De « Bible en Bible »

par | Résister et Construire - numéros 53-54

Doyen Pierre Courthial

L’Âge d’Homme, 2002, 208 pages

Recension

Un ouvrage didactique

Après avoir, il n’y a pas si longtemps, établi l’actualité de la Parole (Évangile-Loi) de Dieu[1], le Doyen Pierre Courthial développe dans un nouveau livre, De Bible en Bible[2] la défense et l’application des principes exposés il y a sept ans. Il inaugure une nouvelle épaisseur de ce saint tronc théonomique, ayant planté un arbre comme l’octogénaire de la fable qu’il citait[3].

En 1996, ses lecteurs souriaient de cette facétie littéraire.

Or, hélas !, il semble, tout comme pour le vieillard de La Fontaine, que c’est lui qui gravera les épitaphes – morales, du moins – des « jeunes » qui se rient de lui[4]. À ce propos, d’ailleurs, dans une Église dévastée par le modernisme et le « jeunisme », point n’est besoin de grands discours : brandir les deux ouvrages magistraux de Pierre Courthial suffira pour mettre en lumière le triste conformisme et la stérile inanité de nombre de blanc-becs infatués. La vigueur quasi-mosaïque de notre auteur est telle, que nous ne doutons pas que De Bible en Bible ne soit que le second volet d’une trilogie théocosmonomiste !

Puisqu’il en est ainsi, oublions un instant les vicissitudes de notre époque, et ouvrons ce nouveau volume de la collection Message, dirigée par J.-M. Berthoud aux éditions L’Âge d’Homme. M. Courthial, qui n’est plus à présenter, ne s’arrête pas au « monde tel qu’il ne va pas », mais prépare les outils nécessaires au « jour des petits recommencements ». Dans un souci de clarté, notre approche en sera synthétique, et ne se limitera pas à une analyse linéaire.
L’introduction est émouvante, car, discrètement autobiographique, elle révèle le profond enracinement des catholiques-reformés – dont le Doyen Courthial n’est pas le moindre représentant ! – dans la Théologie orthodoxe qui est celle des Jean Chrysostome, Thomas d’Aquin et autres Anselme (p. 10). Pourquoi donc ? Parce que « ni le schisme du Iᵉʳ siècle entre un Israël aveugle et sourd et le Reste fidèle d’Israël, ni le schisme du XIᵉ siècle entre l’Église d’Orient et l’Église d’Occident, ni le schisme du XVIᵉ siècle, en Occident, entre l’Église de Rome et les Églises de la Reformation, ne portèrent atteinte à cette certitude de Foi du peuple de Dieu : la Bible – de la Bible juive à la Bible chrétienne qui lui adjoignit la Tradition apostolique – est le Texte sacré d’origine divine ayant pleine et souveraine autorité. » (p. 11)

Elle donne le ton de la suite. Nous avons sous nos yeux le rarissime exemple d’une maturité intellectuelle, spirituelle et ecclésiale, heureusement exprimée en deux cents pages limpides. P. Courthial inaugure, en terre française, l’amorce d’un retour aux « anciens sentiers » par la voie royale de « Jésus-Christ et du Texte sacré » (p. 153).

Avant de voir en quoi De Bible en Bible est un ouvrage proprement précurseur, il nous faut dire un mot sur son caractère didactique. De Bible en Bible n’est pas un pensum ; trois chapitres bien structurés suffisent à dire l’essentiel, de sorte que le lecteur « inconnu » (p. 9) qui débute, sot, la lecture, l’achève – si non sage, du moins capable de se sortir aussi bien des antinomies d’un modernisme horizontaliste que d’un ultra-piétisme myope. Oculatus abis !

Le premier chapitre, « Ouvrages et parties du Texte sacré de l’Alliance » traite du contenu du Texte qui, rappelle P. Courthial, se compose de la « Bible juive et des Apôtres ». La question de l’inspiration des Écritures est moins compliquée (?) qu’on le dit : de toute évidence, l’autorité intrinsèque du Canon ne pose problème que pour les modernes. « Le Seigneur-Sauveur a d’abord établi, par son Souffle, son Esprit, les ouvrages et parties du Texte sacré de l’Alliance. Il a conduit ensuite son peuple, par le même Souffle, le même Esprit, à reconnaître, confesser et faire savoir quel était ce Texte sacré théopneuste. Il a, enfin, persuadé, et persuadera tout fidèle au long des siècles, à croire fermement, toujours par son Souffle, son Esprit, qu’il en est bien ainsi. » (p. 36)

Le deuxième chapitre, « Le Texte sacré de l’Alliance et les critiques », est capital. Il est à souhaiter que De Bible en Bible soit rapidement adopté comme ouvrage d’étude dans les institutions théologiques reformées-confessantes (ou « catholiques-reformées », pour peu qu’il en existe). Un exposé accompagné d’un commentaire adéquat du livre de M. Courthial ne pourrait faire que le plus grand bien à des étudiants débarqués du chaos de la Modernité, dont les idées seraient d’autant plus éclaircies que De Bible en Bible est sans contredit l’un des ouvrages les plus « bibliques » qui aient paru ces derniers temps. La magnifique synthèse et la non moins belle réfutation – par la Parole de Dieu, la saine Tradition et le bon sens – des stupidités libérales peut donc très bien servir de manuel pour les étudiants en Théologie, lesquels, après avoir pris connaissance de ce qu’il est nécessaire de savoir sur les aberrations libérales, pourront se plonger dans l’étude constructive des théologiens orthodoxes, dont P. Courthial brosse les portraits et dresse des notices historico-doctrinales souvent inaccessibles au lecteur moderne (voir pp. 115, 119 et s.). Aussi impensable que cela puisse paraître, il y a des institutions académiques où l’on peut obtenir sa licence en ayant rarement ouï, et sans avoir jamais lu une ligne de F. Turretin, B. Pictet, J. Owen, W. Ames, R. Baxter, A. Kuyper, H. Dooyeweerd, A. Lecerf, J. Murray, A. Kayayan, J.-M. Berthoud, R. J. Rushdoony ou même… P. Courthial…

Alors qu’on leur farcit la cervelle de Bultmann, Käsemann, et autre Cullmann, et qu’ils deviennent de vraies têtes de lards cyniques, ces futurs dispensateurs des mystères de la Foi chrétienne ne feraient-ils pas mieux de s’imprégner de la vision biblique, orthodoxe des choses, afin au pire d’éviter l’apostasie, et au mieux de contribuer tant soit peu à l’affirmation du Règne du Christ-Roi sur sa création, par le biais de la prédication et de la direction spirituelle ?

Nous aborderons le troisième chapitre, « Une vision ‘théocosmonomique’ », un peu plus loin.

Un ouvrage précurseur

Solus contra mundum : M. Courthial aime à rappeler la mémoire de saint Athanase d’Alexandrie : et pour cause ! Ils sont frères.

Cette affirmation, loin d’être une boutade de potache, ne fait qu’exprimer la constatation suivante : quelle vigueur, dans ces Anciens qui nous ouvrent le chemin au travers des ténèbres d’une Modernité maudite ; et quelle décrépitude, chez ces théologastres « évangéliques », qui claironnent impunément leur progressisme du haut de leur piédestal de diplômes d’État…

Quelle simplicité, quelle puissance patristique chez ce théologien octogénaire, discrètement inhumé vif par ceux-là mêmes qu’il a nourris de sa fidélité à la Parole-Loi de Dieu ; et quelle moisissure déjà verdit l’embonpoint de ceux qui emplissent les sépulcres blanchis de leurs péroraisons creuses…

De son inimitable simplicité, il dresse le panorama de la relation de cause à effet qui produit la décadence des universités théologiques : « Il ne faudrait jamais oublier que toute institution chrétienne… reformata, peut vite devenir deformata jusqu’à ne plus pouvoir même être reformanda (capable de reformation). Par la ruse des hommes et la déloyauté des hommes. » (p. 121)

Poursuivons. Avec De Bible en Bible, nous touchons du doigt les limites du travail « académique ». Ce n’est nullement ici une critique que nous faisons. Bien au contraire, le Doyen Pierre Courthial ne se cantonne pas à l’abstraction, pas plus qu’il ne s’emploie à résoudre la question « Que faire ? ». Loin de là. Pierre Courthial parle de la RÉALITÉ, qui consiste dans « l’unique univers créé et régi par Dieu et soumis à sa (ses) Loi(s) » (p. 142) : cette réalité n’est ni à inventer ni à créer. Nous devons bien plutôt, dit cet infatigable pasteur, l’arracher des mains des « experts » et des « savants », pour la restituer à Dieu, et à son Fils, notre Seigneur Jésus-Christ.

De Bible en Bible n’est donc pas un ouvrage « intello ». Il ne vise nullement à perpétuer le mythe de « tout chrétien est théologien », pas plus qu’il n’invite à un « investissement dans la vie quotidienne » au mépris des fondements[5] – même provisoirement impraticables.

Rien ne sert, en effet, d’inonder les églises d’autant d’apprentis-sorciers. C’est là le sens de Jacques 3:1. À quoi bon suivre le cursus théologique, chrétiens, si votre vocation n’est pas d’enseigner ? Il y a par trop de « théologiens » amateurs, de diplômés « sauvages » errants dans la nature ! Laissons l’Église former son propre contingent de Ministres ordonnés, afin qu’ils scrutent pour les fidèles les Écritures de façon à prodiguer à ces derniers le suc quintessenciel, la manne divine, afin que, ainsi nourris, ils soient capables d’aller dans le monde, de le combattre, de le vaincre et de le transfigurer, jusqu’à ce que le Règne du Christ-Roi s’établisse dans sa plénitude ![6]

L’objectif, sinon du livre, du moins que P. Courthial propose aux chrétiens antimodernes comme une nécessité pour l’avenir, il l’a déjà évoqué dans Le jour, p. 257 et suivantes. L’importance en est telle, qu’il le répète : « Nous pouvons espérer qu’un jour viendra où un Concile œcuménique vraiment « catholique[7]» rassemblera les représentants des Églises catholiques (orientales, romaines, reformées) en vue de reformer, de remettre d’aplomb, tous ceux qui voudront de tout cœur écouter et suivre ce que dit le Texte sacré, sans plus y mêler nos diverses traditions d’« anciens » ; nous en avons tous. » (p. 28).

Lorsque la pression de la Nécessité rendra absolument vitale la convocation de ce Concile, alors se produira l’Instant providentiel, et il ne fait aucun doute que le Roi interviendra lui-même dans les affaires de Son Royaume. « Soyons patients… Il est infiniment probable que Dieu ne fera rien de ce que nous avons rêvé… : il fera mieux. »[8]

Les chrétiens doivent se reformer, comme une armée en déroute. Les choses vont lentement ; et il n’est pas rare de voir coexister le crépuscule des insensés avec l’aurore des rachetés.

Un ouvrage de combat

Il devient de plus en plus évident que la Modernité est de nature intrinsèquement antichristique. « Tout ce qui est moderne est diabolique » disait déjà Léon Bloy. Or, face à cette Modernité, somme toute récente, il y a l’Évangile éternel (Apocalypse 14:6), qui ne s’oppose pas directement à elle, mais qui la condamne tout en établissant la normalité des choses. Bien plus, la Révélation, intrinsèquement vraie, est le « point d’Archimède » à partir duquel tout peut toujours être rebâti. Mais pour rebâtir, il faut d’abord déblayer ordures et ruines.

De Bible en Bible est, en outre, un livre qui déculotte et fouaille en toute légitimité les « réformés confessants » et autres « évangéliques » qui se croient obligés de passer sous les fourches caudines du libéralisme, et de brûler de l’encens à l’autel des Experts.

On est frappé par l’autorité toute naturelle qui émane du texte. Un lecteur inattentif pourrait, à la rigueur, survoler indifféremment la partie bibliciste, mais ne manquerait pas de voir son esprit soudain captivé par le ton résolu de la plume du maître. L’autorité, la force de Pierre Courthial est telle, que la victime hypnotisée des « sciences humaines » se trouve tout à coup saisi de stupeur et rougit de honte, à la vue sublime du Doyen de la Faculté d’Aix-en-Provence fessant impitoyablement un Benjamin B. Warfield, dont l’excellence ne peut occulter les errements catastrophiques (p. 124). En même temps l’adorateur malgré lui (?) de la lubrique Putain du Diable découvre un libérateur : Pierre Courthial, par sa calme assurance – appuyé qu’il est par vingt siècles de théologie fidèle à la Tradition apostolique – dénoue les liens de la servitude de l’iniquité (Ésaïe 58:6) qui enserrent de plus en plus ceux qui s’aventurent dans la (fausse) Théologie[9].

Dans ce sens, Pierre Courthial est un authentique juste.

A l’image de cette même Parole qu’il sert et serre dans son cœur (et ses écrits !), il blesse et guérit (Dt 32:39) dans la même page. Autant on se sent humilié et fessé d’importance par sa main assurée, autant cette même main nous relève et nous indique avec non moins d’assurance que le statu quo n’est pas inévitable, et que les choses peuvent être différentes. Quelle consolation ; que dis-je ? Quel réconfort, quelle motivation, quel sain coup de pied au derrière ! Ah ! si nous voulions nous laisser rosser pour notre bien, quels avantages en retirerions-nous… (Ps 141:5)

La théocosmonomie

Dans un Occident doublement décadent, et du fait d’une Église romaine « ajournée », championne de la « civilisation de l’amour », et par le spectacle d’un « Protestantisme » rendu odieux par ses audaces et sa lâcheté, – dans un Occident ravagé par l’Humanisme et vendu par des dirigeants politiques enchaînés, – dans un Occident où chaque petit reste fidèle commence doucement à percevoir la présence de ceux qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal, De Bible en Bible est plus qu’un « testament » (p. 9). De Bible en Bible est un legs.

Pierre Courthial retrouve la mentalité de Martin Luther au moment de sa prise de conscience de l’écart grandissant de l’Église de la Voie étroite : il ne conteste nullement la vision des choses, ni la hiérarchie apostolique (p. 27) : son attention est tournée vers l’ennemi commun : l’« apostasie présente » (p. 147). Il voit les fondements de la Chrétienté sapés par cette Renaissance qu’encouragent et parrainent les papes humanistes et mécènes, cette masse de présupposés antichristiques – qui se manifeste tout d’abord plaisamment dans l’Art, et qui donnera au cœur spirituel de la chrétienté occidentale, Rome, l’aspect atrocement païen, d’une impiété mégalomane, qui devait finir par constituer son propre carcan et devenir le moule spirituel de sa vision des choses – en dépit des efforts d’un homme de Dieu comme Pie X, par exemple.

Pierre Courthial a le don des formules. « Deux grandes œuvres de Dieu : sa création et son Texte sacré (la première, cadre de la seconde ; la seconde interprétant la première) ont, comme leur centre vivant, la troisième œuvre : celle de son incarnation en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, pour nous et pour notre salut. » (p. 137) Dieu est Dieu, nom de Dieu ! Dieu est Maître chez lui – « le Dieu Créateur-Recteur-Sauveur en qui croient les Églises fidèles et les chrétiens fidèles, est un Dieu cohérent en tout ce qu’il est, fait et dit. » (p. 152)

Un esprit médiéval, en somme. Sans doute ces mots discréditeront l’auteur de De Bible en Bible aux yeux des progressistes narquois qui avaient cru bon, lors de la publication du Jour des petits recommencements (1996), d’en souligner le contenu « rétrograde » ; et ce n’est pas là le but d’une recension ! Mais qu’importe ! Le Doyen Courthial n’écrit pas pour plaire, et sans doute ce que nous écrivons ne le marginalisera pas plus qu’il ne l’est déjà.

Autant dire, avec Nicolas Berdiaev, que « l’appel au nouveau Moyen Âge à notre époque est aussi l’appel à la révolution de l’esprit, à une nouvelle conscience. L’humanisme de l’histoire moderne est périmé, et dans toutes les sphères de la culture et de la vie publique, il passe à son opposé, il mène à la négation de l’image de l’homme.[10]»

Cesser le « dialogue » avec les Modernes, qui se sont jusqu’à présent occupés de nier le Règne universel de Jésus-Christ sur le monde sur lequel Dieu lui a donné tout pouvoir, et qui continuent à le faire avec l’aide bénévole des chrétiens, et reprendre les citadelles à eux livrées sans combat. Contrairement à Maritain, qui voyait s’ouvrir un « troisième âge » joachimite, théâtre de l’épanouissement de « l’humanisme intégral, l’humanisme de l’Incarnation… qui ne comporterait d’autre théocratie que celle du divin amour[11] », les chrétiens théocosmonomistes reconnaissent que s’il est un ordre des choses, cet ordre est le même (mutatis mutandis) et ne saurait intégrer le nouveau fondement posé par la Révolution. Ce point d’Archimède, fixe et inébranlable, duquel découle la « progression doctrinale » (p. 154) qui consiste à définir la Foi en fonction de l’émergence des hérésies, c’est la Parole-Loi de Dieu. « Le Texte sacré nous présente, nous donne, à la fois une vision du monde (cosmonomie) et une vision de Dieu (théonomie) constituant ensemble la théocosmonomie. » (p. 155)

Le malheur du temps fait que la Modernité est perçue comme inévitable et désormais constitutive de la réalité. Or, il n’en est rien – sinon Dieu aurait changé, se serait laissé dépouiller de son Droit et réduire à trouver de nouvelles solutions en contradiction avec son action dans le passé. La « vision théocosmonomique » s’oppose à l’antichristianisme de la Révolution[12]. « À la question des hommes, lancinante : « Que faire, et comment ? » Dieu répond d’en Haut, à chaque aujourd’hui, par sa Loi, par son Texte sacré. » (p. 182)

Contrairement à ce qu’insinuent les « progressistes », la « culture » n’est ni neutre ni indifférente en soi. Et comme la nature a horreur du vide, là où le théocosme est battu en brèche par les chrétiens honteux de Dieu et de sa Loi, le technocosme prend immédiatement sa place[13].

Si donc nous devons retrouver une mentalité saine, qui diffère du tout au tout d’avec la mentalité moderne – subjective et antinomienne – c’est à l’Église d’assurer la prise en charge effective des hommes. Non pas l’Église apostate, mais bien l’Épouse du Christ-Roi : le temporel n’est pas autonome par rapport au spirituel, l’État n’est pas neutre. La renonciation à ces deux affirmations pourtant capitales a fait la ruine spirituelle sinon temporelle de la Rome moderniste. Ne la suivons pas !

« Mais, peuvent demander certains : « Les chrétiens et les Églises fidèles sont-ils tenus aujourd’hui, pour en vivre, de sonder, de scruter, tous les commandements qui se trouvent dans la Bible d’Israël, dans la Torah ? » Je réponds : « Certainement ! » (p. 184)

Pas de doute, Pierre Courthial est courageux. Nous avons là un chrétien qui n’a pas honte de l’Évangile, qui confesse notre Seigneur Jésus-Christ devant les hommes.

Donc un antimoderne, donc un théocosmonomiste conséquent avec lui-même.
Alors, rétrograde, Pierre Courthial ? En avance sur son temps, dirions-nous, si ce n’était pas faire là preuve d’intoxication progressiste. Précurseur, plutôt ; à classer non parmi les « penseurs » et autres « intellectuels » modern(ist)es, mais bien parmi la glorieuse cohorte de « ceux dont le monde n’est pas digne », des Confesseurs de la Foi et des Docteurs de l’Église ! Avis aux périmés !

C’est donc de « ce christianisme gigantesque d’autrefois dont ne veulent plus nos générations avortées[14]», que le Doyen Courthial est en train de parler, rappelant aux chrétiens français issus de la Réformation les principes immuables du règne de Dieu sur sa création et sur ses créatures.
Lecteur, cours acquérir De Bible en Bible, et lis-le – et tu verras que tu ne connaissais jusque-là qu’une infime parcelle de la Parole de Dieu !

Quelques remarques…

Il est inutile de répéter ce qui a si bien été écrit : que le lecteur s’y reporte lui-même ! Nous conclurons à présent ce bref aperçu de De Bible en Bible. Bien évidemment, les quelques remarques un peu plus critiques qui suivent n’engagent que leur seul auteur.

Le Doyen Courthial désire qu’un œcuménisme « fidèle, vigoureux et confessant » voit le jour (p. 153) entre les fidèles du Christ-Roi « encore dispersés en plusieurs dénominations » (p. 102) autour de ce qui fait le propre du christianisme véritable : la foi en le « Dieu trinitaire Créateur-Recteur-Sauveur » (p. 23) qui s’est révélé dans les Saintes Écritures, infaillibles.

Occidentaux, Français, c’est donc entre catholiques-reformés et catholique-romains que doit se produire ce rapprochement, les catholiques-orthodoxes étant majoritairement Orientaux.

Or, les romains sont définitivement hors du coup, à moins de revenir sur la « révolution en tiare », et de cesser d’entretenir l’idée que « l’Église se montre incapable de défendre efficacement la morale évangélique, parce qu’elle se tient obstinément attachée à des doctrines immuables qui ne peuvent se concilier avec les progrès actuels.[15]»

On regrette amèrement que Pierre Courthial n’ait fait aucune allusion au courage d’un Mgr Ducaud-Bourget, d’un Mgr Lefebvre, au sein d’une Église en proie à l’action subversive des modernistes. Ils l’ont découronné ! Au contraire, on a parfois l’impression que sa vision de l’Église de Rome ne tient pas vraiment compte de l’apostasie officielle formulée au « Concile » Vatican II, qui l’a définitivement placée en-dehors de la communion des autres Églises (qu’elle tente d’attirer à elle, donc de corrompre). Face à ce triste état de fait, les catholiques-reformés ne devraient-ils pas plutôt saluer d’une geste fraternel le radeau traditionaliste qui cherche à s’écarter du maelström post-conciliaire, sous les torrents réprobateurs des modernistes installés ? Ainsi pourra se produire sans risque de pourrissement cet « œcuménisme vigoureux » (p. 18), qui ne peut avoir lieu qu’entre ennemis purs et durs de la Modernité – ce que n’est assurément plus l’Église romaine ! La « critique » romaine de l’Humanisme vise à promouvoir l’« humanisme intégral » de la « nouvelle chrétienté » – ce que tout théocosmonomiste conséquent ne saurait approuver, tandis qu’à quelques détails près il pourra adhérer en toute bonne foi à toute la doctrine sociale, voire politique, formulée par les papes jusqu’au dernier et non moins courageux Pie XII.

L’œcuménisme viril existe du moment où les partisans de chaque confession se sont assurés qu’ils ne sont ni indifférents ni mollement condescendants les uns envers les autres, et qu’ils possèdent bien plutôt toutes les raisons passionnelles de s’entr’égorger. Car la haine superficielle est d’autant plus vive que les fondements respectifs sont plus rapprochés. Et inversement.

La deuxième remarque porte sur un point très important. P. Courthial ne veut pas laisser croire qu’il prône une action violente, une imposition de la Loi de Dieu par la force, comme le serinent les piétistes, les libéraux et les lâches. (Quel théocosmonomiste l’a jamais dit ?) C’est louable à lui de réfuter d’avance les sottes objections.

Cependant, tant dans Le jour des petits recommencements (p. 259) que dans De Bible en Bible, on constate une obstination à vouloir voir la Reformation s’effectuer par le bas. « Cette transformation personnelle et sociale ne peut et ne pourra pas, ne doit et ne devra pas, être imposée de haut en bas, comme si l’un ou l’autre de ces « gouvernements » légitime (celui de l’État ou de l’Église, par exemple) avait le droit de dominer les autres ; mais, au contraire, doit et peut se réaliser de bas en haut, en partant du plus proche, le gouvernement de soi, pour s’étendre, peu à peu à tous les autres. » (p. 197) Quitte à passer pour un pinailleur, nous ne pouvons être d’accord avec lui, pour l’unique raison que cela n’a jamais été la façon de procéder de la Providence. Car sans doute n’est-il pas trop hardi de le dire, la Reformation, la métanoïa universelle – personnelle, institutionnelle, sociale, ecclésiale – ne partira de nulle part ailleurs que du Centre. Qu’est-ce à dire ? Elle partira bien du cœur, comme l’écrit notre cher Maître, mais du Cœur du Nouvel Adam, notre Seigneur Jésus-Christ.

Mystérieusement, ce sera par la sainteté d’un nombre infime d’élus, par la sainteté contemplative de quelques-uns qui auront entièrement gravi l’Échelle sainte – secondés par la fidélité des individus et des familles au mandat culturel et missionnaire (p. 191 et s.), que tout recommencera. Car rien de théonomique ne s’acquiert sans crucifiement.

Le lecteur voit cependant bien qu’il s’agit là plus d’une précision que d’une divergence.

« Le jour vient où la plus petite de toutes les semences s’épanouira en un arbre immense où joueront les oiseaux du ciel ! Le jour vient où le levain mis dans la pâte fera tout lever. Amen ! Alléluia ! » (p. 199)

Simon Scharf

6 fébrier de l’an de grâce 2003

[1]      Dans son Jour des petits recommencements, paru à L’Âge d’Homme en 1996.

[2]      De Bible en Bible, Lausanne : L’Age d’Homme, 2002.

[3]      Op. cit., exergue.

[4]      Jean de la Fontaine, Fables, « Le vieillard et les trois jeunes hommes », fin.

[5]      Comme on peut le lire dans S. Bernal, Mgr Escriva de Balaguer, Paris, 1978, p. 292 et s., où l’on sent l’angoisse des catholiques-romains déchirés entre le devoir de fidélité et la vue de l’apostasie perpétrée par Vatican II.

[6]      D’autre part, notons que la promotion du « laïcat » par le « Concile » Vatican II ne mène pas à la propagation de la Doctrine dans la vie « quotidienne » (contrairement aux apparences), mais bien à la destruction de toutes les élites – clergé ou professions temporelles – par la dispersion et l’émiettement des vocations. N’y aurait-il pas même parenté idéologique entre le développement de l’activité des « laïcs » au sein de l’Église, et la « laïcité » et la « démocratie » telles que nous les connaissons ? Le sujet est à approfondir, et sort du cadre de cette recension.

[7]      Rappelons que la définition de catholique est : « selon le tout de la Vérité révélée » (p. 12).

[8]      Léon Bloy, Lettres à l’abbé Cornuau et au frère Dacien, Paris, 1926, p. 10

[9]      En même temps, P. Courthial réhabilite la Théologie aux yeux des « évangéliques » qui la méprisent et la honnissent, n’ayant d’elle que l’exemple abject des arguties libérales qui « font perdre la foi ».

[10]    Nicolas Berdiaev, Le nouveau Moyen Âge, Lausanne : L’Âge d’Homme, 1985, p. 58.

[11]    Jacques Maritain, Humanisme intégral, Paris : Aubier, 1968, p. 147-8.

[12]    La « nouvelle chrétienté » est la « cité de la Révolution », remarque l’Abbé Julio Meinvielle, dans son magnifique De Lamennais à Maritain, Bouère : DMM, p. 241 s.

[13]    Nous faisons allusion au livre de J. Marejko, La cité des morts, avènement du technocosme, Lausanne : L’Age d’Homme, 1994.

[14]    Léon Bloy, La femme pauvre, I, xv.

[15]    L’une des erreurs dénoncées dans l’estimable décret Lamentabili de Pie X, 1907, § lxiii.