C’est une question difficile, tant à cause de son sujet, que par la manière dont elle est traitée au cours de l’histoire, en particulier dans nos milieux protestants et évangéliques[1].
Mais d’abord, qu’est-ce que la scolastique ? Que signifie le mot scolastique ? Il nous fait penser au mot latin « schola » c’est-à-dire : « école ». La scolastique est une manière de penser qui est née dans les écoles. Faisons un peu d’histoire.
La pensée philosophique grecque était centrée sur des écoles : l’Académie de Platon et le Lycée d’Aristote. Le mot « lycée » est ainsi entré dans la langue française. En France c’est une école secondaire. Le Lycée d’Aristote[2] était déjà quelque chose de semblable, c’est-à-dire un endroit où l’on étudiait et réfléchissait, un endroit où l’on discutait. C’était, si vous voulez, une petite université. L’Académie de Platon[3] était tout à fait semblable, un endroit où sur des questions philosophiques – c’est-à-dire, selon le sens littéral du mot, d’ « amour de la sagesse » – on cherchait à connaître la vérité, ce qui était vrai. Évidemment, tout cela se passait dans le paganisme.
Historiquement la date de 529 après Jésus-Christ est tout à fait intéressante. En cette année 529 l’empereur Justinien a définitivement fermé l’Académie platonicienne, disant qu’il s’agissait d’une institution nuisible à la foi. C’est en cette même année de 529 que St. Benoît fonda le premier monastère bénédictin. C’est le monastère du Mont Cassin au sud de Rome où, bien plus tard, Thomas d’Aquin fit ses classes primaires. Ainsi, dans une même année s’éteignait l’institution où s’était si longtemps exercée la sagesse ancienne du paganisme et commençait l’institution qui allait devenir l’endroit par excellence de la réflexion chrétienne : le monastère. Il faut bien comprendre la situation historique d’alors.
Le Mont Cassin se trouvait en Italie, c’est-à-dire dans la partie occidentale de l’Empire romain. La partie orientale de l’Empire a existé en tant qu’empire pendant encore quelque 900 ans ; tandis que l’Occident était ravagé de toutes parts par de nombreuses invasions barbares, par les destructions produites par les tribus venant du nord et de l’est. Elles avaient rompu les frontières de l’Empire en Germanie et s’étaient répandues partout, détruisant tout, les villes et les institutions de la société. À la place de l’Empire ils établissaient de nouveaux royaumes qui avaient un caractère tribal. Ce qui avait en particulier été détruit était les institutions éducatives.
C’est dans ce contexte sans pour autant chercher à justifier bibliquement l’institution monastique – que l’on peut affirmer l’action de la Providence divine à travers cette institution. Car la divine Providence emploie toutes choses pour faire avancer son règne. Elle a ainsi œuvré par les ordres monastiques pour que la sagesse héritée de l’Antiquité – et en particulier la sagesse chrétienne d’origine juive – puisse être maintenue, préservée et développée pour le bien des siècles à venir. Ces monastères étaient des endroits où, d’une part, on recopiait les textes (souvenez-vous qu’il n’y avait pas alors d’imprimerie), et d’autre part on pouvait y trouver les loisirs et le calme nécessaires à leur étude. Tout cela constituait une véritable communauté où l’on pouvait librement étudier et discuter.
Car il est bien difficile de faire avancer la pensée hors de l’existence d’une communauté où la discussion est possible. Il s’agit là d’un problème véritablement contemporain car aujourd’hui presque toutes les institutions publiques où de telles activités sont poursuivies naturellement se trouvent entre les mains des adversaires de la foi chrétienne. C’est là une des raisons essentielles de l’existence de la Librairie La Proue, un merveilleux endroit situé dans la vieille ville de Lausanne où il est possible de prendre le temps pour discuter de toutes sortes de questions, tant actuelles qu’éternelles, ceci dans le cadre d’une perspective chrétienne.
Dans le monastère se trouvent regroupés trois éléments indispensables au développement de toute activité intellectuelle : un endroit où l’on recopiait les manuscrits ; un lieu où il était possible de les étudier paisiblement, car on y était protégé des dangers du monde extérieur ; et, enfin, une communauté propre à la discussion des idées. C’est ainsi que des écoles sont très naturellement nées dans le voisinage ou à l’intérieur de ces monastères.
La scolastique est donc la pensée des écoles qui se trouvaient dans la proximité des monastères. Et c’est dans ces monastères que s’est formée cette pensée qu’on appelle la « scolastique ». Maintenant, il faut se souvenir qu’un monastère est un endroit très discipliné. Il faut se lever à telle ou telle heure ; à telle ou telle heure il faut aller au service religieux ; il faut se coucher à telle ou telle heure ; il faut consacrer une partie de la journée à travailler de ses mains, etc. Cette discipline se trouve également au niveau de la pensée car celle-ci y est organisée d’une manière assez stricte. On pensait selon certaines méthodes strictement logiques constituant ce qu’on appelle la scolastique, cette méthode rigoureuse de penser, façonnée au moyen de ces règles de discussion logique pratiquées dans les écoles attachées aux monastères.
Cette méthode de pensée s’est fortement développée surtout à partir du Xᵉ siècle. Il faut ici encore se souvenir que le IXᵉ siècle fut à nouveau une période d’épouvantables invasions. Il y avait les musulmans qui – comme aujourd’hui – envahissaient alors toute l’Europe par le sud. Un certain nombre d’entre eux s’installèrent dans les hautes vallées méridionales du canton du Valais. C’est pour cela que nous trouvons encore aujourd’hui des Valaisans qui portent le nom de « Sarrasin », car sarrasin est un mot qui veut dire « musulman ». Il y avait aussi les Vikings qui, venant du nord par la mer, remontaient les rivières avec leurs bateaux et détruisaient tout partout où ils passaient. Il y avait une espèce d’envahisseurs, peut-être pires encore, les Magyars, c’est-à-dire des Hongrois. Venant d’Asie centrale ils faisaient avec leurs chevaux rapides des chevauchées meurtrières à travers toutes les plaines de l’Europe de l’Est et attaquaient villes et villages, détruisant tout sur leur passage. Ils sont arrivés jusqu’en Suisse romande. On peut dire que pendant cette période du IXᵉ siècle tout ce qui avait pu être consolidé sous le règne de Charlemagne au VIIIᵉ siècle – qui fut admirablement conseillé par un grand érudit et pédagogue chrétien qui s’appelait Alcuin – avait été complètement démoli. C’est à partir de la reconstruction sociale et culturelle qui suivit ces invasions meurtrières que l’on peut dater le véritable essor de la pensée scolastique sous sa forme définitive, celle que l’on trouve dans la période qui va du XIᵉ au XIVᵉ siècle.
Il y avait d’abord des écoles établies dans le voisinage des monastères. Il y avait une très célèbre école de ce genre au XIᵉ siècle située dans un monastère en Bretagne à un endroit nommé Le Bec. Puis, quand la paix fut rétablie au Xᵉ et au XIᵉ siècles, la relève de ces écoles monastiques fut prise par ce qu’on appela les Écoles des cathédrales. Il s’y trouvait un savant, célèbre encore aujourd’hui, né dans le Val d’Aoste et qui devint archevêque de Canterbury. Il se nommait Anselme et fut le tout premier des grands penseurs scolastiques. La pensée scolastique fut chez lui très fortement développée. Parmi ces écoles de cathédrales, il y en avait une qui au XIIᵉ siècle était particulièrement célèbre ; c’était celle de Chartres[4].
Une nouvelle étape dans le développement de la pensée scolastique fut celle de la fondation des universités. À partir de la fin du XIIᵉ siècle on commença à fonder des universités qui n’étaient, à leur début, rien d’autre que des corporations d’étudiants et de maîtres. Elles se sont constituées sur le modèle des corporations professionnelles qui étaient composées d’apprentis, d’ouvriers et de maîtres. Dans les villes marchandes du nord de l’Europe, qui dès le XIᵉ siècle connurent un puissant développement, se sont alors formées des corporations consacrées exclusivement à l’étude. Elles étaient composées d’étudiants, c’est-à-dire de bacheliers qui préparaient leur maîtrise, et de maîtres sous la direction desquels ils se perfectionnaient. Leur façon de vivre avait un caractère corporatif, c’est-à-dire qu’ils formaient un corps social et religieux juridiquement constitué en corporation, corps qui avait la compétence légale de régler ses propres affaires. Les deux plus célèbres universités à cette époque étaient celles de Paris et celle d’Oxford en Angleterre[5]. Plus tard bien d’autres se sont développées, comme celles de Salamanca en Espagne, de Padoue et de Bologne en Italie, de Saint Andrews en Écosse ou encore de Coimbra au Portugal. Ce bref survol nous permettra de mieux comprendre le cadre général dans lequel s’est développé la pensée scolastique[6].
Étudions maintenant l’esprit qui animait la scolastique. Cet esprit était essentiellement celui de la tradition de Saint-Augustin, grand docteur de l’Église qui vécut en Afrique du Nord à la fin du IVᵉ et au début du Vᵉ siècles. Un texte de l’historien de la pensée médiévale Fernand Van Steenberghen nous aidera à mieux comprendre l’influence que saint Augustin a pu avoir sur le développement de la pensée scolastique. Il parle d’un ouvrage capital d’Augustin qui s’appelle en latin, De doctrina christiana[7] et qui est un état descriptif complet pour tous les cycles d’étude. Je cite Van Steenberghen[8] :
Composé à l’usage des évêques et des prêtres, qui ont chargé d’enseigner la doctrine chrétienne, cet ouvrage est une introduction à l’étude de l’Écriture Sainte et à l’enseignement des vérités religieuses qu’elle contient.
L’orientation de cette éducation est essentiellement celle que donne l’étude de l’Écriture.
La conception augustinienne du savoir chrétien y apparaît dans une parfaite clarté. Il faut substituer à la philosophie ou sagesse païenne, fruit de la seule raison, la sagesse supérieure de la raison éclairée par la foi, dont les principes viennent de Dieu lui-même.
Il ne s’agit pas seulement de la foi mais de la raison éclairée par la foi. C’est-à-dire que chez Augustin il n’y a pas du tout de négation de la raison, mais il faut que la raison soit éclairée par la foi, et il entend par foi la Bible.
La science la plus haute, pour le chrétien, sera donc la science des Écritures, l’étude des textes inspirés qui forment le dépôt de la Révélation. La sagesse chrétienne – qu’Augustin appelle ailleurs nostra philosophia, [« notre philosophie »] – c’est-à-dire la synthèse du savoir élaboré par l’intelligence chrétienne, sera centrée sur la science des Livres saints.
Mais les chrétiens n’existent pas dans un vide culturel ; ils vivent avec une langue précise, avec une grammaire donnée, avec un héritage culturel spécifique qui touche à tous les domaines. Et cet héritage – aussi imparfait qu’il puisse être – est un don précieux de Dieu. Car on ne peut pas réfléchir sans avoir des notions d’histoire, de géographie, de grammaire, de logique… Ces notions ne sont pas des choses qui nous viennent uniquement d’une lecture attentive de la Bible, mais elles sont présentes et tirent leur source de l’héritage culturel qui nous entoure de toutes parts. Mais dans la perspective éducative qu’est celle de la scolastique, ces éléments culturels ne sont pas simplement utilisés pour favoriser le développement des connaissances humaines. Là n’est pas le but de la conception augustinienne de l’éducation. Ce but est, en fin de compte, de pouvoir comprendre correctement la Bible et d’en appliquer les enseignements à tous les domaines de la vie des hommes.
Mais dans l’élaboration de cette sagesse [disait Augustin], le savoir humain tel qu’il a été constitué dans le paganisme, peut et doit rendre de précieux services : le peuple chrétien doit s’enrichir des dépouilles des Égyptiens, ceci est une image relative à la fuite et à la sortie d’Égypte où les Israélites sont sortis avec les dépouilles des Égyptiens. Ainsi Augustin montre-t-il longuement, au livre II du De doctrina christiana, l’usage que l’exégèse de la Bible doit faire des sciences profanes : langues, sciences naturelles, arithmétiques, musique, histoire, géographie, botanique, géologie, astronomie, arts mécaniques, dialectique, rhétorique, mathématiques, certaines doctrines des philosophes touchant la morale ou la religion, toutes ces connaissances peuvent venir en aide au docteur chrétien dans l’étude de la parole divine.
Ces principes ont été les principes éducatifs de tout le haut Moyen Âge. On appelle le haut Moyen Âge la période qui va jusqu’au XIIᵉ siècle. Pendant toute cette période, l’étude avait une orientation essentiellement augustinienne. C’est cela qu’on appelle en fait la « scolastique ». Citons encore Van Steenberghen :
Toute l’organisation scolaire du haut Moyen Âge s’inspire du programme tracé par S. Augustin. Cette organisation comporte comme éléments essentiels, jusqu’à la fin du XIIᵉ siècle, des écoles d’arts libéraux et des écoles d’Écriture Sainte, les premières étant conçues comme devant préparer aux secondes.
Aux États-Unis on voit encore l’organisation des études universitaires suivre un schéma par certains côtés assez semblables. Car pour l’obtention d’une licence en théologie, par exemple, il faut avoir acquis préalablement une licence en lettres. Pour employer le langage médiéval il faut avoir accompli avec succès le cursus des arts libéraux. Il n’était en conséquence possible d’affronter l’étude de la Bible qu’après avoir suivi cette première formation. Ce qui revient à dire que dans un tel système universitaire l’étude des sciences supérieures devait d’abord être fondé sur l’assimilation des disciplines définies par le programme des arts libéraux.
Van Steenberghen continue :
Si l’on songe aux principes qui ont inspiré cette organisation des études pendant tout le haut Moyen Âge, on aperçoit que l’idée fondamentale a été d’éliminer la philosophie païenne comme synthèse du savoir et comme sagesse de vie[9].
Ce qu’il faut dire ici c’est qu’un système de philosophie, tel celui d’un Platon ou d’un Aristote, constituent en eux-mêmes des systèmes de pensée complets, modèles intellectuels qui cherchent à fournir une explication complète de tous les aspects de la vie. À la place de ces systèmes païens qui pouvaient, rappelons-le, contenir bien des éléments de grande valeur – mais dont l’ensemble était fondé sur des prémices ou des bases religieuses qui non seulement n’étaient pas chrétiennes mais qui, dans certains cas, étaient a carrément contraires à la vision chrétienne du monde, Augustin a voulu constituer une sagesse qui soit intégralement chrétienne et dont les bases, les présupposés, seraient uniquement fondés sur la Bible. Il était par contre possible d’extraire certains éléments à ces systèmes païens – fruits de la grâce générale de Dieu – pour les assimiler dans l’élaboration d’un système de pensée intégralement chrétien. C’est, d’une certaine manière, ce que l’on faisait à l’époque lors de la construction de certaines églises bâties sur les ruines des temples païens et où l’on utilisait des matériaux qui provenaient de ces édifices plus anciens en vue de d’une église chrétienne.
C’est pourquoi les parties de la « philosophie » antique auxquelles revenaient surtout le rôle d’achever la synthèse du savoir et de lui conférer le caractère d’une sagesse théorique (la philosophie première) et pratique (l’éthique), sont délaissées au profit de la science de l’Écriture, source suffisante de toutes les vérités spéculatives ou morales qui doivent nourrir l’intelligence chrétienne. Même la physique ou la philosophie naturelle paraît avantageusement remplacée par les enseignements de la Bible touchant l’origine de la nature et du cosmos. Seuls sont conservés les éléments du savoir profane qui présentent un caractère propédeutique, [c’est-à-dire de préparation (réd.)] et sont jugées indispensables à l’étude fructueuse des Livres saints.
Dans cette organisation des études profanes limitées aux sept arts libéraux, la philosophie telle que nous l’entendons aujourd’hui est représentée uniquement par la dialectique ou la logique (à laquelle on rattachait quelques problèmes connexes, comme le célèbre problème des universaux[10].
D’ailleurs, dans toute cette période le seul livre d’Aristote qu’on possédait était son Traité de logique, et même ici il s’agissait uniquement de la première partie de ce livre.
Le principe à la base de toute cette perspective est celui-ci : « Je crois afin de comprendre ». Non pas « Je comprends afin de croire ». Le « je crois » est mis à la première place ; c’est-à-dire je fonde mes convictions intellectuelles sur la Bible afin de comprendre, parce que la Bible nous donne tous les repères qui nous permettent de bien comprendre. Mais il ne s’agit pas simplement du « Je crois »,, comme c’est le cas pour celui qui défend mordicus sa « foi du charbonnier ». Il ne s’agit pas seulement du « Je crois » obscurantiste qui s’arrête là sans ne plus se poser de question, refusant ainsi d’envisager la possibilité de pouvoir étendre par sa réflexion le champ de ses connaissances. Mais le « Je crois pour comprendre » de la tradition augustinienne, prend la foi comme règle de vie qui produit une intelligence sanctifiée par l’Écriture qui, devenant un instrument docile entre les mains de Dieu, nous permet de comprendre toutes choses à la lumière de la pensée divine (I Corinthiens 3:12-15). Une telle attitude produit une compréhension globale du monde et l’esprit qui l’anime. L’instrument d’une telle intelligence du monde se résume dans la formule de saint Augustin, formule reprise bien plus tard par saint Anselme ; c’est « La foi qui cherche la compréhension. »
Ces quelques réflexions historiques avaient pour but de donner un bref aperçu sur les origines de la pensée scolastique. En bref, elle est née du fait que les écoles païennes ayant disparu il fallait les remplacer par de nouvelles institutions scolaires. Des écoles naquirent de ce mouvement spirituel et culturel provoqué par l’expansion irrésistible du Christianisme et furent en conséquence fondées sur des bases essentiellement bibliques.
Il serait maintenant utile d’apporter quelques éclaircissements sur l’organisation des études elles-mêmes. Les études préliminaires consacrées aux « arts libéraux », étaient divisées en deux parties. La première, le trivium, contenait trois éléments ; la seconde, le quadrivium, quatre. La première partie comportait la grammaire, la rhétorique – c’est-à-dire l’étude du style, ce que nous appellerions l’étude de la « littérature » – et la dialectique, c’est-à-dire la logique. La deuxième partie contenait l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique. L’ensemble de ce premier cycle d’études s’appelait « les sept arts libéraux ». Et cette série d’études propédeutiques préparaient aux études supérieures à proprement parler, et tout particulièrement à ce qui était considéré comme l’étude par excellence, celle de la doctrine chrétienne ou de la page sacrée. Ce qui intéressait le plus cette civilisation était l’étude de la Bible. Tout devait en fait concourir à l’étude de la Sainte Écriture.
Dans cette perspective, il est aisé de comprendre pourquoi, malgré les erreurs doctrinales de l’époque, le Doyen Pierre Courthial peut parler du Moyen Âge comme étant par excellence l’« âge de la foi », période qui inclut pour lui les siècles de l’essor de la Réforme, car elle aussi était marquée par le souci d’un renouveau biblique affectant tous les aspects de la vie[11]. Il est évident que dans la pensée médiévale on trouve également de nombreuses erreurs, de nombreuses déformations de la foi. Mais les activités humaines y étaient cependant toutes inspirées par cette perspective chrétienne. C’est pour cela que l’art et la littérature y sont d’inspiration chrétienne ; le droit est fondé sur la loi de Dieu, et le modèle politique n’est pas celui de l’Empire romain mais celui de la royauté davidique[12]. On y construisit alors des cathédrales qui, aujourd’hui encore, font honte en regard de la laideur informe de beaucoup de nos bâtiments modernes. Tous les domaines de la vie sont à cette époque marqués par l’empreinte du christianisme. On trouve certes encore bien des traces de paganisme dans la pensée médiévale, mais ces restes de paganisme – contrairement à ce que l’on constate depuis la Renaissance du XVIᵉ siècle, et surtout depuis l’époque des « Lumières » antichrétiennes du XVIIIᵉ siècle –, étaient soumis à l’influence du consensus omniprésent des normes chrétiennes alors culturellement dominantes[13]. Je ne prendrai qu’un exemple. Pour une grande partie de cette période, le contrat dûment écrit et signé, n’existait tout simplement pas. La parole donnée était suffisante, car elle gardait un caractère sacré. Une telle loyauté dans les affaires est manifestement le signe d’une très haute civilisation. Il est intéressant, de se rappeler que jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale de telles mœurs de confiance se pratiquaient encore couramment sur les marchés de bestiaux dans le canton de Vaud en Suisse. C’est pendant ce Moyen Âge « barbare » que c’est épanoui le modèle chrétien de la famille qui a si largement disparu aujourd’hui de l’Occident. On y trouve aussi l’invention de la chevalerie et cet esprit chevaleresque qui nous fait aujourd’hui si cruellement défaut. C’était loin d’être une période idyllique, mais il faut reconnaître que toutes les structures sociales de cette époque étaient marquées de manière très profonde par le christianisme et dont le modèle se trouve dans la Bible.
Dès le XIIᵉ siècle, certaines choses commencent à changer. Avec la prospérité des campagnes et la paix devenue plus générale, les villes se développèrent fortement[14]. Des écoles se fondèrent alors autour des cathédrales. C’est à ce moment-là qu’on voit apparaître une attaque provenant de l’intérieur de cette civilisation chrétienne contre la grande synthèse intellectuelle et culturelle qu’on appelle la scolastique. Un signe éclatant en est le conflit qui, vers le milieu du XIIᵉ siècle, oppose violemment Bernard de Clairvaux à Pierre Abélard. Ce dernier était un philosophe qui avait surtout développé l’étude de la logique d’Aristote, ouvrage qui était l’un des rares éléments de sa pensée alors disponible. Séparant l’étude de la philosophie de sa nécessaire subordination à la Parole de Dieu il avait fait de la logique un absolu. Bernard de Clairvaux l’avait violemment critiqué, disant de lui : « Cet homme avait l’art et la présomption de vouloir comprendre la nature même de Dieu par la raison humaine. » Dans ce conflit c’est Bernard qui a gagné et Abélard a dû se soumettre à l’autorité finale des normes chrétiennes. L’autorité de la Parole de Dieu était encore alors assez vigoureuse pour être une véritable force sociale et intellectuelle décisive.
Avec le XIIIᵉ siècle, le plus grand siècle de la scolastique, on assiste à l’introduction massive de toute la pensée d’Aristote dans le cursus universitaire[15], ceci par l’intermédiaire de l’Espagne et des traductions arabes d’Aristote qui, (de cette langue), furent ensuite traduites en latin. Les Arabes occupant à cette époque une grande partie de l’Espagne y avaient fondé des grandes écoles où des philosophes importants tels Averroès et Avicenne donnaient un enseignement aristotélicien. Ces philosophes basaient en effet dans une grande mesure leur pensée sur le système d’Aristote qu’ils lisaient dans des traductions faites dans leur propre langue. C’est à cette époque qu’on a commencé à traduire Aristote de l’arabe en latin et non depuis le grec, langue presque inconnue en Occident. C’est ainsi que l’on peut affirmer que dès le début du XIIIᵉ siècle quasiment toute la pensée d’Aristote avait été introduite en Occident. C’est dès ce moment-là que se dressa en rival du système chrétien, un système très complet de pensée dont les racines étaient franchement païennes. Trois attitudes étaient dès lors possibles face à ce nouveau défi, à la fois intellectuel et culturel.
La première – celle des autorités en place – était de faire bloc contre ces nouveautés. Un courant conservateur traditionnel augustinien – mais d’un augustinisme assez sclérosé – prit alors le parti de s’opposer par voie d’autorité à l’introduction de l’étude des textes d’Aristote dans le cursus universitaire. C’est ainsi que dès le début du XIIIᵉ siècle il y eut un certain nombre d’interdictions officielles d’enseigner la pensée d’Aristote à l’université de Paris.
Une deuxième attitude, celle d’une grande partie des étudiants, trouvaient cette philosophie intéressante du seul fait de sa nouveauté. Ils soupçonnaient leurs maîtres de leur avoir caché cette pensée et voulaient, à tout prix, rattraper ce qu’ils considéraient du temps perdu. Ces étudiants ont alors carrément adopté la pensée d’Aristote, souvent dans la perspective d’un Aristotélisme arabisé, et fortement marqué par une orientation foncièrement rationaliste.
Mais une troisième attitude, très différente des deux premières, était possible. Ce fut celle qu’adoptèrent deux des penseurs les plus exceptionnels de l’époque : Albert le Grand et Thomas d’Aquin. Leur position était la suivante : il ne fallait pas simplement s’opposer à ce courant païen qu’apportait la redécouverte d’Aristote, mais examiner cette pensée avec le plus grand soin, rejeter tout ce qui y était manifestement faux, voir ce qui s’y trouvait de vrai, le retenir et l’intégrer dans le système scolastique chrétien. Cette démarche n’avait pas comme but – ainsi que l’affirme si souvent faussement de Thomas d’Aquin – de créer un double système de vérité où, une part serait attribuée à la raison et l’autre à la foi. Un tel système de double vérité fut combattu par Thomas d’Aquin avec la dernière vigueur tout au long de sa vie. Bien au contraire, Thomas chercha toujours à édifier un système unique de vérité, système hiérarchique et ordonné, dont la norme finale n’était autre que l’Écriture et à l’intérieur duquel les motifs de la création divine et de la souveraineté de Dieu étaient prédominants. Il chercha cependant à intégrer dans ce système foncièrement chrétien tout ce qui, dans la pensée d’Aristote, pouvait être considéré comme compatible avec sa conception chrétienne du monde. Prenons un exemple. La méthode scolastique que suivait Thomas d’Aquin le conduisait à citer très souvent Aristote comme autorité pour appuyer ce qu’il affirmait, mais il ne l’utilisait jamais comme autorité finale. Il pouvait critiquer Aristote et assimilait sa pensée à son système chrétien ; souvent il adoptait ses positions comme étant proche de la manière de penser chrétienne. Mais jamais il ne lui serait venu à la pensée de dire qu’Aristote était non critiquable ou infaillible. Par contre, en ce qui concerne la Bible il avait une attitude très différente. Pour lui elle ne pouvait être critiquée, ni, en aucune façon, être mise en cause comme source d’erreurs possibles. Dans ce sens, l’attitude de Thomas d’Aquin est totalement différente de celle de la plupart des exégètes et théologiens modernes. Ces derniers n’hésitent pas à adopter les théories à la mode les plus farfelues – aussi irrationnelles que rationalistes – ayant pris la mauvaise habitude de diriger les flèches de leurs critiques sur la Bible, étant animés d’un préjugé foncièrement défavorable à l’égard d’un livre qui n’est guère, à leurs yeux incrédules, intellectuellement fiable.
Ce développement de la pensée scolastique au XIIIᵉ siècle manifeste, d’une part, le maintien d’une confiance apparemment entière dans la pensée biblique, mais, d’autre part, à cela s’ajoute l’introduction massive de la pensée aristotélicienne dans l’élaboration du système chrétien. Dans cette démarche, la pensée aristotélicienne est, dans une certaine mesure, faussée par Thomas d’Aquin dans une direction chrétienne. Par exemple, la notion biblique la création ne se trouve pas chez Aristote ; cependant pour Thomas d’Aquin cette notion est fondamentale. Il allait jusqu’à dire que si on excluait l’idée de création par cela même la notion biblique de Dieu serait éliminée. En d’autres termes, si vous attaquez la doctrine biblique de la création ex nihilo il n’est plus possible d’avoir une doctrine chrétienne de Dieu. C’est-à-dire, que si vous refusez la vision biblique d’un monde créé, vous devez avoir, ou bien un monde qui tire son existence de lui-même, ou bien un monde qui n’est rien d’autre que l’émanation, le prolongement de Dieu. Ces deux points de vue, panthéiste ou « émanantiste », deviennent impossibles dès que vous affirmez, comme le fait constamment la Bible, que le monde est sorti du néant sous l’action créatrice toute puissante de la Parole de Dieu. Si cette perspective-là manque, il n’est pas possible d’avoir un Dieu qui soit à la fois Tout Puissant, Omniscient et Providentiel, c’est-à-dire qui gouverne toutes choses par sa Sagesse éternelle. Mais on ne peut trouver une telle notion de la création dans l’œuvre d’Aristote. Il lui était même impossible d’entrevoir une telle notion de création. En conséquence, dans l’exposé qu’il donne des causes du monde, Thomas d’Aquin a plié l’enseignement d’Aristote dans une direction chrétienne. Car, en fin de compte, ce qui l’intéressait avant tout était la vérité et non pas d’être le disciple de tel ou tel philosophe.
Je n’entrerai pas ici dans le débat de savoir si l’équilibre qu’il établit entre Aristote et la Bible est valable, ou s’il s’agit d’une erreur. Une chose est claire : la lecture, même sommaire, des écrits d’Aristote montre que ce penseur païen a, par la grâce générale de Dieu, été doué d’une intelligence réalité exceptionnelle de l’ordre créé. Je veux seulement dire que ce dont on accuse en général Thomas d’Aquin, – d’avoir construit un espèce de système, à deux étages, système de doubles vérités – est absolument inexact.
Mais il nous faut maintenant nous tourner vers une dernière question dont l’importance pour une bonne compréhension de la scolastique est absolument essentielle. Je me réfère ici à ce qu’on appelle « la dispute ». N’oublions pas que la scolastique était une doctrine issue des écoles, et que c’était une manière de connaître, d’apprendre et de transmettre des connaissances. Et l’école scolastique avait instauré une discipline de pensée qu’on appelle « la dispute ». Il y avait des disputes ordinaires, régulières, où les étudiants s’exerçaient entre eux à discuter selon des règles précises, un peu comme on s’exerce entre camarades à l’escrime ou au karaté. Mais il y avait également des disputes spéciales lors desquelles l’étudiant ou l’auditeur libre pouvait poser des questions aux maîtres qui devaient eux également leur répondre selon les règles fixées. Nous verrons tout à l’heure un exemple concret de ce genre de dispute et de réponse, et ceci sur un point d’éthique tout à fait précis.
Dans la dispute, une question était d’abord posée. Ensuite on apportait en réponse à cette question une brève affirmation provisoire. Il s’agit là d’une première ébauche de réponse. Prenons un exemple. La Question 45 de la Première Partie de la Somme théologique traite De la manière dont les choses émanent du premier principe. Cette Question comporte huit articles. L’Article I demande : Créer, est-ce faire quelque chose de rien ? La question implique la réponse : « Oui, créer, c’est faire quelque chose de rien. » Ensuite vient l’élaboration de trois Difficultés, c’est-à-dire de trois objections à la doctrine chrétienne de création ex nihilo de l’univers. Ceci amène une objection massive qui, en général, est tirée d’un texte de la Bible. Une Conclusion donne la position définitive, et la discussion se termine par les Solutions, qui sont des réponses précises données à chacune des difficultés[16].
Prenons un autre exemple. « La doctrine de la création à partir de rien est-elle vraie ? » Implicitement on affirme : « Oui elle est vraie. » On passe alors en revue tous les arguments qui laisseraient entendre que la doctrine de la création ne serait pas nécessaire. Ainsi dans la dispute, on va très soigneusement passer en revue tous les arguments qui contrediraient la doctrine avancée. La personne qui mène cette dispute – elle se passe normalement en public devant un auditoire habitué à ce genre d’exercice – doit alors produire les meilleurs arguments contre la thèse qu’il défend. C’est un rude exercice d’argumentation où la raison est fortement exercée dans l’art de défendre la foi. Ensuite vient la contre-objection massue : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ». Puis vient la Conclusion, véritable synthèse approfondie de la doctrine en discussion. Enfin, chacune des objections est, l’une après l’autre, soigneusement réfutée. Ainsi au début vous avez une question et une affirmation assez simple ; puis dans la dispute on pose toutes les difficultés que peut susciter cette affirmation ; on examine aussi soigneusement que possible tous les arguments contraires ; on présente alors l’objection capitale qui permet de réfuter les critiques énoncées à l’encontre de la première thèse ; finalement on développe les réponses à toutes les objections, ce qui permet de conclure par une synthèse plus nuancée, plus complète et plus forte que l’affirmation d’où la dispute est partie.
L’idée à la base de cette démarche, qui au premier abord peut paraître assez compliquée, est la suivante. Tous les arguments contraires à ce que nous croyons être vrai peuvent, eux aussi, nous apprendre quelque chose de vrai, nous aider à mieux comprendre la portée véritable de la question que nous cherchons à étudier. Nous voyons ainsi que l’erreur, d’une certaine manière, témoigne elle-même, mais de manière indirecte, en faveur de la vérité qu’elle cherche à nier. Si nous nous cantonnons dans une simple affirmation de la vérité, nous resterons souvent à la surface des choses. D’abord, nous n’allons guère approfondir la vérité, nous n’allons pas la clarifier, nous n’allons pas en voir toutes les implications et toutes les facettes et, enfin, nous n’allons pas êtres armés pour bien répondre à toutes les objections qui seront faites à l’encontre de notre position. La démarche de la dispute scolastique répond à sa manière à ce qui nous est demandé dans l’Écriture :
D’ailleurs, quand vous souffririez pour la justice, heureux seriez-vous ! Mais sanctifiez dans vos cœurs Christ le Seigneur ; soyez toujours prêts à vous défendre contre quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous : mais (faites le) avec douceur et crainte, en ayant une bonne conscience, afin que là même où l’on vous calomnie, ceux qui diffament votre bonne conduite en Christ soient confondus. (I Pierre 3:14-16)
La volonté de répondre systématiquement aux contradicteurs, volonté qui se trouve placée au cœur même de la méthode scolastique n’a pas été inventée par le Moyen Âge. Si vous lisez les dialogues de Platon, par exemple, vous voyez une démarche, du moins formellement, assez semblable. Il s’agit d’un effort d’approfondir la vérité à travers la dynamique d’une discussion poussée entre divers protagonistes, chacun représentant un point de vue. C’est cet exercice que la philosophie ancienne appelait la « dialectique ». Si vous lisez les dialogues de Pierre Viret, vous verrez qu’il y manifeste, lui aussi, un procédé assez semblable. D’une manière familière, sans doute bien moins académique que dans ses dialogues des humanistes de la Renaissance, les différents personnages qui figurent dans ses admirables dialogues représentent chacun des positions théologiques et des attitudes humaines différentes. L’apport particulier de chacun à la discussion enrichit la compréhension du sujet par la diversité des angles à partir desquels on le considère. L’idée derrière cette démarche dialoguée – ou de celle de la dispute – est que la vérité n’est pas une affaire purement individuelle. C’est aussi une affaire communautaire car c’est souvent par la discussion de positions contraires que l’on arrive à mieux comprendre les différents aspects de la vérité que l’on cherche à atteindre.
À moins que ce soit pour des questions graves il n’est guère permis à un chrétien de quitter son Église, qu’il s’agisse de divergences d’opinion ou à cause de différents d’ordre personnel avec des frères. Une raison en est que c’est dans cette communauté où, dans le cadre d’une confession de foi commune il peut se trouver des positions en partie divergentes, on va pouvoir, à la lumière de l’Écriture, véritablement avancer dans la compréhension et dans l’obéissance à la vérité. Cet esprit de discussion – de dialogue ou de dispute – à la lumière de l’Écriture est à la base de toute la méthode scolastique. C’était la position de Thomas d’Aquin qui, en dépit d’un certain nombre de positions fausses – en particulier par rapport à la nature de l’autorité de l’Église et du pouvoir que la hiérarchie prétendait détenir par le moyen de l’exercice de certains prétendus sacrements – avait le souci constant de tout examiner à la lumière de l’Écriture, et d’ainsi amener toutes les pensées des hommes captives à l’obéissance du Christ. Il en fut de même – sans doute de manière plus directe et plus explicitement biblique – chez un autre penseur scolastique, John Wycliffe, qui vécut à la fin du XIVᵉ siècle. Au XVIᵉ siècle les Réformateurs sont, eux aussi, animés de cet esprit de tout soumettre à l’autorité de l’Écriture.
Au XVIIᵉ siècle nous avons affaire à une démarche « scolastique » assez semblable – on a même appelé cette époque celle de la « scolastique protestante » – chez les théologiens réformés des Pays Bas. On retrouve alors la pratique courante de la « dispute » scolastique dans les universités hollandaises car à cette époque toute discussion théologique publique se faisait sous cette forme. Il s’agissait d’un élément essentiel de la formation des étudiants. Une personnalité académique et ecclésiastique important de l’époque fut Ghisbertus Voetius utilisait alors couramment cette méthode pour répondre aux questions difficiles, et parfois nouvelles, de son époque, et ceci du point de vue théologique réformé parfaitement orthodoxe. Tout en utilisant la méthode scolastique « médiévale » il s’avérait être un des adversaires les plus résolus des doctrines romaines ainsi que de la nouvelle philosophie de Descartes. C’est en effet cette méthode qu’il utilisa dans sa controverse capitale – et toujours actuelle – contre le philosophe français dont la pensée avait infesté l’intelligence d’un grand nombre de pasteurs réformés, tant aux Pays-Bas qu’en France[17].
On trouve, dans un tout autre registre, le développement de cette méthode chez un théologien réformé, malheureusement trop vite disparu, Greg Bahnsen. Tant dans ces écrits que dans son art consommé du débat public, Bahnsen n’hésitait pas à développer avec le maximum de compréhension la position de son adversaire pour ensuite la réfuter avec autant de précision que de courtoisie, profitant ainsi d’affermir sa propre position par l’assimilation des arguments de ses contradicteurs.
Un tel travail représente un exercice magnifique de l’intelligence. Si cette méthode reste fondée, d’une part sur la Parole de Dieu et, de l’autre, sur le respect de l’ordre créé, – c’est-à-dire sur une saine connaissance de cette création –, elle peut devenir un instrument apologétique très efficace. Mais si la méthode scolastique – comme tout autre méthode intellectuelle – commence à fonctionner hors de la Parole de Dieu et de tout rapport vrai avec l’ordre crée, elle devient source de ratiocination creuse, stérile et nuisible. Il y a des philosophes et des théologiens qui ont été tentés d’utiliser la méthode scolastique de cette façon. Certains de ceux-ci, tels Pierre Abelard, Jean Duns Scot, ou encore Guillaume d’Occam ont commencé à détacher cet instrument intellectuel de ses bases étroites, c’est-à-dire de la Bible et de la réalité crée.
Le résultat en fut le développement de cette autonomie spirituelle, morale et intellectuelle de la raison humaine orgueilleuse qui s’épanouira de manière si désastreuse à travers le subjectivisme de René Descartes, l’idéalisme de Kant, et surtout du modèle épistémologique réductionniste universel de la science mathématique nouvelle qui, dès le milieu du XVII e siècle, commença à étendre son empire tentaculaire sur tous les aspects du savoir humain. Déracinée de la réalité et de la Parole de Dieu elle devient une machine intellectuelle qui fonctionne toute seule, c’est le rationalisme qui tourne en rond dans ses raisonnements stériles. La méthode scolastique, livrée ainsi à elle-même, devint alors une force de destruction, de structuration, de la pensée d’abord (les Lumières), puis des institutions sociales (la Révolution). C’est un phénomène semblablement nuisible que l’on peut observer de nos jours dans l’existentialisme déraciné de l’être d’un Jean-Paul Sartre, dans le structuralisme sans normes immuables d’un Claude Lévi-Strauss, dans la lecture « déconstructionniste » des textes d’un Jacques Derrida, et enfin dans le nihilisme moralement et socialement anarchiste d’un Jacques Lacan ou d’un Michel Foucault.
Quelle fut alors l’influence de la scolastique ? Comme nous l’avons vu, elle fut, pour une assez longue période, extraordinairement positive. Mais, quand elle s’est auto-détruite en se détachant de la réalité et de la Bible, elle est devenue une force extraordinairement perverse et subversive. La raison en est qu’il n’existe rien de plus pervers qu’une intelligence brillante fonctionnant à vide. La scolastique à l’époque où elle était encore vivante cultivait la mémoire de l’Écriture et de l’héritage de la connaissance antique. Le dénigrement de la mémoire – phénomène si courant aujourd’hui – a des conséquences dramatiques sur l’abus de la raison. Car c’est la mémoire qui donne à l’intellect la matière sur lequel il peut utilement exercer sa réflexion.
Dans cette perspective, la manière dont on enseignait la théologie à l’Académie de Lausanne du temps de Pierre Viret est particulièrement instructive. La moitié du programme était consacrée à l’étude de la Bible et l’autre à l’étude de la nature et de l’histoire, c’est-à-dire de la manière dont fonctionnaient effectivement le monde et la société. Viret comprenait qu’il fallait aux futurs pasteurs non seulement des structures théologiques bien ancrées dans la Bible, mais qu’ils devaient également êtres armés d’une profonde connaissance du monde. Cela donnait des hommes capables de prêcher la Parole de Dieu d’une manière très puissante, car ils avaient appris à toucher leurs contemporains au cœur même de leurs préoccupations les plus quotidiennes. Car des pasteurs formés à une telle école connaissaient par eux-mêmes et par leurs études, ce qui touchait véritablement les gens. Ils pouvaient en conséquence leur présenter les réponses précises que donne la Parole de Dieu à leurs interrogations. Les connaissances bibliques du pasteur ne fonctionnaient pas en conséquence dans une espèce de vide biblique. Cette méthode, assez proche de la saine scolastique, était placée au fondement même de l’instruction donnée à ses débuts à l’Académie de Lausanne. Elle fut par la suite reprise par la plupart des Académies réformées qui se constituèrent dans le monde francophone – en commençant par celle de Genève – qui en ceci ne fit qu’imiter ce qui se faisait à l’Académie de Lausanne.
Mais les choses n’en restèrent pas là. Déjà au début du XVIIᵉ siècle Agrippa d’Aubigné protestait contre les méthodes exclusivement « bibliques » pratiquées dans les facultés de théologie de son temps, du programme desquelles une saine connaissance du monde et de la pensée des adversaires de la foi réformée avait été très largement écartée. On tombait dans la spiritualisation de la foi chrétienne. Si ces Académies calvinistes établies en France donnaient encore au début du XVIIᵉ siècle une excellente formation biblique à leurs étudiants, par contre on ne leur enseignait plus à disputer de manière scolastique avec leurs adversaires[18]. Et lorsque les grands problèmes théologiques, philosophiques et politiques suscités par la nouvelle science (galiléenne), la philosophie subjectiviste (cartésienne) et la politique athée (hobbesienne et lockeienne) sont apparus, ces pasteurs et théologiens se sont trouvés désarmés et incapables de répondre de manière adéquate aux ennemis de la foi. Ils ont sombré face à la difficulté intellectuelle parce qu’ils n’avaient pas pris l’habitude, sur les bancs des Académies où ils avaient reçu leur formation, de raisonner sur des problèmes difficiles de leur temps et d’y répondre de manière biblique, réaliste et cohérente.
Lorsque l’on considère la vie et l’œuvre de Thomas d’Aquin de manière tant soit peu attentive, il faut reconnaître qu’il fut l’objet d’une vocation assez extraordinaire. Dans sa manière de mener des disputes intellectuelles avec ses adversaires, il manifestait une grande maîtrise de lui-même, une certaine sérénité et une étonnante courtoisie[19]. Il cherchait toujours à mieux comprendre les positions de ses contradicteurs qu’ils ne le faisaient eux-mêmes. Souvent les arguments qu’il développait en faveur de leurs positions étaient bien plus forts que ceux auxquels ils avaient eux-mêmes pensé. En imitant sa manière de faire nous mettrions en pratique la recommandation d’un Dietrich Bonhoeffer qui disait à ceux qui étaient amenés à conduire des discussions contradictoires avec des non-croyants, qu’ils devaient, par leur connaissance de la Révélation biblique et son application aux réalités de ce monde, être mieux en mesure comprendre la position de leurs adversaires, que ceux-ci ne le faisaient eux-mêmes. Le bon usage de la méthode scolastique permet de voir le problème considéré sous divers angles, et pas uniquement d’un seul point de vue. Une telle diversité de points de vue, tous ancrés dans l’unique vérité, permet un regard beaucoup plus riche sur la réalité. C’est pour cette raison que la Bible contient quatre Évangiles et non pas un seul.
Prenons un exemple. Nous n’arrivons pas aujourd’hui à faire face à de graves problèmes sur les plans théologique et éthique parce que la méthode scolastique est tombée en oubli. On affirmera, par exemple, le sixième commandement : « Tu ne tueras point ». Il nous faut d’abord remarquer qu’on se trouve devant une fausse traduction parce que le texte du Décalogue dit précisément : Tu ne commettra point de meurtre (Exode 20:13). Si on s’appuie sur la traduction erronée, il faut affirmer : « Qu’on ne doit en fait jamais tuer qui que ce soit, et cela sous aucun prétexte et en aucune circonstance ». Une telle position simplificatrice conduit à de graves erreurs éthiques tant sur le plan personnel que public. Cela mène tout droit au pacifisme et surtout au pacifisme face au mal. Cela implique également que le malfaiteur est dans les faits mis sur le même plan que sa victime. Sans doute même sur un plan qui lui est supérieur vu que celui qui a tué ne devra en aucun cas être tué.
Une telle perspective morale simplificatrice élimine la guerre défensive juste, la défense nationale, la police, la légitime défense, en fin de compte tout exercice juste de la force en faveur du bien, toute répression violente du mal et des malfaiteurs. Cela rend surtout illégitime une institution absolument nécessaire à l’exercice de la justice et au maintien de la paix sociale : la peine capitale.
Tout cela vient du fait que, partant d’une traduction simplificatrice et fausse appliquée de manière unilatérale (ici le terme exact est « univoque »), on a négligé de considérer tous les aspects (on dit « analogie[20] ») de la question. On n’a pas cerné le texte de la Bible d’une manière exacte parce qu’on a négligé de considérer la manière dont les lois judiciaires (des lois « casuistiques ») contenues dans la Thora limitent et précisent la portée exacte d’un tel commandement. En fait, on a refusé de voir la question sous ses différents angles, ce qu’une pratique judicieuse de la méthode scolastique nous aurait obligé de faire.
Ouvrons la Somme théologique de Thomas d’Aquin sur la Question 64 II – II qui traite de l’homicide. Je cite d’abord la question de l’Article I :
Est-ce un péché de mettre à mort les animaux et même les plantes ?
Cette question est particulièrement actuelle, car on peut aujourd’hui passer devant les tribunaux aux États-Unis pour avoir arraché une branche dans un parc national. Plus récemment un automobiliste en Californie a, sous les applaudissements nourris du public, été condamné à trois ans de prison ferme pour avoir jeté dans la circulation un petit chien qui cherchait à le mordre. En Valais, on en vient à crier au scandale par ce qu’on a tué un loup ou un oiseau rare, mais on ne dit rien lorsqu’on tue des petits enfants avant leur naissance ! Ceux qui dénoncent avec une certaine vigueur les personnes qui tuent ces tous petits enfants, créés à l’image de Dieu, sont mis au pilori de la société ; ils deviennent la honte de tout le monde.
L’Article 2 de la Question 64 demande,
Est-il permis de tuer le pécheur ?
L’Article 3 demande :
Est-il permis à un particulier, ou seulement à l’autorité publique de tuer le pécheur ?
L’Article 4 demande :
Est-il permis à un clerc de mettre à mort un pécheur ?
L’Article 5 pose la question :
Est-il permis de se tuer ? (Par exemple Élie était un clerc qui a mis à mort des pécheurs).
Dans l’Article 6 on lit :
Est-il permis de tuer un homme juste ?
L’Article 7 va plus loin :
Est-il permis de tuer un homme pour se défendre ?
L’Article 8 on lit :
L’homicide accidentel est-il un péché mortel ?
Voilà pour l’homicide.
Je citerai la manière dont Thomas d’Aquin développe l’Article 2 : Est-il permis de tuer un pécheur ?
Objections :
-
Il semble que non, car Notre Seigneur interdit d’arracher l’ivraie qui dans la parabole représente « les fils du Mauvais » (Matt. 13:38). Or tout ce que Dieu interdit est péché.
-
La justice des hommes se modèle sur la justice de Dieu ; or celle-ci ménage les pécheurs pour qu’ils fassent pénitence : « Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Ez. 18:23). Il est donc absolument injuste de tuer les pécheurs. [Cet argument est bien connu ! (réd.)]
-
Il n’est jamais permis de faire pour une bonne fin ce qui est mauvais en soi ; on le voit chez Saint-Augustin et chez Aristote. Or tuer un homme est une chose mauvaise en soi, puisque opposée à la charité que nous devons avoir pour tous les hommes ; [Cet argument est bien connu. Tuer quelqu’un n’est guère lui montrer de l’amour ! (réd.)] et comme le remarque le Philosophe [c’est-à-dire Aristote]: Nous voulons à nos amis l’existence et la vie. » Il est donc aucunement permis de tuer un pécheur.
Les objections sont sérieuses. Maintenant regardons ce qui est dit en sens contraire, c’est-à-dire la réplique qui est faite à ces objections.
En sens contraire, il est écrit dans l’Exode (22:18) « Tu ne laisseras pas vivre les magiciens », et dans le Psaume (101:8) : « Chaque matin j’exterminerai tous les pécheurs du pays. »
Réponse, Nous venons de le dire : il est permis de tuer des animaux parce qu’ils sont ordonnés par la nature à l’usage de l’homme, comme ce qui est moins parfait est ordonné au parfait. Or cette subordination existe entre la partie et le tout, et donc toute partie par nature existe en vue du tout. Voilà pourquoi, s’il est utile à la santé du corps humain tout entier de couper un membre parce qu’il est infecté et corromprait les autres, une telle amputation est louable et salutaire.
Mais tout individu est, avec la société dont il est membre, dans le même rapport qu’une partie avec le tout. Si donc quelque individu devienne un péril pour la société et que son péché risque de la détruire, il est louable et salutaire de le mettre à mort pour préserver le bien commun ; « car un peu de ferment corrompt toute la pâte » (I Cor. 5:6).
Voyez donc la force de l’argumentation !
Solutions :
-
Le Seigneur en défendant d’arracher l’ivraie, avait en vue la conservation du blé, c’est-à-dire des bons. Ceci s’applique lorsqu’on ne peut faire périr les méchants sans tuer en même temps les bons ; soit parce qu’on ne peut les discerner les uns des autres, soit parce que les méchants ayant de nombreux partisans, leur mise à mort serait dangereuse pour les bons.
Ce qui est le cas aujourd’hui pour ceux qui font les avortements. Il ne faut pas demander que les Magistrats les mettent à mort parce qu’un tel acte de justice serait trop dangereux pour ceux qui le proposeraient ! Il en est de même pour les peines auxquelles la Loi de Moïse condamne homosexuels et sorciers. Ils sont devenus trop nombreux pour qu’il soit aujourd’hui possible de les punir comme l’exige la loi biblique. Il s’agit ici d’erreurs judiciaires évidentes.
Aussi le Seigneur préfère-t-il laisser vivre les méchants et réserver la vengeance jusqu’au jugement dernier, plutôt de s’exposer à faire périr les bons en même temps. Toutefois, si la mise à mort des méchants n’entraîne aucun danger pour les bons, mais assure au contraire leur protection et leur salut, il est licite de mettre à mort les méchants.
-
Selon l’ordre de sa sagesse, Dieu tantôt supprime immédiatement les pécheurs, afin de délivrer les bons ; tantôt leur accorde le temps de se repentir, ce qu’il prévoit également pour le bien de ses élus. La justice humaine fait de même, selon son pouvoir. Elle met à mort ceux qui sont dangereux pour les autres, mais elle épargne, dans l’espoir de la repentance, ceux qui pêchent gravement sans nuire aux autres.
-
Par le péché l’homme s’écarte de l’ordre prescrit par la raison [Ici il entend par « raison » l’ordre de la Loi de Dieu. (réd.)] ; c’est pourquoi il déchoit de la dignité humaine qui consiste à naître libre et à exister pour soi ; il tombe ainsi dans la servitude qui est celle des bêtes, de telle sorte que l’on peut disposer de lui comme il est utile aux autres, selon le Psaume (49 : 21) : « L’homme dans son orgueil ne l’a pas compris ; il est descendu au rang des bêtes ; il leur est devenu semblable. », Et ailleurs (Pr. 11 : 29) : « L’insensé sera l’esclave du sage ». Voilà pourquoi, s’il est mauvais en soi de tuer un homme qui garde sa dignité, se peut être un bien que de mettre à mort un pécheur, absolument comme on abat une bête ; on peut même dire avec Aristote qu’un homme mauvais est pire qu’une bête et plus nuisible[21].
Ainsi se termine cet article.
Il y a ici matière à réflexion. Peut-être que vous ne serez pas d’accord avec tous les points que soulève Thomas d’Aquin, ni avec ses arguments, ni encore avec tous les détails de cet exposé. Mais ce qu’on voit clairement c’est que ni les citations d’Aristote ni les arguments tirés de la philosophie aristotélicienne ne viennent contrarier ce qu’affirme explicitement la Parole de Dieu.
Regardons encore la question posée par l’Article 5 qui demande : Est-il permis de se tuer ? Voici une excellente question d’éthique, qui est aujourd’hui d’une actualité brûlante, cela d’autant plus qu’on commence à sentir l’âge et qu’on souffre de divers maux physiques ou psychiques.
Objections :
-
Il semble que le suicide soit permis. L’homicide, en effet, n’est défendu que comme péché contre la justice. Mais il est impossible de pécher par injustice envers soi-même, ainsi que le prouve Aristote. Donc nul ne pèche en se tuant.
-
Il est permis à celui qui détient l’autorité publique de tuer les malfaiteurs. Mais parfois il est lui-même un malfaiteur. Il est donc permis de se tuer.
-
Il est permis de s’exposer spontanément à un péril moindre pour en éviter un plus grand, de même qu’il est permis, pour sauver tout son corps, de se couper un membre gangrené. Or il peut arriver qu’en se donnant la mort on évite un plus grand mal, comme serait une vie misérable ou la honte d’un péché. Il est donc permis parfois de se tuer.
-
Samson s’est suicidé (Juges 16:30). Pourtant il est compté, d’après l’épître aux Hébreux (11:32), parmi les saints.
-
Le deuxième livre des Maccabées (14:41) rapporte l’exemple de Razis qui se donna à la mort « aimant mieux périr noblement que de tomber entre les mains criminelles et de subir des outrages indignes de sa noblesse ». Mais rien de noble et de courageux n’est illicite. Donc se tuer n’est pas illicite.
La réplique est avancée :
En sens contraire, Saint-Augustin écrit : « C’est de l’homme que doit s’entendre le précepte : « Tu ne tueras point. » Ni ton prochain, par conséquent, ni toi-même ; car c’est tuer un homme que se tuer soi-même. »
Réponse : Il est absolument interdit de se tuer. Et cela pour trois raisons.
-
Tout être s’aime naturellement soi-même ; de là vient qu’il s’efforce, selon cet amour inné, de se conserver dans l’existence et de résister autant qu’il le peut à ce qui pourrait le détruire. C’est pourquoi le suicide va contre cette tendance de la nature et contre la charité dont chacun doit s’aimer soi-même.
-
La partie, en tant que telle, est quelque chose du tout. Or chaque homme est dans la société comme une partie dans un tout ; ce qu’il est appartient donc à la société. Par le suicide, l’homme se rend donc coupable d’injustice envers la société à laquelle il appartient, comme le montre Aristote. On pourrait dire la même chose pour les gens qui quittent une Église pour des raisons futiles. L’Église a besoin d’eux et ils n’ont pas le droit de priver l’Église de leur présence par caprice ou par paresse. Il en est pareil, à des degrés différents, pour les diverses institutions dont la société est composée.
-
Enfin la vie est un don de Dieu accordé à l’homme, et qui demeure toujours soumis au pouvoir de celui qui « fait mourir et qui fait vivre ». Aussi quiconque se prive soi-même de la vie pèche contre Dieu, comme celui qui tue l’esclave d’autrui pèche contre le maître de cet esclave, où comme pèche encore celui qui s’arroge le droit de juger une cause qui ne lui est pas confiée. Décider de la mort ou de la vie n’appartient qu’à Dieu seul, selon le Deutéronome (3 : 39) : « C’est moi qui fait mourir et qui fait vivre ».
Solutions :
-
L’homicide est un péché non seulement parce qu’il s’oppose à la justice, mais parce qu’il est contraire à la charité que chacun doit avoir envers soi-même. De ce point de vue, le suicide est un péché par rapport à soi-même. Mais il a encore raison de péché comme opposé à la justice par rapport à la société et a Dieu.
-
Celui qui détient l’autorité publique peut licitement faire périr un malfaiteur puisqu’il a le droit de le juger. Mais nul n’est juge de soi-même. Par conséquent, il n’est pas permis à celui qui détient l’autorité publique de se tuer pour n’importe quel péché. Il peut cependant se livrer au jugement d’autres autorités.
-
Par le libre arbitre, l’homme est constitué maître de soi-même [Thomas d’Aquin entend par « libre arbitre » que tout homme peut décider de ceci où de cela. Il n’est pas question ici du salut. (réd.)] C’est pourquoi il peut disposer de soi-même dans tout le domaine de la vie soumis à son libre arbitre ; mais le passage de cette vie à une autre plus heureuse relève du pouvoir divin, et non du libre arbitre de l’homme. Il n’est donc pas permis à l’homme de se tuer pour passer à une vie meilleure.
Le suicide n’est pas non plus permis pour échapper aux misères de la vie présente ; puisque, comme Aristote l’a montré : « Le dernier des maux de cette vie, et de beaucoup le plus redoutable, c’est la mort. » Se donner la mort pour fuir les misères de l’existence présente est donc recourir à un plus grand mal pour en éviter un moindre.
Il n’est pas davantage permis de se tuer à cause d’un péché qu’on a commis. Soit parce que l’on se cause le plus grand préjudice en se privant du temps nécessaire pour faire pénitence. [C’est-à-dire pour se repentir, se tourner vers Dieu et se corriger. (réd.)] Soit encore parce que la mise à mort d’un malfaiteur n’est licite qu’après un jugement prononcé par la puissance publique.
Il n’est pas non plus permis à une femme de se tuer pour éviter d’être souillée. Parce qu’elle ne peut pas commettre sur elle-même le pire crime, le suicide, pour empêcher autrui de commettre un crime moindre. En effet, il n’y a pas de crime chez une femme à qui l’on fait violence, si elle refuse son consentement. Comme disait sainte Lucie : « Le corps est souillé que si l’âme y consent. » Or il est évident que le péché de fornication ou d’adultère est moindre que l’homicide et surtout que le suicide ; ce dernier crime est le pire, puisque d’une part, on se nuit à soi-même, alors qu’on se doit le plus grand amour ; et que, d’autre part, il est le plus dangereux, puisqu’on a plus le temps de l’expier par la pénitence.
Enfin, il est encore interdit de se tuer dans la crainte de consentir au péché. Car « on ne doit pas faire le mal pour qu’arrive le bien », ou pour éviter d’autres maux, surtout moindres et moins certains. Or, il n’est pas sûr que l’on consentira plus tard au péché. Car Dieu est assez puissant pour préserver l’homme du péché, quelles que soient les tentations qui l’assaillent.
-
D’après Saint-Augustin : « Samson, qui s’est enseveli avec ses ennemis sous les ruines de leur temple, n’est exempt de péché que parce qu’il obéissait ainsi à l’ordre secret du Saint-Esprit qui, par lui, faisait des miracles. » Et il attribue le même motif aux saintes femmes qui se donnèrent la mort aux temps des persécutions, et dont l’Église célèbre la mémoire.
-
C’est un acte de la vertu de force de ne pas craindre de subir la mort pour le bien de la vertu et pour fuir le péché. Mais si quelqu’un se tue pour éviter un châtiment, ce n’est là qu’une apparence de force ; certains se sont tués en croyant agir avec courage, c’est le cas de Razis ; mais ce n’est pas là une vertu de force authentique. C’est bien plutôt le fait d’une âme faible, incapable de supporter la souffrance. Aristote et Saint-Augustin l’ont montré tous les deux[22].
Voilà seulement deux points précis de réflexion éthique. Combien y a-t-il de ces points dans ce livre immense, qui est une véritable Encyclopédie doctrinale, et qui se nomme la Somme théologique ?
Je voudrais terminer cette étude sur la scolastique en prenant un autre exemple, celui d’un auteur des plus authentiquement réformé et évangélique. Il s’agit de Bénédict Pictet (1655-1724) le dernier théologien calviniste de la grande école de théologie réformée de l’ancienne Genève orthodoxe. Cette école fut marquée par des figures héroïques comme Jean Calvin (1509-1564), Théodore de Bèze (1519-1605), Simon Goulart (1543-1628), Jean Diodati (1576-1649), François Turrettini (1623-1687). Dans le texte que je vais citer Bénédict Pictet traite lui aussi, à sa manière, elle aussi imprégnée de l’esprit « scolastique », d’une question d’éthique importante. Rappelons que Bénédict Pictet fut le dernier des grands théologiens réformés romands. Pour le situer, ses grands ouvrages – en particulier sa Théologie systématique et son Traité d’éthique[23] – furent publiés au début du XVIIIᵉ siècle. Antoine Court, l’artisan du Réveil des Églises réformées du Midi de la France pendant la première moitié du XVIIIᵉ siècle, le consulta avec grand profit sur les difficultés que suscitait le mouvement « charismatique » des soi-disant prophètes qui ravageaient alors ce qui restait de spirituellement sain de la foi réformée en France. Les Éditions Europresse ont récemment publié un petit livre qu’il écrivit alors pour réfuter les prétentions prophétiques de ces soi-disant « inspirés ». Cet écrit eut un retentissement extraordinaire aidant puissamment à éteindre le feu de brousse semé par ces illuminés[24].
Le titre du Chapitre quinze du Livre douzième de la Théologie chrétienne de Pictet pose la question suivante : Si la Loi Morale est tellement parfaite, que Jésus-Christ n’y ait rien ajouté ni corrigé. Suivons son raisonnement. Nous verrons que lui aussi, à sa manière, pratique la méthode scolastique.
La seconde question qu’il nous faut examiner est sur la perfection de la Loi.
Les Manichéens[25] enseignaient, que Jésus-Christ avait ajouté plusieurs préceptes, et qu’il en avait retranché plusieurs autres. Les Mahométans disent que Jésus-Christ a apporté une Loi plus parfaite que Moïse, et il se trouve encore aujourd’hui des gens, qui entrent dans les sentiments des Manichéens et des Mahométans.
Pour nous, nous croyons, que Jésus-Christ a bien corrigé les fausses interprétations des Scribes et des Pharisiens sur la Loi, qu’il en a donné le vrai sens ; mais nous sommes persuadés, qu’il n’y a rien ajouté. La loi est parfaite de tous points, et l’on ne peut pas aller plus loin que d’aimer Dieu de tout son cœur, et son prochain comme soi-même.
On ne peut pas dire que Jésus-Christ ait corrigé la Loi, sous prétexte qu’il s’oppose à ce qui avait été dit par les « Anciens », car par là il ne s’oppose point à Moise, mais aux faux Docteurs des Juifs, qui pour autoriser, leurs traditions, disaient : « Il a été dit par les Anciens ou aux Anciens ».
Il est vrai que Jésus-Christ cite les paroles de Moïse, mais il ne les corrige, que dans le sens, que leurs donnaient les Pharisiens.
Il ne corrige point la Loi à l’égard des jurements ; mais il fait voir combien les pharisiens avaient tort. : 1. En restreignant au parjure le commandement de la Loi, au lieu qu’elle condamne tous les jurements téméraires. 2. En jurant par les créatures, ce qui était défendu sous l’ancienne dispensation, car il paraît de plusieurs passages, que le jurement est une des parties essentielles du service de Dieu ; et qui lui est particulière.
Par exemple, s’il faut jurer, il faut uniquement le faire au nom de Dieu qui est le garant suprême de notre parole.
Aussi Jésus-Christ ne se propose pas de condamner tous les serments, comme nous l’avons fait voir ailleurs ; mais il défend ces jurements qui étaient en usage parmi les Juifs, et tous les jurements téméraires.
Jésus-Christ ne corrige pas la loi qui avait dit « œil pour œil » ; mais il fait voir, que les Pharisiens avaient tort d’autoriser par là leur vengeance particulière ; car au reste il paraît que Jésus-Christ n’empêche pas que les Magistrats ne punissent de mort les criminels, et il est clair aussi que sous la Loi la vengeance particulière était défendue.
Quand Jésus-Christ dit que, « si quelqu’un nous frappe à la joue droite nous devons tourner aussi l’autre » ; il ne faut pas prendre ces paroles à la lettre. Nous ne voyons pas que Jésus-Christ et les Apôtres en aient ainsi usé, mais cela veut dire, qu’il vaut mieux souffrir une nouvelle injure, que de se venger de la première.
Jésus-Christ n’a rien ajouté au septième commandement touchant l’adultère, en défendant les regards impudiques, mais il a fait voir, jusqu’où l’on devait étendre le précepte de la Loi.
Ce que Jésus-Christ ordonne de ne renvoyer point sa femme, que pour « cause d’adultère », s’accorde bien avec la Loi de Moïse ; mais il fait voir, que les Pharisiens avaient tort de donner si légèrement la lettre de divorce. De plus Jésus-Christ y enseigne que le divorce n’avait été accordé qu’à cause de la dureté du cœur des Israélites (Matthieu 19). Dieu a toléré sous l’Ancien Testament la polygamie, mais il ne l’a jamais ordonnée.
Jésus-Christ n’a rien ajouté à la Loi et n’y a rien corrigé, et nous ordonnant d’aimer nos ennemis. Car il paraît que le prochain, que la Loi veut que nous aimions, il faut entendre non seulement un Juif, mais même un étranger, des Égyptiens, des Philistins. La loi dit « Tu ne haïras point ton frère dans ton cœur ; tu ne te vengeras point de lui, mais tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Salomon dit, que « si notre ennemi a faim, nous devons lui donner à manger », etc. Enfin la loi voulait, que si l’on voyait l’âne de son ennemi couché sous son fardeau, on ne l’abandonnât pas, et que l’on ramenât le bœuf de son ennemi. Au fond, nous devons aimer ce prochain que la Loi nous défend de tuer ; or cela regarde tout le monde, ami et ennemi.
On objecte Mathieu 5:43-44. Il a été dit, « Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi ».
Réponse.
Mais la Loi n’avait point dit cela, c’était une glose des Pharisiens. On dit, qu’il était interdit aux Israélites de traiter alliance avec les Cananéens.
Réponse.
-
Mais il n’est pas commandé de les haïr, quoi qu’il soit ordonné de les exterminer. On peut considérer les Israélites, comme les exécuteurs de la justice divine. [Un bourreau ne hait pas sa victime, il fait son devoir. (réd.)]
-
Il ne fallait les détruire, que quand ils refusaient la paix. Sous le Nouveau Testament, il est aussi défendu de prier pour ceux qui ont péché à mort, et il est permis de faire la guerre.
-
Dieu ne donna cet ordre sévère, qu’à cause du voisinage de ces nations, de leurs crimes énormes, et du danger qu’il y avait qu’elles infectassent les Juifs. Car pour les peuples, qui étaient plus éloignés ils pouvaient vivre en amitié avec eux ; s’ils leur faisaient la guerre ce n’était point à outrance ; il leur était permis de leur offrir la paix. Ce n’était qu’en cas de résistance qu’ils devaient les détruire, et encore ne devaient-ils tuer que les mâles (Deut. 25:19). De plus ce n’était que pour un temps, qu’ils devaient exercer cette extrême rigueur envers les nations de la Palestine, puisque Salomon se contenta de les assujettir et de les rendre tributaires (I Rois 9 : 20-21).
On dit que la Loi permettait la vengeance, puisqu’elle permettait aux parents d’un homme tué, de poursuivre et de tuer celui qu’il avait tué (Nomb. 35:19).
Je réponds
- que la Loi ne voulait point laisser impuni le crime de l’homicide, avait donné le pouvoir aux parents de faire eux-mêmes la punition du crime commis ; mais que cette punition pouvait se faire par un « zèle de justice », et non par un principe de haine.
- La Religion Chrétienne ne défend pas de demander aux Magistrats la justice des crimes commis.
On dit que Jésus-Christ veut que nous aimions mieux nos prochains que nous-mêmes en voulant que nous mettions notre vie pour eux, au lieu que la Loi veut seulement, que nous aimions notre prochain comme nous-mêmes.
Je réponds,
-
qu’il y a des exemples, sous l’Ancien Testament, de gens qui ont mis la vie pour leurs frères ; ou du moins qui l’ont voulu mettre, comme Moïse, etc.
-
Je réponds, que ceux qui mettent la [donnent leur (réd.)] vie pour leurs frères, ne les aiment pas plus qu’ils ne s’aiment, mais qu’ils aiment plus le salut de leurs frères, que leur vie corporelle seulement, ou plutôt qu’ils aiment mieux la gloire de Dieu, que leur propre vie ; car il faut savoir, que nous ne sommes obligés de mettre [donner (réd.)] notre vie pour nos frères, que quand la gloire de Dieu, et leur salut nous y engage[26].
Ces textes illustrent bien notre propos. Il est facile de voir quelle profondeur de pensée, quelle richesse, et quelle force se trouve dans les deux exemples de réflexion scolastique que nous venons d’examiner ; et à quel point ces textes sont d’une grande actualité. L’esprit qui anime Pictet, malgré certaines différences de forme, est en effet très proche de celui de Thomas d’Aquin. Peut-être la pensée du scolastique réformé est moins bien structurée philosophiquement que celle du penseur médiéval. Chez Thomas d’Aquin, tout est bien organisé, bien aligné, bien réglé. Mais chez Pictet le cadre et l’organisation de la pensée sont plus exclusivement bibliques, tandis que Thomas d’Aquin s’appuie davantage sur des d’autres auteurs. Mais ceux qui ont le privilège de fréquenter les écrits de Pierre Viret savent que lui aussi sait tirer des appuis décisifs d’auteurs non bibliques.
Par contraste avec ce que nous venons de lire, je voudrais citer le texte d’un auteur évangélique qui se déclare en complet désaccord avec la méthode de réflexion scolastique :
Cette forme ou cette méthode philosophique remplit à peu près tout le Moyen Âge, et si elle rendit des services elle eut le grand inconvénient de donner à l’esprit une fausse direction en l’amusant d’arguties et l’empêchant d’aborder et de regarder de front les vrais problèmes de la vie et du progrès. La philosophie n’était plus qu’un jeu de l’esprit, où le principal rôle appartient aux puérilités les plus extravagantes.
C’est en effet à se demander où se trouve la puérilité d’esprit.
Une dernière question. Peut-on trouver dans la Bible un livre au caractère scolastique ? Un livre qui le soit davantage que l’Ecclésiaste ou le livre des Proverbes ? C’est évidemment le livre de Job, texte où l’on nous présente différents points de vue qui sont confrontés les uns aux autres et qui finissent par trouver leur synthèse dans la révélation finale de la sagesse et de la puissance de Dieu. Les entretiens de Jésus avec ses contemporains se situent eux aussi tout à fait dans la perspective de la méthode scolastique. C’est le cas, par exemple, de son entretien avec Nicodème. Jésus-Christ lui pose des questions. Il cherche à lui montrer le rapport analogique entre la naissance humaine physique et la nouvelle naissance qui se situe sur le plan spirituel. La discussion de Jésus avec les Docteurs de la Loi dans le Temple lorsqu’il avait douze ans est un autre exemple de cette méthode. Ou bien regardons encore la discussion de Paul avec les philosophes sur l’Aréopage à Athènes. Enfin l’art consommé que manifeste Jésus-Christ en posant des questions à ses interlocuteurs montre qu’il était passé maître dans la pratique de l’authentique méthode scolastique.
Écoutons encore l’Apôtre Pierre :
Mais sanctifiez dans vos cœurs Christ le Seigneur ; soyez toujours prêts à vous défendre contre quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous. Mais faites-le avec douceur et crainte, en ayant une bonne conscience afin que là même où l’on vous calomnie ceux qui diffament votre bonne conduite en Christ soient confondus.(1 Pierre 3:15-16)
Il s’agit d’un exemple de cette méthode scolastique que nous venons de décrire. L’Apôtre Paul ne parle guère différemment :
Si nous marchons dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair, car les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas charnelles ; mais elles sont puissantes devant Dieu pour renverser les forteresses. Nous renversons les raisonnements et toutes hauteurs qui s’élèvent contre la connaissance de Dieu ; et nous amenons toutes obéissances captives à l’obéissance du Christ.
Il s’agit d’un des textes de l’apôtre Paul qui était particulièrement cher à Thomas d’Aquin, texte qu’il se plaisait souvent à citer.
Mais il ne faut pas me faire dire qu’il nous faudrait suivre Thomas d’Aquin dans tout ce qu’il a écrit comme s’il s’agissait de la parole de l’Évangile ! Loin de là ! Il en aurait été le premier scandalisé. Mais cessons donc d’écouter toutes les calomnies qui circulent sur les hommes de Dieu du passé, ragots qui n’ont comme but que de salir nos pères dans la foi. Examinons toutes choses par nous-mêmes et ne gardons pas à l’esprit ce qui est mal – comme c’est malheureusement trop souvent le cas – mais retenons dans nos cœurs ce qui est bien ! Merci de votre attention.
Jean-Marc Berthoud
[1] Réponse publique donnée à la demande des Anciens de l’Église Évangélique Baptiste de Lausanne à la question suivante posée par un membre de ladite Église : Quels sont les fondements de la scolastique ; comment est-elle née et pourquoi ; quelles sont ses méthodes ; quel rôle et quelle influence a-t-elle eu ? La transcription de cet exposé est due aux soins d’Anthony Chopard. Elle a été légèrement adaptée, quant au style, par l’auteur en vue de sa publication. Le style parlé a été largement maintenu. L’ouvrage essentiel sur cette question est celui de Josef Pieper, Scholasticism, Personalities and Problems of Medieval Philosophy, McGraw Hill, New York, 1964 (1960).
[2] Voyez de Jean Brun, Aristote et le Lycée, PUF, Paris, 1970.
[3] Voyez de Jean Brun, Platon et l’Académie, PUF, Paris, 1968.
[4] G. Paré, A. Brunet, P. Tremblay, La Renaissance du XIIᵉ siècle. Les Écoles et l’Enseignement, Publications de l’Institut d’Études Médiévales d’Ottawa, Ottawa, 1933.
[5] Gordon Leff, Paris and Oxford Universities in The Thirteenth and Fourteenth Centuries. An Institutional and Intellectual History, Wiley, 1968.
[6] Aimé Forest, F. Van Steenberghen et M. de Gandillac, Le mouvement doctrinal du IXᵉ au XIVᵉ siècle, « Histoire de l’Église depuis les origines jusqu’à nos jours », Tome 13, Bloud et Gay, Paris, 1951
[7] Augustin, « Le Magistère chrétien », Œuvres de Saint-Augustin, Tome 11, Desclée de Brouwer, Paris, 1949.
[8] Fernand Van Steenberghen, La Philosophie au XIIIᵉ siècle, Éditions Peeters, Louvain, 1991, p. 52-53.
[9] Ibidem, p. 57.
[10] Ibidem, p. 57.
[11] Pierre Courthial, Le jour des petits recommencements, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1997.
[12] Voyez les conclusions de sociologie historique définitives de Pitrim A. Sorokin, The Crisis of Our Age, Dutton, New York, 1955 (1941), et surtout son ouvrage définitif en quatre volumes, Social and Cultural Dynamics, A Study of Change in Major Systems of Art, Truth, Ethics, Law, and Social Relationships, American Book Company, New York, 1937-1941.
[13] La meilleure introduction à une saine compréhension de la civilisation chrétienne du Moyen Âge est la lecture des nombreux ouvrages de Régine Pernoud dont en particulier Pour en finir avec le Moyen Âge, Seuil, Paris, 1977 et Lumière du Moyen Âge, Grasset, Paris, 1946.
[14] Henri Pirenne, Les villes et les institutions urbaines, Alcan, Paris, 1939, 2 vols.
[15] Aimé Forest, F. Van Steenberghen et M. de Gandillac, Le mouvement doctrinal du IXᵉ au XIVᵉ siècle, « Histoire de l’Église », Tome 13, Bloud et Gay, Paris, 1951.
[16] S. Thomas d’Aquin, Somme théologique, « La création ». Ia, Questions 44-49, Revue des Jeunes, Paris, 1927.
[17] J. A. Van Ruler, The Crisis of Causality. Voetius and Descartes on God, Nature and Change, E.J. Brill, Leiden, 1995 ; Theo Verbeek, Descartes and the Dutch. Early Reactions to Cartesian Philosophy 1637-1650, Southern Illinois University Press, Carbondale, 1992. Jean-Marc Berthoud, « Les fondements bibliques de la morale et du droit ébranlés », dans Apologie pour la loi de Dieu, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1996, p. 116-134.
[18] Agrippa d’Aubigné, Œuvres, Gallimard (Pléiade), Paris, 1969, p. 834.
[19] Josef Pieper, The Silence of St. Thomas. Three Essays, St Augustine’s Press, South Bend (Indiana), 1999.
[20] Voyez l’article de Bertrand Rickenbacher, De la possibilité de la théologie. Étude sur l’analogie, p. 51 et suivantes.
[21] Thomas d’Aquin, Somme Théologique, II, II, Cerf, Paris, Tome III, 1985, Question 64, Article 2, p.425-426.
[22] Thomas d’Aquin, Somme Théologique, II, II, Cerf, Paris, Tome III, 1985, Question 64, Article 5, p. 427-429.
[23] Bénédict Pictet, La Théologie chrétienne et la Science du Salut ou l’exposition des vérités que Dieu a révélé aux Hommes dans la Sainte Écriture, Genève, Cramer, Perachon et Cramer fils, Genève, 1721
[24] Bénédict Pictet, Lettre à ceux qui se croient inspirtés, Europresse, Chalon-sur-Saône, 1993 (1721). Nous citons La Théologie Chrétienne (1722) de B. Pictet, Tome II, pages 204 à 207.
[25] Les manichéens enseignent une opposition absolue entre le Nouveau Testament (provenant de Dieu) et l’Ancien Testament (venant du Diable). La grâce serait de Dieu et la loi proviendrait du Diable. Parmi les chrétiens aujourd’hui il y a bon nombre de manichéens qui s’ignorent.
[26] Bénédict Pictet, La Théologie chrétienne, op. cit., Tome II, p. 204-207.