Éditorial – Lettre ouverte à Sergiu Grossu

par | Résister et Construire – numéros 51-52

Cher ami et frère,

Dans le contexte actuel d’un Occident jadis chrétien, aujourd’hui en pleine déliquescence morale et spirituelle, la parution de votre livre est un événement d’une importance capitale. C’est un ouvrage clé, décisif du point de vue de la foi, capable de donner un prolongement durable au combat de cette Église du Silence dont, par la grâce de Dieu, vous et votre épouse avez été les chroniqueurs, les porte-paroles si fidèles. C’est un livre qui manifeste de manière, à la fois puissante et avec une douceur poignante, le caractère de ce Christianisme persécuté que vous avez pendant plus de vingt ans, et avec le concours de grâces divines extraordinaires, travaillé à faire connaître à l’Occident. C’est ainsi que vous révéliez aussi, au travers du combat des enfants de Dieu martyrisés, la nature bestiale d’un antéchrist moderne, il s’agit ici évidemment du communisme au caractère intrinsèquement pervers.

Un tel ouvrage saura réconforter et fortifier ses lecteurs, chrétiens souvent déboussolés, qui cherchent à persévérer dans la foi authentique, ceci en dépit de l’immense faiblesse spirituelle, doctrinale et ecclésiale de notre temps. Car nous sommes tous, que nous le voulions ou non, étouffés sous le poids de cette chape de plomb qui enchâsse nos cœurs et qui nous vient de l’idéologie ambiante universellement admise. Car l’athéisme est devenu la « spiritualité » en creux d’une civilisation vidée du témoignage de Dieu et du sein de laquelle ont si largement été extirpés les moyens par lesquels l’homme pécheur peut prendre conscience de la transcendance divine. Il s’agit en effet d’une civilisation presque totalement déchristianisée, plus encore, devenue athée dans toutes ses structures politiques, sociales et culturelles, dans toutes ses institutions, dans toutes ses techniques, et, comble du malheur, même dans sa manière de concevoir le christianisme.

Elle est aujourd’hui habitée par cet esprit impie qui nous est venu des « lumières » trompeuses du XVIIIe siècle, de l’imposture de cette « renaissance » du paganisme antique au XVᵉ et XVIᵉ siècles. Ce sont les Guerres de Religion, signes par trop évidents de la décomposition du tissu même de la civilisation chrétienne de l’Europe, qui ont ouvert toutes grandes sur notre monde les portes de l’abîme d’impiété, d’oppression et de vice au bord duquel nous nous trouvons aujourd’hui. C’est de cette impiété d’un Occident en voie d’apostasie dont est issu ce communisme sans Dieu et antichrétien que vous décrivez si bien.

Ce monde sans Dieu qui est celui dans lequel nous sommes appelés à vivre la foi est le fruit d’une trilogie anti-divine. Il s’agit d’une science sans Dieu (Galilée) et contre Dieu (Darwin) ; d’une politique sans transcendance (Hobbes, Locke et Rousseau) devenue la référence immanente dernière de la vie de la cité, mouvement poussé à son paroxysme par les révolutions modernes avec Marx, Staline, Hitler et aujourd’hui avec l’impérialisme mondialiste du gouvernement américain, menace sans frein (car sans limites), aussi dangereuse pour les libertés chrétiennes que celle, terrible, de l’islamisme fanatique ; et, enfin, d’une civilisation littéralement insignifiante, d’une banalité et d’un écœurement universel : celle du travail à la chaîne, de l’égalitarisme réducteur, de l’abêtissement médiatique universel. Nous nous trouvons tous confrontés à un monde où règne l’opulence d’un l’Occident[1] dont les dimensions créationnelles ont été largement dissoutes, d’où le Dieu véritable est banni, en bref monde foncièrement hostile à toute vie spirituelle véritable.

C’est ainsi que cet Occident victorieux des religions politiques du XXᵉ siècle, le Nazisme et le Communisme[2], s’est progressivement vidé de tout rapport réel avec la transcendance, avec le Dieu vivant et vrai. Ceci fut déjà le cas pour les pays qui ont connu l’interminable nuit de la domination communiste qui n’était que le fruit de la rigoureuse application de la dialectique marxiste athée à tous les aspects de la vie sociale. Mais nous devons constater que le mécanisme de cette dialectique, dont l’effet consiste à évacuer de notre monde toute perception de la transcendance, se trouve déjà entièrement contenu dans le fonctionnement même de la méthode résolutive-compositive (dissoudre et reconstituer, solve et coagula) qui est la vie même des sciences modernes et des techniques qui en découlent. Car la Science galiléenne ne cherche pas à comprendre les formes de la Création telles qu’elles sont sorties de la main du Créateur, mais à en analyser les structures et à tenter de les reconstituer d’une manière artificielle. C’est en effet d’une telle dialectique, théorique et expérimentale que s’est nourri le frère jumeau de la praxis marxiste et gramsciste[3], le pragmatisme empirique ‐ foncièrement relativiste ‐ anglo-saxon qui est devenu l’esprit même du monde moderne.

Dans un univers si largement aplati sur les plans culturels et spirituels votre livre vient à son heure. Il sert à remettre les choses à leur juste place. Il nous rappelle de manière détaillée et concrète quelles sont les puissances spirituelles et culturelles maléfiques qui, malgré l’apparente défaite politique de l’Empire des Soviets, règnent encore sur nous. Par surcroît, dans l’exemple lumineux des Églises sous la croix, il nous offre le modèle réaliste d’une vie chrétienne vraie, d’une vie de disciple qui cherche, avant toutes choses et quel que soit le prix à payer, à glorifier le Dieu transcendant vivant et vrai dans tous les aspects de sa vie. La chronique fidèle du combat de la véritable Église de Dieu pour garder la foi pure et sainte face aux pressions les plus iniques d’un pouvoir politique sans frein, constitue la trame même de votre ouvrage. Elle manifeste avec le plus vif éclat le témoignage que le Saint-Esprit aujourd’hui encore donne du Dieu Trinitaire à travers la vie d’innombrables martyrs modernes qui se sont offerts par fidélité à Jésus-Christ, par amour pour leur Sauveur et Seigneur, en sacrifice saint, vivant et agréable à Dieu. C’est là en effet que se trouve l’Église de Dieu.

Nous percevons à chaque page de votre livre la démonstration de la puissance active du Seigneur de gloire qui manifeste toujours et encore, à travers ce qui paraît faiblesse et folie aux hommes, sa miséricorde et son amour pour le salut des perdus et pour la persévérance de ses saints. Nous y voyons un témoignage magnifique de la réalité de la présence de Jésus-Christ ici-bas, présence que suscite irrésistiblement le Saint-Esprit dans la vie de ces saints, que tous nous sommes appelés à être (et cela chaque jour de notre vie terrestre), par la manifestation dans nos vies ‐ c’est là notre véritable témoignage ‐ de la grâce, de la vérité et de l’amour tout-puissants du Dieu fidèle et juste, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, un seul Dieu, béni éternellement.

Mais votre livre évoque aussi, par la force d’une documentation de première main, extraordinairement précise et étendue, le caractère véritable du mal dans ce monde, ici sous la forme du Communisme qui est, par nature, le comble de la perversion. Car le Communisme met en œuvre avec une constance inflexible une volonté farouche d’extirper de ce monde tout témoignage naturel ou surnaturel au Dieu Créateur et Sauveur. Rappelons ici que le projet si clairement énoncé déjà en 1848 par le Manifeste du Parti communiste de Marx et de Engels, consiste à abolir toute application sociale de chacune des Dix Paroles données par Dieu à Moïse, car ses auteurs avaient bien perçu que c’est dans l’obéissance des hommes aux commandements de Dieu que consiste le pacte social du Créateur avec le genre humain.

Ainsi votre ouvrage manifeste de manière éclatante les deux pôles discordants de la réalité humaine : la lumière et les ténèbres, la miséricorde de Dieu agissant dans ses saints (les enfants de Dieu) et la réprobation divine se manifestant dans la révolte des sans-Dieu. Mais nous y voyons davantage encore. Nous l’avons vu, ce combat terrible du Christianisme avec cet aspect de l’implantation sociologique du mal, dans la trame de l’histoire qu’est le Communisme, débouche sur la victoire glorieuse de l’Église fidèle du Christ Jésus et l’écroulement de la bête apocalyptique. C’est en effet cette victoire divine, l’écroulement du communisme russe et européen, qui vous a conduit à mettre un terme à l’aventure de Catacombes. Mais votre livre nous conduit à pousser plus loin l’analyse. L’Occident, se prévalant encore de ses origines chrétiennes, se montre tel qu’il est sous l’effet révélateur de votre ardente chronique de ce combat à la fois si terrible et si glorieux de la lumière et des ténèbres. Notre Occident par ce puissant éclairage ‐ chronique fidèlement relatée mois après mois pendant plus de vingt longues années des combats de l’Église du Silence ‐ a été, à proprement parler, révélé à lui-même par la lumière divine resplendissante de la foi, de l’espérance et de la charité des chrétiens sous la croix. C’est cette lumière toute divine qui perça les ténèbres opaques de l’univers carcéral du communisme. Mais cette lumière nous révèle aussi à nous-mêmes. Dans la clarté de ce témoignage de foi, l’Occident « chrétien » se montre dans toute l’imposture du néant de son opulence, dans sa tiédeur spirituelle et dans son impuissance radicale à œuvrer pour le bien.

Ainsi, parce que tu es tiède et que tu es ni froid ni bouillant, je vais te vomir de ma bouche. Parce que tu dis : Je suis riche, je me suis enrichi et je n’ai besoin de rien, et parce que tu es malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu. (Apocalypse 3:16-17)

Pour nous qui au cours des vingt années avons suivi votre combat pour faire entendre à un Occident, qu’un cœur sclérosé rendait sourd, aveugle et muet, le cri douloureux et le chant sublime de l’Église du Silence, votre livre sonne avec l’éclat déchirant de la trompette de Dieu nous appelant à renouveler notre fidélité à cet Agneau de Dieu, à ce Lion de Juda, au Kyrios Pantocrator, le Seigneur tout puissant qui gouverne et soutient toutes choses, Jésus-Christ (Colossiens 1, 16-17). Nous, qui avons reçu la grâce d’écouter ce que, par le témoignage de Catacombes, l’Esprit dit aux Églises avons, par l’intermédiaire de nos frères et sœurs meurtris par le marteau et la faucille, été fortifiés et remplis de foi et de courage pour persévérer dans ce même combat et ainsi garder la foi donnée une fois pour toutes aux saints. C’est pour de tels bienfaits que nous vous disons merci !

Puis il me dit :
Ne ferme pas d’un sceau les paroles de la prophétie de ce livre !
Car le temps est proche.
Que celui qui est injuste soit encore injuste,
que celui qui est souillé se souille encore,
que le juste pratique encore la justice,
et que celui qui est saint soit encore sanctifié !
Voici : je viens bientôt,
Et j’apporte avec moi ma rétribution,
Pour rendre à chacun selon son œuvre.
Apocalypse 22,10-12

En vous disant encore la joie, la force et l’amour chrétien que suscite en nous la lecture de votre livre, recevez, cher frère et ami, l’expression de notre affection fidèle en Jésus-Christ.

Jean-Marc Berthoud

Ce texte est la Préface de l’ouvrage de Sergiu Grossu, L’Église persécutée aux Éditions L’Âge d’Homme.

[1]      Voyez : Augusto del Noce, L’époque de la sécularisation. Essai, Éditions des Syrtes, 2001.

[2]      Voyez : Eric Voegelin, Les religions politiques, Éditions du Cerf, 1994.

[3]      Antonio Gramsci, philosophe marxiste italien (1891-1937), concevait essentiellement le marxisme comme une philosophie de la praxis, c’est-à-dire une dynamique de l’action révolutionnaire. La praxis devait, par infiltration et subversion de toutes les institutions sociales, établir une société d’où Dieu et sa loi, c’est-à-dire toutes normes quelconques, seraient totalement exclus. Cette vision du communisme comme révolution culturelle (et non plus comme confrontation de classes) fut adoptée par les dirigeants de l’Union Soviétique dès le début des années mille neuf cent soixante. Nous en voyons aujourd’hui partout les fruits.