Orgueil, luxure, outrecuidance (présomption),
Envie et mortelle trahison,
Convoitise, désordonnance (désordre),
Baras (fourberie), convers (fausseté) ont leur saison ;
Chacun hait Justice et Raison
Et veut état (condition) de Prince avoir ;
En ne quiert (recherche) qu’argent et avoir (biens),
Au bien commun n’est nul enclin ;
Par tous ces points peut on savoir
Que le monde approche sa fin.
Guerre de jour en jour s’avance
Il n’est prière ni oraison
Vers Dieu, ni nulle obéissance
Étable font de sa maison (son Église)
Plusieurs. Las ! toute division
Règne, et menterie pour voir, (vérité)
Prudhomme (homme droit) n’ose les dents mouvoir (parler) ;
L’Église en tout va à déclin.
Par ce qu’on peut apercevoir
Que le monde approche s fin.
Pitié, amour ni connaissance,
Loyauté ne porte mais (désormais) homme,
Honneur, vérité ni vaillance ;
De toutes vertus nous taisons :
Le grand orgueil que nous faisons,
Fera pauvreté concevoir
En général un cruel hoir (héritier),
Vengeance, et détruire l’or lin.
Puis doit Antéchrist apparoir (paraître),
Que le monde approche sa fin.
L’envoi
Prince, je vois tout remouvoir (remuer)
Et les signes du ciel douloir (affliger)
Pour notre douloureux chemin
Rien ne vaut ce que dût valoir :
Dieu nous veuille à bien émouvoir,
Que le monde approche sa fin.
Eustache Deschamps (1346-1406)
Eustache Deschamps, Œuvres complètes. Balade 982, Vol. V, p.226-227, Firmin Didot, Paris, 1887.