Recensions de livres

 

Jean-Marc Berthoud, Calvin et la France. Genève et le déploiement de la Réforme au XVIᵉ siècle, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1999, 125 p.

Dans son ouvrage Calvin et La France : Genève et le déploiement de la réforme au XVIᵉ siècle Jean-Marc Berthoud, nous offre une perspective intéressante et importante sur le rôle de Calvin et de la ville de Genève dans le développement des Églises réformées en France. Dans son ouvrage, qui est divisé en deux parties, Berthoud cherche à répondre à la question suivante : Quels rôles Calvin et la ville de Genève ont-ils joués dans cette floraison extraordinaire en France de la prédication de l’Évangile ? À travers la réponse à cette question Berthoud livre de manière concise à ses lecteurs les fondements historiques et théologiques de la vie de Calvin et des débuts de la Réforme à Genève. Il examine en outre la façon par laquelle Dieu s’en est servi comme tremplin pour faire avancer l’Évangile en France et pour mieux structurer les Églises réformées dans ce pays. Bien que Calvin et La France soit un livre assez court, on y trouve néanmoins de nombreuses citations précises ainsi que beaucoup de références à l’érudition la plus actuelle touchant sur Calvin et la Réforme. Il s’agit donc d’un ouvrage qui serait utile aux laïcs et aux érudits dans leur recherche sur Calvin et la Réforme à Genève et en France. Bien que cet ouvrage contienne une liste de livres de Calvin actuellement disponibles en français, on ne peut que regretter l’absence d’une bibliographie et d’un index des sujets traités.

Dans la première partie Berthoud présente au lecteur un survol de la vie de Calvin, un résumé historique des idées politiques, culturelles et religieuses en conflit au moment de la Réforme et une esquisse des étapes menant au triomphe ecclésiastique et politique final de la Réforme en 1555 à Genève. Selon Berthoud, c’est ce triomphe définitif de la Réforme sur ses ennemis qui ouvrit le chemin pour un travail missionnaire sérieux et durable en France. Il montre, par ailleurs, que le fondement des conflits de l’époque et plus particulièrement celui des luttes acharnées déclenchées lors de la Réforme genevoise trouvait ses racines dans la lutte acharnée entre, d’une part, l’anthropocentrisme païen de la Renaissance (paganisme renaissant qui avait profondément infecté la culture de l’Europe médiévale) et la pensée théocentrique biblique des Réformateurs, de l’autre.

Dans le domaine des rapports entre la politique et la religion le paganisme de la Renaissance conduisit au développement d’un absolutisme et d’une centralisation du pouvoir, ceci menant souvent à ce que l’un des domaines usurpe l’autorité de l’autre. La Réforme par contraste appelait à la diversification et à la décentralisation du pouvoir – un pouvoir soumis aux Écritures. Dans les Églises réformées on vit l’exclusion des pratiques basées sur le paganisme comme la justification par les œuvres, les prières adressées aux saints en vue de leur intercession, l’adoration des reliques, le paiement des indulgences, la transformation des éléments dans la messe et l’idolâtrie de la Vierge Marie. La Réforme s’est fortement opposée à toutes ces pratiques réclamant un retour à une adoration pure de Dieu dans l’Église, piété fondée sur l’enseignement biblique seul. En ce qui concerne la culture, l’humanisme de la Renaissance favorisait vigoureusement le retour aux modèles de l’antiquité païenne dans l’art et dans la littérature aussi bien qu’au renouvellement de l’immoralité ancienne. Des institutions comme l’État et la banque favorisaient souvent l’accès au pouvoir et aux richesses. La Réforme pour sa part soulignait la nécessité de réformer la culture et les institutions conformément au modèle contenu dans les commandements et les directives de la Parole de Dieu.

Dès le début de son ministère à Genève Calvin fut confronté à la fois à cette vague puissante d’humanisme touchant à tous les domaines de la vie, ainsi qu’à la lutte interne des Genevois pour maintenir leur indépendance et leur liberté face aux puissances extérieures hostiles. Par rapport à ces luttes internes la question critique était la suivante : Quels présupposés, quelle perspective religieuse sous-tendraient cette lutte pour la liberté et l’indépendance de Genève ? Calvin pour sa part chercha à endiguer cette marée montante d’humanisme et par la prédication de la Parole de Dieu à faire progresser l’indépendance et la liberté de Genève. Il a cherché à le faire en travaillant à transformer les Églises débutantes (des Églises « plantées », Églises dans lesquelles les membres se rassemblent pour étudier la Bible et pour prier) en des Églises dressées (Églises où toutes les fonctions ecclésiastiques prévues par la Bible sont observées). Par ce moyen Calvin et ceux qui travaillaient avec lui, parvinrent à vaincre les diverses factions qui rivalisaient pour le contrôle politique et religieux de Genève et à se concentrer sur la tâche de promouvoir l’œuvre de la Réforme en France. Ce but fut atteint en 1555. Dès ce moment Genève, selon Berthoud, était devenue une « Cité-Église », obéissant à la Parole de Dieu tant dans le domaine politique que dans celui de l’ecclésiologie.

Ayant, dans la première partie de son ouvrage, tracé les fondements de l’établissement durable de la Réforme à Genève, Berthoud dans la deuxième partie cherche à fournir une explication des raisons contextuelles, à la fois pratiques et théologiques, de la fécondité du travail missionnaire en France de Calvin et de la ville de Genève. Bien que Calvin ait choisi de quitter la France, Berthoud montre bien que le but de ce départ fut d’établir une base sûre à partir de laquelle il serait possible de travailler à la restauration et aux progrès des Églises en France. Après avoir établi et consolidé une telle base dans la cité de Genève, Calvin se trouvait plus à même de lutter contre les problèmes auxquels ses concitoyens français devaient faire face et, plus particulièrement, contre ceux qui touchaient aux Églises.

L’un des problèmes majeurs concernait l’absolutisme machiavélique et l’immoralité païenne qui étaient la pratique commune de la cour sous les règnes de François I et son fils Henri IL. D’autres difficultés auxquelles il fallait faire face étaient celles d’une spiritualisation de la Parole de Dieu qui faisait l’économie de son application aux divers domaines de la vie ainsi que l’esprit de compromis très répandu chez les évangéliques français de l’époque avec l’Église Romaine. Comme bien d’autres ministres réformés de cette époque Calvin était à même de traiter de tels problèmes tant politiques que spirituels à travers ses prédications et ses ouvrages. C’est par ces moyens qu’il fournit aux nobles et à la classe moyenne en France le cadre biblique indispensable au redressement de ces abus à la fois religieux et culturels.

Sur ces fondements le nombre d’Églises dressées en France augmenta d’une manière exponentielle entre les années 1555 et 1562. En 1555 il n’y avait que cinq Églises dans le royaume comparables au modèle genevois. Il s’en trouvait cent lors du premier Synode national tenu à Paris en 1559 et 2150 en 1562. Face à une telle croissance d’où pouvaient donc venir les pasteurs capables de s’occuper de toutes ces nouvelles Églises ? Comment était-il possible, d’un point de vue pratique, de pourvoir à leurs besoins ? Berthoud répond que plusieurs de ces pasteurs sont venus de la Suisse francophone. Ces pasteurs avaient précédemment fui la France en raison de la persécution et, arrivés en Suisse, s’étaient rapidement engagés dans le ministère pastoral. C’est ainsi qu’entre 1555 et 1562 au moins 88 pasteurs furent envoyés en France par la Compagnie Vénérable des Pasteurs de Genève.

La création, d’abord de l’Académie de Lausanne en 1537 par Les Messieurs de Berne sous l’impulsion et la direction de Pierre Viret, et puis celle de l’Académie de Genève, par Calvin et Théodore de Bèze en 1559 fournirent l’instrument permettant la formation théologique des jeunes pasteurs qui, par la suite, seraient envoyés servir les Églises sur le champ missionnaire de la France. Dans ces deux Académies et par leur expérience dans les Églises où ils exerçaient leur ministère en Suisse romande, ces hommes reçurent une formation exégétique et homilétique solide. Concernant la nature de la prédication réformée à cette époque, Berthoud indique quatre caractéristiques importantes qui ressortent du modèle que fut pour ces jeunes pasteurs la prédication de Calvin. 1/ La prédication suivie du texte biblique ; 2/ l’utilisation des outils linguistiques et littéraires de l’époque ; 3/ la perception du caractère antithétique de toute vraie prédication : la vraie doctrine doit être systématiquement opposée à la fausse doctrine et 4/ l’application très pratique des enseignements de toute l’Écriture à tous les aspects de la vie humaine ainsi qu’à l’ordre de la création. Finalement, la multiplication des ouvrages réformés publiés, la présence des pasteurs français et la formation rigoureuse de ces jeunes ministres, créèrent à Genève des conditions pratiques très favorables au développement de la Réforme en France.

Berthoud conclut la deuxième partie de son livre par un examen des critères théologiques qui suscitèrent en Calvin la force quasi surhumaine pour accomplir son travail immense de réforme. D’une part, la pierre angulaire du ministère si vaste se trouve dans son zèle infatigable pour l’avancement du Royaume et de la gloire de Dieu. Par ailleurs, sa perception constante du lien indissociable entre la souveraineté de Dieu et la responsabilité de l’homme l’ont mené à placer au niveau le plus haut le devoir du chrétien à proclamer en toute circonstance l’Évangile par tous les moyens à sa disposition. Ce sont ces éléments théologiques qui ont conduit Calvin à appliquer le conseil de Dieu tout entier à tous les domaines de la vie, qu’il s’agisse de la famille, de l’Église, de l’État et de la société, ceci face aux circonstances les plus difficiles, aux obstacles en apparence insurmontables, sous la pression d’une charge de travail écrasant, et avec une santé de plus en plus débile. Enfin, quoique Calvin ait été un prédicateur, un enseignant et un écrivain extrêmement doué, il était aussi un homme au caractère sûre, d’une grande humilité et d’une disponibilité constante à l’égard de ceux qui désiraient s’entretenir avec lui.

En terminant notre survol de Calvin et La France, nous pouvons dire que Berthoud met à notre disposition une analyse fondamentale ‘de la manière dont le Dieu souverain de Calvin a travaillé, tant dans le domaine ecclésiastique que politique, ceci à travers des hommes responsables et pieux pour effectuer dans la ville de Genève une véritable réformation, ceci dans le sens le plus complet du mot, spirituel, éthique et institutionnel, puis comment ce Dieu souverain suscita une réforme semblable en France. Cette analyse nous pousse à découvrir comment Dieu lui-même a ensemencé le champ spirituel du Royaume de France pendant les premières années de ministère de Calvin à Genève, comment il est parvenu à la moisson extraordinaire, si riche et si fulgurante, des années 1555 à 1562. Comme Berthoud nous l’indique, les graines spirituelles et intellectuelles furent semées bien plus tôt au moyen des ouvrages de Marin Luther et Jacques Lefèvre d’Étaples. Pourtant, un travail très important a dû être accompli par de nombreux laïcs (qui nous sont pour la plupart inconnus) dans toutes les régions si diverses de la France, labourant et semant ainsi le champ de la foi et préparant la grande moisson à venir.

En résumé, l’ouvrage de Berthoud nous montre que toute l’œuvre de Calvin était dirigée vers le but d’établir une structure ecclésiastique solidement fondée sur une base biblique (établir des Églises dressées) à partir des communautés fragiles, informes et sans véritable direction (des Églises plantées), largement dominées par l’État. Cette restructuration biblique de l’Église et de la Cité, établie d’abord à Genève, a ensuite servi de rampe de lancement par laquelle Calvin, et ceux qui travaillaient avec lui, ont cherché à faire avancer le royaume de Dieu plus particulièrement en France. C’est ainsi que l’implantation d’Églises dressées en a fait la lumière et le sel de la société, et ceci dans tous les domaines de la vie des hommes.

Pour conclure, nous recommandons vivement Calvin et la France, non seulement comme une bonne introduction à l’histoire des débuts de la Réforme à Genève et en France, mais aussi comme démonstration concrète de la manière dont Dieu travaille par la foi et la persévérance d’hommes droits, aussi bien dans notre histoire concrète qu’à travers la culture telle qu’elle existe à des époques précises. C’est ainsi que Dieu fait avancer Son royaume dans tous les domaines de la vie. Ceci ne se fait pas au moyen de mouvements révolutionnaires, mais par le moyen biblique de la régénération de l’homme et de la réformation de la culture par sa vie sanctifiée d’obéissance à tout le conseil de Dieu.

Richard Crews

Richard Crews est un pasteur réformé américain qui poursuit des études de doctorat à l’Université de Lausanne sur le deuxième usage de la Loi (pour le Magistrat) chez Calvin.

Vladimir Volkoff, Petite histoire de la désinformation. Du Cheval de Troie à Internet, Éditions du Rocher, Monaco, 1999, 290 p.

Il y a quelques mois, Vladimir Volkoff publiait une Petite histoire de la désinformation. Ceux qui connaissent l’écrivain français d’origine russe ne seront pas autrement surpris de voir ce thème abordé à nouveau par l’auteur du roman Le Montage et du recueil La désinformation : arme de guerre, tous les deux publiés par L’Âge d’Homme.

Ce nouveau livre, qui s’adresse tant aux professionnels de l’information qu’au grand public, ne se veut nullement exhaustif, mais est plutôt à considérer comme un outil pour ceux qui veulent à la fois éviter d’être désinformés et désinformateurs involontaires. Il propose un vaste balayage du sujet, depuis le Cheval de Troie jusqu’à Internet. Une bonne partie est consacrée à l’Ère soviétique où, pendant plusieurs décennies, le département A du KGB fut le maître incontesté en la matière. Depuis la chute officielle du communisme, le mal s’est répandu partout. Il existe même des sociétés de relations publiques qui proposent leurs services en désinformation à des clients, étatiques ou non. Ainsi l’Agence Hill and Knowlton qui fit basculer l’opinion publique américaine en faveur d’une intervention contre l’Irak, grâce au témoignage d’une fillette de 15 ans racontant comment les soldats de Saddam Hussein débranchaient les couveuses dans les maternités koweitiennes. Orlafillette en question n’était autre que la fille de l’ambassadeur du Koweit auprès des Nations Unies et cela faisait plusieurs années qu’elle n’avait plus mis les pieds dans son pays.

Ou l’exemple encore trop mal connu de l’Agence Ruder Finn qui eut pour clients, de août 1991 à juin 1992, la République de Croatie, de mai à décembre 1992 la République de Bosnie-Herzégovine, et depuis octobre 1992, les terroristes albanais du Kosovo, chaque fois dans le but de diaboliser les Serbes. Volkoff cite d’ailleurs James Harff, le directeur de l’agence en question, qui explique ses méthodes et la raison de leur succès auprès des médias et de l’opinion publique. Les récents bombardements sur la Serbie et le Kosovo ont été les conséquences logiques et même voulues d’une telle campagne de désinformation. L’Europe, qui s’est engagée dans cette croisade morale avec une ferveur naïve, est loin d’en avoir encore mesuré les conséquences sur les relations internationales.

Mais si Volkoff, par ses nombreux exemples, nous montre à quel point la désinformation nous environne de toute part, il nous rappelle aussi qu’aucune information ne titre jamais 100 % de vérité, et ce, même si l’informateur et la personne informée n’ont pas de mauvaises intentions, et si le moyen de communication n’est pas déficient. Il nous donne ensuite une définition : « La désinformation est une manipulation de l’opinion publique, à des fins politiques, avec une information traitée par des moyens détournés. » Ce faisant, il nous explique en quoi la désinformation n’est ni de la publicité, ni de l’intox, ni de la propagande.

Dans sa recherche pointue, Volkoff fait aussi une analyse détaillée de la structure et des mécanismes d’une campagne de désinformation. Il montre que sans étude de marché préalable, la désinformation n’a aucune chance de s’implanter dans les esprits. « Dites-leur ce qu’ils veulent entendre », disait Lénine. De plus, si une campagne sans client et sans agent n’aurait pas lieu d’exister, elle doit son efficacité aux nombreux relais utilisés. Plus il y en a, plus elle sera efficace. Lénine ne parlait-il pas des « idiots utiles » ? Quant aux faits, s’ils ne sont pas tout bonnement inventés, leur traitement peut être varié : affirmation, négation, inversion, exagération, diminution, mise sous silence, désapprobation. Le langage de la désinformation est lui-même passé au crible par Volkoff. La diabolisation est fréquemment utilisée, tout comme le manichéisme. Pour fonctionner, la désinformation doit suivre une pente naturelle, et le thème doit être le plus simple possible. L’opinion publique peut ainsi aisément se jeter dessus avec une unanimité à caractère quasi psychotique proche de l’aveuglement. Cet état irrationnel, basé sur des émotions très fortes plus que sur un raisonnement réfléchi, va pousser les désinformés à en rajouter et à devenir eux-mêmes désinformateurs.

Que faire alors si notre société tout entière est pétrie de désinformation et si nos systèmes scolaires, en formant les jeunes générations à ne plus réfléchir, mais à apprendre par osmose, en donnant la priorité au monde abstrait sur le tangible, affaiblissent toute défense naturelle contre l’irrationnel, le faux et les passions incontrôlées ? Que faire si nous sommes entourés de « médias de plus en plus présents, de journalistes de plus en plus dociles et d’une information de plus en plus médiocre » ?

Vladimir Volkoff termine son ouvrage par une apologie en faveur de la Vérité, seule solution à ses yeux et qui n’est pas sans rappeler de nombreux passages dans les psaumes :

À vrai dire, je ne crois pas qu’il y ait la moindre chance de lutter avec un plein succès ou même un succès considérable contre la désinformation, tant qu’on n’aura pas appris à prendre la vérité de l’information au sérieux, tant que le public tout entier n’aura pas acquis le sentiment – mais d’où l’acquerrait-il ? – que la vérité est une chose sacrée, intangible, la plus précieuse, peut-être, que nous ayons, que, si elle est remise entre nos mains pour la communiquer à autrui, nous devons la traiter avec une trémulation religieuse, comme l’arche d’Alliance, et qu’attenter à sa pureté, c’est tomber foudroyé sur place. Ce n’est pas demain la veille. Un saint, saisi et dévalisé par des brigands, leur demanda de le laisser partir parce qu’il n’avait plus un sou sur lui. Ils le relâchèrent donc. S’étant éloigné, il retrouva un sou au fond de sa poche. Alors, tout courant, il retourna sur ses pas pour le leur donner, parce qu’il ne supportait pas qu’une fausse information eût franchi ses lèvres. Voilà comme la décence exigerait que fût traitée la vérité. Nous en sommes loin.

Micaël Berthoud

Arnaud-Aaron UPINSKY : La Tête coupée. Le secret du pouvoir, Éditions Le Bec, 1998, 526 pages. (Première édition ŒIL, 1991.)

Par le passé, quand l’on voulait se débarrasser de quelqu’un, on lui appliquait la décollation, on lui coupait la tête. De nos jours, le supplice est plus raffiné : il s’appelle la parole coupée ! Tel est le sujet magistralement développé dans le livre d’Arnaud-Aaron Upinsky, La Tête coupée. Le secret du pouvoir.

Le secret du pouvoir est donc à rechercher dans le langage. C’est pour cela qu’aujourd’hui, l’on ne coupe plus guère les têtes, mais l’on s’applique à la lobotomisation par la parole (la désinformation suprême), en allant du discours vrai au discours fort. Par un diabolisme dialectique, on passe de l’artisanat du crime à l’industrie du crime, des massacres isolés aux génocides planifiés. Génocides réels ou virtuels, je précise, car dans le monde du nominalisme, les crimes réels sont délaissés au profit des virtuels, désinformation oblige. Car dans ce monde renversé, le bourreau est devenu la victime et la victime le bourreau. Finalement on passe de la parole aux actes, de la parole coupée à la tête coupée, et la boucle est bouclée. C’est ce qui s’appelle la politique par la sophistique.

Pour faire un résumé aussi succinct que possible de ce livre je me permettrai de n’en retenir que quelques-uns des points importants. Ceux-ci inciteront le lecteur à la réflexion et, je l’espère, l’inciteront surtout à se procurer ce livre et à le lire, ce qui pourra lui préserver sa tête, ou si par malheur elle serait déjà tombée, de la retrouver. 1/. Au commencement était la parole (le Verbe), puis vint l’écrit et ensuite le chiffre (Nombre). 2/. Au commencement était le Poète, puis vint le Mathématicien. 3/. Au commencement était la réalité, puis vint l’abstraction, l’utopie. 4/. Au commencement était le langage réaliste (le nom lié à la chose), puis vint le langage nominaliste (le nom arbitrairement coupé de la chose), donc langage et chose deviennent manipulables à volonté. 5/. Au commencement était, est et sera le Christ, puis vint l’Antichrist qui est aussi Antéchrist, contre le Christ et à la place du Christ.

Nous pouvons donc, au vu des exemples 1 à 4 discerner dans l’histoire de l’humanité (du moins à mon sens) deux âges biens distincts. Le premier étant celui qui se déroule depuis les temps anciens jusqu’au siècle des Ténèbres (celui qu’on a de manière sournoise appelé siècle des Lumières) qui précède la Révolution française (mère des révolutions modernes). Dans cette période la parole tient la première place, malgré les différents temps de confusion (Babel). C’est le temps des poètes et de la culture classique : esthétique, artistique, littéraire (car l’écrit, qui est une dégradation de la parole, fait cependant encore partie de la famille du Verbe.) C’est aussi le temps de la réalité ordonnée dans la vie de la société : l’Église, le Roi, les Nobles, le Peuple ; celui encore du langage réaliste, « de la vérité des mots » ; de l’esprit de finesse, donc de celui de l’intelligence qui gouverne les sens.

A l’opposé se trouve la seconde période, celle des ténèbres révolutionnaires (celle d’une nouvelle Babel, plus terrifiante que celle des siècles précédents). C’est elle qui subsiste jusqu’à aujourd’hui. C’est la période où l’anthropophagie (cannibalisme) de l’homme (l’homme, à cause de sa nature de pécheur, est un loup pour l’homme, il s’agit d’une vision réaliste), est recouvert par le mythe (nominaliste) du bon sauvage, expression qui est une contradiction dans les termes mêmes, car le sauvage, perçu à l’époque comme cannibale, serait arbitrairement décrété être bon ! Le bien est ici confondu avec le mal (Ésaïe 5:20) ; c’est la transmutation des valeurs de Nietzsche, au-delà du bien et du mal.

Bien sûr, c’est la période du nom, dont découle le nom-bre, c’est-à-dire le chiffre. C’est le temps des mathématiciens et de la culture scientifique. C’est aussi le temps de l’utopie. Il n’y a plus d’Église, plus de Rois, et de Nobles. Il ne reste plus que le peuple souverain (roi), mot chimère s’il y en a : car comment peut-on être tout à la fois Roi (celui qui commande) et peuple (celui qui est assujetti au Roi) ? Cette période possède tout de même un nouvel évangile, non pas un évangile divin, mais un évangile (une bonne nouvelle) humanitaire : c’est la démocratie. Car la démocratie moderne est fondée sur la loi de nombre (la sacro-sainte majorité),nombre qui sacralise la ruse, le mensonge et la violence. Elle possède aussi ses nouveaux Dix Commandements : ce sont les Droits de l’Homme. Remarquez ici que l’on épelle l’Homme à la fois avec un « H » majuscule et au singulier. Il s’agit donc de l’homme universel abstrait, sans patrie, sans sexe, sans état, sans qualité. Et c’est par la magie du pouvoir diviseur du nombre et de la désinformation qui en découle que cet Homme général prend possession de tous les droits sur l’homme particulier, concret qui, lui, n’en détient effectivement plus aucun. C’est ce que notre auteur appelle le pouvoir magique du chiffre, pouvoir miraculeux s’il en est qui fait que ce qui n’est pas est, et que ce qui est n’est plus. Ainsi de nos jours nous entendons, dans le langage utopique des nominalistes, à tout moment parler des droits fondamentaux de l’Homme, ceci tout spécialement par ce goulet d’abrutissement universel qu’est la télévision. Or il est bon ici de rappeler les paroles de la Sainte Écriture :

Personne ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé, savoir Jésus-Christ. (I Corinthiens, 3:11)

Notre temps est bien celui du langage nominaliste, « du pouvoir (non du sens !) des mots », de l’esprit de géométrie (non de celui de finesse, celui de la signification), donc du pouvoir des sens (mesurés, chiffrés) qui gouvernent totalement l’esprit. La Parole est ainsi remplacée par le chiffre, les mathématiques, notre nouvelle langue universelle. Cela s’appelle en français, mettre la charrue avant les bœufs. C’est le temps des vampires qui ont besoin des vivants pour subsister, d’où la prolifération des musées.

Cette remarque nous amène directement à notre cinquième point, celui de la responsabilité. Même si Upinsky ne l’aborde pas directement dans son livre, il le laisse pourtant clairement sous-entendre.

Au commencement était la Parole (le Christ), le Dieu-Verbe qui s’est Incarné, le Dieu-Homme, le Créateur. Puis vint le nom-bre (l’Antéchrist), le dieu-géomètre, une pure abstraction, celle de l’Homme-dieu. C’est lui qui doit précéder le retour du Christ. Il n’est rien d’autre que l’apothéose de la créature révoltée.

Sachons donc choisir si nous voulons être des adorateurs du Créateur ou ceux de la créature. Car nul ne peut servir deux maîtres ! Le choix du Créateur est, sans aucun doute, de loin le meilleur. C’est celui de la croix vénérable et de la liberté radieuse, de la liberté dorée. Celle où nous sommes en tout esclave du Christ-Dieu celle qui nous fait trouver la Voie de la Vérité et de la Vie éternelle. Tandis que celle de l’Homme-dieu autonome et « libre » conduit irrémédiablement vers le mensonge, la malédiction et la mort.

Joël Pavicevic

Pascal Bernardin, L’empire écologique ou la subversion de l’écologie par le mondialisme. Notre Dame des Grâces, 1998, 592 pages.

Un Nouvel Ordre Mondial, idée lancée publiquement par le président Georges Bush, se met en place avec une rapidité qui semblait encore impossible il y a quelques années.

Après avoir exposé, dans Machiavel Pédagogue[1], comment le système éducatif, au niveau mondial, est utilisé pour changer les valeurs, les attitudes et les comportements, Pascal Bernardin analyse de nombreux textes officiels, ou émanants de milieux dirigeants, pour démontrer que ce Nouvel Ordre Mondial nous conduit à une dictature « douce », d’où le christianisme sera banni.

Mais pourquoi ce titre L’Empire écologique pour cette démonstration ? Parce que le mondialisme s’appuie sur les problèmes globaux, touchant toutes les nations, et que l’écologie représente le cas idéal, les différentes pollutions ignorant les frontières. Pascal Bernardin illustre ainsi la manipulation de la science à des fins politiques. Deux exemples parmi d’autres : le « trou » dans la couche d’ozone, répertorié avant les années 50, dont seraient responsables les CFC, apparus bien plus tard. L’effet de serre, réchauffement de l’atmosphère dû à la consommation de combustibles fossiles, domaine où les scientifiques ont des avis carrément opposés. En effet, selon certains modèles, nous devrions assister à un réchauffement de plusieurs degrés, alors que d’autres évaluations prévoient un refroidissement du climat dans les années à venir. Cette deuxième option n’est bien entendu pas prise en compte dans les discussions politiques sur les mesures à prendre, au niveau mondial, principalement contre le réchauffement inéluctable de notre climat.

Ces problèmes, réels ou imaginaires, permettent la mise en place d’un système de contrôle mondial en évacuant l’indépendance des nations et leur souveraineté, ceci principalement par le biais des grandes organisations internationales.

Pascal Bernardin montre, à l’aide de la citation d’une multitude de textes provenant de ces institutions, qu’elles ont été phagocytées par les milieux mondialistes révolutionnaires et que le communisme, loin d’être mort avec le mur de Berlin, s’est simplement adapté à une situation nouvelle.

Il nous montre, documents à l’appui, que la lutte des deux blocs a été remplacée par la lutte d’un monde en voie d’unification contre une menace écologique prétendument mortelle pour la planète tout entière. Pour enrayer un tel danger tous les sacrifices – dont tout d’abord celui de l’indépendance des nations – deviennent obligatoires. Cette transformation écologiste et panthéiste de l’idéologie communiste (rappelons-le par nature internationaliste et, par conséquent, non liée à un quelconque ancrage national particulier) est démontrée de la manière la plus convaincante.

Mais en quoi cette société égalitaire, utopiste, décrite par l’auteur dans la deuxième partie de son livre, s’oppose-t-elle à la vision chrétienne du monde ?

Tout d’abord, dans cette perspective l’homme n’est plus le gestionnaire de la Création mais un élément de la nature, probablement le plus nuisible. « L’humanité fait partie de la nature et la vie dépend du fonctionnement ininterrompu des systèmes naturels qui sont la source d’énergie et de matières nutritives. » (Page 394 : Charte mondiale de la nature : ONU).

La conséquence logique en est le contrôle de la natalité afin de ramener la population mondiale à un niveau « acceptable » pour l’environnement. Selon Cousteau, la Terre ne peut supporter qu’à peu près 700 millions d’individus. « C’est terrible à dire. Il faut que la population mondiale se stabilise et pour cela, il faudrait éliminer 350 000 hommes par jour ». (Page 553, cité dans le Courrier de L’Unesco). Il faut relever que d’autres milieux scientifiques estiment que notre planète pourrait sans difficulté accueillir 15 milliards d’humains, voire plus !

Le christianisme, obéissant à l’ordre divin de se multiplier et de soumettre la création, devient l’ennemi de la nouvelle société écologiste. Voyons sur pièce. Il faut rejeter absolument «[…]les convictions religieuses judéo-chrétiennes, selon lesquelles Dieu aurait créé l’homme à son image et lui aurait donné la terre pour qu’il la soumette à sa loi ». (Page 417, extrait des Actes officiels de la Conférence sur l’environnement de Stockholm, 1992, ONU).

Ainsi, après le rejet du Dieu créateur, et par voie de conséquence du Dieu rédempteur, on instaure le culte de la Nature. Attenter au corps « Terre » devient un péché écologique et l’on observe des minutes de silence en l’honneur de la Terre. (Conférence de Rio, ONU). C’est rien d’autre que la divinisation de la nature, l’instauration d’une religion panthéiste.

Finalement, il s’agit d’« un changement de paradigme cosmologique qui permettrait aux hommes de s’appréhender comme appartenant au tissu de la vie et non comme situé au-dessus de lui. Ils (certains dirigeants religieux) soutiennent qu’un tel changement de perspective est nécessaire pour réenchanter le monde, les animaux et les plantes et pour restaurer le sens du sacré de la nature, perdu pendant la période de l’industrialisation. » (Page 456.)

Dans sa conclusion, l’auteur regrette de ne pas avoir pu aborder certains points fondamentaux, craignant de lasser la patience du lecteur. Le reproche que l’on peut adresser à cc livre par ailleurs passionnant, est effectivement un risque de lassitude dû à la multiplication des citations. Désireux d’asseoir sa démonstration sur de nombreux textes officiels, Pascal Bernardin a publié un document fort volumineux qui risque de rebuter plus d’un lecteur. Ce serait dommage, car après avoir lu ce livre, on ouvre les yeux sur un monde nouveau, impressionnant. En effet, tout est imprégné de cette vision nouvelle du « village mondial » selon l’expression consacrée, du plus insignifiant feuilleton de télévision aux déclarations les plus officielles. Et en conséquence des effets de la manipulation décrite dans son premier ouvrage Machiavel pédagogue, la plupart de nos contemporains, non seulement ne s’en rendent plus compte, mais approuvent la création d’un système de « dictature douce », utilisant des méthodes non aversives (non violentes). Un petit exemple. À la suite des catastrophiques inondations du mois de mai 1999, le chef du service de l’environnement suisse, interviewé à la TV déclara qu’il s’agissait d’événements dus très probablement à l’effet de serre !

Jean-Marc Fellay

[1]      Pascal Bernardin, Machiavel pédagogue, ou le ministère de la réforme psychologique, Notre Dame des Grâces, 1995, 189 p.