Analyse théologique dans une perspective chrétienne réformée
Juda et Samarie
Si l’on veut comparer l’état spirituel de l’Europe et celui des États-Unis, il est utile de les rapprocher tous deux de celui d’Israël et de Juda au VIIIᵉ siècle avant Jésus-Christ, lors du long ministère du prophète Ésaïe. Au nord, on avait les dix tribus d’Israël avec comme capitale Samarie ; au sud, le petit royaume de Juda et de Benjamin avec comme capitale Jérusalem. Samarie avait passé entièrement du côté du culte des idoles, tel qu’il était pratiqué par les nations qui l’environnaient. Juda, par contre, gardait encore une forme de piété biblique, mais cela sans foi véritable ; il s’agissait d’une piété formaliste, hypocrite, sans crainte de Dieu ni d’obéissance sérieuse à ses commandements.
Aujourd’hui, l’Europe ressemble fort au royaume du Nord, car elle s’est presque totalement détournée de son héritage chrétien et attachée à toutes sortes de fausses divinités. Il semblerait que le vide démographique et spirituel qui caractérise toujours plus le continent européen ouvre les portes à son islamisation prochaine. Par contre, les États-Unis semblent se trouver dans une situation spirituelle comparable à celle de Juda (au VIIIᵉ siècle avant Jésus-Christ). Une religiosité « chrétienne » semble caractériser tout le pays, exerçant son influence jusque dans la vie politique ; mais comme cela avait été le cas pour Juda au VIIIᵉ siècle avant Jésus-Christ, la religion en Amérique est très largement marquée par son caractère formaliste, sans véritable contenu biblique, religion voyante qui maintient encore aujourd’hui une façade chrétienne au pays. Mais cette façade ne tiendra sans doute pas très longtemps. Là aussi le véritable Christianisme s’est largement envolé.[1]
Un dualisme manichéen
La politique étrangère des États-Unis face au danger du terrorisme a, depuis le 11 septembre, été marquée par un manichéisme radical : d’un côté les bons, de l’autre les méchants. On nous a bassiné avec l’existence d’un « axe du mal », et d’« États voyous », tout en satanisant les adversaires du moment, d’abord Ben Laden, puis Saddam Hussein. Cette tendance n’est évidemment pas nouvelle. On se souvient du fameux « Empire du mal » du Président Ronald Reagan et de la diabolisation d’adversaires politiques des États-Unis sous le règne du Président Clinton. Il est évident que, dans l’esprit de ceux qui lancent de tels slogans, ces réalités ténébreuses doivent correspondre à d’autres réalités, elles lumineuses, celles de « l’alliance du bien » (constituée par l’establishment anglo-américain[2]), d’« États rédempteurs »[3], fondements politiques d’un nouvel imperium mondial, celui de la pax americana, qui constitue, lui, « l’Empire du bien ». L’argument est limpide : « Nous, les alliés, constituons le bien ; nos adversaires sont le mal lui-même. » Animés d’une innocence aussi redoutable la conclusion s’impose aux protagonistes du bien : « Nous, l’Amérique, sommes par destinée manifeste l’incarnation même du bien ». Plus aucun doute ne pourra alors retenir les actions (destructrices ?) des nouveaux bienfaiteurs de l’humanité à l’égard de ceux qui, en ne se mettant pas explicitement de leur côté, se constituent en adversaires du bien, incarnant ainsi le règne du mal. On peut ici appliquer aux États-Unis d’Amérique les paroles du Christ qui déclarait de sa propre personne Divine : « Celui qui n’est pas pour moi est contre moi. » Ou bien on est pour la politique américaine, ou bien on se trouve dans la condition d’ennemis des États-Unis.
Alors, plus aucune règle ne pourra tenir face à une innocence toute puissante et bienfaisante : ni celles du droit international, ni celles de la Constitution américaine, ni celles des traités internationaux, ni celles des Conventions de Genève protégeant les prisonniers de guerre. Ces derniers sont transformés, par un tour de passe-passe sophistique, en « non-personnes », et « non-prisonniers de guerre », privés ainsi, en un clin d’œil, de leur statut juridique[4]. C’est en particulier le cas pour les prisonniers musulmans (principalement des Talibans afghans) incarcérés sur la base militaire de Guantanamo. L’ennemi étant privé de son statut de prisonnier de guerre, on peut faire avec lui ce que l’on veut. L’Amérique se considérant détentrice du bien, tous moyens (bons ou mauvais, peu importe) sont ipso facto justifiés pour la réalisation du « bien ».
Comme le dit Régis Debray, la politique américaine est actuellement dirigée par ce qu’il appelle des « chrétiens hallucinés »[5], ce qui laisse à entendre qu’à ses yeux, il existe aussi des chrétiens « non hallucinés » ! Mais d’où peut bien provenir un tel manichéisme gnostique dans la politique américaine ? L’infiltration de la mouvance New Age, (sujet à tort passé sous silence depuis le 11 septembre et à ne pas limiter aux seuls partisans démocrates d’Al Gore), à tous les échelons de la vie politique et sociale américaine, porte manifestement ses fruits. Ce mouvement néo-païen, foncièrement panthéiste, a de fortes connotations gnostiques, c’est-à-dire celles d’un dualisme moralisant terriblement simplificateur.
Par ailleurs, il faut rappeler que le pentecôtisme a marqué de son empreinte illuministe une partie importante des milieux évangéliques américains. C’est à ces milieux qu’appartient explicitement le Procureur Général des États-Unis, John Ashcroft. Le charismatisme qu’il représente est en effet un christianisme de type halluciné, c’est-à-dire illuministe. Jouissant d’un rapport direct avec Dieu par des illuminations prophétiques, le charismatique devient le dépositaire de la vérité absolue, connaissance certaine et infaillible car d’origine directement divine. De tels chrétiens hallucinés n’ont plus besoin des médiations ordinaires ou extraordinaires, médiations qui sont le propre de toute connaissance humaine, tant naturelle que surnaturelle. Ayant un accès intuitif direct à la pensée même de Dieu, ils n’ont en fait guère besoin de telles médiations : ni de la Bible, ni de l’enseignement fidèle du Ministère chrétien, ni de l’observation des sens, ni du droit usage de la raison. Les deux courants, gnostiques et charismatiques, semblent se rejoindre dans l’illuminisme politique de l’équipe Bush.
Deux erreurs symétriques
En examinant la situation spirituelle actuelle des États-Unis, on se trouve devant deux formes de spiritualité symétriques, mais contradictoires, qui se réclament toutes deux du Christianisme. D’un côté vous avez le Christianisme musclé de George W. Bush, partisan décidé de la peine de mort. De l’autre, se trouvent des pacifistes, adversaires farouches de cette même peine de mort. D’un côté vous avez un Christianisme mettant l’accent sur la loi et sur l’usage de la force de l’État ; de l’autre un Christianisme mettant l’accent sur la non-violence et sur l’« amour ». On pourrait prétendre qu’il s’agit ici d’une opposition entre un Christianisme « de droite » et un Christianisme « de gauche », pour autant que ces expressions aient un sens ; un Christianisme « pacifiste », contre un Christianisme « guerrier ». Pour tout dire, on pourrait caractériser cette opposition comme mettant face à face la religion de l’Ancien Testament opposée à celle du Nouveau. On se trouve à nouveau ici devant un Christianisme de type gnostique, plus spécifiquement marcionite. Rappelons que Marcion opposait le Dieu du Nouveau Testament, le Dieu Sauveur, plein d’amour et de bonté, à celui de l’Ancien, le Dieu Créateur, guerrier et vengeur. Aujourd’hui nous voyons l’amour des uns (les pacifistes de « gauche ») s’opposer au bellicisme des autres (les va-t-en-guerre de « droite », imitateurs modernes des guerriers divinement inspirés de l’Ancien Testament). D’un côté un Christ qui prônerait un amour sans loi, de l’autre un Dieu Justicier qui, lui, serait le partisan d’une loi sans amour.
Mais tout cela n’a en fait rigoureusement rien à voir avec le Christianisme véritable. Cela ne correspond ni à l’Ancien Testament, ni au Nouveau. Car le véritable Christianisme tient toujours ensemble (sans jamais les confondre), Ancien Testament et Nouveau Testament, amour et loi, justice et miséricorde, foi et œuvres. En Jésus-Christ, ces fausses dichotomies sont résolues ; elles sont parfaitement réconciliées en sa Personne, en son Incarnation rédemptrice.
La bienveillance et la vérité se rencontrent,
La justice et la paix s’embrassent ;
La vérité germe de la terre,
Et la justice se penche du haut des cieux.Psaume 85:11-12
Des Néo-Conservateurs Sionistes au Rabbinisme politique Évangélique
Comment a-t-il pu arriver qu’en ce début de XXIᵉ siècle le Président des États-Unis en soit venu à se prendre pour une sorte de réplique du chef de guerre Israélite, Josué, chargé par Dieu de la conquête du pays de Canaan. En nouveau Josué, le Président Bush se sait chargé d’une mission divine : lutter par tous les moyens à sa disposition contre toute forme de terrorisme. Il se considère en effet comme investi d’une mission divine péremptoire : éradiquer le mal de la terre[6] ? Dans la politique actuelle de l’Administration Bush nous pouvons constater la jonction de deux courants importants de la vie politique américaine : d’abord le courant néo-conservateur politiquement favorable au Sionisme et à Israël ; puis le courant fondamentaliste dispensationaliste, lui aussi très favorable à l’État d’Israël, mais pour des raisons différentes, à la fois politiques et eschatologiques.
Ces deux courants se rejoignent de manière publique à Washington. Cela a pu se voir lors de la National Religious Broadcasters Convention tenue au début de l’année, puis lors de la rencontre du Comité des affaires publiques israélo-américain (American Israel Public Affaires Committee – AIPAC) qui a tenu son 44ᵉ congrès politique dans la même ville du 30 mars au 1ᵉʳ avril 2003. Dans les deux cas nous avons vu la parfaite concordance de vues des milieux fondamentalistes avec celles des néo-conservateurs, tous deux ayant comme but d’atteler la politique étrangère américaine au char des intérêts de l’État d’Israël[7].
Les Néo-Conservateurs
Ce groupe de pression sioniste tire son origine essentiellement d’un certain nombre d’intellectuels Juifs américains, dont de nombreux gauchistes des années soixante revenus de leur engouement révolutionnaire, ainsi que de certains disciples de Leo Strauss (1899-1973), citoyen américain juif, d’origine allemande, longtemps Professeur de Philosophie Politique à l’Université de Chicago[8]. Ils se sont recyclés dans une idéologie conservatrice défendant un droit naturel abstrait et une économie libérale de type friedmanienne. Il s’agit ici de la branche conservatrice du lobby juif américain étroitement associée au parti Républicain et défendant une version nationaliste de l’hégémonie mondiale américaine. Une autre branche de ce même lobby juif se situe plus à gauche ; elle est liée à l’internationalisme onusien et est particulièrement active dans les coulisses du parti Démocrate. Ce groupe de néo-conservateurs a aujourd’hui pris une telle emprise sur la politique étrangère américaine, et en particulier sur tout ce qui concerne le Moyen-Orient, qu’on peut dire qu’il la domine complètement. Ils ont établi un lien insécable entre les intérêts des États-Unis et ceux d’Israël. Parmi ces Néo-Conservateurs, nous trouvons des figures importantes tels Richard Perle, Paul Wolfowitz et Dick Cheney.
Les Évangéliques dispensationalistes
Ce groupe de pression politique pro-Israëlien n’a fait que croître avec l’influence grandissante des milieux évangéliques sur la vie politique américaine. Ils sont les héritiers de la fameuse Moral Majority de l’époque du Président Ronald Reagan et ils ont encore comme figures de proue des hommes des années huitante, Pat Robertson et Jerry Falwell. Leurs théories eschatologiques, à la fois millénaristes et messianiques, sont largement inspirées par certaines influences rabbiniques qu’avait subies le fondateur de cette école au XIXᵉ siècle, John Nelson Darby. Ces interprétations juives, forcément non christologiques, des prophéties de l’Ancien Testament tendaient à faire du peuple d’Israël le cœur même de l’histoire du monde. Par ce biais, les milieux évangéliques dispensationalistes ont renoué avec le Pharisaïsme du temps du Christ qui voyait dans la venue du Messie l’événement conduisant à l’instauration du règne politique d’Israël, rétablissement national qui aboutirait à chasser l’occupant romain de la terre de Palestine. C’est ainsi, que devaient s’accomplir les prophéties de la Tanak, de l’Ancien Testament, interprété comme annonçant, non la venue du Royaume de Dieu et du Messie d’Israël, à savoir Jésus-Christ, mais la domination du monde entier par le peuple d’Israël[9]. Leur action politique aux États-Unis renforce puissamment l’influence des divers lobbys juifs, tant de droite que de gauche.
C’est ainsi que sur le plan eschatologique – mais pas en ce qui concerne leur vision du salut par la grâce –, ces Évangéliques dispensationalistes ont intégré la vision de certains milieux juifs orthodoxes selon laquelle les moyens humains – ceux de la politique et de la guerre en particulier – sont les moyens propres à l’instauration du Royaume de Dieu sur terre. C’est ainsi qu’ils ont remplacé l’action du Saint-Esprit par celle de ce que la Bible appelle « les chars et les chevaux », c’est-à-dire les puissances naturelles de l’homme et du monde. Ce n’est cependant pas ainsi que l’on parviendra, ni à plaire à Dieu, ni à accomplir sa volonté, car l’amour des réalités terrestres à l’exclusion de Dieu n’est autre, selon la Bible, qu’inimitié envers le Dieu vivant et vrai. Il faut ajouter que la croix du Christ est évacuée de cette vision d’une eschatologie qui s’accomplirait ici-bas dans l’histoire des hommes. Dans une telle perspective, il n’est plus question pour le chrétien, de reconnaître dans les tribulations que nous éprouvons dans cette vallée de larmes qu’est notre vie terrestre, l’instrument divin de cette sanctification sans laquelle nul ne peut être sauvé. Enfin, le conflit inévitable que nous devons tous livrer au monde et à la chair ne serait plus de mise dans cette version corrigée du Christianisme. Il s’agit ici d’un Christianisme fait à la fois de puissance humaine et de succès mondain. Cela n’a rien à voir, ni avec le Christianisme du Nouveau Testament, ni avec la foi des fidèles de l’Ancien.
Ce n’est ni par la puissance, ni par la force, mais c’est par mon Esprit, dit l’Éternel des armées. (Zacharie 4:6)
Mais les dirigeants, tant d’Israël que des États-Unis d’Amérique, ne s’intéressent guère à laisser agir l’Esprit de Dieu. Leur confiance repose sur la seule force. En soutenant ainsi l’engouement des responsables de la politique étrangère de leur pays pour des moyens qui sont ceux de la chair et du monde, les milieux dispensationalistes américains démontrent, à tous ceux qui veulent bien le comprendre, à quel point ils se sont eux-mêmes éloignés d’une juste compréhension de la véritable puissance de Dieu. Car la puissance rédemptrice de Dieu se trouve dans la prédication de la croix de Jésus-Christ, puissance qui se manifeste au-travers de la faiblesse, des incapacités et du dénuement de Chrétiens fidèles et non dans l’action technique et politique des hommes corrompus par le péché. Refuser ainsi la croix de Christ pour une vision eschatologique triomphaliste ne serait-ce autre chose, en fin de compte, que rejeter l’Évangile ?
Il faut également remarquer que la vision d’une croissance graduelle dans l’histoire d’un règne « millénaire » de Dieu, développement par lequel le Royaume de Dieu dans sa plénitude pourrait déjà ici-bas dominer le monde, ceci sans la présence du Christ en Personne lors de son retour en gloire – il s’agit ici du postmillénarisme puritain – est catégoriquement contredite par la Bible, en particulier par la parabole de l’ivraie. Il en va de même pour la vision prémillénariste et dipensationaliste d’un règne de mille ans sur la terre au bénéfice des Juifs. Ce règne se manifesterait avant le jugement dernier et le renouvellement de toutes choses, en l’absence du Christ (pour la durée de son propre règne !) et hors de la présence de son Église. Ces deux systèmes eschatologiques pèchent par leur triomphalisme pour le moins prématuré, soit par un triomphalisme chrétien (le postmillénarisme), soit par un triomphalisme juif (le prémillénarisme). Nous savons, de la manière la plus expresse, et ceci par les paroles explicites du Christ lui-même, que la présence de l’ivraie dans le monde durera jusqu’à la fin de l’histoire et, qu’en conséquence, l’Église de Dieu restera toujours une Église combattante tant qu’elle demeurera sur la terre. La plénitude du triomphe du Christ accompli à la croix sur toutes les forces opposées à Dieu, ne se manifestera qu’avec le retour en gloire du Seigneur.
Le triomphalisme dispensationaliste, malgré le fait qu’il est réservé aux seuls membres du peuple juif, n’en a pas moins ses racines dans le triomphalisme postmillénariste puritain qui lui est une des sources, ici théologiques, de l’idéologie moderne du progrès[10]. Ce postmillénarisme puritain, pour lequel la plénitude du règne de Dieu s’établirait peu à peu sur la terre, voyait dans la nation américaine, nation dotée de vertus rédemptrices, la cité divine placée sur une colline, le successeur véritable de l’Israël terrestre[11]. Ce nouveau peuple de Dieu triompherait ici-bas, dès aujourd’hui, non seulement spirituellement mais également temporellement, de tous ses ennemis, de tous les ennemis de Dieu. C’est ainsi que cette tradition religieuse protestante, puritaine d’abord, puis fondamentaliste, en est venue à voir dans la nation américaine le peuple appelé par Dieu à être, ceci par tous les moyens (missionnaires, culturels, politiques et même militaires), le véritable sauveur du monde.
Comme la théologie catholique romaine, en voyant dans l’Église un prolongement du Christ triomphant (et non uniquement son corps souffrant comme l’enseigne la Bible), a été tentée d’attribuer au clergé (et à un degré suprême au Pape) des pouvoirs infaillibles réservés par la Révélation Biblique au Fils de Dieu et au Saint-Esprit ; de même le triomphalisme fondamentaliste (pré ou postmillénariste) en est venu à considérer la nation américaine (ou le monde anglo-saxon) comme étant implicitement dotée d’une vocation rédemptrice politique pour toutes les nations de la terre. La tentation triomphaliste de l’Église où elle se considérait comme constituant le prolongement institutionnel terrestre de la Personne Divine et humaine du Christ, a abouti au cumul, dans la personne même du « Vicaire du Christ », le Pape, de tous les pouvoirs de ce monde. Le suprême pontife romain sous Innocent III, Boniface VIII ou Léon X prétendait exercer une autorité sans partage sur le monde. Il s’agissait d’une puissance souveraine autant temporelle que spirituelle. Le pouvoir catholique romain en cédant à cette ambition messianique sans mesure est devenu, à certaines périodes de son histoire, une des manifestations historiques de la personne de l’antéchrist.
D’une manière très semblable, les prétentions messianiques de ceux qui gouvernent la nation américaine placent ce peuple devant la tentation de devenir, lui aussi, une manifestation, mais combien plus puissante que tout ce que le passé nous a montré, de la puissance antichrétienne. Le fait que ce modèle messianique, puritain et fondamentaliste, se soit largement sécularisé ne fait qu’accroître le danger devant lequel nous nous trouvons.
Ainsi les États-Unis d’Amérique – à la suite de modèles récents : la France révolutionnaire et napoléonienne, l’Empire britannique, la Russie soviétique et l’Allemagne nazie – se trouvent aujourd’hui confrontés à la tentation la plus dramatique de leur histoire : assumer sur la scène du monde le rôle de la manifestation présente de l’antéchrist. Pour ceux qui justifient théologiquement une pareille présomption, il s’agit d’une véritable apostasie. Car ces faux docteurs auront fait passer l’office glorieux de Jésus-Christ et de l’Esprit de Dieu, à celui, collectif et mythique, d’une nation, l’Amérique, frauduleusement revêtue d’attributs prétendument divins. Mais ce pouvoir étatique aux prétentions quasi divines n’est constitué que de moyens humains et charnels, économiques et financiers, techniques et militaires, misérables oripeaux d’un monde en voie de perdition.
C’est ainsi que nos fondamentalistes dispensationalistes de tous bords reprennent pour leur compte l’antichristianisme des Juifs qui ont crucifié leur Messie. Sans repentir, ils sont certains de subir, eux aussi, (avec la nation qu’ils égarent) un jugement semblable à celui qui tomba sur la Jérusalem terrestre, apostate et traître à son Dieu et à son Roi, sous les coups de boutoir des armées romaines en l’an septante de l’ère chrétienne.
Que Dieu vienne en aide à son Église et aux nations de ce monde.
Jean-Marc Berthoud
[1] Sur l’état du christianisme américain voyez les ouvrages de David F. Wells, No Place for Truth. Or Whatever Happened to Evangelical Theology, Eerdmans, Grand Rapids, 1993 ; God in the Wasteland. The Reality of Truth in a World of Fading Dreams, Eerdmans, Grand Rapids, 1994 ; Losing our Virtue. Why the Church Must Recover Its Moral Vision, Eerdmans, Grand Rapids, 1998.
[2] Le programme de ces milieux est constitué par les slogans habituels en faveur de la démocratie libérale, de l’économie de marché, des droits de l’homme et d’une science et d’une technologie, garants infaillibles des progrès de la civilisation moderne. Caroll Quigley, The Anglo-American Establishment, Books in Focus, New York, 1981 ; Tragedy and Hope. A History of the World in our Time, Macmillan, New York, 1966.
[3] Ernest Lee Tuveson, Redeemer Nation. The Idea of America’s Millenial Role, The University of Chicago Press, Chicago, 1980 (1968) ; Millenium and Utopia ; A Study in the Background of the Idea of Progress, Peter Smith, Gloucester (Mass.), 1972 (1949). Voyez également : Iain Murrray, The Puritan Hope. Revival and the Interpretation of Prophecy, Banner of Truth, Edinburgh, 1973. Sur l’histoire de l’idée du progrès si étroitement associée à ce courant millénariste, voyez : Robert Nisbet, History of the Idea of Progress, Transaction Publishers, New Brunswick, 1994 (1980) et Frédéric Rouvillois, L’invention du Progrès. Aux origines de la pensée totalitaire (1680-1730), Kimé, Paris, 1996 ; Christopher Lasch, The True and Only Heaven. Progress and Its Critics, Norton, New York, 1991.
[4] Ceci n’est guère nouveau. Voyez pour de semblables procédés avec des prisonniers allemands à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, les ouvrages de James Baque, Other Losses. An Investigation into the Mass Deaths of German Prisoners at the Hands of the French and Americans after World War II, Stoddart, Toronto, 1989 ; Crimes and Mercies. The Fate of German Civilians under Allied Occupation 1944-1950, Warner Books, 1999 (1997).
[5] Régis Debray, « Bush est un chrétien halluciné », Le Matin, dimanche le 6 avril 2003, p. 21.
[6] Ici le mal est identifié au « terrorisme ». Cette ambition visant à une rédemption par voie politique était déjà celle du Président Woodrow Wilson qui voyait la Première Guerre Mondiale comme une guerre pour en finir avec toutes les guerres. Comme il le disait : « L’Amérique avait le privilège infini d’accomplir sa propre destinée et d’être ainsi le sauveur du monde.
[7] Sur l’influence du Sionisme sur la politique américaine voyez : Alfred M. Lilienthal, The Zionist Connection II. What Price Peace ?, Veritas, Bullsbrook (P.O. Box 20, Bullsbrook, Western Australia, 6084), 1983 ; Nur Masalha, Expulsion of the Palestinians. The Concept of « Transfer » in Zionist Political Thought 1882-1948, Institute for Palestine Studies, Washington, 1992 ; Ralph Schoenman, The Hidden History of Zionism, Veritas Press, (P. O. Box 6345, Vallejo CA 94591), 1988 ; J. J. Goldberg, Jewish Power. Inside the American Jewish Establishment, Addison Wesley, New York, 1996 ; Benjamin Ginsberg, The Fatal Embrace. Jews and the State, University of Chicago Press, Chicago, 1993 ; EIR, The Ugly Truth about the Anti Diffamation League, Executive Intelligence Review, Washington, 1992 ; Kevin MacDonald, The Culture of Critique. An Evolutionary Analysis of Jewish Involvement in Twentieth-Century. Intellectual and Political Movements, Praeger, Westport (Conn.), 1998. Voyez également l’article très éclairant de Stephen J. Sniegoski, « The war on Iraq : Conceived in Israel ». Pour une étude sur l’influence des milieux juifs sur la vie politique d’une autre grande nation voyez : Alexandre Soljénitsyne, Deux siècles ensemble 1795-1995. Tome I, Juifs et Russes avant la révolution ; Tome II, Juifs et Russes pendant la période soviétique 1917-1972, Fayard, Paris, 2002-2003.
[8] Voyez sur le mouvement néo-conservateur américain : Peter Steinfels, Neo Conservatives. The Men who are Changing America’s Politics, Simon and Schuster, New York, 1979 ; Kenneth L. Deutsch, Leo Strauss : Political Philosopher and Jewish Thinker, Rowman and Littlefield, 1994 ; Kenneth L. Deutsch and John A. Murley, Leo Strauss, the Straussians, and the Study of the American Regime, Rowman and Littlefield, 1999 ; Laurence Lampert, Leo Strauss and Nietzche, University of Chicago Press, 1996 ; Shadia B. Drury, Leo Strauss and the American Right, St. Martin’s Press, New York, 1997. Voyez aussi l’excellente étude de Kevin MacDonald, « Thinking about Neoconservatism » (September 18, 2003)
[9] Pour une excellente explication biblique de la destinée du peuple d’Israël voyez, O. Palmer Robertson, The Israel of God. Yesterday, Today and Tomorrow, Presbyterian and Reformed, Phillipsburg, 2000. Il faut ici ajouter les ouvrages de Philip Mauro et en particulier, The Gospel of the Kingdom, 1974, Seventy Weeks and the Great Tribulation, s. d. et surtout The Hope of Israel. What is it ? 1970, tous publiés par Reiner Publications, Swengel, Pennsylvania. Voyez aussi le texte à caractère confessionnel, publié par le John Knox Seminary en Floride : An Open Letter to Evangelicals and Other Interested Parties : The People of God, the Land of Israel, and the Impartiality of the Gospel.
[10] Voyez ici les études capitales de Ernest Lee Tuveson déjà mentionnées : Redeemer Nation et Millenium and Utopia. La question de savoir lequel, d’entre la nouvelle eschatologie ou l’optimisme associé à la révolution scientifique, tous deux datant de la première moitié du XVIIᵉ siècle, était prioritaire peut se discuter. Il semble en fait que ces deux causes de la nouvelle idéologie du progrès étaient complémentaires et qu’elles se sont confortées réciproquement. Voyez aussi l’étude récente de Crawford Gribben, The Puritan Millenium. Literature and Theology 1550-1682, Four Courts Press, Dublin, 2000 ainsi que l’ouvrage éclairant de David S. Katz, Philo-Semitism and the Readmission of the Jews to England 1603-1655, Clarendon Press, Oxford, 1982. Pour une description triomphaliste (et fort discutable) de l’influence du Judaïsme au cours de l’histoire du Christianisme sur les mouvements de réforme à l’intérieur de l’Église écrite par un auteur juif, voyez : Louis Israel Newman, Jewish Influence On Christian Reform Movements, AMS Press, New York, 1966 (1925). Le mouvement des British Israelites au XIXᵉ siècle, en pleine apothéose de l’Empire britannique, (et qui joue encore aujourd’hui un rôle important dans la vie religieuse américaine à travers la Worldwide Church of God de Herbert W. Armstrong), opérait lui aussi une semblable identification messianique politique, ici de la nation anglaise (ou pour Armstrong, du monde Anglo-Saxon) avec les dix tribus perdues d’Israël. Voyez : O. Michael Friedman, Origins of the British Israelites : The Lost Tribes, The Edwin Mellen Press, New York, 1993. Le mythe du fardeau de l’homme blanc rendu si populaire par les écrits de Rudyard Kipling participe également à cette idéologie impériale.
[11] Voyez à ce sujet les ouvrages classiques de Perry Miller, Errand to the Wilderness, Harvard University Press, Cambridge (Mass), 1956 ; The New England Mind, Macmillan, New York, 1939 ;, etc.