou mystique, ou encore eschatologique.

D. Mais il y a davantage. Si l’acte sacrificiel du Christ à la croix de Golgotha est absolument unique en tant qu’expiation du péché du monde, car, nous dit l’Écriture, il l’a fait (l’expiation) une fois pour toutes en s’offrant lui-même (Héb. 7:27 ; 9:28), il n’en demeure pas moins qu’il s’agit également pour nous d’un exemple à suivre, car nous devons imiter notre Maître et manifester nous-mêmes un esprit de sacrifice à la fois à l’égard de Dieu et envers notre prochain. C’est ainsi que nous devons, d’une part, offrir nos personnes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu (Rom. 12:1) et, de l’autre, nous aimer les uns les autres comme le Christ nous a aimés, jusqu’à donner sa vie pour ses amis (Jean 15:12-14). C’est le troisième sens spirituel, le sens moral ou éthique (ou encore, exemplaire).

Si la tradition réformée et évangélique a violemment polémiqué contre la théorie médiévale et patristique des quatre sens de l’exégèse, il n’en reste pas moins que les commentateurs réformés et évangéliques fidèles à la Bible ont largement usé (et parfois abusé !) de ces divers sens de la sainte Écriture.

Les commentaires de Marc Aillet

Nous citons à présent quelques-uns des commentaires que Marc Aillet à consacrés dans son ouvrage très éclairant Lire la Bible avec S. Thomas[24], à la première question de la Somme Théologique. Cette Première Question de la Somme, consacrée comme elle l’est à la doctrine sacrée ou la sainte Écriture, a un caractère capital. D’emblée Thomas d’Aquin pose le fondement de tout son immense édifice : la doctrine sacrée ou, ce qui revient au même tant leurs rapports sont étroits dans son esprit, l’Écriture sainte. Il n’est pas sans signification qu’il s’agisse ici du tout premier article de la Somme et qu’il soit directement suivi par celui consacré à la doctrine sacrée (ou scripturaire) sur Dieu. Écoutons à présent Marc Aillet.

Le premier principe qu’il (Saint Thomas) énonce est que le mode d’une science doit être recherché selon les conditions de sa matière ; or sa matière, comme il le suggère aussitôt, ce sont les vérités révélées par Dieu, qui constituent les principes de cette science.

Le niveau de la Révélation

Ces vérités ont une première condition, c’est justement que nous les recevons par révélation et donc qu’elles ont leur origine dans la science de Dieu. Cette condition définit le premier niveau fondamental de la science sacrée, celui du lumen infusum (lumière infuse, reçue par révélation) et elle communique à la sacra doctrina (la doctrine sacrée ou théologie) un double mode : le modus revelativus (mode de révélation) et le modus orativus (mode d’oraison, ou de foi). Ces modes sont essentiellement scripturaires. […] À ce premier niveau la sacra doctrina (doctrine sacrée) s’exprime essentiellement dans la sacra Scriptura (Écriture sacrée) et s’enracine directement dans la science de Dieu, qui nous est connue par révélation.

Le niveau de l’habitus fidei (l’état stable de foi du croyant)

La deuxième condition de ces vérités révélées de la sacra doctrina c’est qu’elles sont reçues ; ce qui définit un deuxième niveau de la science sacrée, celui de l’habitus fidei, car c’est seulement par le moyen de la foi que nous pouvons recevoir les vérités révélées.

Le niveau de l’enseignement scolaire

Enfin ces vérités révélées assument encore une dernière condition, c’est qu’à partir d’elles, on peut procéder à la destruction des erreurs, à l’instruction des mœurs et à la contemplation de la vérité dans les questiones sacrae Scripturae. (questions relatives à la sainte Écriture). C’est le troisième niveau de la sacra doctrina, celui que nous appellerons de l’enseignement scolaire. […] Ce niveau de l’enseignement scolaire, St. Thomas continue manifestement à le situer par rapport à ce qui constitue encore au XIIIᵉ s. la forme ordinaire de l’enseignement de la théologie, à savoir le commentaire ou l’exposition de la sainte Écriture, suivant les quatre sens que le saint Docteur fait correspondre ici aux différentes fonctions de la sacra doctrina qu’il vient d’énumérer : instruction des mœurs, contemplation de la vérité, lutte contre les erreurs. Et de fait, les modes de la sacra doctrina qu’il vient d’énoncer étaient habituellement utilisés par les Pères dans leurs commentaires d’Écriture.

[…] Il est net que S. Thomas montre ici son souci de faire de la sacra Scriptura le cadre fondamental de tous les développements scolaires ultérieurs, y compris selon le mode argumentatif pour détruire les erreurs et résoudre les questions posées par le texte sacré. Il montre que, même quand la questio (question précise qui introduit une discussion scolastique, réd.) devient un exercice autonome (c’est-à-dire par rapport au commentaire scripturaire, réd.), elle demeure intrinsèquement liée au commentaire scripturaire à l’intérieur duquel elle a trouvé naissance. […] La sacra doctrina commence dans la sacra Scriptura, s’exprime ensuite dans une lectio biblica (cours ou commentaire biblique) qui tend, à travers une questio sacrae Scripturae (question relative à la sainte Écriture), vers l’argumentation scolastique, la disputatio (dispute scolastique). […] Mais c’est la sacra Scriptura qui, en dernière analyse, est le principe unificateur de la sacra doctrina.

[…] La foi doit présider non seulement à la réception des vérités révélées mais encore à tout effort ultérieur de la raison pour saisir son objet et comprendre le donné révélé (p. 24).

La sacra doctrina se situe donc bien d’abord au niveau de l’habitus fidei, c’est-à-dire de la réception des articles de foi, au contact de la sainte Écriture. Ensuite elle se situe au niveau de l’exposition de la sainte Écriture, qui tend de plus en plus à l’argumentation, d’abord dans les quaestiones Scriptuarum (questions relatives à l’Écriture), puis dans la quaestio disputata (questions disputées) devenu exercice scolaire à part entière. Il n’empêche que cet exercice lui-même ne saurait se développer de manière vraiment théologique en dehors de l’habitus fidei et donc d’un contact permanent avec la sainte Écriture. […] Il (Thomas) maintient l’identification traditionnelle entre sacra doctrina et sacra Scriptura (p. 26-27).

À la suite de Jean de Saint-Thomas (Commentateur de Thomas d’Aquin au XVIᵉ siècle), on a vu dans cette expression (revelabilia : les choses dans la sainte Écriture virtuellement ou implicitement, révélées et que la théologie doit tirer au clair, réd.) ce qu’on a appelé le révélé virtuel : ce qui est déduit par la raison du révélé formel explicite. On a établi par conséquent une sorte de séparation entre les revelata (les choses explicitement révélées dans la sainte Écriture, réd.) qui seraient les vérités formellement révélées et les revelabilia qui seraient toutes les conclusions théologiques déduites des premières. L’inconvénient d’une telle interprétation, c’est qu’on risque alors de réduire la sacra doctrina à une simple science des conclusions théologiques et à faire du révélé virtuel l’objet spécifique de la sacra doctrina ; ce qui est contredit par S. Thomas à l’article 7, quand il affirme que tout, dans la doctrine sacrée, est considéré sub ratione Dei (uniquement du point de vue formel de Dieu), et non pas selon ce que la raison peut connaître, mais selon la connaissance que Dieu a de lui-même et qu’il nous communique par révélation. En séparant revelata et revelabilia, on risque de creuser un fossé entre sacra doctrina et sacra Scriptura (p. 28)[25].

C’est ce que l’on voit déjà chez un S. Bonaventure, contemporain franciscain de S. Thomas. Dans la théologie de Bonaventure on constate un lien beaucoup moins serré que chez S. Thomas entre la sainte Écriture et la doctrine sacrée, ce qui autorise chez lui une plus grande indépendance de sa pensée théologique spéculative par rapport à la sainte Écriture. Cette dissociation entre Écriture et Théologie ira en s’accentuant, surtout dans la tradition nominaliste issue de la pensée éminemment spéculative d’un Duns Scot. Le retour chez les Réformateurs du XVIᵉ siècle au souci de rétablir un rapport beaucoup plus étroit entre doctrine sacrée et sainte Écriture va, sans en être du tout conscient, dans la droite ligne de la pensée théologique de S. Thomas et de sa pratique exégétique constante.

La définition de la sacra doctrina comme enseignement sacré qui procède de la Révélation en acte de tout ce qui se rapporte au Salut, nous fait comprendre la raison profonde de cette identification. C’est l’Écriture canonique qui est l’expression la plus autorisée de cet enseignement. Cela signifie encore que toutes les formes d’enseignement sacré […] auront leur point de départ dans l’Écriture. Plus encore : nous verrons même que la sacra doctrina empruntera jusqu’à ses modes et procédés propres à l’Écriture (p. 31).

L’argumentation théologique sert donc premièrement à […] la contemplation de la vérité. Ce premier emploi du procédé argumentatif vise donc à la compréhension en profondeur des vérités révélées. […]

Le second point qui résulte de cela, c’est que, par le procédé argumentatif, le théologien a pour fonction, non pas de discuter la vérité elle-même, car ce serait infirmer la certitude de la foi, mais d’en montrer le comment, c’est-à-dire, en ordonnant les vérités entre elles, de manifester toute l’intelligibilité du donné révélé. Ceci nous indique d’abord que cette intelligibilité est une caractéristique de la Révélation elle-même. Dieu, qui est l’auteur de la sainte Écriture, est l’auteur de cette intelligibilité qui marque si profondément le donné révélé : il y a dans la sainte Écriture des liens de cause à effet entre les vérités révélées, liens voulus par Dieu lui-même et qu’il convient de mettre en lumière […], par conséquent le théologien ne saurait manifester ces liens sans la foi, ce qui exige que sa raison soit éclairée de manière constante par l’habitus fidei. […] L’Écriture est pleine, implicitement ou explicitement, de ces liens de causalité. Ce n’est donc pas à proprement parler le caractère scientifique de la sainte Écriture qui justifie ce procédé argumentatif, mais c’est la profonde intelligibilité de la sainte Écriture, manifestée par ces liens de causalité entre les vérités, qui justifie l’usage du procédé argumentatif et valide une fonction scientifique, au sens aristotélicien, de la sacra doctrina. […]

Nous devons nous souvenir que la sainte Écriture est la pensée même de Dieu révélée aux hommes. Elle a en conséquence un champ d’application plus vaste même que celui de la création de Dieu, œuvre restreinte de la volonté créatrice intelligente du Créateur. C’est dans ce sens de son application aux réalités terrestres que la sainte Écriture en tant que livre humain passera lorsque tout sera arrivé (Matt. 5:18). Cependant, comme expression fidèle de la pensée de Dieu, elle demeure éternellement, car elle exprime les Paroles mêmes du Christ. Ces paroles divines, lorsque les cieux ou la terre passeront, ne passeront pas, car elles ne connaissent pas les limites propres aux œuvres créées de Dieu. Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas. (Matt. 24:35).

Or il y a deux types de disputes. La première, contre les hérétiques qui refusent tel article de foi, tout en concédant quelque chose de la vérité révélée par Dieu : avec eux, il conviendra de s’appuyer sur un texte qui fait autorité, dans la mesure où il énonce un article de foi admis par tous, pour en déduire, selon le procédé argumentatif, un autre qu’ils nient ; la validité d’un tel procédé vient justement de la profonde intelligibilité du donné révélé. La seconde, contre ceux qui ne croient rien des choses révélées : alors il n’y aura pas d’autre issue que de montrer, par des arguments rationnels, l’erreur des raisons qu’ils opposent à la foi ; en effet, la vérité révélée est infaillible, car elle tire sa certitude de l’autorité même de Dieu qui est vérité absolue ; ainsi toute négation de cette vérité est fausse par définition (p. 33-35).

Nous ajouterons enfin que cette réflexion sur la sacra doctrina montre que, si le point de départ de la théologie se trouve dans la Révélation […], elle aboutit dans une exposition scripturaire et dans une argumentation rationnelle qui sont commandées toujours par la foi, car c’est par la foi que l’homme reçoit la Révélation. La sacra doctrina, tant comme expositio que comme disputatio, trouve sa source dans l’habitus fidei qui reçoit la Révélation : c’est la foi qui veut saisir son objet conformément aux modes de compréhension de la raison humaine qu’elle perfectionne. On retrouve là le grand principe de S. Augustin, Crede ut intellegas (Crois afin de comprendre) et celui non moins célèbre de S. Anselme, Fides quaerens intellectum (La foi cherchant l’intelligence) (p. 39).

  1. Thomas est en cela plus proche des Pères que des modernes, quand il fait de la sacra Scriptura, l’expression fondamentale de la Théologie[26], parce que l’objet de la sacra doctrina et de la sacra Scriptura est spécifiquement le même. […] Pour S. Thomas lui-même, la théologie ne désigne pas seulement la science qui a pour objet propre une réalité divine, mais d’abord un savoir qui vient de Dieu ; en ce sens, l’Écriture est la théologie fondamentale et les premiers théologiens s’appellent Isaïe, Ezéchiel, Paul, Jean (p. 42-43).

Nous voyons que dans ce texte, S. Thomas procède en trois étapes. Dans une première étape, il affirme que Dieu est l’auteur de l’Écriture et a par conséquent le pouvoir de signifier quelque chose, non seulement par des mots, ce que l’homme peut aussi faire, mais encore par des choses : nous avons là l’explication fondamentale de la transcendance de l’Écriture par rapport à tous les autres écrits. Dans une deuxième étape, il tire la conclusion que l’Écriture est dotée d’une double signification, ce en quoi réside concrètement sa transcendance. Enfin dans une troisième étape, il donne un nom à chacune de ces significations – sens littéral et sens spirituel – et note leur étroite connexion. […] Il est clair par conséquent que, pour S. Thomas, l’herméneutique de l’Écriture, c’est-à-dire son interprétation, commandée ici par un double niveau de signification, est profondément tributaire de l’Histoire du Salut. L’ordre de la signification est fondé dans l’ordre de la réalité. Et, en l’occurrence, la réalité, c’est l’Histoire du Salut, une histoire dont Dieu est l’auteur principal. Il y a donc dans l’Histoire du Salut, des réalités qui ont, en elles-mêmes, historiquement, une signification propre et qui, dans l’intention de Dieu, ont encore une autre signification, dite Mystérieuse, c’est-à-dire relative au Mystère du Christ qui constitue l’accomplissement dernier de toute cette Histoire.

Dieu, auctor rerum (auteur des choses elles-mêmes), commande la signification de chaque réalité historique ponctuelle, signification rendue par le sens littéral ; Dieu provident, auteur de l’Histoire du Salut, gubernator rerum in cursu suo (celui qui gouverne le cours même des choses), ordonne toutes ces réalités à leur accomplissement dans le Mystère du Christ en leur donnant une nouvelle signification par rapport à ce Mystère, signification ultérieure rendue par le sens spirituel. Ceci nous montre encore combien les mots de l’Écriture nous renvoient d’abord à la réalité historique elle-même (p. 69-72).

Le sens littéral de l’Écriture, c’est donc la première signification des mots. Sur ce point, tous sont d’accord. Mais cette première signification, pour notre saint Docteur comme pour S. Augustin, avec qui nous avons établi une parenté étroite, n’est pas seulement la signification sémantique, grammaticale, philologique du mot, mais c’est la signification profonde – déjà spirituelle en ce sens – que Dieu, auteur de l’Écriture, veut donner, par l’intermédiaire d’un homme qu’il inspire à ce dessein, au lecteur croyant. La connaissance philologique, rationnelle des signa (signes) – dans leur signification conventionnelle – ne saurait donc suffire à établir le sens littéral, car elle ne saurait remonter jusqu’à la res (chose) spirituelle que l’auteur a en vue et dont il veut nous communiquer la connaissance qu’il en a. Seule la foi peut nous permettre de saisir le lien de ses réalités avec le Salut, lien constitutif de leur statut spirituel et donc de leur consignation dans l’Écriture, c’est-à-dire dans la Révélation (p. 94-95).

Nous en concluons que pour S. Thomas, comme pour les Pères, toutes les réalités consignées dans l’Écriture sont objets de foi, dans la mesure ou toutes elles sont ordonnées à Dieu et au Salut. […]

La foi est donc, pour S. Thomas comme pour S. Augustin et les Pères en général, le préalable indispensable de toute lecture chrétienne de l’Écriture, y compris au sens littéral (p. 93).

Jean Calvin

Nous terminons notre bref survol de la pensée de quelques-uns parmi les plus grands docteurs de l’Église, survol consacré à la manière dont nous devons lire la sainte Écriture, par des citations de Jean Calvin, le prince des commentateurs bibliques, tirées de son Institution de la Religion Chrétienne[27]. Il est frappant de constater à quel point, et cela malgré les différences d’accentuation doctrinale que nous ne saurions minimiser, l’attitude de foi, de respect et l’effort d’intelligence littérale et spirituelle de S. Augustin et de S. Thomas face à l’Écriture vont se retrouver chez Jean Calvin. Ils appartiennent manifestement tous les trois à une même famille spirituelle, du moins quant à leur attitude face à la sainte Écriture.

Or quand on tient pour une chose conclue que la doctrine qu’on propose est Parole de Dieu, il n’y a nul dont l’audace est si désespérée, sinon qu’il fût tout à fait insensé, et même qu’il eût oublié toute humanité, qui ose la rejeter, comme si on n’y devait point ajouter foi. Mais parce que Dieu ne parle point journellement du ciel, et qu’il n’y a que les seules Écritures où il a voulu que sa vérité fut publiée pour être connue jusqu’à la fin, elles ne peuvent avoir pleine certitude envers les fidèles à autre titre, sinon quand ils tiennent pour arrêté et conclu qu’elles sont venues du ciel, comme s’ils voyaient là Dieu parler de sa propre bouche (Vol. I, p. 37).

Il y a une erreur par trop commune, d’autant qu’elle est pernicieuse : c’est que l’Écriture sainte a autant d’autorité que l’Église, par avis commun, lui en octroie. Comme si la vérité éternelle et inviolable de Dieu était appuyée sur la fantaisie des hommes ! Car voici la question qu’ils émeuvent non sans grande moquerie du Saint-Esprit : Qui est-ce qui nous rendra certains que cette doctrine soit sortie de Dieu ? ou bien qui nous certifiera qu’elle est parvenue jusqu’à notre âge saine et entière ? Qui est-ce qui nous persuadera qu’on reçoive un livre sans contredit en rejetant l’autre, si l’Église n’en donnait règle infaillible ? […]

Or tels brouillons sont assez rembarrés par un seul mot de l’Apôtre : c’est en ce qu’il dit que l’Église est soutenue des Prophètes et Apôtres (Eph. 2:20). Si le fondement de l’Église est la doctrine que les Prophètes et Apôtres nous ont laissée, il faut bien que cette doctrine ait toute certitude avant que l’Église commence à venir en être. […] Car si l’Église chrétienne a été de tout temps fondée sur la prédication des Apôtres et les livres des Prophètes, il faut bien que l’approbation de telle doctrine ait précédé l’Église, laquelle elle a dressée, comme le fondement va devant l’édifice. C’est donc une rêverie trop vaine d’attribuer à l’Église puissance de juger l’Écriture, tellement qu’on se tienne à ce que les hommes auront ordonné, pour savoir ce qui est Parole de Dieu ou non. Ainsi l’Église, en recevant l’Écriture sainte et la signant par son suffrage, ne la rend pas authentique, comme si auparavant elle eût été douteuse ou en différend ; mais parce qu’elle la connaît être la pure vérité de son Dieu, elle la révère et honore comme elle y est tenue par le devoir de piété (Vol. I, p. 37-38).

C’est pour cette raison que lors des Conciles œcuméniques la sainte Écriture était solennellement placée au milieu de l’assemblée des évêques qui juraient sur elle et devant Dieu de ne rien dire, de ne rien décider et de ne rien proclamer qui serait contraire aux enseignements des livres sacrés canoniques.

Pour ce qui est de la reconnaissance du canon par les Églises, il s’agit manifestement d’une œuvre toute semblable à celles de l’inspiration divine de la sainte Écriture et de la préservation miraculeuse du texte inspiré : c’est l’œuvre du Saint-Esprit au sein même des Églises. Comme pour l’inspiration, la reconnaissance du canon est à la fois œuvre divine et œuvre humaine (contrairement à la prétendue inspiration toute mécanique attribuée par l’Islam au Coran) sans que cette jonction du divin et de l’humain enlève quoi que ce soit, ni à l’infaillibilité et à l’inerrance, ni à la pleine humanité de la sainte Écriture[28]. Nous ne possédons pas de décisions ecclésiastiques formelles de l’Église ancienne établissant officiellement, par décret humain d’un Concile ou d’un Évêque, la liste des livres réputés canoniques, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament. Ici et là des listes assez variables de livres présumés canoniques étaient établies par des docteurs de l’Église. Mais c’est petit à petit, au cours des premiers siècles de l’histoire de l’Église, qu’un accord enfin unanime s’est dessiné dans toutes les Églises pour reconnaître les livres du Nouveau Testament qui devaient être réputés canoniques[29].

Pour ce qui en est de l’établissement du texte même de la sainte Écriture, il est arbitraire de l’abandonner, comme cela se fait depuis le milieu du XIXᵉ siècle, aux décisions souvent fantaisistes et nécessairement subjectives de la critique textuelle éclectique moderne[30]. Comme s’il s’agissait là de l’établissement d’un texte quelconque ! Nous devons ici faire remarquer la quasi-unanimité des lectures textuelles de plus de 90 pour cent des manuscrits du Nouveau Testament grec. Cette unanimité textuelle fort surprenante est en effet le résultat de filiations textuelles très complexes. L’unanimité de cette tradition textuelle (celle des Églises orthodoxes d’Orient) est en soi un fait si surprenant et si peu probable que, pour une intelligence chrétienne, il ne peut qu’être attribué au soin tout particulier de l’Esprit Saint dans son œuvre de préservation du texte même de la sainte Écriture. C’est ainsi que le texte véritable du Nouveau Testament a été préservé intact par Dieu pour l’édification de son Église et le salut du monde. En vérité je vous le dis, jusqu’à ce que le ciel et la terre passent, pas un seul iota, pas un seul trait de lettre de la loi ne passera jusqu’à ce que tout soit arrivé. (Matt. 5:18 ; voyez aussi : Luc 16:17 ; 21:33 , etc.)

Mais revenons à Calvin

Ainsi, que ce point soit résolu, qu’il n’y a que celui que le Saint-Esprit aura enseigné, qui se repose en l’Écriture en droite fermeté ; et bien qu’elle porte avec soi sa créance pour être reçue sans contredit et n’être soumise à preuves ou arguments, toutefois que c’est par le témoignage de l’Esprit qu’elle obtient la certitude qu’elle mérite. Car bien qu’en sa propre majesté elle ait assez de quoi être révérée : néanmoins elle commence lors à nous vraiment toucher, quand elle est scellée en nos cœurs par le Saint-Esprit. Étant donc illuminés par sa vertu, déjà nous ne croyons pas ou à notre jugement, ou à celui des autres, que l’Écriture est de Dieu ; mais, par-dessus tout jugement humain, nous arrêtons indubitablement qu’elle nous a été donnée de la propre bouche de Dieu par le ministère des hommes, comme si nous contemplions à l’œil l’essence de Dieu en elle. Nous ne cherchons point ou arguments ou vraisemblances, auxquels notre jugement repose ; mais nous lui soumettons notre jugement et intelligence, comme à une chose élevée par-dessus la nécessité d’être jugée. […] C’est donc une persuasion telle, qu’elle ne requiert point de raisons, et toutefois une connaissance telle, qu’elle est appuyée sur une très bonne raison, c’est à savoir, d’autant que notre esprit a plus certain et assuré repos qu’en aucunes raisons ; finalement, c’est un tel sentiment qu’il ne se peut engendrer que de révélation céleste (Vol. I, p. 41-42).

Si nous n’avons cette certitude plus haute et plus ferme que tout jugement humain, en vain l’autorité de l’Écriture sera approuvée par arguments, en vain elle sera établie par le consentement de l’Église, ou confirmée par autres aides. Car si ce fondement n’est mis en premier lieu, elle demeure toujours en suspens : comme au contraire, après qu’elle aura été reçue en obéissance selon qu’il appartient, et exemptée de tout doute, les raisons qui auparavant n’avaient point grande force pour ficher et planter en notre cœur la certitude de cette Écriture sont alors très bonnes aides […] (Vol. I, p. 43-44).

Car la vérité est exempte de tout doute, puisque sans autres aides elle est de soi-même suffisante pour se soutenir. Or combien cette vertu est propre à l’Écriture, cela apparaît en ce que de tous humains écrits il n’y en a nul, de quelque artifice qu’il soit poli et orné, qui ait telle vigueur à nous émouvoir. Que nous lisions Démosthène ou Cicéron, Platon ou Aristote, ou quelques autres de leur bande, je confesse bien qu’ils attireront merveilleusement et délecteront et émouvront jusqu’à ravir même l’esprit ; mais si de là nous nous transportons à la lecture des saintes Écritures, qu’on le veuille ou non, elles nous poindront si vivement, elles perceront tellement notre cœur, elles se ficheront tellement au-dedans des mœlles, que toute la force qu’ont les rhétoriciens ou philosophes, au prix de l’efficace d’un tel sentiment, ne sera que fumée. D’où il est aisé d’apercevoir que les saintes Écritures ont quelque propriété divine à inspirer les hommes, vu que de si loin elles surmontent toutes les grâces de l’industrie humaine (Vol. I, p. 44).

Il y a encore d’autres bonnes raisons, pour lesquelles le consentement de l’Église n’est pas sans importance. Car il ne faut pas estimer cela comme rien que par tant d’âges qui ont été depuis que l’Écriture a été publiée, il y ait eu un perpétuel consentement en l’obéissance à cette Écriture. Et bien que le diable se soit efforcé par plusieurs manières de l’opprimer, ou renverser, voire même l’effacer totalement de la mémoire des hommes, néanmoins elle est toujours comme la palme demeurée inexpugnable et victorieuse. Car il n’y a eu guère de philosophe ou rhétoricien d’excellent entendement, qui n’ait appliqué sa subtilité à l’encontre : néanmoins tous n’y ont rien gagné. Toute la puissance de la terre s’est armée pour la détruire, et tous ses efforts se sont tournés en fumée. Comment eût-elle résisté, étant si durement assaillie de toutes parts, si elle n’eût été défendue que de support humain ? Aussi il est plutôt à conclure que l’Écriture sainte que nous tenons, est de Dieu, puisque malgré toute la sagesse et vertu des hommes elle est néanmoins venue en avant par sa vertu (Vol. I. p. 52).

Ces raisons néanmoins ne sont point de soi suffisantes pour fonder droitement sa certitude jusqu’à ce que le Père céleste, faisant là reluire sa divinité, l’exempte de tout doute et question, lui donnant ferme révérence. Par suite alors finalement l’Écriture nous satisfera à une connaissance de Dieu qui nous apporte salut, quand la certitude en sera appuyée sur la persuasion du Saint-Esprit. Les témoignages humains, qui servent pour la confirmer, lors ne seront point vains, quand ils suivront ce témoignage principal et souverain, comme aides et moyens seconds pour subvenir à notre imbécillité. Mais ceux qui veulent prouver par arguments aux incrédules, que l’Écriture est de Dieu, sont inconsidérés. Or cela ne se connaît que par la foi. Ainsi S. Augustin à bon droit dit : qu’il faut que la crainte de Dieu et une mansuétude paisible du cœur aillent devant, pour faire entendre quelque chose aux hommes, quant aux mystères de Dieu (Vol. I, p. 53).

Remarques de Ronald S. Wallace sur l’enseignement de Calvin quant à la Parole de Dieu[31]

Voici comment Ronald Wallace décrit et commente l’enseignement de Calvin sur la sainte Écriture.

L’autorité de la sainte Écriture est telle que le lecteur doit, dans l’Église, aborder la Bible avec une attitude pleine de respect et d’humilité. Une telle humilité face à l’Écriture est indispensable si la Parole de Dieu doit avoir la liberté d’accomplir son œuvre dans l’Église et ainsi de s’authentifier elle-même aux hommes. Nous devons à l’Écriture le même respect que nous devons à Dieu Lui-même car elle procède uniquement de Lui et n’est altérée par rien qui soit simplement humain (Comm. II Tim. 3:16). À moins d’aborder l’Écriture avec cette attitude d’attente respectueuse qui aspire à y entendre la Parole même de Dieu et avec l’humble désir de lui obéir, nous ne pourrons recevoir à travers l’écoute de l’Écriture cette certitude et cette assurance que Dieu veut nous communiquer par elle et ce Livre ne pourra nous livrer les trésors de sa sagesse toute divine. Lorsque nous venons écouter un sermon ou que nous prenons la Bible pour la méditer, nous ne devons pas être animés de l’arrogance stupide qui nous pousse à nous imaginer que nous comprendrons aisément ce que nous entendrons ou lirons. Nous devons nous approcher avec respect, nous attendant entièrement à Dieu, sachant que nous avons besoin d’être enseignés de son Saint-Esprit, et que sans lui nous ne pouvons rien comprendre de ce que sa Parole nous montre (Serm. I Tim. 8-10). C’est pour cette raison que la lecture de l’Écriture profite à si peu aujourd’hui, car nous ne trouvons à peine un sur cent qui s’y soumette volontiers pour y apprendre. […] Le véritable respect de l’Écriture se montre lorsque nous reconnaissons que dans ce livre se trouve recueillie une sagesse qui surpasse toute intelligence humaine. Malgré cela nous ne rejetons pas ce livre, nous nous adonnons avec zèle à sa lecture dans la dépendance des lumières du Saint-Esprit, désirant ardemment qu’un interprète nous soit donné (Comm. Actes 8:31). Cet interprète de l’Écriture est le Saint-Esprit qui est accordé à ceux qui se tiennent humblement devant la Parole (p. 103).

Nous devons aborder l’Écriture comme si elle était la Parole de Dieu, et alors nous serons en position de découvrir qu’elle est en effet la Parole de Dieu. Une partie du respect que nous devons à l’Écriture consiste à l’aborder avec une finalité et dans un but approprié. C’est insulter la majesté de l’Écriture que de chercher à y trouver les réponses aux nombreuses questions futiles et superficielles qui parfois occupent l’intelligence des hommes. Nous ne devons pas regarder à la Bible pour y trouver des réponses à nos questions, comme si nous étions les maîtres de la Parole de Dieu. Nous devons le laisser Lui, le Saint-Esprit, nous prescrire le but que nous devons chercher à atteindre et les questions qu’il nous faut poser. Il est illégitime de traiter l’Écriture d’une manière peu profitable ; car le Seigneur, lorsqu’il nous donna l’Écriture, ne cherchait ni à satisfaire notre curiosité, ni à encourager notre vanité intellectuelle (Comm. II Tim. 3:16). Il nous est rappelé de ne pas lire la Sainte Écriture afin de satisfaire nos fantaisies ou d’en tirer des questions futiles. Ceux qui font cela se rendent coupables de profaner quelque chose de très saint (Serm. II Tim 3:16). Calvin définit le seul but approprié à la dignité et à la majesté de ce livre en ces termes : Nous devons lire les Écritures avec le ferme dessein d’y trouver Christ » (Comm. Jean 5:39). « La meilleure manière de trouver Dieu est de commencer par sa Parole (Comm. Gen. 48:15).

Un élément de ce respect que nous devons à l’Écriture, si nous voulons profiter d’elle comme Parole divine, est la conviction que toute l’Écriture est le don de Dieu, chaque partie ayant une importance et un sens pour l’Église. À ceci il faut ajouter la patiente attente que les choses qui sont encore obscures pour nous, nous deviendront lumière et bénédiction pour autant que nous nous attachions à la Parole de Dieu. En conséquence efforçons-nous de recevoir instruction de tout ce qui est inscrit dans l’Écriture ; car cela constituerait une insulte envers le Saint-Esprit de penser qu’il aurait pu y consigner quoi que ce soit qu’il ne nous importerait pas de connaître (Comm. Rom. 15:4). Il ne nous faut pas choisir dans l’Écriture ce qui attire notre intérêt, mais nous devons recevoir la Parole tout entière, sans rien y soustraire (Serm. II Tim. 3:16-17). […] Nous devons avec bon appétit et une vivacité d’esprit recevoir les choses qui nous sont claires et par lesquelles Dieu nous découvre sa pensée. Pour ce qui regarde celles qui nous sont cachées nous devons les laisser de côté jusqu’à ce que nous recevions davantage de lumière. Et si nous ne nous lassons pas dans notre lecture, l’Écriture nous deviendra, par une fréquentation persévérante, toujours plus familière (Comm. Actes, 8:28) (p. 104-105).

Pour Calvin, le caractère unique et l’autorité de l’Écriture, tant comme témoin de la personne de Jésus-Christ, que de son droit d’être la source exclusive d’où l’Église tire sa proclamation, provient […] du fait de son origine unique. Il attache une importance considérable à l’inspiration sous laquelle les auteurs de la Bible ont écrit. Calvin affirmait que la Sainte Écriture ne nous serait d’aucun profit à moins que d’être convaincus que Dieu en est l’auteur. L’Écriture ne doit pas être lue uniquement comme l’histoire d’hommes mortels (Serm. II Tim. 3:16). Vu que le ciel ne nous livre pas de révélations quotidiennes et que les Écritures sont les seuls témoignages dans lesquels Dieu s’est plu à consigner sa vérité afin de nous en donner un souvenir perpétuel, l’autorité entière qu’elles doivent avoir dans l’esprit des fidèles n’est pas reconnue si l’on ne croit pas qu’elles sont venues directement du ciel, aussi directement que si nous avions nous-mêmes entendu Dieu les proclamer (Inst. I, 7, 1). […] Quoi que nous puissions, sur le plan humain, dire des procédés mentaux propre à l’écrivain inspiré, Calvin insiste sur le fait que la Parole qui en résulte est libre de toute erreur humaine et privée de toutes les marques de la faiblesse des hommes. […] Le résultat en est qu’avec l’Écriture nous possédons un livre dont on peut dire que ses paroles sont celles de Dieu et non celles des hommes (Comm. Héb. 3:7) (p. 106-109).

Conclusion

En conclusion citons plusieurs textes contemporains. D’abord celui de David Steinmetz, père de la méthode d’étude comparative des commentaires pré-critiques de l’Écriture. Puis une déclaration plus récente de Richard Muller, chef de file de l’école historique qui aujourd’hui s’est donné pour tâche de réexaminer les contours de l’héritage classique d’exégèse chrétienne de la Bible.

David Steinmetz rédigea un article, plusieurs fois reproduit, qui constitue comme le programme de cette école qui travaille à la réorientation de toute l’histoire de l’exégèse ancienne[32]. Il résume dans les dix points suivants les raisons de ce qu’il appelle La supériorité de l’exégèse pré-critique[33]

De son côté Richard Muller, dans un article intitulé La signification de l’exégèse pré-critique[34] relève quatre différences capitales entre, d’une part, les présupposés qui gouvernent l’exégèse pré-critique et, de l’autre, ceux appliqués par la méthode historico-critique moderne.

Premièrement, contrairement aux méthodes de l’exégèse historico-critique des XVIIIᵉ, XIXᵉ et XXᵉ siècles, l’exégèse ancienne (qu’elle provienne des périodes des Pères, du Moyen Âge ou de la Réforme) considérait que l’historia – c’est-à-dire l’histoire que le texte bien compris est censé raconter – se situe à l’intérieur du texte étudié et non au-dessous ou derrière lui. En d’autres termes l’histoire est identifiée au sens littéral ou grammatical du texte. […]

En deuxième lieu, et en opposition nette avec l’exégèse historico-critique, l’ancienne exégèse avait comme postulat de base que le sens d’un texte particulier n’était pas déterminé par une péricope artificiellement isolée de l’ensemble du texte ou du livre biblique dans lequel il figurait. Bien plutôt, le sens du texte est toujours déterminé par la portée et le but du livre biblique dans lequel il se trouve : et plus encore il doit être lu dans le contexte et en tenant compte du but de la révélation canonique divine. En d’autres termes, les exégètes chrétiens pré-critiques ont traditionnellement supposé qu’un but divin et un auteur divin unique unissaient le texte étudié au canon tout entier. Il est évident que les exégètes de la période de la Réforme étaient parfaitement conscients des différences de style et de contenu entre les divers livres bibliques. Mais ils pensaient cependant que l’exégète devait aussi tenir compte, et en plus rendre compte, de l’unité historique et théologique de l’Écriture tout entière. Cette démarche constituait pour eux une partie intégrante de leur effort de comprendre un passage ou un livre biblique spécifique. […]

Troisièmement, ces exégètes pré-critiques comprenaient que le sens littéral et grammatical du texte biblique se référait en premier lieu, non pas à la communauté historique qui aurait suscité le texte, mais à la communauté des croyants qui l’avait reçu et qui continuait, à travers l’histoire de l’Église, à le recevoir. Le texte, pour eux, avait avant tout de l’intérêt parce qu’à travers le déroulement du temps il restait porteur d’un message adressé à la communauté de la foi, et non en premier lieu parce qu’il était le dépositaire de reliques historiques provenant d’un âge révolu. […] L’exégète pré-critique ne considérait pas que ces questions historiques et contextuelles constituaient le point de référence final essentiel qui, de par lui-même, déterminait la signification du texte. Ou, pour exprimer ceci d’une manière un peu différente : l’exégète pré-critique comprenait que le texte, par sa nature même de texte sacré, inspiré, s’adressait, au-delà de son contexte originel, à la vie de l’Église tout entière. […]

En quatrième lieu […], l’exégète de la période de la Réforme (comme d’ailleurs ses confrères médiévaux et patristiques), ne concevait jamais sa tâche comme celle d’un savant isolé, sur les opinions duquel reposerait l’œuvre exégétique tout entière. Bien au contraire, l’exégète de la Réforme […] comprenait la tâche d’interprétation qui était la sienne comme constituant une conversation continuelle maintenue avec ceux qui se trouvaient dans le contexte d’une même communauté de foi. […] Sans doute les Réformateurs considéraient le texte biblique comme clair et en lui-même revêtu de sa propre autorité ; qu’il était parfaitement apte à être justement interprété, à la fois grammaticalement et de manière canonique, par une comparaison soigneuse des passages difficiles avec ceux qui étaient plus clairs. Mais pour eux, ce travail d’interprétation du texte n’était nullement la conversation solitaire d’un exégète avec un texte hermétiquement clos placé devant lui dans la solitude de son cabinet. […] Les Réformateurs partageaient, avec leurs prédécesseurs des époques qui avaient précédé la leur, une vision de la tâche d’interprétation qui comportait un caractère communautaire, dans la mesure où ce travail exégétique tirait ses trésors d’une nuée de témoins constituée par l’Église et ses exégètes au cours des âges. […] L’exégèse ancienne supposait que l’exégète ne vivait et ne fonctionnait pas simplement comme membre d’une corporation académique, mais qu’il assumait sa vocation en tant que docteur ou enseignant de l’Église et qu’il situait son travail à la suite d’une longue lignée d’enseignants ecclésiastiques.

Pour terminer, nous citerons des paroles de Celui qui est en Lui-même, à la fois la Parole créatrice, salvifique et prophétique de Dieu. Tout ensemble en une seule Personne divine et humaine, il est Roi, Prêtre et Prophète, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. Il y a près de deux mille ans Jésus-Christ, s’adressant à ses concitoyens juifs, répondit clairement aux problèmes difficiles qui nous préoccupent ici. Pour terminer nous ne pouvons mieux faire que de l’écouter, Lui qui n’est autre que la Parole de Dieu Lui-même, faite chair pour notre salut :

Pourquoi ne comprenez-vous pas mon langage ? Parce que vous ne pouvez écouter ma parole. Vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne s’est pas tenu dans la vérité, parce que la vérité n’est pas en lui. Lorsqu’il profère le mensonge, ses paroles viennent de lui-même. Et moi, parce que je dis la vérité, vous ne me croyez pas ! Qui de vous me convaincra de péché ? Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? Celui qui est de Dieu écoute les paroles de Dieu. Vous n’écoutez pas, parce que vous n’êtes pas de Dieu. (Jean 8:43-47)

Jean-Marc Berthoud
Lausanne, samedi le 1ᵉʳ août 1998

[1]      Exposé donné le mercredi 5 août 1998 pour le compte du Séminaire d’été de la Ligue vaudoise

[2]      Du côté réformé, mentionnons les noms de Richard Muller, de David Steinmetz et de Susan Schreiner ; du côté catholique romain, il faut signaler ceux de Florent Gaboriau, de J. P. Torrell, de J. A. Weisheipl et de Marc Aillet, L’école d’étude de la Réformation de Genève – Olivier Fatio, Pierre Fraenkel, Irina Backus, Francis Higman et Max Engammare – participe activement à ce travail de réorientation historique. Voyez à ce sujet notre « Lettre ouverte à Florent Gaboriau, philosophe et théologien thomiste », Résister et Construire, 39-40 reproduit dans : Jean-Marc Berthoud, L’école et la famille contre l’utopie, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1997, p. 256-269. De Florent Gaboriau voyez les ouvrages suivants : L’Écriture seule, Fac-éditions, Paris, 1997 ; Théologie nouvelle. Ouvrir le Débat, 1985, Philosophie issue des Sciences, 1986 ; Progrès de la Théologie, 1991 ; Saint Thomas Penseur en Église, 1992 ; Entrer en Théologie avec saint Thomas d’Aquin, 1993, tous publiés par Fac-éditions à Paris. Voyez aussi, Otto Hermann Pesch, Thomas d’Aquin, Grandeur et limites de la théologie médiévale, Cerf, Paris, 1994.

[3]      William C. Placher, The Domestication of Transcendance. How Modern Thinking about God Went Wrong, Westminster John Knox Press, Louisville, Kentucky, 1996 ; Eugène F. Rogers, Thomas Aquinas and Karl Barth. Sacred Doctrine and the Knowledge of God, University of Notre Dame Press, Notre Dame, 1995 ; Susan Schreiner, Where Shall Wisdom Be Found ? Calvin’s Exegesis of Job from Medieval and Modern Perspectives, University of Chicago Press, Chicago, 1994 ; Henry Chavannes, L’analogie entre Dieu et le monde selon saint Thomas d’Aquin et selon Karl Barth, Cerf, Paris, 1969.
Sur les rapports véritables entre l’exégèse scolastique classique et celle de Jean Calvin et de la Réforme, voyez les études suivantes : David Steinmetz, Calvin among the Thomists, dans Mark S. Burrows et Paul Rorem (Editors), Biblical Hermeneutics in Historical Prespective, Eerdmans, Grand Rapids, 1991, p. 198-214. Cet article compare l’exégèse du chapitre IX de l’épître de Paul aux Romains dans les commentaires de Jean Calvin, Martin Bucer (un ancien Dominicain) et Thomas d’Aquin lui-même. Cet article est repris dans David Steinmetz, Calvin in Context, Oxford University Press, Oxford, 1995, qui compare divers aspects de l’œuvre exégétique de Calvin avec celle de ses contemporains et prédécesseurs afin de mieux en dégager la portée et l’originalité. Sur les rapports du thomisme et du calvinisme, voyez : Norman L. Geisler, Thomas Aquinas. An Evangelical Appraisal, Baker, Grand Rapids, 1991, et surtout Arvin Vos, Aquinas, Calvin and Contemporary Thought. A Critique of Protestant Views on the Thought of Thomas Aquinas, Christian University Press Eerdmans, Grand Rapids, 1985. Voyez la collection d’études rassemblées par Michael Cromartie, A Preserving Grace. Protestants, Catholics and Natural Law, Eerdmans, Grand Rapids, 1997.

[4]      Richard Muller, Post-Reformation Reformed Dogmatics, 2 vol., Baker Book House, Grand Rapids, 1987 ; God, Creation, and Providence in the Thought of Jacob Arminius, Baker Book House, 1991 ; Christ and the Decree. Christology and Predestination in Reformed Theology from Calvin to Perkins, Baker, Grand Rapids, 1986, etc. Pour un point de vue différent de l’histoire de l’exégèse protestante (mais qui semble ignorer les travaux de l’école de Muller et de Steinmetz), voyez les ouvrages suivants : Peter Harrison, The Bible, Protestantism and the rise of Natural Science, Cambridge University Press, Cambridge, 1998 ; G. R. Evans, The Language and Logic of the Bible. The Road to Reformation, Cambridge University Press, Cambridge, 1985, 2 vol. ; Jaroslav Pelikan, The Reformation of the Bible, the Bible of the Reformation, Yale University Press, New Haven, 1996.

[5]      Du côté réformé, voyez les noms de Pierre Courthial et de Paul Wells ; du côté orthodoxe, ceux d’Alexander Schmemann et de Justin Popovic ; du côté catholique romain, ceux d’Ignace de la Potterie, de J. de Monléon et de Florent Gaboriau.

[6]      Voyez les tendances rationalistes d’Augustin (Vᵉ siècle) dans sa période manichéenne, l’effort critique d’un Abélard au XIIᵉ siècle, celui de la scolastique nominaliste des XIVᵉ et XVᵉ siècles, de plus en plus indépendante du texte de l’Écriture, et des commencements de la critique biblique humaniste aux XVᵉ et XVIᵉ siècles, et finalement les débuts du rationalisme réformé dans les travaux de l’école amyraldienne (Moïse Amyrault) de Saumur au XVIIᵉ siècle, école qui rejoint les débuts de la critique biblique catholique romaine fondée par Richard Simon. Toutes ces tendances culminent dans le panthéisme rationaliste d’un Spinoza à la fin du XVIIᵉ siècle, exégète que l’on peut considérer comme le véritable père de la méthode historico-critique allemande.

[7]      Sur l’histoire de la conquête des études bibliques par la méthode historico-critique, voyez les ouvrages suivants : Paul Hazard, La crise de la conscience européenne 1680-1715, Boivin, Paris, 1935 ; Henning Graf Reventlow, The Authority of the Bible and the Rise of the Modern World, SCM Press, London, 1984 ; Dominique Tassot, La Bible au risque de la Science. De Galilée au P. Lagrange, François-Xavier de Guibert, Paris, 1997 ; R. Blackwell, Galileo, Bellarmin and the Bible, University of Notre Dame Press, Notre Dame, 1991 ; François Laplanche, L’Écriture, le sacré et l’histoire. Érudits et politiques protestants devant la Bible en France au XVIIᵉ siècle, APA Holland University Press, Amsterdam, 1986 ; La Bible en France entre mythe et critique XVIᵉ-XIXᵉ siècles, Albin Michel, Paris, 1994 ; Richard Popkin and James Force (Ed.), The Books of Nature and Scripture : Recent Essays in Natural Philosophy, Theology and Biblical Criticism in the Netherlands of Spinoza’s Time and the British Isles of Newton’s Time, Kluwer, Dordrecht, 1994 ; Hans W. Frei, The Eclipse of Biblical Narrative. A Study in Eighteenth and Nineteenth Century Hermeneutics, Yale University Press, New Haven, 1974 ; Gerald L. Bruns, Hermeneutics Ancient and Modern, Yale University Press, New Haven, 1992 ; Jean-Marie Paul, Dieu est mort en Allemagne. Des Lumières à Nietzsche, Payot, Paris, 1994 ; Augusto Del Noce, L’irréligion occidentale, Fac-éditions, Paris, 1995 ; Arnaud-Aaron Upinsky, La tête ou la parole coupée, F.-X. Guibert, Paris, 1991 ; Émile Poulat, Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Casterman, Paris, 1979.

[8]      Sur l’interprétation de la Bible, dans une perspective respectueuse de l’origine divine de ce livre, voyez les ouvrages suivants : Paul Wells, Dieu a parlé. La Bible semence de vie dans un cœur labouré, La Clairière, Quebec, 1997 ; Collectif, Dieu parle, Kerygma, Aix-en-Provence, 1982 ; Pierre Marcel, Face à la critique : Jésus et les apôtres, Esquisse d’une logique chrétienne, Labor et Fides/Kerygma, Genève/Aix-en-Provence, 1986 ; Pierre Courthial, « Sur l’herméneutique » et « Du texte au sermon : la parabole du semeur en Luc 8 : 5-15 », dans : Fondements pour l’avenir, Kerygma, Aix-en-Provence, 1981, p. 53-78 ; Gerhard Maier, Biblical Hermeneutics, Crossway Books, Wheaton, 1994 ; Gerald Bray, Biblical Interpretation. Past and Present, Inter-Varsity Press, Leicester, 1996 ; Donald G. Bloesch, Holy Scripture. Revelation, Inspiration and Interpretation, Inter-Varsity Press, Downers Grove, 1994 ; Milton S. Terry, Biblical Hermeneutics. A Treatise on the Interpretation of the Old and New Testaments, Zondervan, Grand Rapids, s.d.

[9]      Sur la réfutation de la méthode historico-critique, voyez les ouvrages suivants : F. F. Bruce, Les documents du Nouveau Testament, peut-on s’y fier ?, Farel, Paris, 1987 ; Marie-Christine Ceruti-Cendrier, Les Évangiles sont des reportages, n’en déplaise à certains, Pierre Téqui, Paris, 1997 ; Vittorio Messori, Il a souffert sous Ponce Pilate, F.-X. de Guibert, Paris, 1995 ; Vittorio Messori, Hypothèses sur Jésus, Mame, Paris, 1979 ; Georges de Nantes, « La vérité des Évangiles. Réponse aux « vingt-sept » d’Arte », La contre-réforme catholique au XXᵉ siècle, Nº 336 et 345, août 1997 et avril 1998, F – 10760 Saint-Parres-les-Vaudes ; Carsten Peter Thiede, Qumrân et les Évangiles. Les manuscrits de la grotte 7 et la naissance du Nouveau Testament, F.-X. de Guibert, Paris, 1994 ; C. P. Thiede, Témoin de Jésus. La preuve matérielle que l’Évangile selon saint Matthieu est un témoignage oculaire écrit par des contemporains du Christ, Laffont, Paris, 1996 ; C. P. Thiede, Jésus selon Matthieu. La nouvelle datation du Papyrus du Magdalen College d’Oxford et l’origine des Évangiles, F.-X. de Guibert, Paris, 1996 ; Eta Linnemann, Historical Criticism of the Bible. Methodology or Ideology ? Reflections of a Bultmannian Turned Evangelical, Baker, Grand Rapids, 1990 ; Eta Linnemann, Is there a Synoptic Problem ? Rethinking the Literary Dependance of the First Three Gospels, Baker, Grand Rapids, 1992 ; John Wenham, Redating Matthew, Mark and Luke. A Fresh Assault on the Synoptic Problem, Inter-Varsity Press, Downers Grove, 1992 ; Gerhard Maier, The End of the Historical-Critical Method, Concordia, St. Louis, 1977 ; David Estrada and William White, The First New Testament. A Dramatic Breakthrough establishing its Authenticity, Thomas Nelson, Nashville, 1974 ; Armand Ory, Retrouver les Évangiles. Une initiation à l’exégèse fonctionnelle, F.-X. de Guibert, Paris, 1984 ; J. Renié, Les Évangiles seraient-ils des écrits tardifs ?, Téqui, Paris, 1980.

[10]    Voyez notre étude : « Les différentes formes de causalité et la pensée de la Bible » dans : L’école et la famille contre l’utopie, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1997, p. 227-257 et Jean-Marc Berthoud, Les grandes étapes de la Sécularisation de la Science, Positions Créationnistes, Lausanne, No 22, juin 1995

[11]    Voyez notre étude : « L’idole de notre temps », dans : Jean-Marc Berthoud, L’école et la famille contre l’utopie, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1997, p. 214-226.

[12]    Voici comment s’exprime le Père Roland de Vaux, successeur du Père Lagrange à la tête de l’École Biblique de Jérusalem, dans son introduction à sa Méthode historique :
L’historien ne nie pas Dieu mais en tant qu’historien il se passe de lui.
C’est, appliqué à la lecture de la Bible comme l’entendait bel et bien le Père de Vaux, l’instauration d’une méthode athée de lecture et d’étude de la sainte Écriture.

[13]    D. Janicaud, La puissance du rationnel, Gallimard, Paris, 1985, p. 16.

[14]    Lurçat parle ici de la pédagogie, mais ce qu’il dit pourrait tout aussi bien s’appliquer à la méthode historico-critique.

[15]    Plus de trois siècles pour la méthode historico-critique, véritable pseudo-critique qui se dérobe a priori à toute forme de critique véritable ! Pour ce qui concerne des lieux de résistance, il faut constater que l’occupation des Facultés et des Séminaires de Théologie par les partisans de la méthode historico-critique est quasi universelle.

[16]    François Lurçat, L’autorité de la science, Cerf, Paris, 1995, p. 95-96.

[17]    Bertrand de Margerie, Introduction à l’histoire de l’exégèse. Vol. III. Saint Augustin, Cerf, Paris, 1983, pp. 18-24.

[18]    Maurice Pontet, L’exégèse de saint Augustin, prédicateur, Aubier, Paris, 1944, p. 149–172.

[19]    La remarque est juste pour Richard Simon, mais largement fausse pur Lefèvre d’Étaples. Si ce dernier insère son travail dans les préoccupations du retour aux sources, de l’exactitude textuelle, d’une compréhension plus grande du contexte historique et d’une explication d’abord littérale du texte biblique, il n’en demeure pas moins que Lefèvre, comme d’ailleurs tous les Réformateurs, reste entièrement à l’intérieur de la grande tradition d’exégèse chrétienne. Avec Richard Simon, digne disciple de Bénédict de Spinoza, la critique rationaliste prend son essor.

[20]    Sermon sur 1 Corinthiens 7:4.

[21]    On peut ajouter : dans les Symboles, dans les Confessions de Foi.

[22]    Thomas d’Aquin, Somme théologique, Cerf, Paris, 1984-1986.

[23]    Florent Gaboriau, L’Écriture seule, Fac-éditions, Paris, 1997. Voyez déjà l’article de B. Decker, « Sola Scriptura bei Thomas von Aquin », in Universitas, Mayence, 1960, p. 117-129. Marc Aillet, qui commente cet article écrit :
Pour St. Thomas, en effet, l’Écriture est la source unique de la Théologie. Ce qui signifie que la doctrine de l’Église n’est pas autre que celle de l’Écriture, vis-à-vis de laquelle l’Église a une fonction d’interprétation.
Marc Aillet, Lire la Bible avec S. Thomas, Éditions Universitaires, Fribourg, 1993, p. x.
Les textes essentiels de Hugues de Saint-Victor, de Thomas d’Aquin (Question VI du Quodlibet VII et le commentaire sur un passage des Galates) et de Nicolas de Lyre sur l’interprétation de la Bible sont utilement rassemblés par Yves Delègue en traduction française dans : Les machines du sens. Fragments d’une sémiologie médiévale, Éditions des Cendres, Paris, 1987. Il accompagne ces textes lumineux d’un commentaire qui, malheureusement, ne parvient pas à pénétrer le sens véritable de l’exégèse littérale et spirituelle médiévale.

Lettre 82, 1 à St. Jérôme, PL 33, 277. S. Augustin ajoute dans cette même lettre :
Et si dans ces Écritures, je rencontrais quelque chose qui parût contraire à la vérité, je n’hésiterais pas à penser, ou que le manuscrit est fautif, ou que le traducteur n’a pas saisi le sens, ou que c’est moi qui n’ai pas compris.
Dans une autre lettre de St. Augustin nous lisons :
Mieux vaut sentir peser sur soi des signes inconnus mais utiles que, par des interprétations inutiles, de retirer sa tête du joug de la servitude (c’est-à-dire de la fidélité, de la soumission de foi, même sans compréhension rationnelle, à la sainte Écriture) et de l’envelopper dans les filets de l’erreur (de l’incrédulité, surtout rationnelle).
Lettre 55 citée par Dominique Tassot, La Bible au risque de la Science, op. cit., p. 303.

[24]    Marc Aillet, Lire la Bible avec S. Thomas. Le passage de la littera à la res dans la Somme théologique, Éditions Universitaires, Fribourg, 1993.

[25]    Toute l’indépendance de la théologie par rapport à la sainte Écriture vient d’une telle séparation.

[26]    S. Thomas, à la suite d’Aristote, utilise le mot théologie uniquement pour signifier la forme la plus élevée de la métaphysique aristotélicienne. Pour ce que nous appelons la théologie, il utilise l’expression doctrine sacrée.

[27]    Jean Calvin, L’Institution chrétienne, Labor et Fides, Genève, 1955.

[28]    Sur la doctrine de l’inspiration de la sainte Écriture voyez les ouvrages suivants : Paul Wells, Dieu a parlé. La Bible semence de vie dans un cœur labouré, La Clairière, Quebec, 1997 ; René Pache, L’inspiration et l’autorité de la Bible, Emmaüs, Saint-Légier, 1967 ; E. J. Young, Thy Word is Truth, Eerdmans, Grand Rapids, 1957 ; Collectif, The Infallible Word, Presbyterian and Reformed, Philadelphia, 1946 ; J. W. Montgomery (Ed.), God’s Inerrant Word, Bethany, Minneapolis, 1974 ; N. L. Geisler (Ed.), Inerrancy, Zondervan, Grand Rapids, 1980.

[29]    Sur l’histoire du canon voyez les ouvrages suivants : Louis Gaussen, The Canon of the Holy Scriptures from the Double Point of View of Science and Faith, Nisbet, London, 1863 ; H. van Campenhausen, La formation de la Bible chrétienne, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1971 ; R. Laird Harris, Inspiration and Canonicity of the Bible, Zondervan, Grand Rapids, 1977 ; Roger Beckwith, The Old Testament Canon of the New Testament, Eerdmans, Grand Rapids, 1985 ; H. E. Ryle, The Canon of the Old Testament, Macmillan, London, 1914 ; F. F. Bruce, The Canon of Scripture, Inter-Varsity Press, Downer’s Grove, 1988 ; D. A. Carson and John D. Woodbridge (Eds.), Hermeneutics, Authority and the Canon, Zondervan, Grand Rapids, 1986.

[30]    Sur la préservation de la sainte Écriture par le Saint-Esprit voyez les études suivantes : Edward F. Hills, The King James Version Defended, The Christian Research Press, P. O. Box 2013, Des Moines, Iowa 50310, 1988 ; Jakob van Bruggen, The Ancient Text of the New Testament, Premier Publishing, One Beghin Avenue, Winnipeg, Canada R2 J 3XE, 1988 ; W. N. Pickering, The Identity of the New Testament Text, Nelson, Nashville, 1980 ; Th. P. Letis, The Majority Text, Institute for Biblical Textual Studies, P. O. Box 5114, Fort Wayne, Indiana 46895, 1987 ; J.W. Burgon, The Last Twelve Verses of Mark, Associated Publishers, Grand Rapids, s.d. ; The Revised Version Revised, A. G. Hobbs, P.O. Box 14218, Fort Worth, TX 76117, 1983 ; John Burgon, Unholy Hands on the Bible, Sovereign Grace Trust Fund, Lafayette Indiana 47903, 1990.

[31]    Ronald S. Wallace, Calvin’s Doctrine of the Word and Sacrament, Geneva Divinity School, Tyler, 1982. Voyez également John Murray, Calvin on Scripture and Divine Sovereignty, Baker, Grand Rapids, 1978 (1960).

[32]    Cet article est reproduit dans le volume collectif, Donald McKim (Editor), Contemporary Hermeneutics : Major Trends in Biblical Interpretation, Eerdmans, Grand Rapids, 1986, p. 65-87.

[33]    Voyez : David Steinmetz, « Theology and Exegesis : Ten Theses », in : Olivier Fatio et Pierre Fraenkel, Histoire de l’exégèse au XVI siècle, Droz, Paris, 1978, p. 382. David Steinmetz ajoute les questions suivantes :
I. Questions soulevées par les commentateurs du XVIᵉ siècle dans leurs commentaires et leurs traités herméneutiques
A. Quel est le rapport entre les deux testaments ?
B. Comment devrait-on se représenter le rapport entre la lettre et l’esprit du texte biblique ? C. Combien l’Écriture possède-t-elle de significations et comment déterminer la signification ou les significations correctes ?
D. Quelles sont les qualités intellectuelles et spirituelles requises d’un interprète de l’Écriture ? E. En quoi consiste le Magistère de l’Église et qui est autorisé à décider les questions disputées lorsque l’exégèse d’un théologien diffère de l’interprétation d’un autre ? F. Quels résultats peut-on espérer de l’interprétation de l’Écriture ?
II. Questions posées par des historiens contemporains qui examinent ces commentaires avec l’aide de la méthode historico-critique
A. Quel est le rapport entre les présupposés théologiques et les résultats exégétiques ?
B. Quelles sont les traditions théologiques qui se trouvent à l’arrière-plan de l’interprétation biblique au seizième siècle ?
C. Quelle est la situation de l’interprète et du texte qui est interprété sur les plans politiques, socio-économiques, culturels et confessionnels ?
D. Quel est le rapport entre l’herméneutique et l’homilétique ? Un interprète a-t-il jamais compris un texte avant de l’avoir expliqué avec succès à une autre personne ?
E. La signification d’un texte littéraire est-elle jamais limitée à l’intention première de l’auteur ?

[34]    Richard Muller, « The Significance of Precritical Exegesis », in : Richard A. Muller and John L. Thompson, Biblical Interpretation in the Era of the Reformation, Eerdmans, Grand Rapids, 1996, p. 349-352.