Baptême biblique, pédobaptiste ou baptiste ?

par | Résister et Construire – numéros 51-52

Introduction

Il s’agit de répondre à une question posée aux anciens de l’Église Évangélique Baptiste de Lausanne[1]. La voici :

L’Église baptiste de Lausanne se réclame assez souvent de la théologie de Jean Calvin. « Voilà une théologie biblique » dit-on. Pourtant Calvin (et d’autres Réformateurs avec lui) était franchement pédobaptiste, alors que nous sommes franchement baptistes. Quels sont les arguments bibliques qui nous permettent d’affirmer que Calvin se trompait ?

Quelques mots pour vous dire de quelle manière je vais procéder. Malgré quelques citations tirées de son Institution chrétienne je ne ferai pas d’étude systématique des positions développées par Jean Calvin dans les écrits consacrés par lui aux sacrements et au baptême[2]. Ce travail serait trop fastidieux et demanderait beaucoup plus de temps que ce dont je dispose ce soir. Je vais bien plutôt, à partir des positions confessionnelles réformées[3] et baptistes[4] sur cette question, les comparer et les confronter avec les données de la Bible. Même là je devrai me limiter à ce qui me paraît l’essentiel. Je ne poursuivrai pas non plus cette étude dans les domaines de l’histoire de l’Église, (si ce n’est un regard attentif jeté sur le traité du baptême contenu dans la Somme Théologique de Thomas d’Aquin[5]). Je n’ai malheureusement pas pu étudier avec l’attention qu’ils méritent les traités de Tertullien[6] et de saint Augustin[7] sur le baptême. Je ne parlerai pas non plus de l’histoire médiévale et patristique de la doctrine du baptême[8], de la liturgie[9] et, encore moins, de l’archéologie des baptistères[10], sujets aussi intéressants qu’instructifs mais qui sortent du domaine auquel je me suis forcément limité. Je ne m’occuperai pas non plus des théories libérales, néo-orthodoxes ou modernistes du baptême.

Examen des positions confessionnelles baptistes et pédobaptistes sur le baptême

Prenons d’abord la position confessionnelle de l’Église Évangélique Baptiste de Lausanne.

Confession de Foi de l’Église Évangélique Baptiste de Lausanne (2000)

 

Article 10. Les Sacrements. Le Baptême et la Sainte-Cène.

Un sacrement est une sainte ordonnance instituée par le Christ, au moyen duquel, par des signes sensibles, Christ et les bienfaits de la nouvelle alliance sont représentés aux croyants qui, en même temps, s’engagent à suivre le Seigneur.

Nous croyons qu’il n’y a que deux sacrements, à savoir le baptême et le repas du Seigneur. La baptême est l’immersion entière, au nom de la Trinité, de ceux qui ont fait profession de leur repentance envers Dieu et de leur foi envers le Seigneur Jésus-Christ.

Le repas du Seigneur n’est en aucune manière un sacrifice pour le péché et n’implique pas de transformation de la substance du pain et du vin. La cène est la communion des croyants, par l’Esprit et par la foi, au sacrifice expiatoire de Jésus-Christ à Golgotha.

Remarques

Faisons quelques remarques succinctes par rapport aux deux premiers paragraphes. (Nous ne dirons rien du troisième qui traite de la cène).

  • Je suis dans l’ensemble d’accord avec ces paragraphes, bien que je doive dire qu’ils me laissent sur ma faim.
  • Ces articles sont très sommaires.
  • Il y est question de « sacrement » ce qui n’est pas le cas pour la Confession Baptiste de 1689.
  • Mais la définition classique du sacrement:« Signe visible d’une grâce invisible[11]», bien que présente implicitement, n’est pas nettement affirmée.
  • Il n’est pas fait de distinction entre la « sainte ordonnance » du baptême comme sacrement et toutes les autres « saintes ordonnances », c’est-à-dire les commandements, établis par Jésus-Christ.
  • Ces articles se réfèrent essentiellement au Nouveau Testament. Celui qui les lirait n’aurait aucune idée d’une quelconque continuité – ou discontinuité – avec les sacrements de l’Ancien Testament.
  • L’aspect communautaire – c’est-à-dire ecclésial et familial – de la grâce faite au baptisé semble être totalement passé sous silence. Il se pourrait que nous nous trouvions ici en présence d’une manifestation baptiste de ce qu’on a pu appeler l’« individualisme protestant ».
  • La forme du baptême – la manière dont il doit être accompli – semble avoir le pas sur sa signification théologique et spirituelle. C’est avant tout le signe qui est mis en avant et l’on ne sait pas très exactement de quelle réalité il serait le signe. Le lien entre le signe du baptême et sa réalité semble ainsi assez distendu. Ce n’est pas de cette manière que semble parler le Nouveau Testament où le baptême est très souvent étroitement rattaché au salut dont il est en effet le signe.
  • L’identification avec le Christ par l’œuvre de la croix qui caractérise la manière dont Nouveau Testament parle du baptême semble être largement passé sous silence.

Confession de Foi Réformée Baptiste de 1689

(Un des documents de référence de base de notre Église)

Article 28. Les Ordonnances

    1. Le baptême et le repas du Seigneur sont des ordonnances d’institution souveraine et positive, prescrites par le Seigneur Jésus, seul législateur, que son Église doit perpétuer en son sein jusqu’à la fin du monde (Mat. 28:19-20 ; I Cor 11:26).
    2. Ces saintes prescriptions doivent être administrées par ceux-là seulement qui y sont qualifiés et appelés, selon le mandat du Christ (Mat. 28:19 ; I Cor. 4:1).

Article 29. Le Baptême

    1. Le baptême est une ordonnance du Nouveau Testament, instituée par Jésus-Christ, pour être au baptisé un signe de sa communion avec Christ en sa mort et sa résurrection, de son insertion en lui (Rom. 6:3-5 ; Col. 2:12 ; Gal 3:27), de la rémission de ses péchés (Marc 1:4 ; Actes 22:16) et de son offrande de lui-même à Dieu par Jésus-Christ pour vivre et marcher en nouveauté de vie (Rom 6:4).
    2. Ceux qui effectivement professent la repentance envers Dieu, ainsi que la foi et l’obéissance au Seigneur Jésus, sont les seuls candidats légitimes à cette ordonnance (Marc 16:16 ; Actes 8:36-37 ; 2:41 ; 8:12 ; 18:8).
    3. L’élément extérieur utilisé pour cette ordonnance est l’eau, en laquelle la personne doit être baptisée, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit (Mat. 28:19-20 ; Actes 8:38).
    4. L’immersion, ou le fait de plonger la personne dans l’eau est nécessaire à la légitime administration de cette ordonnance (Mat. 3:16 ; Jean 3:23).

Remarques

  • Ici encore je suis essentiellement d’accord avec ce qu’affirment ces articles, bien que sur un certain nombre de points je trouve ces formulations par trop rigides, sentant même une certain repli ecclésiastique.
  • Le contenu de ce texte quant à la signification théologique et spirituelle du baptême est nettement plus satisfaisant que celui de la Confession de l’Église Évangélique Baptiste de Lausanne.
  • Cependant, ce texte me laisse spirituellement et théologiquement sur ma faim car, dans une grande mesure, il reste à l’extérieur de la réalité spirituelle et théologique du baptême.
  • On y légifère de manière assez détaillée sur l’aspect purement formel du baptême.
  • Il n’est plus même question de « sacrement », le mot ayant été remplacé par un terme à caractère légal, « ordonnance ».
  • Ce texte s’exprime dans un langage très juridique. On y dit que le baptême et la cène sont « des ordonnances d’institution souveraine et positive, prescrites par le Seigneur Jésus, seul législateur, que son Église doit perpétuer en son sein jusqu’à la fin du monde ». On se trouve ici dans le langage du droit monarchique le plus absolutiste de la fin du XVIIᵉ siècle anglais.
  • Le caractère extérieur de règles toutes formelles prend ici très manifestement le pas sur le sens théologique du baptême et sur sa réalité spirituelle.
  • La relation – ou l’absence de relation – du baptême chrétien avec les sacrements de l’Ancien Testament est entièrement passée sous silence.
  • Il n’est pas question non plus de l’insertion du baptisé dans l’Église visible par l’acte du baptême.
  • Les implications communautaires et familiales des promesses associées au baptême semblent être totalement ignorées par les auteurs de ces articles.

Confession de foi de Westminster de 1649

(Elle aussi est une des références doctrinales de notre Église.)

Article XXVII. Les sacrements.

    1. Les sacrements sont des signes et sceaux sacrés de l’Alliance de grâce (Rom. 4:11 ; Gen. 17:7, 10), institués directement par Dieu (Mat. 28:19 ; I Cor. 11:23) pour représenter Christ et ses bienfaits, affermir notre attachement à sa personne (I Cor 10:16 ; 11:25-26 ; Gal. 3:27), établir une distinction visible entre ceux qui font partie de l’Église et le reste des hommes (Rom. 15:8 ; Ex. 12:48 ; Gen 34:14), et engager solennellement les membres de l’Église au service de Dieu en Christ, selon sa Parole (Rom 6:2-4 ; I Cor 10:16, 21).
    2. En tout sacrement, il y a une relation spirituelle, ou union sacramentelle, entre le signe et la réalité signifiée, de sorte qu’il arrive que les noms et effets de celle-ci sont attribués à celui-là (Gen. 17:10 ; Mat. 26:27-28 ; Tite 3:5).
    3. La grâce présentée dans ou par les sacrements droitement administrés n’est pas conférée par quelque pouvoir qu’ils auraient en eux-mêmes ; leur efficacité dépend non de la piété ou de l’intention de celui qui les administre (Rom. 2:28-29 ; I Pi. 3:21), mais de l’action de l’Esprit (Mat. 3:11 ; I Cor. 12:13) et de la Parole d’institution qui comporte à la fois le commandement d’en user et la promesse de bienfaits pour ceux qui les reçoivent dignement (Mat.. 26:27-28 ; 28:19-20).
    4. Il n’y a que deux sacrements prescrits par Christ notre Seigneur dans l’Évangile : le Baptême et la Sainte Cène ; ils ne peuvent être administrés que par un ministre de la Parole légitimement ordonné (Mat. 28:19 : I Cor. 11:20, 23 ; 4:1 ; Héb. 5:4).
    5. En ce qui concerne les réalités spirituelles qu’ils signifiaient et présentaient, les sacrements de l’Ancien Testament ne différaient pas, quant à la substance, de ceux du Nouveau (I Cor. 10:1-4).

Article XXVIII. Le Baptême.

    1. Le Baptême est un sacrement du Nouveau Testament institué par Jésus-Christ (Mat. 28:19), non seulement pour recevoir solennellement le baptisé dans l’Église visible (I Cor. 12:13), mais aussi pour lui être un signe et sceau de l’Alliance de grâce (Rom. 4:11 ; Col. 2:11-12), de son insertion en Christ (Gal 3:27 ; Rom. 6:5), de la régénération (Tite 3:5), de la rémission des péchés (Marc 1:4), de son offrande de lui-même à Dieu par Jésus-Christ pour marcher en nouveauté de vie (Rom. 6:3-4). Selon l’ordre même de Christ, ce sacrement doit être perpétué dans son Église jusqu’à la fin du monde (Mat. 28:19-20).
    2. L’élément extérieur utilisé dans ce sacrement est l’eau[12], avec laquelle une personne est baptisée au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, par un ministre de l’Évangile légitimement appelé à cette charge (Mat. 3:11 ; Jean 1:33 ; Mat 28:19-20).
    3. Il n’est pas nécessaire de plonger la personne dans l’eau ; mais le Baptême est droitement administré par versement ou aspersion d’eau sur elle (Héb. 9:10, 19-22 ; Actes 2:41 ; 16:33 ; Marc 7:4).
    4. Il faut baptiser non seulement ceux qui font profession de foi en Christ (Marc 16:15-16 ; Actes 8:37-38), mais aussi les enfants de l’un ou des deux parents croyants (Gen 17:7, 9 ; Gal. 3:9, 14 ; Col. 2:11-12 ; Actes 2:38-39 ; Rom. 4:11-12 : I Cor 7:14 ; Mat. 28:19 ; Marc 10:13-16 ; Luc 18 ; 15).
    5. Bien que ce soit un péché grave de mépriser ou de négliger cette ordonnance (Luc 7:30 ; Ex. 4 24-26), la grâce et le salut ne sont cependant pas si étroitement attachés au Baptême que nul ne puisse être régénéré ou sauvé, sans lui (Rom. 4:11 ; Actes 10:2, 4, 22, 31, 45, 47), ou que tout baptisé, soit indubitablement régénéré (Actes 8:13, 23).
    6. L’efficacité du baptême n’est pas liée au moment particulier de son administration (Jean 3:5, 8) ; pourtant, par le droit usage de cette ordonnance, la grâce promise est non seulement offerte, mais réellement présentée et conférée par le Saint-Esprit à ceux (adultes ou enfants) auxquels elle est accordée selon le conseil de la propre volonté de Dieu et au temps fixé par lui (Gal. 3:27 ; Tite 3:5 ; Eph. 5:25-26 ; Actes 2:38, 41).
    7. Le sacrement du Baptême ne doit être administré qu’une seule fois à la même personne (Tite 3:5).

Remarques

  • Théologiquement et spirituellement ce texte est beaucoup plus satisfaisant que les précédents.
  • Malgré des désaccords précis sur un certain nombre de points nous avons enfin ici l’impression de respirer l’atmosphère de la Bible, Ancien comme Nouveau Testament.
  • Les premiers articles des deux parties (consacrés au sacrement et au baptême) nous expliquent clairement, et très exactement, ce que signifie ce signe. Ils résument en quelques mots très soigneusement choisis toute l’expérience du chrétien baptisé.
  • La nature de la relation organique entre le signe et la réalité signifiée est admirablement définie.
  • Le danger du sacramentalisme romain, où l’on prétend communiquer la réalité spirituelle au moyen du sacrement, est soigneusement écarté.
  • La doctrine de l’Alliance de grâce (Alliance avec le baptisé et sa famille), et dont cet acte serait le signe, est clairement affirmée. Il faudrait cependant faire ici une distinction – distinction qui s’est par la suite exprimée dans la théologie réformée et évangélique – entre Alliance de grâce (qui englobe les enfants des chrétiens) et Alliance de rédemption (ou élection) qui ne concerne que ceux que le Saint-Esprit régénère[13].
  • Le sens et la réalité du sacrement, « signe visible de grâces invisibles » sont clairement affirmés.
  • L’aspect communautaire de ce sacrement, tant sur le plan ecclésial que familial, est montré de manière des plus nettes.
  • On ne se trouve pas ici en présence d’une prétendue « religion du Nouveau Testament ». La doctrine du baptême ici présentée inclut toute la Bible.
  • Les aspects extérieurs sont mentionnés, mais non pas de manière prioritaire et insistante.
  • L’accent est avant tout théologique et spirituel. La priorité est avant tout mise sur la réalité du baptême et non sur la simple administration pratique du sacrement.

Examen de certaines erreurs dans la position pédobaptiste

Mais il reste un certain nombre de points qui me paraissent faux, aussi bien théologiquement que pratiquement. Ces difficultés sont liées d’abord aux articles suivants :

Article XXVII

    1. Les sacrements sont des signes et sceaux sacrés de l’Alliance de grâce (Rom. 4:11 ; Gen. 17:7, 10).

Article XXVIII

    1. Le Baptême est un sacrement du Nouveau Testament institué par Jésus-Christ (Mat. 28:19), non seulement pour recevoir solennellement le baptisé dans l’Église visible (I Cor. 12:13), mais aussi pour lui être un signe et sceau de l’Alliance de grâce (Rom. 4:11 ; Col. 2:11-12), de son insertion en Christ (Gal 3:27 ; Rom. 6:5)
  • Commençons par le texte, Romains 4:11, qui a sans doute été l’occasion de l’identification réformée du sceau spirituel avec son signe sacramentel. Il nous faut garder à l’esprit la différence biblique entre signes et sceaux. Le sacrement est le signe d’une réalité spirituelle qui lui est extérieure. Le sceau est lié de manière étroite à cette réalité. Il est en fait très souvent cette réalité même. Le signe concerne le sacrement. Il exprime par des marques visibles, matérielles, le sens de la réalité invisible, spirituelle. Le sceau est pour sa part très étroitement rattaché à la réalité spirituelle elle-même. En fait, il en est inséparable. Voici notre texte :

Il [Abraham] reçut le signe de la circoncision comme sceau de la justice (qu’il avait obtenue) par la foi, quand il était incirconci. (Rom. 4:11)

  • Le signe se réfère à la circoncision, le sceau à la confirmation de la réalité, c’est-à-dire à la justice effectivement obtenue par Abraham par grâce, au moyen de la foi. L’interprétation que je donne de ce texte pourrait être sujet à discussion. La circoncision est bien un sceau au sens propre, le juif étant marqué dans sa chair du sceau de son Seigneur, tout comme un fermier marquerait au fer rouge son bétail pour attester publiquement de son droit de propriété sur lui. Cela n’est pas le cas des autres usages du mot « sceau » dans le Nouveau Testament.

Travaillez, non en vue de la nourriture qui subsiste pour la vie éternelle, celle que le Fils de l’homme vous donnera ; car c’est lui que le Père – Dieu – a marqué de son sceau. (Jean 6:27)

  • Il ne peut s’agir ici d’un simple signe. Le sceau dont il est ici question est en effet l’authentification par Dieu de l’œuvre de son Fils par la venue du Saint-Esprit sur lui. (Jean 1:32-34 ; Marc 1:9-11 ; Mat. 3 ; 13-17)

Si pour d’autres je ne suis pas apôtre, je le suis au moins pour vous ; car vous êtes le sceau de mon apostolat dans le Seigneur. Car c’est là ma défense contre ceux qui me font un procès. (I Cor. 9:2-3)

  • Par leur nouvelle vie les Corinthiens témoignaient de la réalité, non pas symbolique, de l’apostolat de Paul à Corinthe. Cette vie nouvelle était le « sceau » du son ministère.

Celui qui nous affermit avec vous en Christ et qui nous a donné l’onction, c’est Dieu. Il nous a aussi marqué de son sceau et mis dans nos cœurs les arrhes de l’Esprit. (II Cor. 1:21-22)

  • Ici le sceau est l’action même du Saint-Esprit, les arrhes de l’Esprit, et pas d’abord le signe de son action.

En lui, vous aussi, après avoir entendu la parole de la vérité, l’Évangile de votre salut, en lui, vous avez cru et vous avez été scellés du Saint-Esprit qui avait été promis. (Eph. 1:13)

  • Ici encore le sceau se réfère à l’action du Saint-Esprit, pas au sacrement du baptême qui en est le signe visible.

N’attristez pas le Saint-Esprit de Dieu, par lequel vous avez été scellés pour le jour de la rédemption. (Eph. 4:30)

  • Une fois encore c’est le Saint-Esprit qui scelle le croyant afin de le garder fidèle. Il ne s’agit pas du signe mais de la réalité. Enfin, dans l’Apocalypse le sceau dont sont marqués les fidèles (comme le chiffre de la bête qui est le propre des serviteurs de la bête) ne sont pas de simples signes, des sacrements, mais une indication certaine de l’appartenance véritable de ceux qui sont ainsi scellés. Les signes – le baptême d’eau, le pain et le vin – pointent vers ce qui a été véritablement scellé par l’Esprit Saint lui-même, vers l’appel efficace du croyant, œuvre régénératrice du Saint-Esprit, qui l’identifie à, et lui communique, tout ce qui a été accompli à la croix pour lui par Jésus-Christ.

Article XXVII. 5

En ce qui concerne les réalités spirituelles qu’ils signifiaient et présentaient, les sacrements de l’Ancien Testament ne différaient pas, quant à la substance, de ceux du Nouveau (I Cor. 10:1-4).

  • La Confession de Westminster a manifestement raison d’affirmer ici, contre toute volonté de séparer l’Ancien Testament du Nouveau, d’opposer la Nouvelle Alliance à l’Ancienne, que les réalités spirituelles du Tanak (les trois parties de l’Ancien Testament, Thora, Livres historiques et Livres sapientiaux) sont de même nature que celles du Témoignage Apostolique (le Nouveau Testament). Il n’y a eu, il y aura toujours, qu’une seule manière d’être sauvé, c’est par la grâce de Dieu au moyen de la foi en l’œuvre parfaite du Sauveur Jésus-Christ dont témoigne fidèlement toute la Parole de Dieu, l’Écriture Sainte. Depuis Adam jusqu’au dernier élu, tous seront sauvés de la même manière, par la foi en la mort et la résurrection de Jésus-Christ, Dieu fait homme pour notre salut.
  • Mais il serait faux, à partir de cette continuité spirituelle manifeste de l’œuvre de Dieu, de cette unité doctrinale de toute la Bible, de conclure à une continuité et unité sacramentelle inamovible et identique. On ne peut pas, à partir de l’unité spirituelle de l’œuvre de Dieu en faveur des hommes, déduire que les sacrements soient restés les mêmes – ceci est une évidence – et plus encore, que leur changement ait été sans véritable signification.

Cette problématique se trouve déjà dans l’Institution chrétienne. Calvin y affirme une semblable unité de la Bible, mais ceci apparemment aux dépens de tout développement possible de l’œuvre de Dieu. La théologie systématique contrôlée par une seule idée semble prendre le dessus chez lui sur la théologie de l’histoire du salut. C’est ce qui paraît bien ressortir de ce qu’il écrit dans l’Institution chrétienne. Voyons les choses d’un peu plus près.

La promesse, que nous avons dite être la vertu des sacrements, est une en tous les deux : à savoir celle de la miséricorde de Dieu, de la rémission des péchés et de la vie éternelle. La chose représentée y est toujours une, c’est notre purification et mortification. La cause et le fondement de ces choses, qui est Christ, est tant en l’un qu’en l’autre, pour confirmation et accomplissement. Il s’ensuit qu’il n’y a pas de différence quant au mystère intérieur où gît toute la substance des sacrements, comme cela a été dit. Toute la diversité qui s’y trouve n’est que quant à la cérémonie extérieure, qui est la moindre partie des sacrements, puisque la considération principale dépend de la Parole et de la chose signifiée et représentée. […] D’où il apparaît que le baptême a succédé à la circoncision[14].

Calvin ne donne ici aucune raison pour le changement du sacrement, pour le passage de la circoncision au baptême. Certes, il a raison quant à l’unité de substance du contenu final des deux sacrements qui est la promesse, c’est-à-dire la personne et l’œuvre de Jésus-Christ, mais il n’explique pas pourquoi un développement se serait produit dans l’Alliance unique qui pourrait justifier le changement des signes sacramentaux. Plus loin il écrit :

Il nous faut donc toujours diligemment regarder ce que nous avons de commun avec eux et de semblable, et ce qui est différent. L’alliance est commune, la raison de la confirmer est semblable ; la diversité est seulement en cela, qu’ils ont eu la circoncision pour confirmation, de quoi le baptême aujourd’hui nous sert[15].

Pour Calvin la différence n’est que formelle. Elle n’est d’aucune façon substantielle. On peut changer le signe sans que cela ne porte à conséquence quant au fond. En ce cas précis le rapport entre le signe et la réalité est, apparemment, pour lui arbitraire. C’est-à-dire, le lien entre le signe et la réalité signifiée, est en fait rompu. Sur le plan philosophique il s’agit d’une position essentiellement platonicienne. C’est ce qui ressort également de certaines de ses affirmations sur la nature du sacrement. Dans le troisième alinéa du chapitre de l’Institution intitulé, Des sacrements en général et où il traite du fait que dans le sacrement, Dieu nous présente et confirme ses promesses, nous pouvons lire :

Car notre foi est si petite et débile, que si elle n’est appuyée de tous les côtés, et soutenue par tous les moyens, soudain elle est ébranlée de toutes parts, agitée et vacillante. Et d’autant que nous sommes si ignorants, et si adonnés et fichés aux choses terrestres et charnelles [plutôt au péché (réd.)], que nous ne pensons ni ne pouvons comprendre ni concevoir rien qui soit spirituel, ainsi le Seigneur miséricordieux s’accommode en ceci à la rudesse de notre sens, que même [pourquoi le même ? (réd.)] par ces éléments terrestres il nous mène à soi, et nous fait contempler même [pourquoi encore ce même ? (réd.)] en la chair, comme un miroir, ses dons spirituels. Car si nous n’étions sensuels et enveloppés de nos corps [comme si le péché n’était pas avant tout une réalité d’ordre spirituel ? (réd.)], comme dit Chrysostome, ces choses nous seraient données sans figure corporelle ; mais parce que nous habitons en nos corps, Dieu nous donne les choses spirituelles sous de signes visibles [alors un pis aller ? (réd.)]. Non pas que les choses qui nous sont proposées pour sacrements, aient de leur nature telles qualité et vertu, mais parce qu’elles sont signées et marqués de Dieu pour avoir cette signification[16].

Les choses sensibles, matérielles font pleinement partie de la bonne création de Dieu, cela au même titre que notre intelligence qui nous permet de les connaître. C’est parce que ces éléments – l’eau, le pain et le vin –, la base matérielle des sacrements, ont en effet, « de leur nature telles qualité et vertu », qu’ils sont effectivement appointées par Dieu pour signifier telle ou telle chose sur le plan spirituel. Les réalités matérielles sont en effet créées par Dieu en vue de signifier les réalités spirituelles. La terre est ainsi un reflet analogique du ciel, car le sens dont il est revêtu lui vient de Dieu. On peut alors se demander pourquoi Calvin manifeste ici une telle dépréciation (platonicienne ?) du sens donné par le Créateur aux choses matérielles[17]. Car elles sont aussi créées par lui dans le but d’être les signes appropriés à des réalités spirituelles – les sacrements – dont le sens exact est précisé par la révélation écrite de Dieu. Car loin d’être inaptes à cela les choses matérielles, prises dans leur sens spirituel, sont faites pour nous signifier des réalités célestes, et cela d’une manière parfaitement adéquate[18].

L’article de la Confession de Westminster que nous citions plus haut fait usage d’une distinction propre à la philosophie aristotélicienne. La substance dans cette philosophie est distinguée de ses accidents. Qu’est-ce à dire ? En bref, la substance concerne la nature essentielle de la chose, son concept universel tel qu’il existe dans la pensée de Dieu. Les accidents, eux, se rapportent à ce qui n’est pas essentiel à l’objet pour qu’il soit ce qu’il est. Prenons l’exemple d’un arbre. Le concept de l’arbre est ce qu’on appelle l’« universel ». C’est, si l’on peut ainsi parler, l’arbre en soi. Les accidents en sont sa grandeur, sa couleur, son feuillage, ses fruits, etc. Il peut être grand ou petit, un pommier ou un cèdre, portant du fruit ou stérile ; cependant il reste toujours un arbre. Il est évident que dans la réalité créée l’arbre sera toujours constitué concrètement de substance et d’accidents : cet être concret là, devant nous, avec cette nature précise.

Ainsi la substance spirituelle dont témoigne le sacrement reste la même : c’est l’œuvre de l’Esprit de Dieu dans le cœur de celui qui croit. Les accidents de ces mêmes sacrements – ici circoncision ou baptême – peuvent dans le temps se manifester de manières assez diverses. Les modifications dans le temps des accidents des sacrements, c’est-à-dire leurs manifestations diverses à différentes époques, doivent eux aussi être compris de manière théologiquement juste. La tradition baptiste tente de rendre compte bibliquement de ces différences. En revanche, elle ne parvient pas à rendre justice à la continuité substantielle des réalités spirituelles dans l’unique Alliance, comprenant l’Ancien comme le Nouveau Testament, continuité à laquelle les réformés sont très attachés.

Mais s’il y a une véritable continuité entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance, il n’y a aucunement, comme semble souvent le prétendre la doctrine réformée du baptême, simple identité entre les signes de l’Ancienne dispensation de la grâce et ceux de la Nouvelle. Car la tradition réformée comprend le baptême chrétien comme une simple transposition de la circoncision juive. Il faut reconnaître ici tout à la fois la continuité de l’unique Alliance de Dieu, depuis Adam jusqu’au renouvellement de toutes choses, et le développement de cette Alliance, développement manifesté par un changement des signes, des sacrements, qui en expriment visiblement le sens. Il faut rendre compte de cette continuité.

Mais il faut également expliquer bibliquement le sens théologique du changement. Par exemple celui qui va de la pâque juive à la cène chrétienne et celui qui conduit de la circoncision au baptême. L’épître aux Hébreux se consacre très largement à l’explication biblique de cette continuité et de ce changement. Il nous montre pourquoi le Nouveau Testament (ainsi que certains textes de l’Ancien) parlent si clairement d’une Alliance Nouvelle : en quoi cette Alliance ne change pas et en quoi elle est nouvelle. C’est malheureusement ce que ne fait pas la théologie réformée du baptême, exclusivement préoccupée comme elle l’est, à affirmer la continuité de l’Alliance[19].

La pâque juive, le sacrifice de l’agneau pascal offert en souvenir de la délivrance du peuple d’Israël de la servitude de l’Égypte, s’est parfaitement accompli dans la mort et la résurrection de l’Agneau de Dieu, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. La pâque juive est devenue la fête de Pâques chrétienne dont le signe n’est plus un agneau sacrifié mais le pain et le vin de la cène. Un tel changement ne doit pas être considéré comme une petite chose. Cette modification dans le sacrement témoigne de rien de moins que l’accomplissement parfait, par le sacrifice du Messie, Jésus-Christ, Dieu fait homme pour notre salut, des signes typologiques assez variés de l’Ancienne Alliance. Car les divers sacrifices qui étaient offerts au Temple l’étaient en vue de la parousie, de la manifestation du sacrifice véritable et réellement efficace, de cet agneau unique de Dieu, le Christ. Une fois ce sacrifice accompli il serait, en effet, d’une impiété rare de revenir aux signes anciens de l’unique Alliance – les divers sacrifices de la loi cérémonielle juive – signes maintenant révolus, car parfaitement accomplis. Ceux qui agiraient ainsi manifesteraient par là leur refus de croire à l’accomplissement parfait des anciens sacrifices typologiques et prophétiques en la personne même de Jésus-Christ mort à la croix. Ils se placeraient tout simplement en dehors – comme le font aujourd’hui les Juifs qui rejettent toujours leur Messie – des bénéfices leur parvenant du sacrifice définitif de Jésus-Christ et, en conséquence, se rendent eux-mêmes anathèmes.

Comme nous le voyons dans l’épître que Paul adressa aux Églises de Galatie il en est exactement de même pour le maintien abusif du rite de la circoncision. Celui qui revient à la circoncision comme rite cérémoniel se livre, lui aussi, à l’anathème. La loi cérémonielle était l’ombre de cette réalité spirituelle maintenant parfaitement manifestée en la personne et l’œuvre de Jésus-Christ. La circoncision était à la fois le signe de l’entrée des enfants mâles (et des prosélytes païens convertis à la foi d’Israël) dans la communion nationale du peuple élu et, dans les particularités judaïques de ce rite, un moyen de séparation de la nation d’Israël d’avec toutes les nations païennes. La Bible parle, pour établir une Alliance, de « couper une alliance », soit entre deux personnes, soit entre Dieu et son peuple. C’est cette « coupure d’Alliance » qui est signifiée par l’acte de trancher la peau du prépuce de l’enfant (ou du prosélyte) mâle. Ce signe faisait entrer l’enfant (ou l’adulte converti) dans la communion nationale du peuple élu. Car c’était le seul peuple d’entre toutes les nations choisies par Dieu pour manifester au monde le Sauveur, notre Seigneur Jésus-Christ. C’est dans sa personne même, dans sa propre chair qu’allait être tranchée, de manière définitive et finale, l’Alliance entre Dieu et son Église. Ce signe de la circoncision dans sa forme spécifiquement juive était ainsi également une marque de la séparation nécessaire entre le peuple élu, Israël, et les nations païennes.

Mais le but de l’Alliance établie par Dieu avec Abraham n’était en aucune manière de perpétuer indéfiniment l’existence historique spécifique de cette nation élue mais, en manifestant le Messie annoncé, Jésus-Christ, d’ouvrir aux nations de la terre entière tous les bénéfices de l’Alliance de rédemption annoncée à Abraham. C’est aussi pour cela qu’un retour à la pratique cérémonielle de la circoncision, comme c’est le cas pour tout rétablissement des sacrifices du Temple, est une négation explicite de l’œuvre du Christ et retranche celui qui s’y livre de toute participation aux bénéfices de son œuvre de rédemption.

Un retour à la circoncision impliquait également la volonté de rétablir les privilèges définitivement révolus du peuple d’Israël dont le destin divin était de manifester aux yeux de toutes les nations son Messie, le Sauveur du monde. Le sectarisme national Juif était ainsi le signe de son apostasie. C’est pour ces raisons (parmi d’autres) que l’apôtre Paul est si sévère avec les Galates qui étaient pour leur malheur revenu à la pratique religieuse de la circoncision.

Car maintenant, nous dit encore l’apôtre, il n’y a en Christ ni homme ni femme, ni juif ni grec, ni esclave ni maître car tous nous sommes un en Jésus-Christ (Gal. 3:28 ; Col. 3:11). C’est-à-dire que, si auparavant le signe d’appartenance à l’Alliance de Dieu était réservé aux seuls mâles (les femmes juives en étant exclues) et aux seuls Israélites (toutes les autres nations en étaient, elles aussi, exclues), maintenant il était accessible à toutes les nations et à toutes les conditions humaines. La portée du salut était maintenant, elle aussi, étendue à toutes les nations de la terre. Le changement de signe, le baptême ouvert aux hommes comme aux femmes, aux Juifs comme aux Gentils, marquaient de manière visible et pour tous, l’extension extraordinaire, avec la venue du Christ, de la sphère du salut. Car, avec l’accomplissement parfait de l’œuvre de la rédemption et la descente du Saint-Esprit sur tous ceux qui croiraient en Jésus-Christ l’exclusivité de la relation de la nation d’Israël avec Dieu était révolue.

Enfin, l’événement de la Pentecôte indiquait, par le fait que le Saint-Esprit s’est mis à s’exprimer dans diverses langues (à l’exclusion des langues d’Israël, l’hébreu et l’araméen), indique, de la manière la plus claire, la fin du statut spécial du peuple juif. C’est en effet également le sens véritable qu’il faut attribuer à l’acte décisif qui accompagna le don du Saint-Esprit à la Pentecôte : l’inscription de la Loi divine sur le cœur de tous ceux qui croyaient en Jésus-Christ. La Loi ancienne n’étant plus désormais la seule prérogative du peuple juif. Ce seul fait permet de mieux comprendre la portée véritable du changement spirituel représenté par le remplacement de la circoncision par le baptême, comme signe d’initiation au Christianisme.

Nous ne pouvons pas ici faire mieux que de répéter le premier paragraphe de l’article XXVIII de la Confession de Westminster :

Le Baptême est un sacrement du Nouveau Testament institué par Jésus-Christ (Mat. 28:19), non seulement pour recevoir solennellement le baptisé dans l’Église visible (I Cor. 12:13), mais aussi pour lui être un signe et sceau de l’Alliance de grâce (Rom. 4:11 ; Col. 2:11-12), de son insertion en Christ (Gal 3:27 ; Rom. 6:5), de la régénération (Tite 3:5), de la rémission des péchés (Marc 1:4), de son offrande de lui-même à Dieu par Jésus-Christ pour marcher en nouveauté de vie (Rom. 6:3-4). Selon l’ordre même de Christ, ce sacrement doit être perpétué dans son Église jusqu’à la fin du monde (Mat. 28:19-20).

Comme nous l’avons vu le sceau se réfère à l’action du Saint-Esprit qui scelle définitivement le croyant dans son appartenance à l’Alliance de Dieu, tandis que le signe signifie de manière sensible le sceau. Mais ce qui nous intéresse ici c’est le sens théologique et spirituel de ce signe. Il s’agit de l’insertion du croyant en Christ, de sa régénération, de la rémission de ses péchés. Il est utile ici de citer ce qu’écrit Thomas d’Aquin dans la Somme Théologique sur le sens de ce rite. Il s’agit de son traité sur la baptême. L’Article 1, « Le baptême efface-t-il tous les péchés ? » de la Question 69 est consacré au point suivant, « Les effets du baptême ». Nous lisons en conclusion ceci :

L’Apôtre dit aux Romains:« Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés ». Et plus loin il conclut:« Ainsi vous-mêmes, regardez-vous comme morts au péché et comme vivants pour Dieu en Jésus-Christ, Notre Seigneur ». D’où il suit que, par le baptême, nous mourons à la vétusté du péché et commençons à vivre du renouvellement de la grâce. Or tout péché appartient à cette vétusté passée. Tout péché, par conséquent, est effacé par le baptême. »[20]

Il est clair que pour Thomas d’Aquin le baptême opère ce qu’il signifie. Il le dit en toutes lettres :

Au lieu de n’être qu’un signe, le baptême possède la vertu même du Christ, cause universelle du salut de tous les hommes et de la rémission de tous les péchés. (p. 222)

Mais ce qui nous intéresse ici c’est ce qu’il dit sur la signification de ce signe. Il continue :

Aucun péché ne peut être remis si ce n’est par la vertu de la Passion du Christ:« Sans effusion de sang, il n’y a pas de rémission », dit saint Paul aux Hébreux. Par conséquent le mouvement de repentir de la volonté humaine ne saurait aboutir à cette rémission sans la foi en la Passion et le désir de participer à sa vertu par la réception du baptême ou la soumission aux chefs de l’Église. (p. 172-173)

En réponse à la question de l’Article 2, « Est-ce que le baptême nous libère de toute la peine due au péché ? » Thomas répond :

Comme on l’a dit le baptême nous incorpore à la Passion et à la mort du Christ. « Si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons avec lui », dit l’Apôtre aux Romains. D’où il suit que cette Passion à laquelle tous les baptisés participent est à chacun un remède aussi efficace que lui eussent été ses propres souffrances et sa propre mort. Or nous avons dit aussi que la Passion est capable de satisfaire pour tous les péchés de tous les hommes. Celui qui reçoit le baptême est donc délivré de toute la peine qu’avaient méritée ses péchés, comme s’il eût lui-même satisfait pour eux. […] Parce que le baptisé participe à la peine de la Passion au titre de membre du Christ, comme si lui-même l’eût endurée, c’est par cette peine que ses péchés rentrent dans l’ordre. (p. 175-176)

Je ne veux pas m’attarder ici aux erreurs évidentes contenues dans ces textes, en particulier tout ce qui se rapporte à l’efficacité du baptême-sacrement et à la soumission due aux chefs de l’Église comme condition de salut. Je voudrais simplement attirer l’attention sur le fait que, même pour un Thomas d’Aquin, il ne peut faire de doute qu’aucun salut n’est possible sans l’identification du baptisé au Christ et à son œuvre de rédemption et que le sens même du baptême comme sacrement-signe, se trouve dans cette identification personnelle par la foi du baptisé à la mort et à la résurrection de Jésus-Christ. Nous voyons donc que pour Thomas il faut que le baptisé manifeste, d’une manière ou d’une autre, et la foi et le repentir pour obtenir le salut. S’il est adulte il les manifestera de manière personnelle. S’il est un nourrisson, il le fera, selon Thomas, au-travers de la foi et de la repentance de ses parents qui agissent pour lui, c’est-à-dire à sa place. Mais il faut ajouter, remarque qui me paraît décisive, qu’un nourrisson ne pouvant en aucune manière accomplir ces deux actions en sa propre personne une telle « foi et repentance » exercées par l’intermédiaire de ses parents chrétiens n’est qu’une pure fiction, fiction qui, jusqu’à nouvelle information ne serait justifiée par aucun texte biblique. Ajoutons encore que cette « foi et repentance » nous viennent uniquement de la grâce souveraine de Dieu par le Saint-Esprit qui par la prédication de la Parole de Dieu nous transmet tout ce que Jésus-Christ a accompli pour notre salut. Thomas semble bien être lui-même conscient de notre objection. Il la pose en effet à l’Article 5 de cette même Question 69, article qui traite du baptême des adultes :

On ne donne le baptême aux adultes que s’ils sont croyants, suivant la parole du Seigneur:« Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ». Or c’est la foi qui incorpore au Christ:« Que le Christ habite dans vos cœurs par la foi », dit saint Paul aux Éphésiens. Personne n’est donc baptisé qui ne soit déjà incorporé au Christ, et ainsi cette incorporation n’est pas un effet du baptême. » (p. 187-188)[21]

Il répond :

Cependant, saint Augustin enseigne que « le baptême a cet effet d’incorporer au Christ ceux qui le reçoivent » […] Par le baptême [en fait, comme Thomas vient de le dire, il ne s’agit pas du baptême (rite), mais de la foi (don de Dieu) qui nous fait participer à la réalité de l’œuvre salutaire du Christ (réd.)], nous renaissons à la vie spirituelle, vie qui appartient en propre aux fidèles du Christ:« Ce que je vis maintenant dans la chair, dit l’Apôtre aux Galates, je le vis dans la foi au Fils de Dieu ». Mais ne vivent que les membres qui sont unis à la tête, d’où ils reçoivent le sens et le mouvement. Il est donc nécessaire que le baptême nous incorpore au Christ et nous fasse ses membres. (p. 188-189)

Il donne la solution suivante à cette objection :

Par la foi [le baptême du Christ (réd.)] qui précède leur baptême [d’eau (réd.)], les adultes sont incorporés au Christ intérieurement [régénérés (réd.)] ; mais, lorsque ensuite ils sont baptisés [d’eau (réd.)], ils le sont d’une certaine manière dans leur corps, c’est-à-dire par le sacrement visible, sans le désir duquel [en fait, la foi, don de la seule grâce de Dieu (réd.)] d’ailleurs même leur incorporation intérieure eût été impossible. (p. 190)

La réponse de Thomas, comme celle de la tradition romaine tout entière (ceci, il faut le rappeler, à la suite de saint Augustin), se trouve dans la doctrine erronée de l’efficacité spirituelle du baptême, rite sacramentel qui accomplit ce qu’il signifie. Car, comme nous l’avons déjà vu, Thomas affirme :

Au lieu de n’être qu’un signe, le baptême [comme tous les sacrements de la Nouvelle Alliance selon l’Église romaine, (réd).] possède la vertu même du Christ, cause universelle du salut de tous les hommes et de la rémission de tous les péchés. (p. 222)

La doctrine romaine erronée d’un rite baptismal qui posséderait la vertu même du Christ semble en fait être l’unique réponse possible à l’objection que soulève Thomas lui-même sur la pratique du baptême des petits enfants[22]. Car dans son enseignement sur le baptême des petits enfants Thomas d’Aquin attribue au rite baptismal le pouvoir d’opérer effectivement le don de cette vie nouvelle.

Dissociation réformée du signe du baptême de sa réalité spirituelle

Ceci nous amène directement à notre prochain point. À son article XVIII, alinéa 4 la Confession de Foi de Westminster affirme :

Il faut baptiser non seulement ceux qui font profession de foi en Christ (Marc 16:15-16 ; Actes 8:37-38), mais aussi les enfants de l’un ou des deux parents croyants (Gen 17:7, 9 ; Gal. 3:9, 14 ; Col. 2:11-12 ; Actes 2:38-39 ; Rom. 4:11-12 : I Cor 7:14 ; Mat. 28:19 ; Marc 10:13-16 ; Luc 18 ; 15).

Ici est clairement affirmé le point doctrinal le plus explicite qui nous sépare de nos frères calvinistes, luthériens et anglicans. C’est spécifiquement sur ce point qu’il nous faut leur répondre.
— Si la foi en l’œuvre expiatoire de Jésus-Christ et la repentance de ses péchés, actions produites dans le cœur du croyant par l’action souveraine du Saint-Esprit, sont nécessaires pour être justifié devant Dieu et, si le sacrement du baptême est le signe de notre identification à la mort et à la résurrection de Jésus-Christ, il est alors impossible de baptiser légitimement des petits enfants, même de parents croyants, qui par leur état de nourrissons sont dépourvus de toute capacité d’exercer la foi et la repentance.

Comme nous l’avons vu, le seul échappatoire à ce dilemme est celui d’adopter la position romaine qui affirme que le signe communique ce qu’il signifie, c’est-à-dire qu’il n’est plus un signe mais la source immédiate de la chose signifiée.

Le baptême d’eau comme signe (œuvre humaine) est ici confondu avec la réalité spirituelle distincte du baptême d’eau (c’est-à-dire celle de l’action divine, créatrice d’une vie nouvelle) et celui qui célèbre le sacrement est confondu avec Celui, Dieu le Saint-Esprit, qui communique effectivement la réalité signifiée par le rite. Il est évident que, sur le plan simplement logique, un tel union causale du signe avec la chose signifiée pose de sérieux problèmes. Comme si un panneau de circulation indiquant la vitesse limite pour la circulation pouvait être lui-même la source de cette vitesse. Comme nous le verrons mieux plus loin l’erreur romaine est de confondre le baptême du Saint-Esprit qui communique une vie nouvelle, avec le rite du baptême d’eau, qui en est la représentation visible et qui, en tant que telle, ne peut communiquer la vie. Plus encore, avec sa doctrine de l’Église comme prolongement du Christ, la doctrine romaine confond le prêtre qui célèbre le rite sacramentel, avec Dieu qui seul donne la vie. L’Église catholique romaine instrumentalise ainsi la grâce. Elle en fait un instrument entre les mains de l’institution ecclésiale, de l’Église, par cette doctrine d’un rite baptismal qui posséderait la vertu même du Christ. À cette erreur future – une véritable instrumentalisation de la grâce – l’apôtre Paul répondait déjà lorsqu’il écrivait aux Corinthiens :

Qu’est donc qu’Apollos, et qu’est-ce que Paul ? Des serviteurs, par le moyen desquels vous avez cru, selon que le Seigneur l’a donné à chacun. J’ai planté, Apollos a arrosé, mais Dieu a fait croître. Ainsi ce n’est pas celui qui plante qui est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui fait croître.(I Corinthiens 3:5-7)

Et parlant des Pharisiens Jésus-Christ ne dit-il pas à ses disciples :

Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme [les hommes religieux de son temps (réd.)], craignez plutôt celui qui peut faire périr l’âme et le corps dans la géhenne [le Dieu tout-puissant qui fait vivre et qui fait mourir (réd.)].(Matthieu 10:28)

La position réformée qui affirme de manière si nette (contre les erreurs du système romain) la nécessité de la foi et de la repentance pour être sauvé, foi et repentance obtenues par l’écoute de la Parole de Dieu, et qui cependant pratique en même temps le baptême des petits enfants, se trouve placée dans une contradiction inextricable. Pourquoi, malgré son refus explicite de l’identification du sacrement du baptême avec la conception catholique romaine d’un signe qui opère ce qu’il signifie (Confession de Westminster, Article XXVIII, 6) les Confessions réformées maintiennent-elles le baptême des petits enfants, même si une telle position les met en flagrante contradiction avec leur propre enseignement sur le salut par grâce, au moyen de la foi en Jésus-Christ, cela par la prédication de la Parole de Dieu ? Est-ce par simple volonté de maintenir la forme d’une tradition ancienne presque universelle, tout en lui enlevant sa qualité de posséder la vertu même du Christ ?

C’est ici qu’intervient la doctrine réformée de l’Alliance établie par Dieu avec son Église. Pour les Réformateurs le salut n’est aucunement une simple affaire individuelle. Comme l’obéissance de foi des Israélites à l’Alliance Ancienne comportait la bénédiction divine sur les familles, bénédiction pouvant durer jusqu’à mille générations (Ex. 20:6), de même pour les Réformateurs les bénédictions de l’Alliance Nouvelle (bienfaits bien plus grands encore que ceux accordés par l’ancienne dispensation de la grâce) devaient eux aussi être applicables aux enfants des parents fidèles à l’Alliance de Dieu. Ils prenaient, avec raison, tout à fait au sérieux ces paroles de l’apôtre Pierre prononcées le jour de la Pentecôte :

Repentez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, pour le pardon de vos péchés ; et vous recevrez le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous et pour vos enfants, et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera. (Actes 2:38-39)

Pour les Réformateurs cette promesse était bel et bien pour les croyants et pour leurs enfants jusqu’à la fin des temps. C’est-à-dire que pour eux les enfants des croyants faisaient partie de l’Alliance de Dieu. Ils n’étaient pas des étrangers à l’Alliance comme l’étaient les païens qui, eux, n’avaient pas de rapport personnel avec le Dieu de l’Alliance. Ils prenaient également très au sérieux les paroles que l’apôtre Paul adressait aux Corinthiens :

Si un frère a une femme non-croyante, et qu’elle consente à habiter avec lui, qu’il ne la répudie pas ; et si une femme a un mari non-croyant, et qu’il consente à habiter avec elle, qu’elle ne répudie pas son mari. Car le mari non-croyant est sanctifié par la femme, et la femme non-croyante est sanctifiée par le frère, autrement, vos enfants seraient impurs, tandis qu’en fait ils sont saints. (I Cor. 7:12-14)

Ils voyaient bien que, dans l’Ancien Testament les membres du peuple et dans le Nouveau, la famille des croyants, étaient communautairement sanctifiés par leur appartenance à une nation sainte, à une famille sainte, séparées du péché et n’ayant pas de communion avec les païens, par nature impurs. Et comme, dans l’Ancienne Alliance, le signe de cette appartenance à la nation sainte était la circoncision des petits enfants, de même, selon leur raisonnement, la famille, elle aussi sanctifiée tout entière, devait être au bénéfice du signe de la Nouvelle Alliance, le baptême. Autrement dit, c’était en fait le baptême qui scellait la sanctification des enfants des croyants. Mais l’on peut se demander ici ce qu’il en était du conjoint non-chrétien qui, lui, ne pouvait être baptisé (c’est-à-dire bénéficier du signe) tant qu’il ne manifestait pas personnellement le fruit de la grâce, la repentance et la foi en Jésus-Christ ? N’étant pas baptisé n’était-il alors pas saint ? Notre texte ne nous dit pas que le non-croyant (enfant ou adulte) est sanctifié par le baptême, mais par la sainteté (la séparation pour Dieu et la rupture avec le péché) de la personne même du croyant. Ainsi ce n’est pas le baptême en tant que sacrement qui sanctifie mais le fait que le conjoint ou le parent soit un chrétien, un véritable enfant de Dieu. Par ce fait même, par sa foi et par son obéissance aux commandements de Dieu qui manifeste sa foi, le vrai croyant met toute sa famille à l’abri de l’impureté de ce monde. C’est ce premier degré de sainteté que la Confession de Westminster appelle « un signe et sceau de l’Alliance de grâce » et pour les Réformateurs ce signe et ce sceau sont à donner aux enfants des croyants, autrement ils ne seront pas membres de cette Alliance de grâce et seront en conséquence des étrangers de la famille de Dieu et relégués au statut de gens du dehors.

Il y a certainement beaucoup de bonnes choses à dire en faveur de cette position défendue par les partisans de la foi réformée. Il est évident que les enfants des croyants ne sont pas de ces « petits païens à convertir », idée fausse que l’on retrouve bien trop souvent dans la pensée de tant de parents baptistes. Certes, cet enfant issu d’une famille authentiquement chrétienne, n’est pas encore au bénéfice de

« de son insertion en Christ (Gal 3:27 ; Rom. 6:5), de la régénération (Tite 3:5), de la rémission des péchés (Marc 1:4) » (Confession de Westminster, Art. XXVIII, 1).

Mais est-il pour autant rien d’autre qu’un païen à convertir, comme s’il ne connaissait rien de Dieu, n’avait pas plus de rapport avec Dieu que n’importe quel autre païen ? Certes non, autrement les parents chrétiens ne se comporteraient pas avec leurs enfants comme s’ils ne faisaient pas déjà, d’une certaine manière, partie de la famille de Dieu, de l’Alliance divine, leur demandant de prier, les exhortant à mettre leur confiance en Dieu, exigeant d’eux qu’ils obéissent à la Loi de Dieu comme s’ils étaient déjà membres à part entière du peuple de Dieu. Certes certains parents chrétiens (baptistes ou réformés, peu importe) se comportent avec leurs enfants comme s’ils étaient des non-croyants. Ceci est particulièrement flagrant dans de nombreux milieux baptistes. Le résultat ne se fera évidemment pas attendre : ces enfants se comporteront en fait selon l’attente de leurs parents : en véritables petits non-croyants. Ils s’éloigneront dès qu’ils le pourront de la foi impuissante de leurs parents si coupablement incrédules à l’égard des promesses de Dieu en faveur des enfants de familles chrétiennes. Mais il faut quand même ajouter que les enfants des chrétiens ne doivent pas se contenter de vivre de la foi de leurs parents. Ils doivent effectivement en venir par eux-mêmes à connaître Dieu, à se repentir de leurs péchés et à mettre toute leur confiance en Jésus-Christ. En bref, ils doivent eux-mêmes recevoir la foi, être justifiés, être régénérés, être baptisés par le Saint-Esprit qui leur communiquera tout ce qui appartient au Christ.

Comment éviter les pièges qui découlent d’une vue partielle de la Foi ?

En réfléchissant sur le baptême il nous faut éviter les trois pièges suivants :

    1. L’identification catholique romaine du pouvoir du prêtre et de celui de l’Église, agissant au moyen signe sacramentel du baptême, comme source quasi obligatoire pour accéder à la vie éternelle.
    2. La confusion réformée entre l’Alliance de grâce et l’élection, élection qui se manifeste par la régénération.
    3. L’ignorance baptiste de la sainteté communautaire accordé par Dieu aux familles chrétiennes et le sectarisme individualiste qui en découle.

Comme toujours il faut éviter l’hérésie, hérésie qui consiste à choisir entre plusieurs vérités, au lieu de s’en tenir à la véritable catholicité qui, elle, consiste dans une attitude ferme qui cherche à garder tous les aspects de la vérité chrétienne hiérarchiquement unis dans une harmonie dogmatique équilibrée. Comme nous l’avons vu, chacun des camps, tout en tenant à certains aspects de la vérité, en escamote d’autres.

Le catholique romain considère que le rite du baptême est, en lui-même, la source de la réalité spirituelle que ce rite représente, c’est-à-dire que le rite ecclésial suscite de facto la conversion, le baptême du Saint-Esprit, la régénération, l’élection.

    1. Le réformé tend à privilégier l’Alliance de grâce qui accorde un statut de sainteté aux enfants ou conjoints non-régénérés, ceci souvent aux dépens de la nécessité d’une relation personnelle, par la foi et la repentance, avec Dieu. Il sépare en conséquence le signe de l’Alliance, le baptême, de sa réalité, la conversion.
    2. Le baptiste, lui, privilégie souvent tellement la régénération, qu’il perd complètement de vue l’aspect communautaire de la sainteté familiale et ecclésiale. Il parle beaucoup de baptême d’eau et de conversion, de régénération mais ne paraît pas comprendre que le baptême d’eau est le signe spécifique du baptême de l’Esprit. C’est ainsi que les milieux évangéliques ont coupablement laissé le champ libre aux pentecôtistes pour donner, comme ils se sont empressés de le faire, un sens parfaitement non-biblique à cette dernière réalité spirituelle, le baptême du Saint-Esprit.

Ces choix doctrinaux – le mot hérésie veut dire « choix » – conduisent à d’autres erreurs.

    1. L’Église catholique romaine identifie l’action sacramentelle du prêtre ou de l’évêque comme étant la source prochaine et le moyen habituel de l’action divine par lesquels le Saint-Esprit vivifie spirituellement le baptisé en lui communiquant les mérites salutaires du Christ.
    2. L’insistance des réformés sur l’Alliance de grâce, grâce identifiée à une bénédiction générale accordée par Dieu aux familles chrétiennes, conduit l’Église à être tentée par un salut collectif, de type universel.
    3. L’insistance baptiste pour la pureté de l’expérience personnelle du salut, ceci aux dépens des autres aspects communautaires de la vie chrétienne, conduit souvent au repli sectaire vers le ghetto chrétien, à un spiritualisme antinomien lié à une véritable incapacité d’être sel et lumière du monde, tout ceci baignant dans un individualisme outrancier.

Mais comment donc remédier à ces maux, sortir de ce labyrinthe ?

 

La position catholique romaine

La position catholique romaine a exégétiquement raison de comprendre que dans l’épître de Paul aux Romains le sens du terme « baptême » recouvre très exactement celui de « salut ». Ceci ressort d’une lecture simple et logique de ces textes :

Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés en Christ-Jésus, c’est en sa mort que nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui dans la mort par le baptême, afin que, comme Christ est ressuscité d’entre les morts par la gloire du Père, de même nous aussi nous marchions en nouveauté de vie. En effet, si nous sommes devenus une même plante avec lui par la conformité à sa mort, nous le serons aussi par la conformité à sa résurrection. (Romains 6:3-5)

Il est évident que ce texte affirme de la manière la plus claire que nous sommes sauvés par le baptême qui nous identifie à tous les bienfaits associés à la mort et à la résurrection de Jésus-Christ.

Par ailleurs Paul dans l’épître aux Éphésiens affirme de manière péremptoire qu’il n’existe qu’un seul baptême :

Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance, celle de votre vocation ; il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, parmi tous et en tous. (Eph. 4:4-6)

Ces deux textes donneraient-ils alors raison à l’interprétation catholique romaine : c’est le baptême qui sauve ; le sacrement communique ce qu’il signifie ? Car dans ces textes l’expression « baptême » recouvre manifestement tout ce qui concerne le salut. Il nous est par ailleurs clairement dit que c’est le Christ lui-même qui nous baptise. Dans l’Évangile de Jean nous lisons ces paroles de Jean-Baptiste :

Jean rendit ce témoignage : j’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui ; et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser d’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise d’Esprit Saint. Et moi, j’ai vu et j’ai rendu témoignage que c’est lui le Fils de Dieu. (Jean 1:32-34)

Lorsque les chrétiens d’Éphèse ont dû être instruits sur le baptême du Christ, eux qui, comme Apollos à Corinthe (Actes 18:24-27), ne connaissaient que le baptême de Jean, (baptême d’eau en vue de la repentance), c’est en fait du baptême de l’Esprit Saint qu’ils étaient ignorants. C’est ce qui ressort d’ailleurs très explicitement du texte du livre des Actes. Paul demande aux Éphésiens :

Avez-vous reçu l’Esprit Saint [c’est-à-dire, le baptême du Saint-Esprit (réd).] quand vous avez cru ? Ils lui répondirent : Nous n’avons même pas entendu dire qu’il y avait un Esprit Saint. Il dit : Quel baptême avez-vous donc reçu ? Ils répondirent : le baptême de Jean. [C’est-à-dire le baptême d’eau. (réd.)] Alors Paul dit : Jean a baptisé du baptême de repentance ; il disait au peuple de croire en celui qui venait après lui, c’est-à-dire en Jésus. [Qui, lui, les baptiserait du Saint-Esprit. (réd.)] Sur ces paroles, ils furent baptisés [d’eau (réd.)] au nom du Seigneur Jésus. Paul leur imposa les mains, et le Saint-Esprit vint sur eux ; ils se mirent à parler en langues et à prophétiser. [Signes apostoliques qui confirmaient, comme cela fut le cas à la Pentecôte et lors de l’entrée première des païens dans la foi à Césarée, qu’ils avaient effectivement reçu le Saint-Esprit, le baptême du Saint-Esprit – cette nouvelle naissance qui vient d’en haut et qui suscite la foi – de la part de Jésus-Christ lui-même. (réd.)]

Ici il faut reconnaître que l’interprétation pentecôtiste classique de ce texte est formellement exacte. Le parler en langues et la prophétie sont manifestement ici le signe de la réception du baptême du Saint-Esprit, de la régénération. Mais les pentecôtistes se trompent complètement lorsqu’ils font du baptême du Saint-Esprit une soi-disant seconde expérience, expérience dissociée, selon leur lecture bizarre des textes bibliques, de l’œuvre de salut. Ils aggravent encore leur erreur en imaginant que leur parler en langues psychiques ou démoniaque (dans la Bible il s’agit de véritables langues mais inconnues de ceux qui les utilisent) serait le signe prouvant de manière sensible la réalité de leur expérience extra-biblique. Car, comme le signale l’apôtre Paul dans I Corinthiens 13, les langues, la prophétie et les révélations spéciales du Saint-Esprit disparaîtront avec l’achèvement du canon des Écritures.

Dans le cadre de l’Église, ce baptême du Christ dans l’Esprit, baptême qui justifie, régénère et sanctifie le croyant, l’incorpore aussi à l’Église. C’est ce que nous pouvons lire dans la Première épître de Paul à l’Église de Corinthe :

En effet, comme le corps est un, tout en ayant plusieurs membres, et comme tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne sont qu’un seul corps, – ainsi en est-il du Christ. Car nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit, pour être un seul corps, soit Juifs, soit Grecs, soit esclaves, soit libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit. (I Cor. 12:12-13)

Ces textes sont intéressants à plusieurs égards. D’abord ils nous montrent qu’il y a une distinction à opérer à l’intérieur de cet unique baptême dont parle Paul dans le texte de l’épître aux Éphésiens que nous venons de citer : il y a d’une part un baptême d’eau, le signe matériel, et, de l’autre, un baptême d’Esprit qui en constitue la réalité spirituelle. Puis, ces textes nous montrent que tous les chrétiens sont au bénéfice du baptême du Saint-Esprit, baptême qui les régénère et les incorpore au Christ et, par lui, dans l’Église de Dieu. Enfin, nous voyons que, si le baptême d’eau est administré par les hommes, le baptême d’Esprit, par contre, l’est exclusivement par Jésus-Christ lui-même. C’est-à-dire que c’est Dieu, en la personne du Fils éternel de Dieu, Jésus-Christ qui, dans son humanité, est à la fois pleinement Dieu et pleinement homme, deux natures, une seule personne, qui est celui qui baptise, qui donne l’Esprit Saint. Ceci nous fait comprendre le caractère impie de l’attribution par l’Église catholique romaine au prêtre – cet « autre Christ » – du pouvoir surnaturel de donner le Saint-Esprit à ceux qu’il baptise. Il s’agit ici de la mainmise par une institution ecclésiastique sur le pouvoir de disposer de l’action du Saint-Esprit. Ce que cherche l’Église catholique romaine dans sa doctrine des sacrements est de canaliser l’action du Saint-Esprit dans une institution humaine. Le Christ, dans sa longue conversation avec Nicodème, laisse entendre qu’une telle volonté de mainmise humaine sur l’action de l’Esprit de Dieu est comparable à celle de vouloir se saisir du vent :

Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne t’étonne pas que je t’aie dit : il faut que vous naissiez de nouveau. Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi de quiconque est né de l’Esprit. (Jean 3:5-8)

On peut en dire autant des pratiques charismatiques et pentecôtistes qui cherchent, par des manipulations psychiques, à susciter leur prétendu « baptême du Saint-Esprit » chez ceux qui recherchent cette expérience spéciale. L’auteur de l’épître aux Hébreux confirme notre propos sur le double caractère du seul baptême lorsqu’il écrit :

C’est pourquoi, laissant l’enseignement élémentaire de la parole du Christ, tendons à la perfection, sans poser de nouveau le fondement : repentance des œuvres mortes, foi en Dieu, doctrine des baptêmes, imposition des mains, résurrection des morts et jugement éternel. (Héb. 6:1-2)

Ainsi à l’intérieur d’« un seul baptême » il y a place pour « des baptêmes ».
Comment comprendre cela ? Le baptême est à la fois réalité et signe ; réalité du côté de l’action de Dieu – justification et sanctification – mais du côté des hommes rite d’initiation, sacrement, signe visible d’une réalité invisible. Ainsi le baptême qui sauve inclut ces deux aspects : la foi en Christ (baptême du Saint-Esprit donné par Jésus-Christ lui-même) et l’obéissance de l’homme aux commandements divins (baptême d’eau reçu par obéissance et effectué dans l’Église). Il est évident maintenant que l’enseignement de l’Église catholique romaine sur cette question a rassemblé ces deux aspects du baptême unique, réalité et signe, en un seul acte sacramentel, et en ce faisant a cherché à soumettre à son contrôle le pouvoir même de Dieu, plus spécifiquement les pouvoirs conjoints de Jésus-Christ et du Saint-Esprit. C’est ce qui ressort, par ailleurs, très clairement de l’enseignement de l’Église romaine, à la fois sur les pouvoirs du prêtre, (pouvoirs transmis par la hiérarchie et plus particulièrement par leur source, le Pape) et sur la nature même de l’Église, conçue comme le « prolongement de Jésus-Christ », non plus comme le « corps de Jésus-Christ », ainsi que l’enseigne la Bible. Tout cet enseignement erroné pèche contre les formulations dogmatiques, si essentielles pour l’équilibre doctrinal et pour une piété qui honore véritablement Dieu, du Concile de Calcédoine de 451. Nous y lisons :

Nous enseignons tous unanimement un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait quant à Sa divinité, le même parfait aussi quant à Son humanité, vrai Dieu et aussi vrai homme ; consubstantiel au Père par Sa divinité, consubstantiel à nous par Son humanité, en tout semblable à nous, le péché excepté ; engendré du Père, avant tous les siècles, quant à Sa divinité ; quant à Son humanité né pour nous, dans les derniers temps, de la vierge Marie, mère de Dieu ; nous confessons un seul et même Christ Jésus Fils unique que nous connaissons être en deux natures sans qu’il y ait entre elles ni confusion, ni transformation, ni division, ni séparation, car la différence des deux natures n’est nullement supprimée par leur union ; tout au contraire, les propriétés de chacune sont sauvegardées et subsistent en une seule personne et une seule hypostase.

La doctrine catholique romaine du baptême comme sacrement communiquant la vie éternelle révèle ainsi une confusion dans l’institution romaine entre le pouvoir de Dieu et celui de l’Église. En ce faisant, l’Église romaine usurpe les attributs du Fils unique de Dieu et s’ouvre en conséquence à l’accusation, justifiée à nos yeux, qui fut émise par les Réformateurs du XVIᵉ siècle, d’assumer certaines des prérogatives de l’Antéchrist.

La position réformée

La position réformée classique se trompe dans son interprétation non littérale du texte de l’épître aux Romains qui affirme si clairement le salut par le baptême, baptême du Saint-Esprit entendons-nous, et non baptême d’eau ; c’est-à-dire la réalité divine du baptême et non son signe terrestre. Elle a, par contre, raison dans l’accent qu’elle met sur la nécessité pour connaître Dieu de la repentance, de la foi et de l’œuvre du Saint-Esprit dans l’intelligence et dans le cœur de celui qui entend à salut la Parole de Dieu. Si la doctrine romaine fait du signe la source quasi obligée de la réalité qu’il signifie, la position réformée, par contre, les sépare de manière indue. Car, dans l’interprétation réformée, le baptême d’eau n’est plus le signe du baptême de l’Esprit, la nouvelle naissance[23]. Il est curieusement dissocié de l’œuvre du salut auquel il est si naturellement relié par l’usage biblique (ce que l’interprétation romaine comprend formellement de manière très juste) pour être associé à ce qu’on appelle dans ces milieux l’Alliance de grâce[24].

Qu’est-ce donc en fait que cette fameuse « Alliance de grâce » ? Cette expression ne figure pas dans les premiers textes réformés qui nous parlent de l’Alliance, (en particulier dans L’unique et éternel Testament et Alliance de Dieu [1534] de Heinrich Bullinger.) Parlant du baptême la Seconde Confession Helvétique de 1566, (due essentiellement à la plume d’Heinrich Bullinger), parle d’une Alliance unique[25]. Nous y lisons :

Être baptisé au nom du Christ signifie que nous sommes initiés à l’alliance, inscrits et reçus dans la famille – et, par conséquent, dans l’héritage – des enfants de Dieu. C’est, de plus, porter dès à présent le nom de Dieu, c’est-à-dire appelés enfants de Dieu[26].

Et ce texte ajoute :

Notre baptême montre, de même la purification de la souillure de nos péchés et le don de la grâce de Dieu dans toute sa diversité, afin que nous marchions en nouveauté de vie et dans l’innocence. (p. 94)

Plus loin nous lisons encore :

De même, nous condamnons les anabaptistes, qui nient que les enfants nouveau-nés engendrés de parents croyants doivent être baptisés. Car, selon la doctrine de l’Évangile, le royaume de Dieu est pour eux, et ils appartiennent à l’alliance de Dieu (Gen. 17:7 ; Act. 2:39 ; I Cor. 7:14). De quel droit ce signe de l’alliance leur serait-il donc refusé ? Et pourquoi n’y seraient-ils pas initiés par le saint baptême, eux qui, déjà, appartiennent en propre à Dieu et font partie de son Église ? Nous condamnons également les anabaptistes dans les autres doctrines qui leur sont propres, et qu’ils élèvent contre la Parole de Dieu. Nous ne sommes donc pas anabaptistes, et nous n’avons avec eux aucune communion, en quelque domaine que ce soit. (p. 95)

Nous voyons ici encore le glissement réformé qui passe de manière non biblique de l’appartenance des enfants à la famille de Dieu (par leur naissance dans des familles chrétiennes) et le fait d’être au bénéfice de tous les bienfaits du salut. La nécessité de la foi et de la repentance pour être sauvés est comme de coutume escamotée. Par contre, Bullinger, en opposition aux positions erronées des Anabaptistes de son temps[27] a parfaitement raison d’insister, comme il le fait, sur la réalité spirituelle véritable de ce que plus tard on est venu à appeler l’« Alliance de grâce ». À ce sujet nous lisons dans la Confession de Westminster :

La première alliance conclue avec l’homme a été une Alliance des œuvres, dans laquelle la vie a été promise à Adam, et en lui à sa postérité, sous la condition d’une obéissance parfaite et personnelle.

Puis,

L’homme, par la chute, s’étant rendu incapable de vivre par cette alliance, le Seigneur a bien voulu en conclure une seconde, généralement nommée « l’Alliance de grâce[28]». Dans cette Alliance, il offre gratuitement aux pécheurs la vie et le salut par Jésus-Christ, requérant d’eux la foi en celui-ci afin d’être sauvés, et il promet de donner son Saint-Esprit à tous ceux qui sont destinés à la vie, afin de les rendre désireux et capables de croire. (p. 16)

Répétons-le, la position réformée a raison d’insister, comme elle le fait, sur la réalité de cette Alliance de grâce. Elle voit bien, comme le fait aussi si clairement un Thomas d’Aquin, que le sens du baptême, en tant que signe, se trouve dans la régénération du pécheur, sa justification, son identification aux mérites du Christ, son obéissance parfaite, sa mort expiatoire et sa résurrection. Mais, contrairement à la position romaine, le réformé ne voit pas la relation étroite que la Bible établit entre le baptême d’eau – le signe – et le baptême d’Esprit, la régénération – qui en est la réalité spirituelle. La position réformée identifie en conséquence le baptême-sacrement avec la circoncision de l’Ancien Testament, et l’appliquant au baptême des petits enfants il en fait le signe, non de l’élection (comme le fait la Bible) mais de ce qu’on est venu à appeler l’Alliance de grâce. C’est cette Alliance de grâce par laquelle les enfants de chrétiens fidèles sont incorporés dans la famille de Dieu, l’Église. Cette position à tendance à oublier la grandeur et la spécificité de ce que tout le Nouveau Testament, depuis l’enseignement de Jésus-Christ jusqu’à celui de l’épître aux Hébreux et au-delà, appelle la « Nouvelle Alliance ».

Calvin a certes incorrectement attribué le signe de la Nouvelle Alliance, le baptême (qu’il identifie à la circoncision), à cette Alliance de grâce établie par Dieu avec les familles de parents chrétiens, et non avec les élus qui seuls s’engagent dans l’Alliance de rédemption. Cependant une lecture attentive des réponses qu’il adresse aux objections des Anabaptises contre le baptême des enfants nous fait bien comprendre qu’il avait commencé à saisir la distinction que nous faisons ici entre l’Alliance de grâce établie avec tout le peuple, dont le signe exact était la circoncision, et ce que l’on est venu à appeler l’Alliance de rédemption, elle établie avec les seuls élus, et dont le signe est le baptême. De l’Alliance de rédemption (l’élection éternelle) dans le peuple d’Israël il parle ainsi :

Car pour montrer aux Juifs que la grâce de Dieu n’est pas liée à la postérité d’Abraham, et même que cette parenté charnelle, par soi n’est d’aucune estime, il leur amène au neuvième chapitre des Romains, Ismaël et Esaü, lesquels, bien qu’ils descendissent d’Abraham, ont été rejetés comme étrangers, alors que la bénédiction a été mise en Isaac et Jacob ; de quoi il s’ensuit ce qu’il conclut après, c’est que le salut dépend de la miséricorde de Dieu, laquelle il fait à qui bon lui semble, et que par conséquent les Juifs n’ont pas à se glorifier d’être l’Église de Dieu s’ils n’obéissent à sa Parole[29].

Voici pour ce qui concerne l’élection ou l’Alliance de rédemption. Mais Calvin parle ensuite de l’Alliance de grâce faite avec la nation d’Israël dans son ensemble, Alliance maintenue à cause de la fidélité d’Abraham.

Néanmoins après avoir ainsi châtié leur vaine gloire, connaissant d’autre part que l’alliance faite avec Abraham pour lui et sa postérité n’était pas de nulle valeur, mais avait toujours son importance, au onzième chapitre [des Romains (réd.)] il déclare comment on ne doit point mépriser cette postérité charnelle d’Abraham, et qu’ils sont les droits et premiers héritiers de l’Évangile, sinon d’autant que par leur ingratitude ils ne s’en rendent indignes. Il ne laisse point toutefois, quelque incrédules qu’ils soient, de les appeler saints, à cause de la sainte origine dont ils sont descendus[30].

Reprenant cette distinction fondamentale entre élus et saints, et appliquant la notion de sainteté (séparation pour Dieu et du mal) aux Chrétiens, Calvin écrit :

Or il y a une même raison pour les chrétiens. Car comme S. Paul en ce passage-là dit que les Juifs sont sanctifié par leur souche et origine, aussi d’autre part il affirme que les enfants des chrétiens sont maintenant sanctifiés par leurs parents (I Cor. 7:14) ; ils doivent donc être ségrégués des autres, qui demeurent impurs.

Tout cela concerne l’Alliance de grâce tant avec le peuple d’Israël en conséquence de sa descendance charnelle d’Abraham qu’avec les enfants des chrétiens suite à leur filiation physique de parents chrétiens. Mais il ne s’agit pas du tout ici de l’élection éternelle, de ce baptême du Saint-Esprit dont le signe nouveau est maintenant le baptême. Cette distinction se laisse clairement pressentir dans les différents privilèges spirituels accordés d’abord au peuple d’Israël, puis aux sacrificateurs officiant dans le Temple et enfin au Grand Prêtre qui lui seul avait accès, cela une fois par année, au lieu très saint.

Dans l’Ancienne Alliance, seuls les prêtres avaient le privilège de pouvoir accéder au lieu saint pour offrir les sacrifices. Plus encore, seul le Grand Prêtre avait le privilège de pouvoir accéder au lieu très saint pour y faire l’aspersion du sang sur l’arche de l’alliance, et cela uniquement le jour de la grande expiation, le Yom Kippour. Le peuple sanctifié ne pouvait accéder qu’a la cour du temple, lieu lui aussi saint, où il était interdit au païen, sous peine de mort, de se tenir. Avec la Nouvelle Alliance tout croyant peut, par la grâce et au moyen de la foi en Jésus-Christ, accéder librement au Saint des Saints céleste, et ainsi entrer dans la présence même de Dieu. Avec la venue du Médiateur et, à la Pentecôte, celle du Saint-Esprit, qui communique au croyant tous les bienfaits que lui a acquis le Christ, le fidèle de la Nouvelle Alliance n’a plus besoin, pour connaître Dieu, de médiateurs humains, Prêtres, Prophètes ou Rois. Ceci ne veut aucunement dire que les ministères seraient abolis dans l’Église en faveur d’une égalité spirituelle qui se passerait de toute hiérarchie ecclésiastique. Car avec la Nouvelle Alliance la Loi de Dieu est inscrite par le Saint-Esprit dans le cœur de tous ceux qui sont baptisés par Lui. Ainsi tous connaissent maintenant Dieu de manière personnelle, privilège qui n’était pas le cas de tous sous l’ancienne dispensation de l’Alliance. Le signe de la circoncision faisait, le huitième jour après sa naissance, entrer tout enfant juif mâle dans l’Alliance d’Israël.

La position réformée cherche à attribuer au baptême une signification toute semblable : il doit faire entrer les enfants des chrétiens dans l’alliance extérieure (la cour du Temple) et non dans la présence de Dieu (le lieu très Saint). La position réformée à ainsi un caractère régressif. Elle oublie que le sens du signe nouveau se rapporte, non pas à l’appartenance extérieure du baptisé au peuple et à la famille de Dieu, mais à son appartenance, pourrait-on dire à la fois intérieure et céleste, appartenance qui le conduit dans la présence même de Dieu. Il fait de lui un membre de la famille de Dieu ; plus encore un membre du corps même de Jésus-Christ. En Christ le baptisé est maintenant même devenu – comble de grâce divine qu’Adam, même dans son état de parfaite innocence, ignorait – participant de la nature divine. C’est pourquoi nous devons soigneusement distinguer – mais jamais dissocier ! – le signe du baptême (le baptême d’eau) de son sceau (le baptême du Saint-Esprit). Ce dernier, (appelé aussi régénération), met le croyant au bénéfice de toute l’œuvre de Jésus-Christ en sa faveur. En conséquence ce signe – le baptême d’eau – ne peut que se rapporter à la réalité spécifique à laquelle il se réfère et doit donc être uniquement accordé là – peu importe l’âge de celui qui le reçoit – où se manifeste les dons de la repentance et de la foi suscités par le Saint-Esprit dans le cœur du croyant en réponse à la prédication de la Parole de Dieu.

La position baptiste

La position baptiste a, de son côté, très justement compris le lien organique rattachant le signe, le baptême d’eau, à la réalité qu’il signifie, la conversion, la régénération. Si elle n’opère pas de coupure entre le signe visible et la réalité invisible qu’il signifie elle a, par contre, trop souvent tendance à mettre l’accent d’une manière trop unilatérale sur le signe, ceci aux dépens des réalités spirituelles auxquelles il se rapporte. Mais un autre danger qui guette cette position est celui d’avoir oublié que ce qu’elle appelle couramment « conversion » ou « régénération » correspond très exactement à ce que la Bible nomme aussi « baptême de l’Esprit ». Cet oubli si courant dans le passé a rendu possible la récupération erronée de cette dernière expression par les mouvements pentecôtistes du XXᵉ siècle. Si les baptistes avaient bien été conscients de l’articulation nécessaire entre « baptême d’Esprit » et « baptême d’eau » ils n’auraient jamais permis au pentecôtisme de s’approprier, en la falsifiant, l’expression tout à fait biblique de « baptême d’Esprit ». Cette dernière, nous l’avons vu, a comme sens la conversion, la régénération, l’identification du croyant à l’œuvre salvatrice de Jésus-Christ.

Par contre, la position baptiste par son insistance unilatérale sur la foi personnelle du baptisé (l’élection) a, trop souvent, oublié, ou minimisé, les aspects communautaires de l’œuvre de Dieu et de la foi chrétienne. Un tel oubli a bien souvent conduit les milieux baptistes à la constitution « puritaine » d’une Église ghetto, centrée sur elle-même, marquée par une certaine autosatisfaction voisinant parfois au pharisaïsme et se coupant radicalement de la vie du monde. Une telle attitude a, d’autre part, trop souvent conduit les milieux baptistes à un individualisme égocentrique exacerbé associé à une perte du sens du mystère qui est inhérent à la foi chrétienne, cette réduction du sens de la grandeur et de la beauté de Dieu aboutissant, par trop souvent, à une espèce de rationalisme doctrinal qui se prétend, de manière illusoire, centré exclusivement sur la Bible. Cette insistance unilatérale sur ce qu’on est venu à appeler l’Alliance de rédemption, Alliance qui ne concerne que ceux qui sont effectivement des élus, (ce qui concerne la régénération, le baptême de l’Esprit), aux dépens de ce que les réformés classiques appellent, comme nous l’avons vu, l’Alliance de grâce (qui se rapporte à tous ceux qui se trouvent dans la sphère d’influence des véritables chrétiens, en particulier leurs enfants non encore régénérés) et, plus encore, aux dépens des Alliances noachique et créationnelle, (qui elles concernent tous les hommes), conduit la théologie baptiste trop souvent à un certain aplatissement du message chrétien et à une simplification des données bibliques, conduisant le message de la Bible à se rétrécir, comme une peau de chagrin, pour aboutir à une piété qui se veut absolument pure et à une spiritualité entièrement privée, dérapage religieux qui aboutit à une rupture de tout rapport avec la culture, avec la société et même avec la création de Dieu. C’est ainsi que l’on peut tomber dans un sectarisme satisfait de soi et dans un rationalisme à prétention bibliste, qui sont, en fait, fort éloignés de la richesse et de la complexité des données objectives de la révélation de Dieu, telle que nous les présentent l’ordre infiniment varié de la création et les richesses insondables de la révélation spéciale de Dieu, la Bible.

Conclusion

Pour répondre à la question posée il nous a été nécessaire d’examiner soigneusement chacune de ces diverses positions qui, comme nous l’avons vu, contiennent toutes une part de vérité et, après une recherche assidue, travailler à retenir de chacune d’elles ce qui est vrai. Ce qu’il nous faut c’est, au-delà des divisions doctrinales dont souffre la chrétienté, travailler à retrouver « en examinant toutes choses et en retenant ce qui est bien » tout le conseil de Dieu et, par l’effort persévérant d’un retour à une pensée biblique véritablement complète, chercher à restaurer, dans la pensée, la vie et l’action de l’Église de Dieu, cette catholicité apostolique qui est la vraie orthodoxie donnée une fois pour toutes à l’Église de Dieu. C’est ainsi que l’Église pourra tout à nouveau pleinement honorer Dieu et entrer dans les œuvres qu’Il lui a préparé de toute éternité afin qu’elle parvienne, aujourd’hui encore, par son obéissance fidèle et joyeuse à la vérité, à manifester sur cette terre la gloire du seul vrai Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit.

Jean-Marc Berthoud

Lausanne, Pâques 2001

[1]      Exposé donné à l’Église Évangélique de Lausanne, jeudi saint, le 12 avril 2001. Je remercie Bertrand Rickenbacher et Denis Ramelet qui se sont donné la peine de lire la première version de ce texte et de me faire part de leurs remarques et critiques.

[2]      Voyez en particulier : Jean Calvin, L’Institution chrétienne (Édition Pierre Marcel), Labor et Fides, Genève, 1958, Livre Quatrième, Chapitres XIV-XVI, p. 267-346 et John Calvin, Treatises Against the Anabaptists and Against the Libertines, Baker Book House, Grand Rapids, 1982 [1544], p. 36-158.

[3]      Sur les positions réformées j’ai consulté tout particulièrement:« La Confession de Foi de Westminster », (1649) reproduite en traduction française dans Les Textes de Westminster, Éditions Kerygma, Aix-en-Provence, 1988 ; le Catéchisme de Genève de Jean Calvin, Kerygma, Aix-en-Provence, 1991 ; La Seconde Confession helvétique de Heinrich Bullinger, Kerygma, Aix-en-Provence, 2001. Pour connaître la théologie réformée classique du baptême voyez : Pierre Ch. Marcel, « Le Baptême. Sacrement de l’Alliance de Grâce », La Revue Réformée, No 2-3, octobre 1950, texte partiellement réédité sous le titre (tant soit peu trompeur pour le lecteur non averti) de L’Alliance de grâce, Kerygma, Aix-en-Provence, 2000.

[4]      Pour la position baptiste j’ai examiné La Confession de Foi de l’Église Évangélique Baptiste de Lausanne, Lausanne, 2000 et la Confession de foi réformée baptiste de 1689, Europresse, Chalon-sur-Saône, 1994 [1677]. Au sujet de la théologie réformée baptiste du baptême voyez surtout David Kingdon, Children of Abraham. A Reformed Baptist View of Baptism, the Covenant, and Children, Carey Publications (5, Fairfield Close, Haywards Heath, Sussex RH16 3EF), 1973. Voyez également Paul K. Jewett, Infant Baptism and the Covenant of Grace, Eerdmans, Grand Rapids, 1978 et Samuel E. Waldron, Biblical Baptism. A Reformed Defense of Believers Baptism, Truth for Eternity Ministries (Reformed Baptist Church, 3181 Bradford NE, Grand Rapids, Michigan 49525), 1998.

[5]      Thomas d’Aquin, Somme Théologique. Le Baptême, la Confirmation, 3a, Qu. 66-72, Éditions de la Revue des Jeunes, Desclée, Paris-Tournai, 1929.

[6]      Tertullien, Traité du Baptême, Sources chrétiennes, No 35, Cerf, Paris, 1952.

[7]      Saint Augustin dans son « Du baptême. Contre les Donatistes », Œuvres complètes de saint Augustin, Montpellier, 1870, Tome XV, p. 67-190.

[8]      Hugh M. Riley, Christian Initiation. A Comparative Study of the Interpretation of the Baptismal Liturgy of the Mystagogical Writings of Cyril of Jerusalem, John Chrysostom, Theodore of Mopsuetia and Ambrose of Milan, Johannes Quasten (Editor), Studies in Christian Antiquity, Volume 17, The Catholic University of America, Washington, 1974 ; J. D.C. Fisher, Christian Initiation. Baptism in the Medieval West, S.P.C.K., London, 1965 ; E. C. Whitaker, Documents of the Baptismal Liturgy, S.P.C.K., London, 1960.

[9]      Il serait intéressant d’étudier la stabilité et les développements de la liturgie chrétienne à travers les siècles. Quelques remarques suffisent pour indiquer l’intérêt de la question. La liturgie catholique romaine est restée fidèle jusqu’à Vatican II à une forme liturgique (avec certaines variations) qui attestait clairement que le candidat au baptême n’était pas un petit enfant incapable de s’exprimer verbalement mais une personne capable de répondre aux questions spirituelles et doctrinales qui lui étaient posées. Ce respect presque sacré pour la forme verbale de la liturgie était tel qu’il a fallu attendre jusqu’à Vatican II pour que l’Église romaine adopte une liturgie spécifiquement adaptée aux baptêmes des nourrissons, liturgie où les questions sont adressées aux parents ou aux parrains et marraines et non directement au baptisé. Nous retrouvons une stabilité semblable dans la liturgie réformée classique. Par ailleurs, (comme le montre le livre de Fisher), le Moyen Âge en Occident a vu une séparation de plus en plus importante entre baptême, confirmation et participation à l’eucharistie, là où dans l’Église ancienne (et encore aujourd’hui dans les liturgies des Églises Orthodoxes) ces trois cérémonies étaient étroitement rapprochées les unes des autres, attestant ainsi la capacité de réflexion et d’action indépendante du baptisé.

[10]    Voyez les travaux de Frédéric Buhler.

[11]    Cette définition se trouve déjà chez saint Augustin dans son « Du baptême. Contre les Donatistes », Œuvres complètes de saint Augustin, Montpellier, 1870, Tome XV, p. 67-190. Le mot latin « sacramentum » traduit le grec « mystère » qui signifie « obligation, serment » en latin classique.

[12]    Sur l’importance du moyen, l’eau, pour l’administration de ce sacrement les remarques suivantes de Thomas d’Aquin sont du plus haut intérêt : De par l’institution divine, l’eau est la matière propre du baptême. Plusieurs raisons en outre motivent ce choix. La nature du baptême, c’est de nous engendrer à la vie spirituelle : or tous les germes d’où procèdent les vivants, plantes ou animaux, sont aqueux, si bien que certains philosophes ont considéré l’eau comme le principe de toutes choses. Les propriétés de l’eau s’harmonisent aussi avec les effets du baptême : parce que, humide, elle est bonne pour laver, elle est apte à signifier et à causer l’ablution des péchés ; parce que, fraîche, elle tempère la chaleur, elle peut signifier l’apaisement, par le baptême, du feu de la concupiscence ; parce que, transparente, elle reçoit la lumière, elle convient à ce « sacrement de la foi » qu’est le baptême. L’eau fournit encore un symbole expressif des mystères du Christ d’où procède notre justification:« Le vieil homme, dit saint Jean Chrysostome, est enseveli dans l’eau ; il y disparaît comme dans un sépulcre, d’où remonte ensuite l’homme nouveau. » Thomas d’Aquin, Somme Théologique. Le Baptême, la Confirmation, 3a, Qu. 66-72, Éditions de la Revue des Jeunes, Desclée, Paris-Tournai, 1929, p. 20-21. Il est intéressant de voir que Jean Calvin use d’un tout autre langage pour parler de l’aspect matériel du sacrement : Et d’autant que nous sommes si ignorants, et si adonnés et fichés aux choses terrestres et charnelles, que nous ne pensons ni ne pouvons comprendre ni concevoir rien qui soit spirituel, ainsi le Seigneur miséricordieux s’accommode en ceci à la rudesse de notre sens, que même par ces éléments terrestres il nous mène à soi, et nous fait contempler même en la chair, comme en un miroir, ses dons spirituels. Car si nous n’étions sensuels et enveloppés de nos corps, comme dit Chrysostome, ces choses nous seraient données sans figure corporelle : mais parce que nous habitons en un corps, Dieu nous donne les choses spirituelles sous des signes visibles. Non pas que les choses qui nous sont proposées pour sacrements, aient de leur nature telles qualité et vertu, mais parce qu’elles sont signées et marquées de Dieu pour avoir cette signification. Jean Calvin, L’Institution chrétienne, (Édition Pierre Marcel), Livre IV, Chapitre xiv, Paragraphe 3, p. 268, Labor et Fides, Genève, 1958. Comme si Dieu ne nous avait pas fait à la fois corps et âme, tous deux également bons à l’origine, en une seule personne ; comme si les choses terrestres n’étaient pas faites pour signifier, dans la pensée de Dieu et dans leur nature créés, les choses célestes elles-mêmes. Ce texte manifeste chez Calvin une préférence platonicienne pour les idées pures. Comme si les créatures n’étaient pas faites par Dieu pour avoir « dans leur nature » telle ou telle « qualité et vertu » qui permettaient qu’elles soient utilisées par la Parole de Dieu (c’est-à-dire par Dieu), pour signifier, de manière appropriée, le sens effectivement porté par le sacrement. Calvin n’est heureusement pas conséquent dans son épistémologie. Il laissera un tel idéalisme systématique à Descartes. Il cite encore Augustin comme suit:« Les signes quand ils appartiennent aux choses célestes, se nomment sacrements. » Ou encore, « Un sacrement est une parole visible » (Calvin, op. cit., p. 267-8, 271).

[13]    Voyez à ce sujet le Cours d’ecclésiologie du professeur Henri Blocher de la Faculté libre de Théologie évangélique de Vaux-sur-Seine datant de 1983 et uniquement disponible en polycopié, ainsi que l’excellente étude de J. Van Genderen, Covenant and Election, Inheritance Publications, Neerlandia (Canada), 1995.

[14]    Jean Calvin, Institution chrétienne, op. cit., p. 318.

[15]    Ibidem, p. 320.

[16]    Ibidem, p. 268.

[17]    Cette influence de Platon chez Calvin pourrait en partie expliquer pourquoi des cultures fortement influencées par le calvinisme (tels les Pays-Bas et l’Angleterre) ont été si promptes à accueillir la révolution scientifique du XVIIᵉ siècle. Voyez pour les rapports de Calvin avec la philosophie Charles Partee, Calvin and Classical Philosophy, E. J. Brill, Leiden, 1977. Sur l’arrière-plan médiéval de la pensée de Calvin voyez les divers travaux de Heiko Obermann ainsi que l’ouvrage de David Steinmetz, Calvin in Context, Oxford University Press, Oxford, 1995 et celui de Richard A. Muller, The Unaccomodated Calvin. Studies in the Foundation of a Theological Tradition, O.U.P., Oxford, 2000. Pour l’attitude de Calvin à l’égard de la création voyez l’étude indispensable de Susan E. Schreiner, The Theater of His Glory. Nature and the Natural Order in the Thought of John Calvin, The Labyrinth Press, Durham (North Carolina), 1991. Pour ce qui concerne le caractère platonicien de la révolution scientifique moderne voyez les travaux d’Alexandre Koyré et plus particulièrement son article « Galilée et Platon », publié dans son recueil d’Études d’histoire de la pensée scientifique, Presses Universitaires de France, Paris, 1966, p. 147-175.

[18]    Calvin ne parle pas toujours de cette manière. Ailleurs il nous fournit une série impressionnante de citations de saint Augustin où se manifeste une relation plus saine entre signe et chose signifiée.

[19]    Voyez à ce sujet l’ouvrage par trop unilatéral mais cependant fort utile de Pierre Marcel consacré au baptême et à l’Alliance de grâce : Pierre Ch. Marcel, Le Baptême. Sacrement de l’Alliance de Grâce, La Revue réformée, No 2-3, octobre 1950, ouvrage partiellement réédité par les Éditions Kerygma en l’an 2000 sous le titre L’Alliance de grâce. Calvin reconnaît parfois une certaine signification au changement de signes entre l’Ancienne Alliance et la Nouvelle. Au reste je confesse qu’il y a quelque différence quant à ce point, entre les sacrements anciens et les nôtres. Car bien que tant les uns que les autres attestent que l’amour paternel de Dieu nous est offert en Christ, avec les grâces du Saint-Esprit, les nôtres en rendent un témoignage plus clair et plus évident. Semblablement Jésus-Christ s’est bien communiqué aux Pères par les signes anciens, mais il se communique plus pleinement à nous par ceux qu’il nous donne, selon que le requiert la nature du Nouveau Testament, au prix de l’Ancien. Et c’est ce que le même docteur [saint Augustin] a voulu dire, lequel j’allègue volontiers entre les autres comme le plus fidèle et le plus certain : à savoir, que depuis la révélation de Jésus-Christ, Dieu nous a donné des sacrements moins en nombre qu’il n’avait fait au peuple d’Israël, plus éminents en signification, et plus excellents en vertu. Jean Calvin, Institution chrétienne, op. cit., IV, p. 292-293.

[20]    Thomas d’Aquin, Somme Théologique. Le Baptême, la Confirmation, 3a, Qu. 66-72, p. 171.

[21]    Dans l’article suivant développe cette même objection : La grâce et les vertus ne vont pas sans la foi et la charité. Or saint Augustin dit de la foi « quelle réside dans la volonté de ceux qui croient » ; de même la charité se tient dans la volonté de ceux qui aiment. C’est dire que les enfants, qui n’ont pas l’usage de leur volonté, ne peuvent avoir ni foi ni charité et sont incapables, par conséquent, de recevoir, au baptême, la grâce et les vertus. (p. 191-192) Il répond comme suit à cette objection : La foi et la charité résident dans la volonté humaine, mais avec cette distinction que les habitudes de ces vertus et de toutes les autres demandent qu’existe la volonté, et elle existe dans les enfants. Tandis que leurs actes exigent qu’elle agisse, mais dans les enfants, elle n’agit pas. C’est le sens de cette parole de saint Augustin:« Bien que l’enfant ne soit pas encore fidèle de cette foi qui est dans la volonté des croyants, il l’est déjà néanmoins par le sacrement de la foi », c’est-à-dire par le sacrement qui cause en lui l’habitude de la foi. […] Ce n’est donc point par un acte propre que les enfants croient, c’est par la foi de l’Église qui leur est communiquée – et c’est aussi par la puissance de cette foi qu’ils reçoivent la grâce et les vertus. (p. 195-196)

[22]    Voici comment Thomas d’Aquin justifie théologiquement le baptême des petits enfants : La génération spirituelle opérée par le baptême ressemble à la génération charnelle en ceci : dans le sein maternel, les enfants se nourrissent point par eux-mêmes, mais sont alimentés par la nourriture que prend leur mère ; ainsi les enfants sans raison, comme s’ils étaient dans le sein de leur mère l’Église, reçoivent le salut non par leurs actes personnels, mais par ceux de l’Église. « La Mère l’Église, dit saint Augustin, prête à ses petits enfants sa bouche maternelle pour qu’ils soient abreuvés des sacrés mystères, impuissants qu’ils sont encore à croire pour la justice avec leur propre cœur, à confesser la foi pour le salut avec leur propre bouche. […] »Pour le même motif, on peut dire qu’ils ont l’intention de recevoir le baptême : non certes par un acte de leur propre vouloir, puisqu’il leur arrive au contraire de s’y opposer et de pleurer, mais par l’acte de ceux qui les présentent. Écrivant à saint Boniface, saint Augustin lui dit:« C’est par les autres que dans l’Église du Sauveur, croient les petits enfants, comme c’est par les autres qu’ils ont contracté les péchés dont le baptême les délivre ». Leur salut, néanmoins, n’est pas entravé par l’infidélité de leurs parents:« Les petits enfants, ajoute le même Docteur, sont présentés à la réception de la grâce spirituelle moins par ceux de qui les mains les portent (qui pourtant, eux aussi les présentent, s’ils sont fidèles) que par toute la société des saints et des fidèles. On a raison de croire que les offrent tous ceux à qui il est agréable qu’ils soient offerts et par la charité de qui ils sont admis à la communion du Saint-Esprit. » […] Si la foi d’un seul, ou plutôt la foi de l’Église, sert à l’enfant, c’est grâce à l’action du Saint-Esprit qui est le lien de l’Église et par qui les trésors de chacun sont communs à tous les autres. […] De même qu’à son baptême, l’enfant croit non d’une foi personnelle, mais par la foi des autres, de même est-ce en la personne des autres qu’il est interrogé, et c’est en son nom que ceux que l’on questionne confessent la foi de l’Église à laquelle va l’incorporer le sacrement de la foi. Thomas d’Aquin, Le Baptême, op. cit., Question 68, art. 9, p. 151-155. Cette justification des plus instructives du baptême des petits enfants par leur assimilation à la foi de l’Église n’est manifestement fondée sur aucune référence biblique. À la Question 69, Article 6 nous lisons encore:« Aux petits enfants, dit saint Augustin, la mère Église prête les pieds des autres pour qu’ils viennent au baptême, le cœur des autres pour qu’ils croient, la langue des autres pour qu’ils affirment leur foi ». Ce n’est donc point par un acte propre que les enfants croient, c’est par la foi de l’Église qui leur est communiquée – et c’est aussi par la puissance de cette foi qu’ils reçoivent la grâce et les vertus. (p. 196).

[23]    Calvin semble bien, dans son Catéchisme de Genève, avoir pressenti la difficulté que produit cette dissociation lorsqu’il écrit:
Question 327 : D’où nous vient cette vie nouvelle ? De la mort du Christ et de sa résurrection. En sa mort, notre vieil homme est crucifié, notre perversité naturelle est, pour ainsi dire, mise au tombeau, et n’a plus prise sur nous. Par sa résurrection, nous renaissons en nouveauté de vie, pour obéir à Dieu et pratiquer sa justice. Question 328 : Comment le Baptême nous met-il au bénéfice de ces grâces ? Du fait qu’au Baptême nous revêtons Jésus-Christ et y recevons son Esprit, si toutefois une attitude de refus ne détruit pas en nous l’effet de ses promesses. Question 329 Quel est donc pour nous le véritable usage du Baptême ? Il est dans la foi et dans la repentance. Le baptisé tiendra pour certain qu’il est en paix avec Dieu, puisque le sang du Christ le purifie de toutes ses fautes. La présence du Saint-Esprit sera pour lui une expérience vraiment vivante, et il en témoignera par ses œuvres. Enfin, dans un effort sans cesse renouvelé, il réduira les tentations au silence et servira son Dieu et sa justice. Question 330 : Si telles sont les conditions pour être baptisé, comme peut-on baptiser les tout jeunes enfants ? Il n’est pas toujours obligatoire que la foi et la repentance précédent l’admission au Baptême : elles ne sont exigées que de ceux qui, du fait de leur âge, peuvent en être capables. Il suffira donc que ces enfants, devenus adultes, produisent les fruits de leur Baptême. Question 311 : Ton raisonnement est-il vraiment logique ? Je le crois, car il nous faut bien admettre que ce que Dieu ordonne est raisonnable. En effet, selon Moïse et tous les Prophètes, la circoncision, qui était le signe de la repentance et, d’après saint Paul, également celui de la foi, était pourtant pratiquée sur les petits enfants. Catéchisme de Genève, op. cit., p. 125-126. Nous voyons fort bien ici les difficultés inextricables dans lesquelles un dogmaticien exceptionnel, tel que le fut Jean Calvin, a été conduit par la méconnaissance de la réalité première du baptême du Saint-Esprit. Cependant, c’est son souci d’inclure toutes les données de l’Écriture qui conduisit Calvin à donner une telle importance à la confirmation du baptême. Pour lui la confirmation publique par le baptisé de sa foi devait intervenir entre le sacrement du baptême et la participation au sacrement de la cène du Seigneur. Pour Calvin il n’était pas question de pédocommunion, de participation des enfants baptisés au sacrement de la cène sans la confirmation explicite de leur foi devant l’Église.

[24]    Sur cette question voyez les ouvrages suivants : J. Van Genderen, Covenant and Election, Inheritance Publications, Neerlandia (Canada), 1995 ; Charles S. McCoy et J. Wayne Baker, Fountainhead of Federalism. Heinrich Bullinger and the Covenantal Tradition, Wipf and Stock Publishers, Eugene (Oregon), 1999 [1990] ; Cornelius van der Waal, The Covenantal Gospel, Inheritance Publications, Neerlandia (Canada), 1990. Klaas Schilder donne la définition suivante de l’Alliance : L’Alliance est un accord réciproque entre Dieu et Son peuple, établi par Lui-même, mais maintenu (par l’effet de son œuvre de grâce) par Lui-même et par Son peuple comme en constituant les deux « parties » […] En ce qui concerne Sa part de l’accord, l’Alliance est définie par ce qu’Il dit par Sa Parole (promesse et exigence). En parlant ainsi il accomplit Son conseil d’élection et aussi de réprobation, en tant que cette dernière est comprise comme la punition prévue d’avance, tout particulièrement de ceux qui méprisent l’Alliance gracieuse de Dieu et son administration. Klaas Schilder, Looze Kalk, Groningen, 1946, p. 6. Cité dans J. Van Genderen, Op. cit., p. 97. Voyez également sur ces questions : Jelle Faber, American Secession Theologians on Covenant and Baptism and Klaas Schilder, Extra-Scriptural Binding – A New Danger, Inheritance Publications, Neerlandia, (Canada), 1996.

[25]    Bullinger ne distinguait pas encore une Alliance des œuvres (d’avant la chute) d’une Alliance de grâce (d’après la chute) comme le fera plus tard la théologie réformée. Au XXᵉ siècle cette tradition théologique a établi une différente distinction, celle entre une Alliance de grâce (en faveur des enfants des chrétiens en vue du salut) et une Alliance de rédemption, elle uniquement adressée aux élus.

[26]    La Seconde confession helvétique, Kerygma, Aix-en-Provence, 2001, p. 93.

[27]    Sur les erreurs pélagiennes et individualistes des Anabaptistes du XVIᵉ siècle, ainsi que sur leur rejet de l’autorité de l’Ancien Testament, voyez l’ouvrage de Robert Friedmann, The Theology of Anabaptism, Herald Press, Scottdale (Pennsylvania), 1973. Il est évident que la formulation de la doctrine de l’Alliance par Bullinger doit beaucoup au combat doctrinal essentiel qu’il livra à Zurich contre les Anabaptistes. Voyez de Heinrich Bullinger, A Brief Exposition of the One and Eternal Testament or Covenant of God, (1534) traduit pour la première fois en anglais aux pages 97-138 de l’ouvrage cité plus haut de Charles S. McCoy et J. Wayne Baker, Fountainhead of Federalism. Heinrich Bullinger and the Covenantal Tradition, Wipf and Stock Publishers, Eugene (Oregon), 1999 [1990].

[28]    Ici la Confession de Westminster comprend dans l’Alliance de grâce le salut tout entier, à la fois l’Alliance générale avec les familles des chrétiens et celle avec les seuls élus, œuvre divine plus tard appelée (pour mieux distinguer ces deux aspects du salut) « Alliance de rédemption ».

[29]    Jean Calvin, Institution chrétienne, op. cit., p. 327.

[30]    Ibidem.