La France, la guerre et la religion

par | Résister et Construire - numéros 53-54

Les résultats d’un sondage d’opinion sur la guerre en Irak, publiés par le fort respectable quotidien français Le Monde, n’avaient rien d’une plaisanterie. Tandis que 78 % des personnes interrogées étaient contre la guerre, 53 % espéraient que la coalition viendrait à bout de Saddam Hussein. Ils étaient cependant 33 % au total à ne pas vouloir de victoire américaine et 25 % se disaient du côté de l’Irak.

Un tel résultat a choqué de nombreux Français. Comment pouvait-on soutenir ainsi le bourreau de son propre peuple ? Il existe à cela plusieurs raisons, plus ou moins évidentes.

  1. Chirac s’est particulièrement distingué lors d’une déclaration dénuée de toute logique cartésienne, selon laquelle la guerre est toujours la pire des solutions. C’est à peine s’il y avait un politicien de marque pour le contester. D’autre part, les médias français n’ont guère été remarqués pour leur objectivité : ils n’ont cessé en effet, et ce jusqu’à l’arrivée des Américains aux portes de Bagdad, de produire des reportages tendancieux, au point qu’un réfugié irakien, furieux, a accusé la chaîne de télévision France 2 de vouloir servir la cause de Saddam.

La France souffre encore d’un virus étrange, le gaullisme, avec ses illusions de grandeur – de Gaulle ne s’étant jamais remis de la non-participation de la France au sommet de Yalta ; les réactions françaises manifestent souvent d’ailleurs un vif ressentiment à l’égard du monde anglo-saxon. En plus de cela, une doctrine non moins étrange prévaut depuis les années Mitterrand, celle de l’exception française : à savoir que la vocation de la France réside en la défense des exclus et en un militantisme égalitaire. Ayant ainsi déterminé sa ligne idéologique, elle peut intégrer le courant dominant et par la suite seulement ramasser les morceaux[1].

Mais alors des forces plus obscures étaient à l’œuvre : les musulmans d’Europe étaient unanimes dans leur opposition à cette guerre. C’est-là un sujet qu’il nous faut considérer. La France a son lot de musulmans, jusqu’à six millions peut-être, dont un million avec le droit de vote, suffisamment pour influencer une élection. Lors des récentes manifestations à Paris, environ la moitié des participants, de jeunes immigrés musulmans brandissaient les drapeaux algérien et irakien et scandaient des slogans en faveur de Saddam, contre Bush, Blair et Israël.

Plusieurs ont réagi avec colère. Dans le quotidien de droite Le Figaro (du 5 avril), Corinne Lepage, ancienne ministre, s’est exprimée au sujet d’une France humiliée, déshonorée : « Les foules sont parfaitement organisées et orchestrées par les mouvements islamistes, conformément aux codes claniques et islamiques et selon les principes de la charia ». L’antisémitisme latent de ces mouvements a refait surface lors du passage à tabac, à une manifestation, de deux juifs pacifistes. Certains commentateurs ont commencé à parler d’une « France barbare », et l’on s’est demandé si les réactions face à la guerre n’étaient pas le présage, comme un avant-goût, de ce qui risquait bien d’arriver à l’Europe de demain. Combien de temps l’Europe dite unie, encore sur le chemin de la construction, pourra-t-elle résister aux pressions tiers-mondistes ainsi qu’aux tensions ethniques et religieuses qui risquent de faire d’elle une zone floue, une civilisation en miettes ?

La guerre a par ailleurs réveillé cette autre particularité française qu’est l’idéal d’une neutralité religieuse ou d’une laïcité d’état. Celui-ci se manifeste, la plupart du temps, par des comportements et une propagande foncièrement anti-religieux. L’Islam en France et ses excès a généré des réactions différentes.

Tout d’abord, les politiciens se sont pliés en quatre afin d’éviter tout conflit, institutionnalisant l’Islam en France, dans l’espoir sans doute de l’apprivoiser. Après un « socialisme à la française » qui n’a pas fonctionné, on offre aux mangeurs de baguette un « islam à la française », voué lui aussi à une fin certaine. Une assemblée nationale pour la communauté islamique, avec des représentants élus, a vu le jour tout récemment. Les mosquées « champignonnent » à travers le pays et la présence de l’Islam en France se fait toujours plus visible. La pression religieuse que l’on exerce à l’encontre d’autres groupements religieux tels les Évangéliques ou les Témoins de Jéhovah ne semble pas concerner les musulmans qui, suite aux tensions manifestées en France lors de la guerre en Irak, bénéficient en effet d’une position de force dans les négociations et d’un traitement de faveur.

Tout au long de la guerre, George Bush fut présenté par les médias comme un fondamentaliste pur et dur, imprégné d’idées religieuses bizarres ; il s’en est fallu de peu pour que Tony Blair, qui a pourtant réussi une communication plus heureuse, subisse le même sort. Il y a en France une très grande animosité, ainsi qu’une profonde incompréhension à l’égard de la société américaine, de ses racines religieuses et de son caractère. Que la religion puisse exercer une quelconque influence sur la société et la culture occidentales est à des années-lumière de la mentalité française. D’autre part on n’essaie nullement de comprendre qu’une nation puisse accorder autant d’importance à la religion, exception faite du cas de l’Islam, que l’on considère comme un reste de tribalisme médiéval que la culture et la civilisation ne manqueront à la longue de neutraliser. En fait, on a souvent l’impression que quiconque a des préoccupations religieuses autres que celles de son Dalai Lama, doit être un retardé mental.

Cela en arrangeait finalement plusieurs que les deux parties, lors de cette dernière guerre du Golfe, s’en soient ouvertement référées à « Dieu ». Toute tentative pour comprendre d’une manière critique la légitimité d’une telle référence ou même pour débattre sur la capacité de l’une ou l’autre partie à justifier cette dernière, est bien trop compliquée pour des esprits rendus gourds par les super-simplifications médiatiques. Même le fait, évident, qu’il ne s’agit pas du même Dieu auquel il est fait référence, ou encore que le mot « Dieu » ne touche pas forcément à la même réalité chaque fois qu’il est prononcé, semble être au-delà de l’imaginable. Il est en effet plus facile d’accepter l’« évidence » que toutes les religions sont sources de violence et de haine, ce qui revient à dire que le plus haut degré d’humanité consiste à ne pas être religieux du tout[2]. Il n’est pourtant pas si difficile de supposer que les religions ne sont pas cause de violence, mais qu’elles pourraient être utilisées à des fins politiques ou autres.

Selon la perspective de la foi chrétienne, tout cela n’a rien de très encourageant pour nous en France ou en Europe occidentale. Les préjugés populaires contre la religion ne sortiront que plus exacerbés d’un tel conflit, qui ne sera qu’un prétexte de plus pour justifier d’éventuelles réactions anti-chrétiennes et rendra d’autant plus problématique une écoute honnête des choses concernant la foi évangélique.

Pour ce qui est de l’avenir, sans vouloir tomber dans la futurologie, il semble difficile d’échapper à l’éventualité de voir tôt ou tard se retourner contre une Europe devenue post-chrétienne, le conflit des civilisations qui se joue maintenant sur le terrain militaire au Proche-Orient. L’attitude indolente de nos politiciens, l’indifférence religieuse de nos concitoyens, constituent des prises idéales pour l’intégration de l’Islam en Europe. Même s’il existe des musulmans tolérants, un Islam tolérant semble être en contradiction de termes.

Un conflit des civilisations en Europe est cependant peu vraisemblable. L’éventualité d’une mainmise lente et inéluctable par l’Islam semble plus plausible, à moins d’un changement radical dans nos mentalités et d’une prise de conscience du danger réel occasionné par l’Islam dans nos pays.

Paul Wells

[1]      Voyez : Jean-François Revel, L’obsession antiaméricaine, ses causes, ses inconséquences, Poche, Paris, 2003. Aussi, d’un point de vue différent : Emmanuel Todd, Après l’Empire ; essai sur la décomposition du système américain, Gallimard, Paris, 2002. (Rédaction).

[2]      Voir mon article « Religieus geweld » dans le Reformatorische Dagblad. Paul Wells est Professeur de Théologie systématique à la Faculté libre de Théologie réformée d’Aix-en-Provence.