Une visite au Congrès International de Guérison d’Oron la Ville

par | Résister et Construire - numéros 53-54

Allez donc aux carrefours, et invitez aux noces tous ceux que vous trouverez. Ces serviteurs s’en allèrent par les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, méchants et bons et la salle des noces fut remplie de convives. (Matthieu 22:9-10)

Le péager se tenait à distance, n’osait pas lever lest yeux au ciel, mais se frappait la poitrine et disait : O Dieu soit apaisé envers moi pécheur. (Luc 18:13)

Je vous le dis, s’ils se taisent les pierres crieront. (Luc 19:40)

C’est par un coup de fil que j’ai été informé des dates du Congrès International de Guérison devant se tenir, fin mai 2003, à Oron-la-Ville. Une collègue de travail récemment convertie insistait sur l’importance de l’événement, car, pas moins de quatorze prophètes-guérisseurs allaient s’y rendre. Ah bon…

M’ayant pour ainsi dire convaincu d’y aller, ma conscience (eh oui !) s’est mise en ébullition…, n’ayant plus fait aucune démarche véritable et sincère à l’encontre d’un quelconque groupe chrétien, de quelque tendance que ce soit, depuis environ sept ans. J’avais baigné dans la mouvance charismatique (quelle prétention !) au sein de JEM entre autres vécu ce que, pour ma part, j’appelle la toute grosse blague de Toronto, sans parler des innombrables soirées de louanges super-dynamiques, ayant de la pêche, aussi interminables qu’hystériques. Ces soirées étaient toutes immanquablement suivies de prédications d’apôtres toujours spectaculairement prometteuses puis par des tas (et des tas) de témoignages de gens ayant reçu un soi-disant ministère de ceci ou de cela. Je fais pourtant encore partie de ceux qui pensent que le Saint-Esprit est non seulement plus subtil que ne le laisse entendre tout ce fatras et qu’on ne peut le manipuler comme on le ferait pour un vulgaire mode d’emploi. Dans les cas extrêmes, on en arrive dans ces milieux à confondre le Tabernacle de Dieu avec le Cirque Knie.

J’avais quand même trouvé bizarre que ces apôtres roulent quasi tous en Mercedes. J’avoue avoir un peu oublié toutes ces anciennes expériences et avoir toujours souhaité que quelque chose se passe pour pouvoir vivre heureux avec le Seigneur ; j’avais également oublié toutes ces attitudes extrêmes ayant fortement déplu à mon âme.

J’ai alors finalement décidé d’aller voir et d’assister au moins à une des cinq journées prévues. Il suffisait de s’inscrire par téléphone. Ce qui fut fait aussitôt.

Pendant les trois semaines qui précédèrent l’événement, j’ai pris le temps de m’interpeller plus fortement que d’habitude sur tous les carcans, les tourments et les esclavages qui affectent aussi bien ma chair que ma conscience, histoire de bien me rappeler ce dont je souhaitais depuis longtemps si vivement être débarrassé.

Vint enfin le moment attendu, d’autant plus que ma meilleure amie (amitié de plus de vingt ans), elle aussi charismo-allumée, m’appela au téléphone pour m’inviter à l’y rejoindre, ignorant tout du fait que j’étais déjà au courant.

Rendez-vous fut pris pour la retrouver ainsi que d’autres de ses amis, aux abords du lieu. Cela ressemblait à une grande salle avec en annexe une immense tente pour pourvoir aux places rendues nécessaires par la forte affluence et surtout parce que la salle elle-même était surchauffée, ceci au propre comme au figuré. Après avoir reçu un badge me permettant de circuler librement dans les lieux, je fus très vite présenté à ces amis, dont un Américain bien sympathique. Nous fûmes rapidement conduits à l’intérieur de la tente, pour y être assis au premier rang. Je m’aperçus alors qu’il s’agissait du rang destiné à ceux qui souhaitaient recevoir. J’observais alors des gens montant sur cette estrade à l’appel de deux ou trois animateurs reliés, je ne sais trop comment, à la grande salle où se produisait le prophète-guérisseur. Ce dernier était aussi bien habillé que Frank Sinatra. Quant au show, car c’est bien de cela qu’il s’agissait, c’était le style à l’américaine, avec musique et écran géant, pour permettre de bien voir la tête de l’apôtre.

L’animateur-prophète-guérisseur harangue littéralement sa foule, anticipe au maximum, fait culpabiliser à fond (c’est marrant, ça me rappelait quelqu’un !), annonce que bientôt le Saint-Esprit va se pointer. C’est vraiment la prise de tête.

Puis vient le moment où il annonce l’arrivée de l’Esprit : « Et maintenant mes chers frères et sœurs, entrons tous ensemble dans la communion du Saint-Esprit, car il va opérer toutes sortes de prodiges ce soir. Oui, mes très chers frères et sœurs, le Saint-Esprit va vous guérir ce soir, quel que soit votre problème ! »… Ah bon ? Super ! Mon amie me presse de monter sur scène. Vraiment, c’est le moment où jamais. Du moment que tu es sincère, que tu te repens et que tu as la foi. Alors vas-y, fonce ! OK !

Alors je grimpe quelques marches, suivi du copain américain, évangélisateur dans la vie. J’avais oublié de le dire, il était bien décidé à m’assister dans ma démarche. Je suis accueilli et entouré de trois autres personnes m’annonçant tout de go : « Quel est ton problème ? » Alors là, comme longtemps auparavant j’avais pas mal réfléchi à la chose, j’ai pris soin d’énumérer une véritable liste, (ce qui nécessite du temps), de mes diverses afflictions. J’ai donc commencé par, comment dire ? Eh bien je suis polytoxicomane depuis trente-trois ans ; et puis je souffre d’un emphysème ; de l’hépatite C ; je suis maniaco-dépressif ; mes vertèbres lombaires sont très très déplacées ; sans parler d’un sérieux problème de… En fait, j’avais récité tout ça sans qu’ils n’y portent la moindre attention. Ils m’ont très vite annoncé : « Nous allons t’imposer les mains. » Je n’avais vraiment rien contre. Ensuite, ce n’est pas qu’on ne m’ai vraiment fait basculer en arrière. Disons plutôt, qu’on m’y a aidé et que sur le moment je me suis laissé faire. Et me voilà couché sur le dos, les yeux fermés, entendant d’abord toutes les prières qui montaient autour de moi. Bientôt elles n’étaient soutenues que par cet ami américain qui, en anglais, implorait le ciel avec acharnement pour que je sois délivré de mes tourments. J’entendais qu’il parlait souvent en langues, encore que je ne sois pas bien convaincu par tous ces gens qui parlent en langues à chaque fois qu’ils sont assemblés, n’ayant évidemment jamais personne pour traduire. Je me souviens, d’ailleurs, que chez JEM, eh bien, cela leur prenait tout le temps, je veux dire, n’importe quand, presque tous les jours, à toutes sortes d’occasions de prière. Eh oui, il paraît que c’est la seule véritable preuve que l’on est en communion avec le Très-Haut. Ils étaient aussi très nombreux à annoncer régulièrement : Le Seigneur m’a dit… ; The Lord told me… Intéressant !

Bon, revenons à nos moutons. Car justement je me suis mis à les compter, entendez par là, je me suis endormi. Probablement la fatigue, la drogue, ces voix charabiesques tournoyant autour de moi y étaient pour quelque chose. Je me suis quand même réveillé trois heures plus tard. C’est vrai ! Il n’y avait plus que moi et l’Américain toujours agenouillé à mon chevet dans la grande tente. Et puis, rien de spécial. On a pris rendez-vous pour le lendemain, samedi.

Et c’était comme le soir d’avant. Il régnait une ambiance chaude, au propre comme au figuré. La salle était comble et bouillante et la tente était presque pleine. Là l’atmosphère y était plus respirable. Nous avons choisi de rester sous la grande tente, car le grand écran qui était sur scène nous permettait de suivre tout ce qui se passait dans la salle.

A tour de rôle, des prophètes-guérisseurs dotés de dons d’orateurs certains, doués pour le one-man-show, chauffent le public pour les préparer à plusieurs séances de guérison, ceci aussi bien sur scène que dans la salle. Ils sont tous très bien habillé(e)s, ayant une aisance de professionnels de la scène, dans la façon de se mouvoir, la manière de tenir le micro, de gesticuler, d’interpeller le public, d’annoncer que : « Bientôt, chers frères et sœurs, dans quelques instants, nous allons invoquer le Saint-Esprit afin qu’il vienne guérir tous les bobos de chacun. » Cependant on s’organise, on procède par ordre. Par exemple, « Tous ceux qui ont des douleurs dans la nuque, levez la main », et hop, « Merci Seigneur, c’est vraiment formidable, vraiment extraordinaire, vous n’avez plus mal à la nuque, alléluia ! » On passe très vite à une autre catégorie de souffrance car on ne perd pas de temps. Non mais, c’est vrai quoi, il faut profiter ! Pour une fois que le Saint-Esprit se déplace ! Et puis, c’est tellement intéressant de voir des miracles à une date prévue, à une heure précise, en un lieu précis, avec l’aide précieuse de stars de la prière, de la prophétie et de la guérison. C’est drôle, je garde encore l’intuition qu’un miracle est toujours une surprise inattendue, un clin d’œil du Seigneur…

Ces deux soirées m’ont rappelé le souvenir de bien des débordements comportementaux qui, dans le passé, m’avaient toujours laissé une impression de frustration découlant d’une part du désir de guérir et, de l’autre, d’être confronté à ces phénomènes de foire. J’avoue que je ne ressors aucunement d’une telle expérience, stimulé pour entreprendre une approche de ces milieux, de fréquenter davantage ces tendances. Je reste persuadé que tout se joue au travers de la conscience, de l’âme et de l’esprit ; sans besoin de toute cette religiosité, de ces rituels et de tout ce tralala. Le Saint-Esprit l’est assez (c’est-à-dire Saint) pour se passer de nos démonstrations folkloriques, pour regarder dans nos cœurs qui nous sommes, pour les retourner et les faire battre, compte à rebours.

Le 13 juillet 2003

Un participant qui désire garder l’anonymat.