Introduction
Durham est une petite ville du nord-est de l’Angleterre dotée d’une grande cathédrale. Ce diocèse est récemment devenu un lieu éminent de la vie de l’Église Anglicane lorsqu’en février 2003 la reine d’Angleterre approuva la nomination de Nicolas Thomas Wright comme évêque de Durham. Cette promotion fut un pas de plus dans la carrière éblouissante de cet auteur qui a toujours été à cheval entre le monde académique et la vie de l’Église. Hormis ses débuts à l’Université de Cambridge et un stage au Canada au commencement des années quatre-vingt, sa carrière académique s’est essentiellement développée à l’Université d’Oxford, où Wright avait par ailleurs reçu sa formation. Dans le cadre ecclésiastique, Wright est connu pour avoir été le théologien officiel de l’Abbaye de Westminster, le lieu même où, entre 1643 et 1649, lors d’une extraordinaire révolution politique et religieuse, une assemblée de théologiens et de laïques, approuvèrent une confession de foi qui deviendrait par la suite un des plus grands monuments de l’orthodoxie réformée, la Confession de Foi de Westminster.
En ce moment, Tom Wright est placé au plus haut rang des lumières théologiques mondiales. Avant tout Wright excelle dans l’art de la communication, c’est pourquoi il ne lui est guère difficile d’être un écrivain très prolifique. A cinquante-cinq ans, il a publié pas moins de trente livres. Il a toutes les qualités pour triompher car, en plus de son curriculum académique, il possède une personnalité attirante, un style littéraire agréable et les dons pour nouer le contact avec la mentalité contemporaine. Il est encore jeune tant sur les plans théologiques que pastoraux. On peut affirmer, en utilisant un langage qui lui est familier, que Tom Wright se trouve aujourd’hui au sommet de sa carrière. Après avoir obtenu une position de grande autorité dans son Église et dans le monde théologique international, il commence même à acquérir une notoriété publique dans la société profane en tant que figure médiatique. Enfin, Wright a devant lui un vaste monde d’influence qui se trouve directement à sa portée. Au moment où on apprenait sa nomination par la reine Elisabeth II comme évêque de Durham son œuvre peut-être la plus osée et la plus controversée, « La pensée véritable de Paul »[1], a été publiée en espagnol.
De ce livre, disons le d’emblée et de la manière la plus claire, émane tout un programme qui n’est rien d’autre qu’une tentative de démolition de la foi évangélique historique. Sa thèse centrale est que la Réforme protestante s’est tout simplement fourvoyée sur le sujet qui lui donna naissance : la doctrine de la justification par la foi[2]. Il s’agit, selon Wright, d’une erreur lamentable, dont l’héritage n’est autre que de fausser les débats théologiques de l’Église chrétienne selon le Nouveau Testament, en particulier ceux entre Augustin et Pélage. Ce qui est sûr, selon Wright encore, c’est que de tels débats ne se rapportent en aucun cas à l’enseignement de Paul[3]. L’apôtre (toujours selon Wright) ne s’opposait pas en réalité à l’effort moralisateur d’une religion de salut par les œuvres, mais (nous pourrions le formuler ainsi), à l’exclusivisme nationaliste des juifs[4]. C’est une erreur, historiquement parlant, de traiter les juifs du Nouveau Testament comme (selon une expression que Wright utilise constamment), de proto-pélagiens, parce que l’apôtre ne pouvait les traiter de ce qu’ils n’étaient tout simplement pas.
Bien au contraire, selon Wright l’enseignement de Paul sur la justification se rapportait à l’ecclésiologie plutôt qu’à la sotériologie[5]. D’après lui, Paul enseignerait donc qu’être juste ne signifierait pas être sauvé, mais simplement être membre du peuple de Dieu. Cela signifie que dorénavant, le croyant n’est plus « juste » en s’attachant à la marque de la circoncision, ou à l’observation de la loi cérémonielle. Selon Wright, c’est à cela que se résumerait la grande erreur juive que combattait Paul[6]. Après la mort et la résurrection de Christ, on est maintenant juste (il s’agit une fois de plus, d’être reconnu comme membre du peuple de Dieu) uniquement au moyen de la foi, celle-ci étant comprise comme un pavillon ou un étendard. Dans cette perspective, la foi doit être comprise, non plus comme notre confiance en Christ pour le salut, mais comme la confession de son autorité qui est l’essence de l’Évangile plus que l’annonce de la bonne nouvelle du salut[7].
Selon Wright, la tradition protestante a pendant des siècles perpétué ces erreurs concernant l’enseignement de Paul. Ces erreurs ont eu de pernicieuses conséquences telles, l’individualisme[8], l’introspection[9], le dualisme évangélisation – œuvre sociale[10] et de nombreuses divisions ecclésiastiques[11]. Mais maintenant, du fait que nous connaissons enfin la vérité grâce à une meilleure connaissance historique du judaïsme de l’époque de Paul, il nous reste rien d’autre qu’à nous repentir de notre fausse lecture de l’apôtre Paul.
Il n’est pas dit expressément où doit conduire cette repentance mais est-ce nécessaire de l’expliciter ?[12] On le comprend très bien. Vue dans cette perspective, la doctrine de la justification prêchée par Paul devient une doctrine essentiellement œcuménique, ou plutôt œcuménisante :
« La doctrine de la justification n’est pas simplement une doctrine sur laquelle catholiques et protestants devraient arriver à un accord qui serait l’aboutissement d’un dur labeur œcuménique. Elle est, en elle-même, une doctrine œcuménique, la doctrine qui reproche à nos Églises la manière hermétique dont elles se regroupent et qui affirme que tous ceux qui croient en Jésus appartiennent à la même famille »[13]
De cette façon, Wright en vient à affirmer que les divergences sur la doctrine de la justification ne sont plus un obstacle pour la célébration commune de l’eucharistie entre catholiques romains et protestants[14]. Si on laisse de côté les aspects sentimentaux de cette question, la célébration commune de l’eucharistie signifie en fait la manifestation de l’unité visible de l’Église. On affirme ainsi que la séparation entre catholiques romains et protestants n’est plus valable en ce qui concerne l’Église catholique (dans le sens universel du mot catholique, qui indique l’Église véritable qui traverse toutes les époques). Autrement dit, la question de la justification par la foi est sans pertinence à l’heure de déterminer quelle est la vraie Église. La raison en est simple : aucune Église ne serait dans l’erreur vis-à-vis de l’autre, vu que toutes deux se seraient également trompées. Il existerait donc une égalité d’erreur complète entre elles touchant le sujet de la justification par la foi, doctrine qui est le point principal de la discorde historique entre catholiques romains et protestants.
Tel est le grand défi que Wright pose à la foi évangélique. Pour la première fois, peut-être, dans l’histoire du protestantisme espagnol nous entendons l’appel provenant d’un théologien protestant renommé à mettre de côté nos désaccords doctrinaux avec l’Église catholique romaine, et ceci précisément au nom de la fidélité à la vérité des doctrines bibliques. Les conséquences d’une telle action sont imprévisibles, tant sur le plan de la foi personnelle des croyants que dans le cadre institutionnel et ecclésiastique. La simple publication du livre de Wright en espagnol sur la pensée véritable de Paul est un indice de la profonde transformation qui est en train de s’opérer à l’intérieur du protestantisme ibérique. Et le fait que la publication de ce livre ait passé inaperçu, nous incite à penser que les idées qu’il contient ont déjà pénétrées dans le monde évangélique espagnol sans y trouver de véritable résistance.
Il se peut bien qu’avec la publication du livre de Wright le protestantisme espagnol soit entré dans une nouvelle période de son existence. Cette période serait caractérisée, non seulement par une ouverture au courant d’idées du monde académique international (où, souvenons-nous, la faction théologique libérale établit toujours l’agenda), mais surtout par la relativisation de doctrines jusqu’alors considérées comme incontestables.
Pour cette raison, il est capital de soulever un débat sur les thèses de Wright. Il est indispensable de nous y engager, non seulement pour des raisons académiques, mais avant tout pour des raisons ecclésiales et spirituelles : par amour pour l’Église et par amour pour la vérité. Et ceci, par-dessus tout, par amour pour la Parole de Dieu. Il faut partir de la position fondamentale selon laquelle toute nouveauté doctrinale, par définition, doit être considérée dans l’Église avec la plus grande circonspection et prudence. Mais si, en plus, cette nouveauté concerne un point fondamental de la foi, un aspect du dogme qui fait que l’Église se tient debout ou tombe, et que c’est précisément là où se situe le point de rupture entre la véritable Église et celle qui est tombée dans l’erreur, comme l’a toujours été et continue à l’être la doctrine de la justification par la foi, la plus grande précaution ne semble pas de trop. Est-il vraiment croyable que l’Église universelle se serait trompée pendant deux mille ans et, qu’en particulier, durant les cinq cents dernières années elle ait été totalement dans l’erreur sur un point aussi fondamental de la foi ? Et peut-on avancer une telle affirmation sans que cela provoque un examen minutieux de tous les arguments cherchant à appuyer de telles affirmations ? Par ailleurs, est-il possible de proposer un changement aussi fondamental de la foi de l’Église sans chercher à entrevoir où cela pourrait nous conduire ?
En définitive, il est absolument indispensable d’entreprendre une évaluation précise de cette nouvelle doctrine du point de vue de la foi évangélique historique, tant des fondements et des conclusions de notre auteur. C’est bien ce que nous nous proposons de faire dans les lignes suivantes.
Tom Wright, un théologien évangélique ?
Définition des concepts
Pour débuter il nous faut placer le sujet dans un domaine trop souvent négligé, là où, comme le sait fort bien l’art de la propagande, les batailles se gagnent ou se perdent : celui de la sémantique. Wright a été publié en espagnol dans une collection théologique qui cherche à présenter des textes pertinents, du point de vue académique, relatifs à la théologie évangélique contemporaine. Que Wright soit publié dans une telle collection nous oblige à réfléchir sur la véritable signification du mot « évangélique ». Qu’est-ce, en fin de compte, qu’être évangélique ? Il faut reconnaître que ce mot n’a pas une signification clairement définie. De toute façon il se rapporte d’une manière générale à quelqu’un qui se rattache à la Réforme protestante, mouvement spirituel dont le contenu doctrinal a été défini par les confessions de foi historiques du XVIᵉ et XVIIᵉ siècles. Par rapport à son synonyme « protestant », le mot « évangélique » a acquis une nuance plus aimable, puisqu’il se rattache à l’Évangile plutôt qu’à l’affirmation solennelle, (en latin, protestatio), de vérités doctrinales[15].
Ainsi, le mot « évangélique » a traditionnellement acquis un sens plus spécifique. D’une part, l’utilisation du mot « évangélique » se rapportait non seulement à un système de croyances mais aussi à une spiritualité marquée par la conversion personnelle et une vie de sainteté centrée sur la Bible. Tout cela était en grande partie le fruit des différents réveils que le protestantisme a connu depuis la Réforme. D’autre part, le mot « évangélique » désignait normalement une attitude de refus face à la critique biblique, au discours académique hétérodoxe qui a ravagé le protestantisme depuis l’époque des prétendues Lumières. C’est pour cela que dans les pays de tradition protestante, la distinction entre le milieu « libéral » majoritaire et la minorité « orthodoxe » ou « évangélique » est devenu courant.
La question qu’il faut alors se poser est celle de savoir si Wright est un théologien évangélique. D’une part, il se définit sans doute lui-même ainsi ; de l’autre, Wright jouit d’une bonne réputation parmi les évangéliques comme étant un théologien académique conservateur[16]. Mais quelqu’un qui nie le dogme central de la Réforme, la justification par la foi seule ; qui critique systématiquement, comme ayant un caractère individualiste, introspectif, archaïque ou malheureux, (parmi bien d’autres épithètes négatifs), la prédication de la bonne nouvelle du salut par la foi personnelle en Jésus-Christ, ne peut pas a priori être considéré comme « évangélique ».
Il faut plutôt affirmer que Wright est exactement le contraire d’un véritable « évangélique ».
Le fait que Wright jouit d’une si bonne réputation parmi les « évangéliques » dénote plutôt le besoin qu’éprouve le monde évangélique actuel, dans sa recherche d’une respectabilité académique, de trouver des appuis intellectuels reconnus par le monde théologique universitaire. Pour gagner l’appréciation des milieux évangéliques, Wright a sans doute profité de facteurs purement conjoncturels, par exemple, le fait d’avoir acquis une notoriété par son opposition aux positions de l’école critique radicale rassemblée aux États-Unis autour du Séminaire de Jésus. Mais il n’y a pas que cela. Il faut également attirer l’attention sur la grande habileté de Wright, en tant que communicateur doué, pour parler notre propre langage « évangélique ». Il est manifeste que le but de ses critiques est d’attirer et de canaliser l’attitude non-conformiste qui s’est introduite dans la jeunesse des Églises évangéliques suite à mai 68. Cette génération, comme c’est le cas pour Wright lui-même, est celle qui aujourd’hui est parvenue aux postes de direction ecclésiastique et qui, en conséquence, donnera sa direction à la prochaine génération du protestantisme. Mais l’habileté de Wright se voit surtout lorsqu’il utilise avec tant de succès les concepts clefs de notre propre apologétique, comme, par exemple, dans son opposition au Nouvel Âge ou dans sa constante critique des postulats philosophiques des Lumières[17]. Cependant, il n’est pas crédible de voir en Wright un défenseur traditionnel de la mentalité théologique et philosophique de l’Ancien Régime. C’est plutôt le contraire qui est vrai. Comme nous allons essayer de le démontrer, l’utilisation par Wright de tels concepts répond à des critères de convenance, ce langage étant l’instrument qui lui permet d’élaborer un discours novateur dans le cadre de ses études sur le Nouveau Testament. Car au fond Tom Wright n’est rien d’autre qu’un théologien libéral.
Wright et la critique biblique
C’est tout simplement faux de penser que Tom Wright fait cause commune avec les Évangéliques contre la critique biblique. Plutôt, son intérêt semble se concentrer sur le rôle que la communauté anglicane qui est la sienne semble aujourd’hui jouer comme vecteur du renouvellement des études néo-testamentaires. Lors d’une conférence publiée par l’Institut Anglican de Colorado Springs aux États-Unis, Wright mettait l’accent sur ce rôle, appelant ses confrères à progresser dans l’investigation de ce qu’on nomme le « Jésus historique » et ceci au moyen des méthodes historico-critiques. Dans son introduction à cette conférence, Wright mettait en pleine lumière son attitude à l’égard de la critique biblique. Il y affirmait : « Je crois que l’investigation historique relative à Jésus, est un aspect nécessaire et non négociable de la formation du disciple chrétien ».
Ce qui fait la différence entre un Wright, d’une part, et un Bultmann et l’école du Séminaire de Jésus, de l’autre, ne sont pas leurs points de départ, leurs présuppositions, mais leurs conclusions. Il s’agit alors de deux versions différentes d’un même consensus intellectuel et théologique. Prenant son point de départ dans les Lumières, ce consensus distingue entre le Jésus de l’histoire et le Jésus de la foi tel qu’il nous est présenté par le Nouveau Testament et a comme conclusion obligée, de considérer que le texte biblique est sujet à erreur, ou à des distorsions intéressées, même si elles sont pieuses, de la vérité de l’histoire.
En somme, Tom Wright fait partie d’un des deux courants majeurs d’études du Nouveau Testament. Le courant principal s’est développé au XIXᵉ siècle sous l’impulsion de William Wrede et est caractérisé par une attitude profondément sceptique à l’égard des récits des Évangiles. Ce courant est celui de l’école de Rudolf Bultmann et aujourd’hui est représenté par le Séminaire de Jésus aux États-Unis. En contraste avec celui-ci un deuxième courant théologique s’est développé, à la fois minoritaire et plus optimiste. Son fondateur, au début du XXᵉ siècle, fut A. Schweitzer, qui proposa de chercher à comprendre Jésus et les Évangiles à partir de l’optique eschatologique juive. Ce courant s’est surtout développé dans les milieux académiques anglo-saxons, ceci spécialement grâce aux travaux de E.P. Sanders dans les années septante. Il fut l’initiateur du courant intitulé la « Nouvelle perspective sur Paul », qui aujourd’hui commence à dominer les études pauliniennes[18].
Il est vrai que les conclusions que tire Wright sont moins radicales que celles de l’école majoritaire mais, dans la pratique, on ne peut douter de la distance qui les sépare du discours évangélique traditionnel qui affirme que pour connaître le Jésus historique il suffit de lire le récit biblique. Parfois Wright attaque ouvertement et avec violence ce discours traditionnel évangélique. Voici un exemple. La position défendue par Wright exige que l’on comprenne le Jésus historique à la lumière de l’eschatologie juive, de Qumram et des esséniens en particulier. Dans la pratique, cela conduit Wright à mettre en question la présentation que nous fournissent les Évangiles, perspective où Jésus se montre clairement conscient de sa divinité (Luc 13:34 ; Jean 5:25 ; 8:24, 58 ; 10:30 ; 14:9 ; 17:5 ; voyez aussi Luc 11:31-32.) Dans ces passages les capacités de Jésus se définiraient comme étant supérieures celles d’un « sage » ou d’un « prophète ». Dans la conférence que nous venons de citer, Wright affirme que Jésus était un « jeune prophète juif » qui s’identifiait aux récits de l’Ancien Testament qui parlaient de la venue eschatologique de Dieu vers son peuple. La conscience qu’il aurait eu de lui-même ne serait pas allée plus loin que celle d’être le Messie, ce qui pour Wright ne signifie aucunement sa divinité ou sa préexistence. Par ailleurs, Wright ne perd pas non plus l’occasion pour attaquer, et ceci avec une virulence toute particulière, l’enseignement évangélique traditionnel défendant les affirmations du Nouveau Testament au sujet de la conscience que Jésus avait de sa divinité. Wright ne résiste pas à la tentation de les qualifier de « tentatives pseudo-orthodoxes »[19] et même de « distorsions idolâtriques » de la part de Jésus[20] Sans commentaire !
D’autre part, il est à remarquer que ces affirmations de Wright génèrent de facto une série de problèmes christologiques graves. Ce sont en fait les problèmes dans lesquels la critique biblique s’est enfoncée depuis plus de deux siècles. Le problème essentiel est simple : considérant que Wright affirme aussi la Trinité[21], alors comment Jésus pouvait-il à la fois être Dieu et en même temps, ne pas être conscient de qui Il était ? La position de Wright dépasse de loin l’enseignement traditionnel, celui du Concile de Constantinople III (680-681) par exemple, qui affirme l’existence enhipostatique, (c’est-à-dire, personnelle, mais non absorbée ou annulée) de la nature humaine dans la personne divine du Christ. En pratique la position de Wright en vient à affirmer que la personnalité du Christ est uniquement humaine.
Il est certes très difficile d’intégrer Wright aux discours hétérodoxes traditionnels à l’égard de la personne de Jésus, comme par exemple le nestorianisme ou même les théories kénotiques. Wright ne précise jamais de manière claire sa pensée à ce sujet, mais plutôt il suggère, s’explique à moitié, ou se limite à donner des pistes. Mais en le lisant avec attention, on ne peut éviter l’impression que le mot clef de la christologie de Wright est celui d’identification : Jésus s’identifie aux récits de l’Ancien Testament qui nous parlent de Dieu venant vers Son peuple à la fin de l’histoire, et à la croix, Dieu s’identifie à Jésus. Cette identification divine impliquerait le postulat que la personne de Jésus n’aurait été jusqu’alors qu’« un jeune prophète juif », c’est-à-dire, uniquement un homme. L’enseignement de Wright serait donc une forme moderne de l’hérésie ancienne adoptioniste. Mais il y a plus que cela. Dans la perspective de Wright, la croix serait en outre le moment auquel un changement s’introduit en Dieu, qui aboutit au point culminant de l’histoire. Nous croyons que le discours christologique de Wright doit s’intégrer dans les théories contemporaines qui soutiennent l’idée de la mutabilité de Dieu, une aberration théologique qui, dans le fond, n’est autre chose qu’une forme de panthéisme. Le Dieu qui se révèle dans la Bible, affirme au sujet de Lui-même : qu’Il ne change pas, et qu’en Lui il n’y a pas de changement ni ombre de variation (Mal. 3:6 ; Jac. 1:17).
L’évêque Wright ferait certainement un grand bien s’il nous permettait de sortir des doutes que nous pouvons entretenir au sujet de sa christologie, en confessant de manière non équivoque la doctrine traditionnelle de l’Église, à savoir que le Christ est non seulement une hypostasis (personne) concrète, qu’Il est homoousios (de la même essence que le Père), mais qu’Il l’est en vérité de toute éternité. Oui, pour le bien de l’Église dont il est évêque, il devrait certainement le faire.
Les fondements théologiques de la pensée de N. T. Wright
Nous ne pouvons considérer Wright comme un théologien évangélique ou réfuter une telle idée, sans auparavant faire une évaluation des fondements sur lesquels repose sa théologie. Celle-ci a fait irruption comme une nouveauté dans les études sur le Nouveau Testament et a, pour cette raison, obtenu la reconnaissance d’une bonne partie de la communauté évangélique internationale. Quant aux fondements de sa pensée, il faut dire que la compréhension que Wright a de la théologie paulinienne est fondée sur deux notions qui constituent les colonnes sur lesquelles repose tout son discours : la narration et la vision du monde.
Dans un livre volumineux sur la théologie du Nouveau Testament Wright consacre plus de cent pages à traiter ces questions[22]. D’une part, le discours de Wright est l’aboutissement de l’intégration d’une partie importante des postulats post-modernistes à l’égard de la narration ou du récit narratif[23], ceci tout en maintenant une certaine perspective positive quant à la possibilité d’une réelle connaissance du passé à travers les documents historiques. D’autre part, Wright interprète toute la religion d’Israël au moyen du concept de cosmovision ou vision du monde[24]. C’est sûrement, ici que se trouve l’originalité majeure de Wright dans le cadre des études du Nouveau Testament. Même si, dans ce domaine, il fonde ses travaux sur les œuvres de divers auteurs, il semblerait que son inspiration principale pour l’application de la notion de vision du monde aux études du Nouveau Testament suit celle de Brian Walsh[25].
Pour Wright, la vision du monde des peuples aura un effet déterminant dans tous les domaines : culture, religion, théologie, imagination, sentiments, mythologie et littérature[26]. Dans cette perspective, Jésus et Paul racontaient les histoires communément reçues dans le judaïsme, mais ils les modifiaient pour transformer leur vision du monde d’Israël et permettre l’émergence d’une nouvelle vision du monde – c’est ainsi que se combinent ces deux notions de narration et de vision du monde[27]. Par conséquent, l’évolution qui traverse l’Ancien Testament et celle qui permet de passer de celui-ci au Nouveau est due aux changements dans la vision du monde des collectivités auxquelles s’adressent les auteurs de la Bible.
Il est évident que ce discours de Wright n’implique pas autre chose qu’une vision naturaliste, non seulement du fait religieux en général, mais surtout de la religion biblique, ceci tout autant pour l’Ancien Testament que pour le Nouveau[28]. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le refus persistant de Wright à considérer les textes bibliques dans, ce qu’il appelle, les catégories atemporelles, visant sans doute avec cette expression son caractère comme Parole de Dieu[29]. Le travail de la théologie qui consiste à exprimer le contenu de la Bible au moyen de propositions ou de vérités atemporelles n’a, en conséquence, guère de sens pour lui[30].
Il est clair que le discours de Wright met en accusation la notion même de « révélation ». Il est également vrai que, de manière analogue à ce qu’il fait pour l’étude de l’histoire, Wright accepte une « notion critique de la révélation ». Wright se garde bien d’expliquer cette notion très générale et se limite à affirmer que le langage de l’homme au sujet de Dieu garde quand même un référent, même si celui-ci n’est que métaphorique. En définitive la doctrine de Wright sur la révélation est pleine d’ambiguïtés, mais elle ne peut en aucun cas être considérée comme orthodoxe[31]. En fait, Wright arrive à certains moments à affirmer que son approche théologique est compatible avec l’esprit des Lumières[32].
Pour toutes ces raisons nous pouvons, sans le moindre doute, conclure que Wright n’est pas un théologien évangélique. Au contraire, Wright se repose sur les mêmes principes philosophiques et théologiques que le libéralisme classique, en particulier par sa vision naturaliste de la religion biblique. Wright n’a, à aucun moment, rompu avec cette tradition. Tout son discours suppose l’application originale des deux notions déjà mentionnées, la narration et la vision du monde.
L’attaque contre la justification par la foi
Portrait particulier du judaïsme
Si les choses sont telles que nous les décrivons, N.T. Wright n’est rien d’autre qu’un théologien libéral. Pourquoi donc adresse-t-il autant de critiques aux Lumières, au Dieu des déistes, etc., à la suite de quoi bien des évangéliques en sont venus à le considérer comme un combattant chrétien, souffrant pour la vérité évangélique au milieu du monde académique contemporain si excentrique ? Comme nous l’avons dit précédemment, cette manière de procéder ne semble être autre chose qu’une étape nécessaire à l’articulation de son discours original sur le judaïsme du Nouveau Testament. C’est sur ce discours qu’il se base ensuite pour transformer complètement la doctrine évangélique classique de la justification par la foi seule.
En effet, un des aspects les plus étonnants de l’œuvre de Wright est le portrait très particulier qu’il dresse du judaïsme de l’époque du Nouveau Testament. En général, Wright cherche à approfondir les points de vue développés par E. P. Sanders qui, à la fin des années septante, a suscité une véritable révolution théologique en soutenant la thèse selon laquelle le judaïsme du temps de Jésus n’était aucunement une religion du salut par les œuvres ; bien au contraire, le judaïsme reconnaissait la grâce de l’alliance par laquelle il était lié à Dieu et à l’intérieur de laquelle il se devait de garder la Loi en vue de maintenir son statut de peuple de Dieu. C’est ce qu’on appelle « le nomisme de l’alliance » de Sanders.
L’originalité de Wright se trouve dans son intérêt indéfectible pour la vision du monde du judaïsme et, en particulier, pour ce qui concerne la dimension politique de sa vie religieuse. C’est précisément au moment de la fusion des deux cadres, le politique et le religieux, que s’est fait indispensable la critique de la vision du monde, (postérieure aux Lumières), qui a divisé ces deux cadres. L’argumentation est simple : la vision du monde juive était différente de la nôtre, et nous ne devons donc pas réfléchir sur le judaïsme dans les termes de nos conceptions modernes. En conséquence de l’application systématique de ce principe, il est vraiment difficile de trouver chez Wright un cadre religieux qui ne soit pas interprété politiquement.
Le judaïsme du Nouveau Testament se croyait ainsi être encore en exil suite à ses péchés[33]. Le pardon de Dieu était alors perçu comme amenant une restauration nationale[34]. Le salut pour le judaïsme était, lui aussi, interprété politiquement, comme la libération de ses ennemis, la restauration des symboles nationaux et la jouissance d’un état permanent de shalom, où chacun « habitera paisiblement sous son figuier »[35]. L’attachement à la Torah en vue d’obtenir le salut avait, en conséquence, peu de chose à voir avec un salut post-mortem, mais bien davantage avec la préservation de l’identité nationale juive[36]. De même, la résurrection accomplissait le rôle de symbole de la restauration d’Israël, raison pour laquelle les collaborateurs saducéens refusaient cette doctrine[37]. Quant à la doctrine de la Providence, dans l’idée de la souveraineté divine se cachait en réalité le caractère (approprié ou non) d’une action politique révolutionnaire de libération nationale[38].
Pour ce qui nous concerne, ce portrait du judaïsme est une des faiblesses majeures du discours de Wright. Est-il possible d’avancer ainsi un portrait aussi schématisé et si outrageusement simplifié de la mentalité de tout un peuple, où tout, jusqu’à la résurrection et même la Providence, est interprété politiquement ? A un moment donné Wright, reconnaît la difficulté d’obtenir une vision pleinement unifiée du judaïsme, mais il croit pouvoir la surmonter au moyen de la notion de vision du monde[39]. Mais, sincèrement, nous ne croyons pas qu’il y soit parvenu. En premier lieu parce que la notion de vision du monde, si nous parlons vraiment de vision du monde, est quelque chose de beaucoup plus intérieur, de presque insaisissable, que la version simplifiée présentée par Walsh, Middleton et Wright. Plutôt que d’un ensemble d’idées et de croyances bien définies, il s’agit de la disposition intérieure la plus profonde, l’état d’esprit fondamental, qui oriente l’individu à percevoir la vie d’une façon déterminée. On peut alors légitimement poser à Wright la question suivante : « Quelle est, selon vous, la différence, (ceci sans avoir recours à des subterfuges d’une casuistique nominaliste), entre vision du monde et mentalité et / ou idéologie ? Nous croyons sérieusement qu’à la base de tout le discours de Wright se trouve cette confusion entre vision du monde et mentalité et / ou idéologie[40]. Mais les répercussions de cette confusion ne sont pas uniquement sémantiques vu qu’à l’intérieur d’une collectivité, s’il n’est pas certain qu’il existe une vision du monde unique, on y trouvera cependant sans doute, tant aujourd’hui qu’à l’époque du Nouveau Testament, des mentalités et idéologies bien diverses.
En second lieu, pour obtenir sa vision du monde unifiée du judaïsme, Wright doit généraliser à partir d’un aspect partiel de la réalité et ainsi réaliser d’importantes réductions. Pour être simple, nous ne croyons pas que la reconstruction du judaïsme néo-testamentaire effectuée par Wright ne prenne en compte toute la diversité présente dans les Évangiles[41]. En lisant cette interprétation éminemment politique de la religion d’Israël, on peut difficilement éviter de penser que Wright soit en réalité en train de présenter l’interprétation zélote de cette époque et d’élever ainsi cette vision particulière à la catégorie de la vision du monde du peuple juif tout entier.
En troisième lieu, pour que son interprétation du judaïsme paraisse juste, Wright doit parfois réaliser des subterfuges qui nous semblent par trop flagrants, ceci jusqu’à ignorer, ou même à corriger, les sources historiques qui ne concordent pas avec la vision qu’il nous offre. Parmi celles que nous pourrions citer, nous retenons l’exemple qui nous semble le plus important : en contredisant les rares données que nous offre le Nouveau Testament, Wright présente l’apôtre Paul d’avant sa conversion comme ayant été un pharisien shamaite La raison pour le faire semble évidente : comme nous le verrons par la suite, c’est un pas nécessaire pour l’articulation de son interprétation de l’enseignement de l’apôtre[42].
La théologie de Paul selon Wright
L’exclusivisme d’Israël conduit à son remplacement
Si nous gardons dans la mémoire ce portrait spécial que Wright établit du judaïsme, nous verrons qu’il s’accorde avec sa version de la théologie de Paul. L’idée que, par sa conversion, l’apôtre en soit venu à voir la mort et surtout la résurrection de Jésus à la lumière de la vindication (c’est-à-dire, l’action de plaider en faveur de quelqu’un qui a été outragé), a en soi une grande importance car, comme pharisien shamaite, il attendait pour le peuple juif, le peuple de l’alliance la restauration nationale face à ses ennemis[43]. C’est en Jésus, alors, que s’accomplit cette alliance. Vu qu’à son origine cette alliance avait comme finalité le salut du monde entier[44], elle s’ouvre maintenant aux gentils grâce à l’Évangile ; celui-ci n’est donc pas dans son essence l’annonce du salut, mais bien plutôt la proclamation de la seigneurie de Jésus face au paganisme et aux « principautés » de ce monde[45].
L’apôtre développe alors sa critique qui cherche à relativiser la Torah : les « œuvres de la Loi » ne sont plus rien que des bornes définissant (boundary-markers) l’identité du peuple juif, c’est-à-dire, elles se référent à la loi cérémonielle, qui fixait les limites définissant l’appartenance au peuple de l’alliance. Tels sont la circoncision, les aliments purs, le sabbat, etc.[46], règles qui perdent maintenant toute raison d’être. La seule marque qui reste en vigueur pour définir l’identité du peuple de Dieu est la foi au Christ, foi qui doit se concevoir en fonction de l’Évangile. C’est-à-dire, la foi dont il s’agit ici de la confession de la seigneurie du Christ. La justification par la foi est, alors, la déclaration de Dieu que celui qui a cette foi appartient au peuple de l’alliance. Elle n’est donc pas une notion sotériologique (qui concernerait le salut) mais un concept ecclésiologique (qui concernerait l’appartenance au peuple de Dieu). De cette façon, le peuple juif qui persiste dans son refus du Christ est exclu du nouveau peuple de l’alliance[47]. Ce peuple ne sera plus dorénavant formé par l’appartenance à la race[48]. Voici, en un résumé sommaire, l’enseignement de Wright au sujet de l’alliance, un enseignement que nous pensons pouvoir définir de manière équitable par la phrase suivante : L’exclusivisme d’Israël conduit à son remplacement[49].
Problèmes exégétiques
Un tel discours conduit à de graves problèmes exégétiques. Un de ceux-ci, peut-être le plus important, est de limiter la signification des « œuvres de la Loi » aux seules œuvres cérémonielles. C’est aussi celle qu’enseigne J. Dunn[50].
Cette position implique un alignement avec l’exégèse médiévale antérieure à la Réforme contre laquelle les Réformateurs s’étaient à leur époque clairement prononcés[51]. Il ne semble pas possible par ailleurs d’admettre que cette exégèse fasse justice à la pensée de Paul. Ces « œuvres de la loi » ne peuvent pas non plus être considérées en faisant abstraction de la malédiction qui est prononcée contre ceux qui ne les accomplissent pas (Gal. 3:10) ; et cette malédiction se référait précisément à la Loi dans son ensemble, y compris son aspect moral (cf. Dt. 27:15-26). En outre, dans la perspective de Wright et de Dunn, la différence entre la « justice de la Loi » et la « justice de la foi » n’est pas l’antithèse théologique entre deux justices révélées par Dieu (« Moïse écrit de la justice de la loi… la justice de la foi dit ainsi »), mais plutôt la différence entre la justice divine et une pseudo-justice humaine qui se réclame de l’Écriture. Le but de l’exégèse est de traiter le sens évident d’un texte, or l’interprétation de Wright et de Dunn, dans leur tentative de présenter de façon cohérente la pensée de Paul au sujet de la Loi, contredit le sens évident, par exemple celui de Romains 10:4-5.
Un autre problème exégétique qui nous paraît important est celui de la définition que Wright donne au mot « Évangile » selon Paul. Pour donner une définition de l’Évangile comme annonce de la seigneurie du Christ par rapport aux dieux païens, Wright s’appuie essentiellement sur des témoignages extra-bibliques provenant du monde gréco-romain. Il juxtapose à ceux-ci la vision contenue dans les annonces prophétiques de Ésaïe 40:9 et 52:7. Considérer l’usage plus étendu d’un mot peut sans doute être de quelque utilité en exégèse, mais il est faux d’établir exclusivement la signification d’un mot à partir de son usage général. Au contraire, la manière la plus naturelle de concevoir le sens des mots, (ceci est vrai pour n’importe quelle littérature), est de partir du corps de littérature qui lui appartient (dans le cas présent, ce corps est celui de la Bible) se rapportant de manière prioritaire à l’usage que fait un auteur d’un mot. S’il avait respecté ce critère, fondamental à tout travail d’exégèse, Wright aurait été obligé de reconnaître que le Nouveau Testament n’appuie pas ses affirmations. Dans le cas précis qui nous concerne, Paul ne sépare pas l’Évangile de l’annonce du salut (cf. Actes 20:24 ; 15:1-2 ; Eph. 1:13 ; 3:6). Wright commet l’erreur incroyable d’oublier que dans cette même épître aux Romains, Paul définit le mot « Évangile » en l’appelant « la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit ».
Théologie de l’alliance
À côté de ces questions d’exégèse Wright développe ce qui peut être décrit comme une version moderne de la théologie de l’alliance. Cette doctrine est sans doute le concept théologique le plus important de tout son discours. C’est ce que nous verrons plus loin en considérant la doctrine de la justification par la foi. On pourrait ainsi rapprocher la pensée de Wright de la théologie réformée classique, qu’on appelle aussi une théologie de l’alliance ou du pacte, puisqu’elle s’articule précisément à partir de la notion biblique de l’alliance. Toutefois, il n’est guère possible de reconnaître dans les écrits de Wright la présence d’une variante acceptable de la théologie réformée de l’alliance.
Il est vrai que, tout comme le fait la théologie réformée, Wright présente une accentuation christologique de l’alliance, ce qui lui permet de parler du « remplacement » du peuple juif qui a rejeté le Christ. Mais le problème fondamental est que Wright sépare deux notions qui, dans la Bible, sont inséparables : l’alliance et l’élection. En faisant de l’alliance un instrument au service de la notion de l’inclusion de toute la famille humaine dans le « salut », il tord sérieusement l’union intime qui existe entre alliance et élection dans la Bible. Wright conçoit cette dernière uniquement du point de vue communautaire, l’élection de la nation, et cela parce qu’elle est au service du salut du monde entier[52].
C’est ici est, sans aucun doute, l’élément clef de la théologie de Wright. Toutefois cette compréhension oublie que, si l’alliance avec Abraham était établie en vue du salut des gentils, (Gen. 12 : 3), cette alliance supposait le choix d’un peuple du sein des nations, ce qui impliquait le rejet de toutes les autres nations (Deut. 7:6-8 ; Ps. 147:19-20). Mais il ne s’agit pas seulement de cela, car le principe du choix était également présent au sein du peuple de l’alliance (Rom. 9:6 et suivants). Prendre en compte cette donnée relativise sans aucun doute tout le discours de Wright et de Dunn sur ce qu’ils appellent les « œuvres de la Loi ». Dans la perspective biblique de l’élection s’attacher aux signes institués par Dieu dans une alliance qui suppose une séparation d’Israël d’avec les nations, n’est pas une attitude coupable, comme le pense Wright à l’égard de l’exclusivisme national juif.
En définitive, Wright perd totalement de vue l’aspect « particulariste » de l’alliance. Cela le conduit à susciter un nouveau problème : il affirme le remplacement du peuple juif dans l’alliance sans parler, d’autre part, de la relation actuelle de ce même peuple juif avec cette alliance. Wright a raison d’éviter la perspective courante d’une double alliance que Dieu maintiendrait à la fois avec l’Église et le peuple juif. Mais l’aspect inconditionnel d’une alliance fondée sur le choix de Dieu trouve difficilement sa place dans sa théologie. La raison n’est autre que son refus de l’élection individuelle. De cette façon, il semble clair (pour Wright) qu’Israël, après son remplacement, se trouve totalement séparé de l’alliance en Christ. Toutefois, si la théologie réformée a toujours affirmé le remplacement du peuple juif, elle a également rappelé l’espérance et la certitude que les promesses inconditionnelles données à Abraham pour Israël s’accompliraient dans les élus juifs. C’est pour cette raison que le peuple juif participe déjà à présent à l’alliance en Christ, ceci en la personne de ses élus qui, au cours de l’histoire, parviendront à la foi en Christ, rompant ainsi avec leur état d’endurcissement du peuple. C’est pourquoi Dieu maintient une relation mystérieuse avec ce peuple endurci, à cause de ces élus. Cet aspect de la théologie de l’alliance est absente des écrits de Wright[53].
La justification par la foi selon Wright
Affirmations principales
C’est à partir d’une compréhension de cet enseignement au sujet de l’alliance que nous pouvons maintenant aborder plus directement les affirmations de Wright sur la justification par la foi qui sont, sans aucun doute, l’aspect le plus problématique de tout son discours.
Pour Wright, la justification par la foi est avant tout une doctrine se rapportant à l’alliance. Son point de départ fondamental se trouve dans l’interprétation qu’il donne à l’expression « la justice de Dieu » dans l’épître aux Romains. En s’appuyant sur la Bible grecque des Septante Wright affirme que cette expression veut dire, « la fidélité de Dieu à ses promesses, au pacte (…) c’est l’aspect du caractère de Dieu qui le conduit à sauver Israël, ceci malgré la perversité et la méchanceté d’Israël »[54]. Selon cette définition, cette justice serait alors un des attributs de Dieu. Son appui sur la version des Septante, consiste à citer, de manière très générale, Ésaie 40-55 et Daniel 9. Pour lui, le fait que dans l’Ancien Testament grec l’expression « justice de Dieu » comporte ce sens, constitue un fait si évident qu’il n’admet aucune discussion[55]
A partir de cette constatation Wright explique la nature juridique de la notion « justice de Dieu », mais dans une nouvelle perspective, qui correspondrait à la vision du monde juive qu’il a décrit : au lieu d’un jugement dans lequel le pécheur se présente comme accusé et sort acquitté, – l’enseignement évangélique traditionnel – il s’agit plutôt du jugement que Dieu fait entre son peuple, Israël, et les autres peuples païens[56]. Selon Wright, la nature juridique du terme exclut de considérer le mode de sa communication aux hommes. La « justice de Dieu » est donc une expression alliancielle et juridique ce qui exige un accomplissement futur, eschatologique[57]
Au nom de la clarté conceptuelle, Wright expose les différentes interprétations de l’expression « justice de Dieu », expression qu’il comprend comme génitif de sujet. Cela signifie qu’il faut la considérer comme une œuvre de Dieu, comme une puissance créatrice de salut. Mais la particularité de Wright est qu’il inclut aussi l’idée de justice comme qualité morale ou attribut de Dieu, c’est-à-dire, sa fidélité à l’alliance[58]. Pour justifier son interprétation, Wright refuse de considérer comme synonymes la « justice de Dieu » de Romains 3 et la « justice qui est de Dieu » de Phil. 3 : 9, puisque la première parlerait de la justice « propre » à Dieu, tandis que la deuxième serait un « état »[59]. De la même façon, il offre une interprétation assez étrange de ce qu’est « la justice de Dieu » en 2 Cor. 5 : 20-21, à savoir les apôtres qui sont l’incarnation de la fidélité de Dieu.
Wright applique alors la notion de la justification présente à Qumran, (en particulier dans le document 4QMMT) pour montrer que la justification selon Paul (dans ses épîtres, surtout celles adressées aux Romains, aux Galates et aux Philippiens) a le sens de la définition eschatologique du véritable Israël par Dieu, comme vindication (l’action de plaider en faveur de ses fidèles)[60]. C’est cela en définitive la doctrine de la justification de Wright.
A notre avis, le discours de Wright présente de si grandes difficultés qu’il nous est impossible d’en accepter la validité. Nous ne pouvons rendre compte ici de tous les détails de son exégèse, alors nous nous concentrerons sur deux autres problèmes majeurs que nous y décelons.
La « justice de Dieu » dans la Septante
En premier lieu, sa notion de la « justice de Dieu », contrairement à ce que Wright affirme si résolument, se base sur une idée qui ne trouve pas d’appui solide dans la Septante. Ce n’est tout simplement pas vrai que l’expression, « justice de Dieu » signifie « la fidélité de Dieu à l’alliance » dans l’Ancien Testament grec.
Il faut partir du principe de la régularité de la traduction des termes hébreux en grec. Le sens des termes en grec doit alors suivre celui des termes en hébreux. Le groupe sémantique qui en hébreux exprime l’idée de justice (y_r et surtout sidp) se traduit habituellement en grec par la racine dik-. Cette dernière expression (dik-), est dans de très rares occasions utilisée pour traduire le terme hébreux hiesed qui est celui qui exprime par excellence l’idée de la fidélité de Dieu à l’alliance ; d’autre part, cette notion de fidélité (hiesed) est pratiquement toujours traduite en grec par eleos. Nous n’avons trouvé que quatre exemples où hiesed est traduit par dikaiosyn, raison suffisante pour la considérer comme une irrégularité. (Gen. 20 : 13 ; 21-23 ; 24 :27 ; 32 : 11). Il est donc évident que cet emploi n’est pas sémantiquement significatif et que, par conséquent, on ne peut faire abstraction du mot hébreu usuel pour parler de « la justice de Dieu ».
Il est ainsi intéressant de constater qu’en hébreu, le mot « justice » (siedeqâ) possède un sens juridique très marqué, au point qu’il apparaît virtuellement comme synonyme de « jugement » (mispati). Sur un total de 155 utilisations du premier, les deux termes forment un parallélisme synonymique en pas moins de 39 occasions. Selon Richard Shultz siedeqâ indique le fait d’agir en conformité avec la norme, tandis que mispati souligne l’acte lui-même[61]. De son côté, David J. Reimer affirme que l’usage du terme sidq, tant dans le contexte interpersonnel que dans celui de la théologie, indique invariablement un comportement juste en relation avec certaines normes acceptées par la communauté et, ce qui est le plus important pour nous, que l’alliance n’est jamais invoquée comme base de la sidq[62].
En conséquence, l’idée de la justice dans l’Ancien Testament apparaît indissolublement liée à celle de la loi (Deut. 6 : 25). La justice, selon Paul, ne peut donc être autre chose que la justice de la loi (Rom. 3 : 20 ; 10 : 5), ou la justice de Dieu, qui n’est autre que la justice réalisée par Jésus-Christ et que l’homme reçoit par la foi (Rom. 3 : 26 ; 10 : 6). On retrouve ces deux justices ensemble en Phil. 3 : 9. En contradiction avec ces preuves bibliques la loi ne joue aucun rôle instrumental dans le discours de Wright concernant la justification.
A l’encontre de toutes ces données, les arguments sur lesquels Wright s’appuie pour affirmer que la notion de « justice de Dieu » dans la Septante possède le sens de fidélité à l’alliance, – voir son allusion très générale à deux textes, Es. 40-55 et Dan. 9 – nous semblent très faibles. D’une part, affirmer qu’en hébreu ou en grec, le mot « justice » possède le sens de « fidélité à l’alliance », parce que ce mot apparaît en Es. 40-55 (passage qui prédit le retour de l’exil) nous semble être une simplification assez radicale des données de l’Ancien Testament[63]. Cette idée a besoin de beaucoup plus de précision. Tandis que dans le livre d’Ésaïe la justice ne se trouve jamais mise en parallèle avec hiesed, elle apparaît très souvent associée au « salut » (45:8 ; 46:13 ; 51:6-8 ; 54:17 ; 59:17 ; 61:10). Par conséquent, ce terme de justice, chez Ésaïe, n’indique pas autant le caractère de Dieu que son œuvre.
Naturellement, Wright rejettera la validité d’une telle exégèse qu’il pourra disqualifier en les traitant de « théologie atemporelle ». Car son intérêt se concentre exclusivement sur la tâche de situer la pensée de Paul, tant dans le flux de l’histoire que dans son contexte historique immédiat. Ici le Sitz im Leben, si cher à Wright, signifie pour lui le fait de rapprocher le plus possible la pensée de Paul avec l’eschatologie juive et en particulier avec celle des esséniens. C’est seulement ainsi qu’on peut expliquer pourquoi il s’appuie sur Daniel 9. Cependant, il nous semble assez osé d’affirmer que dans ce dernier chapitre la notion de la justice de Dieu signifie « la fidélité à l’alliance ». Le seul appui que Wright pourrait prétexter est la divergence du texte grec par rapport à l’hébreu – et, en conséquence avec nos Bibles contemporaines – en traduisant le verset 9 par, « la justice et la miséricorde ». […]
Dans ce passage, donc, la justice de Dieu ne paraît pas avoir le sens avancé par Wright. Pour ce qui concerne la pensée de Paul que Wright met constamment en relation avec l’eschatologie juive, nous devons dire qu’autant son portrait de Paul que celui du judaïsme du premier siècle nous semblent, comme nous avons essayé de le montrer précédemment, passablement altérés. Tant la pensée de Paul que le contexte historique lui-même disposaient de marges sémantiques plus grandes que nos théoriciens prétendent le reconnaître ; ils pouvaient donc intégrer de façon plus naturelle les données de l’Ancien Testament.
La « justice de Dieu » selon Paul
Le traitement par Wright des passages pauliniens parlant de la « justice de Dieu » ne pose guère de problèmes moindres. Nous sommes d’accord avec Wright lorsqu’il interprète la « justice de Dieu » dans l’épître aux Romains comme le génitif du sujet, expression qui désigne donc le pouvoir sauveur de Dieu. Cela équivaut à dire que la « justice de Dieu » est une œuvre du salut dont Dieu est l’auteur. Pourtant, Wright n’est pas conséquent avec cette conclusion et assimile pratiquement la « justice de Dieu » avec l’attribut divin correspondant, ce qui lui permet d’interpréter cette expression dans la perspective de l’alliance. C’est comme s’il disait : « Dieu est juste, parce qu’Il demeure fidèle à Ses promesses dans le cadre de l’alliance, ceci malgré le péché d’Israël. » Wright distingue, autant qu’il le peut, cette justice de Dieu de la justice comme état, justice que l’homme reçoit de Dieu, ce qui justifierait son parti pris de ne pas parler des modalités de communication de cette justice. En particulier Wright sépare la justice de l’épître aux Romains de celle dont parle Philippiens 3 : 9, sur la base du fait que la première parlerait de la justice qui est propre à Dieu et la deuxième de l’état de justice de l’homme.
Nous ne sommes cependant pas certains qu’on puisse justifier une pareille séparation, et Wright lui-même ne semble pas totalement convaincu de pouvoir le faire. A un moment donné, Wright en arrive même à admettre que la notion de « justice de Dieu » possède un double aspect : d’une part (toujours selon lui), la fidélité de Dieu et de l’autre, l’état de justice de l’homme – qui, encore selon lui, se trouve dans le fait d’appartenir au peuple de l’alliance[64]. Il est donc évident que Wright ne peut maintenir sa position relative au mot « justice » d’une manière cohérente. C’est ce qui justifie sa séparation radicale de Phil. 3 : 9 des textes parallèles de l’épître aux Romains. Il se peut bien que Wright ait tenté d’effectuer un exercice théologique impossible. Si la justice de Dieu est la justice dont Dieu est l’auteur et dont il est le détenteur, il faut que, lorsqu’elle est administrée par l’homme, elle soit également un état dont l’homme puisse jouir. Autrement la justice de Dieu nous serait totalement incommunicable, comme l’est, par exemple, son attribut d’omniscience. Cependant, parce que nous ne parlons pas précisément de l’attribut divin de justice mais de l’œuvre salvatrice de Dieu, il est d’autant plus nécessaire de parler des modalités d’administration de cette justice à l’égard de l’homme. Pour cela, les débats sur infusion et imputation, qui ont effectivement divisé et divisent encore aujourd’hui catholiques romains et protestants, ne sont pas un luxe ni une trahison de l’Église de l’apôtre Paul, mais une nécessité et un acte de responsabilité théologique.
De la Réforme à la Contre-Réforme
Comme nous l’avons vu, la Loi ne joue pour Wright aucun rôle d’instrument, ni en ce qui concerne notre relation à la justice de Dieu, ni en ce qui concerne la justification. L’œuvre du Christ relative au péché est ainsi privée de tout contenu spécifique et est décrite d’une façon imprécise et très générale par Wright, lorsqu’il dit que Dieu « a réglé la question du péché » (« to deal with sin », en anglais) à la croix. En réalité, pour Wright, l’œuvre de Christ a seulement la valeur de renouvellement de l’alliance. Étant donné que Wright assimile la justice de Dieu à l’alliance, les relations entre Dieu et son peuple sont présentées par lui, à première vue, sous l’angle de l’inconditionnalité divine. Mais les conclusions auxquelles on parvient à partir de la position de Wright – qui est aussi celle de Dunn, de Sanders et de cette « nouvelle perspective sur Paul » – peuvent seulement modifier – et combien ! – cette impression initiale.
Dans un article où il précise sa position sur la justification par la foi face aux critiques de Paul Barnett, Wright affirme que la justification a un triple aspect : passé, dans la résurrection de Christ, futur, dans la résurrection finale, et enfin, présente, cette dernière, bien que cela n’est pas affirmé sans ambiguïté, se produirait lors du baptême. Ainsi, si le baptême est la déclaration de l’appartenance du baptisé au peuple de Dieu, alors selon Wright, celui-ci est le moyen par lequel la justice de Dieu est administrée aux croyants – dans un contexte allianciel, on doit aussi inclure les enfants des croyants à cause de la foi de leurs parents.[65]
Comme nous le voyons, pour Wright la justification présente n’est que l’anticipation de la justification véritable, qui est future, eschatologique, et dans laquelle Dieu justifiera ceux qui ont été ses véritables serviteurs. Nous avons constaté que pour Wright l’Évangile n’est pas l’annonce du salut, mais la proclamation de la seigneurie du Christ et que la foi, telle qu’il la comprend et qu’il l’enseigne, met l’accent sur la dimension objective et intellectuelle conventionnelle, (notitia et asensus, en langage théologique), ceci au détriment de l’aspect subjectif et personnel de la confiance et sécurité (fiducia). De ceci nous devons conclure que le schéma du salut défendu par Wright présente un salut entièrement conditionnel à l’intérieur de l’alliance de grâce. Il s’agit en conséquence, d’un salut synergique, salut où l’initiative de l’homme rencontre celle de Dieu. Exprimé en d’autres termes, le salut que Wright nous présente n’est pas un salut qui va de Dieu à l’homme, mais un salut que l’homme doit obtenir par lui-même, par ses propres œuvres, dans le cadre d’une relation de grâce établie par Dieu.
C’est un fait que le discours de Wright transforme la justification en un processus de salut tout comme le fait l’enseignement de l’Église catholique romaine, tel qu’il a été formulé en son temps dans le Décret sur la Justification promulgué lors du Concile de Trente. Face à cela Wright peut, ou bien affaiblir l’importance de la justification par le baptême, en disant que cette justification n’est pas de l’ordre du salut mais ecclésiologique, ou bien insister sur le fait que le baptême opère réellement la justification, sur quoi, considérée en elle-même, la justification cesserait d’être vue comme un processus. Mais en fin de compte cela n’est pas possible, car l’acte véritable de justification (dont le baptême serait l’annonce) est selon Wright de caractère eschatologique. En ce qui concerne la première possibilité, qui semble être celle pour laquelle Wright opterait, il n’y a plus beaucoup de sens à dissocier à l’excès sotériologie et ecclésiologie, vu, qu’en fin de compte, la finalité de l’Église est d’obtenir le salut. Ainsi, il faut conclure que selon les schémas de Wright, la justification initiale peut se perdre ou être annulée par l’infidélité de l’homme.
Et non seulement cela. Pour rendre le schéma de Wright théologiquement valable, il faut aussi affirmer que dans ce système, Dieu accordera au Dernier Jour leur récompense à ceux qui se seront montrés fidèles, ceci en fonction de leurs œuvres, c’est-à-dire, en fonction de leurs mérites.
En plus, étant donné que la Loi n’est pas conçue en antithèse avec l’Évangile, – voyez tout le discours de Wright et de Dunn sur les « œuvres de la Loi » – il faut en conclure que l’Évangile n’est rien d’autre qu’un nouvel ordre de loi qui a été ouvert à toutes les nations. En d’autres termes, la théologie de Wright, sous une apparence prétendument aimable ou, comme aime le dire Wright, « rafraîchis-sante », n’est autre qu’une forme figée d’un de néo-nomisme. Ce dernier, rappelons-le, n’est rien d’autre qu’un salut par les œuvres de la loi à l’intérieur des rapports de grâce initiés par Dieu.
En considérant tout ce que nous venons de dire, peut-on encore refuser de reconnaître que la théologie de Wright nous introduit en plein dans les paramètres théologiques du catholicisme romain ?
Une des caractéristiques les plus désagréables du mouvement de la « Nouvelle Perspective sur Paul » et, en particulier, de la pensée de Wright lui-même, est de constater la manière dont ils accusent constamment la Réforme d’avoir faussé notre compréhension du judaïsme du Nouveau Testament, ceci ayant pour cause la polémique des Réformateurs contre le catholicisme médiéval. Ils mettent l’accent sur le discours traditionnel du judaïsme sur la grâce de Dieu, discours qu’ils ont appelé le nomisme de l’alliance. Conscients de cela ou non, ils n’auraient pas pu trouver une meilleure appellation pour décrire, tant la théologie médiévale que celle du judaïsme contemporain de Paul. Tous deux peuvent se résumer par un salut obtenu par les œuvres de la Loi, dans sa portée biblique véritable qui, dans le cadre de l’alliance de Dieu avec son peuple, ne connaît pas des restrictions. La foi elle-même est conçue comme étant une œuvre. Nous devons donc dire que tant l’apôtre d’une part, que Luther et Calvin de l’autre, ont maintenu une polémique unique sur les mêmes sujets, chacun évidemment dans un contexte ecclésial différent et avec un langage théologique qui leur était propre. Nos fameux auteurs qui n’ont guère d’intérêt pour des sujets de « théologie atemporelle » ne se privent pas d’émettre des jugements bien téméraires. S’ils étaient armés de cette humilité si nécessaire à l’étude des choses sacrées, au lieu de consacrer leurs forces allégrement à la critique, ils auraient peut-être pu reconnaître qu’ils ont à ce sujet commis une méprise complète. Ils ne semblent cependant guère disposés à le reconnaître. Par conséquent, il est prévisible qu’avec les applaudissements et la reconnaissance générale dont ils sont l’objet, ils iront de l’avant, induisant en erreur la prochaine génération protestante. Celle-ci, en cette époque de fusion universelle accélérée, risque bien, en conséquence de ces erreurs, d’être la dernière.
Conclusion
Comme nous l’avons déjà constaté, les affirmations de N.T. Wright impliquent une attaque dévastatrice contre ce qui constitue le cœur même de la foi évangélique historique : la doctrine de la justification par la foi seule. La force de l’attaque, comme nous l’avons vu, ne nous semble pas résider dans la solidité des arguments des protagonistes de telles théories. La faiblesse de leur argumentation est parfois même surprenante. Sa force réside plutôt en d’autres éléments.
Il faut attirer l’attention d’abord sur la personnalité puissante de l’auteur. Personne d’autre que lui ne se permettrait de dire ce qu’il dit et de la façon dont il le dit. La force de persuasion de Wright réside avant tout dans sa capacité de séduction, ce dont il est bien conscient, sachant fort bien comment en tirer le meilleur profit.
En deuxième lieu, nous devons noter le fait que les enseignements de Wright sont l’expression de l’esprit de notre époque – esprit caractérisé par la mondialisation, l’européisme, le métissage culturel, l’œcuménisme, etc. Rien n’est alors plus approprié à la mentalité contemporaine que de s’entendre dire que la justification par la foi, qui a jadis créé de si profondes divisions dans cette Europe à nouveau aujourd’hui unie, n’est rien d’autre que le dessein de Dieu pour l’abolition de toutes les différences humaines dans l’Église. Wright prêche dans le sens où souffle le vent. Sa voix portera donc loin.
En troisième et dernier lieu, nous craignons beaucoup pour ce qui concerne l’état spirituel dans lequel se trouvent les Églises évangéliques. A une époque où toutes les frontières tombent, où toutes les limites sont dépassées, cela déplaît souverainement de se sentir enfermé dans les liens d’un passé auquel, par ailleurs, on ne s’identifie plus guère.
Dans ce sens, la publication dans le contexte espagnol contemporain des enseignements de N.T. Wright, aussi attrayants qu’ils puissent être, ne présagent certainement rien de bon. Nous sommes aujourd’hui privés de nos racines historiques et, en plus, dans la plupart des cas, orphelins de ces références doctrinales claires et précises que sont les confessions de foi de la Réforme. Dans ces circonstances, il est bien possible que l’attaque wrightienne contre la doctrine de la justification par la foi seule, au lieu d’être un stimulant à la réflexion théologique, deviennent, en fin de compte, le coup de grâce qui nous manquait encore pour achever de nous réduire à une déliquescence complète. Certainement, face au spectacle du bon accueil que reçoivent de telles critiques dans certains secteurs de nos milieux évangéliques, nous devrions d’urgence nous poser quelques questions : pourquoi nous autres, espagnols du XXIᵉ siècle qui sommes si éloignés de la Réforme du XVIᵉ siècle sur les plans historiques et ecclésiastiques, sommes-nous aujourd’hui des « protestants » et pas autre chose ? Pourquoi, dans ces circonstances, sommes-nous « protestants » et non une variante de plus du libéralisme catholique romain ? Et sûrement la question clef est la suivante : Avons-nous conscience d’être protestants parce que nous croyons et confessons ce que dans d’autres pays les protestants ont historiquement cru et confessé, c’est-à-dire, la foi évangélique ?
L’accueil fait à ces nouvelles idées montre la gravité de notre problème spirituel ; de fait il indique notre état spirituel. L’œuvre de Wright manifeste un désintéressement évident pour une véritable compréhension de l’œuvre de Jésus-Christ. La perspective de la vie éternelle y est pareillement, complètement absente. Par contre, ses ouvrages nous présentent ce que doit être une vision du monde, ou plutôt une idéologie religieuse politiquement correcte. Dans application de ses idées se trouve le salut du monde ; le salut du monde est donc dans l’attente que nous fassions quelque chose ; tout cela dépend en effet de nous, si seulement nous parvenions à tirer l’Église hors de ses anciennes habitudes, de ses vieux schémas mentaux… n’est-ce pas vrai ? Combien de fois parlerons-nous encore de la sorte ?
Au fond, tous ces discours impliquent une vision déterminée de Dieu et de l’homme. Oui, au fond, de tels discours se multiplient là où on trouve une grande aversion pour l’idée d’un Dieu qui est véritablement souverain dans ses rapports avec le monde et avec le salut ; ce que revient au même, là où il y a une faible conscience du péché ; là aussi où se développe un processus de sécularisation de l’Église et un total manque d’intérêt pour le salut et pour l’espérance chrétienne (ou dit plus nettement, là où règne la mondanisation). De là à épouser une doctrine de la justification par la foi qui nous « libère » du fait de devoir dépendre de Dieu pour être sauvé, il n’y a qu’un pas. En faisant ce pas nous serions libres de pouvoir nous appeler des « chrétiens » tout court et de pouvoir travailler à promouvoir ce rapprochement final avec l’Église catholique romaine qui nous permettrait d’atteindre tout ce qui aujourd’hui nous est interdit par le fait d’être des protestants.
Cependant, comme nous l’avons vu dans cet article, les solutions données par Wright continuent à être insuffisantes pour résoudre les profonds désaccords avec le catholicisme romain touchant la justification par la foi, ainsi que bien d’autres problèmes en suspens. La nécessité d’une séparation à cause de la vérité persiste toujours. Dans cet article, nous croyons avoir pu démontrer que la théologie de Wright, en nombre de ses aspects est totalement incompatible avec la théologie évangélique. Mais non seulement cela, car elle suppose un retour aux positions exégétiques et théologiques antérieures à la Réforme. En conséquence, il est légitime de considérer le travail théologique de N.T. Wright comme constituant une véritable récatholicisation de la pensée protestante. Les erreurs de Wright sont d’une telle importance et d’une envergure si grande qu’il est justifié de qualifier son enseignement comme « un autre évangile », différent de celui de Paul, de Luther et de Calvin. Pour toutes ces raisons, nous devons affirmer que le fait d’adopter de telles positions n’est rien d’autre que se séparer de l’Évangile et, par conséquent, se mettre dans une relation de schisme par rapport à l’Église catholique universelle, la véritable communauté des croyants en Jésus-Christ.
[1] N. T. Wright, What Saint Paul Really Said, Eerdmans, Grand Rapids, 1997.
[2] Références d’après la version espagnole : N. T. Wright. La pensée véritable de Paul, Terrassa, CLIE, 2002. Voyez les pp. 121-126 où Wright reprend les critiques d’Alister McGrath à l’égard de la sotériologie protestante et où il se propose de les fonder par une exégèse soigneuse des écrits de Paul (p. 123). Ceci signifie que les critiques adressées à la sotériologie protestante par McGrath et par d’autres se seraient développées sans l’appui d’un travail d’exégèse. Le livre de Wright cherche à combler cette lacune.
[3] Voyez tout spécialement la page 121, où Wright évoque également le débat entre Luther et Érasme. En réalité, placer le débat entre Luther et Erasme comme étant à l’origine hypo-thétique du malentendu sur la justification par la foi, démontre chez l’auteur un grave man-que de rigueur, même s’il ne s’agit ici que de dates. […] On ne peut en dire autant de la polémique entre Augustin et Pélage. S’il est indiscutable que la polémique pélagienne ait marqué l’Église en Occident quant à la prédestination, il est bien moins certain qu’elle eut une répercussion directe sur le sujet de la justification. Même s’il s’agit ici d’un ouvrage destiné au grand public, l’utilisation par Wright d’arguments aussi généraux et cela sans la moindre base documentaire, ne contribue pas a faire prendre au sérieux ses affirmations initiales.
[4] Cf. Par exemple, dans son exégèse de Rom. 10 : 2-4. « Israël, dans son effort pour parvenir à cet état de justice, c’est-à-dire pour maintenir une alliance dont seuls les juifs bénéficierait, a oublié de se soumettre à la justice de Dieu. L’alliance impliquait toujours l’existence d’une famille avec des membres dans toutes les nations. Israël, en s’appuyant sur son état de « peuple élu » avait trahi le dessein originel de l’alliance. » (Page 116.)
[5] Voici ce qu’en dit Wright :« Mais nous devrions maintenant être au clair sur certains aspects du débat post-augustinien. Ce que nous entendons aujourd’hui par « justification », n’a rien à voir avec le contexte dans lequel Paul écrivait. Au premier siècle la justification ne concernait en rien la question de savoir « comment établir une relation avec Dieu ». Elle se rapportait à la définition eschatologique, tant future que présente, par laquelle Dieu établissait qui était membre de son peuple ou non. Pour utiliser les mots de Sanders, elle ne concernait pas tant le fait d’« entrer » ou de « se maintenir », mais de « savoir qui était dedans ». Exprimée dans le langage courant de la théologie chrétienne, l’idée de la justification ne se rapporte pas au salut mais à l’Église. »(127 s.)
[6] Cf. p. 133.
[7] Cf. p. 45-48
[8] « Malheureusement, certaines présentations de « l’Évangile » sont aussi tombées dans cet individualisme, en partant de la supposition que nous sommes justifiés et sauvés premièrement en tant qu’individus » (p. 168). (Nous soulignons.)
[9] Ceci se trouve de manière implicite dans sa critique : « quelques-uns l’utilisent encore pour légitimer une « prédication de l’Évangile » assez archaïque ou le problème principal est situé dans l’orgueil et dans le péché humains, et la solution dans la croix du Christ » (p. 29). (Nous soulignons.)
[10] « Prêcher l’Évangile c’est annoncer que Jésus est Seigneur – Seigneur du monde, Seigneur du cosmos, Seigneur de la terre, de la couche d’ozone, des baleines, des cascades, des arbres et des tortues. En comprenant cela nous détruisons la dichotomie subversive qui a existé dans la mentalité des chrétiens entre « prêcher l’évangile », d’une part, et se qu’on nommait « l’action sociale » de l’autre. »
[11] « Bien des chrétiens, tant de la tradition de la Réforme que de celle de la Contre-Réforme, se sont fait beaucoup de tort, tant à eux-mêmes qu’à l’Église, en traitant la doctrine de la « justification » comme constituant le point clé de ces discussions, et en supposant qu’elle décrivait le système par lequel les hommes parviennent au salut. Ils ont de cette manière fait de cette doctrine précisément le contraire de ce qu’elle affirme être. » (Page 169).
[12] Cf., p. 30.
[13] Ibid., p. 168 s. Souligné par nous.
[14] « Ainsi, puisque ce qui importe est de croire en Jésus, un accord détaillé sur la justification n’est pas ce qui devrait déterminer la communion de l’eucharistie. » (p. 169).
[15] Wright a défini ce qui pour lui était le meilleur dans l’Anglicanisme (démarche qui le conduisait en même temps à se définir lui-même) être « évangélique, catholique, libéral et charismatique. » Pour ce qui le concerne, être évangélique veut simplement dire être « enraciné » dans l’écriture. Mais, comme nous voyons dans ces déclarations, ce renvoi à l’écriture se fait dans une perspective « libérale ». Ce dernier terme signifie, selon lui, « la disposition à réfléchir avec des pensées rafraîchissantes », ce que le libéralisme a, en effet, historiquement essayé de faire, mais, disons-le, au prix de l’autorité de la Bible. Qu’il soit dit en passant, l’emploi de la minuscule pour parler de la Sainte Écriture n’est pas une simple erreur typographique. Dans les faits Wright a pris l’habitude d’utiliser la minuscule assez couramment, y compris lorsqu’il parle de Dieu lui-même. Nous ne savons si cette provocation lamentable est « rafraîchissante », mais elle est par contre très significative. Il s’agit, sans aucun doute, d’un de pires aspects de son livre académique The New Testament and The People of God, SPCK, Londres, 1992.
[16] Par exemple en espagnol, M. Wilkins, J.P. Moreland, (Editeurs), Jésus soupçonné. Une réponse aux attaques contre le Jésus historique, Terrassa, CLIE, 2003, p. 85, où, avec J. D. G. Dunn, Wright est défini comme « un historien conservateur ».
[17] Cf. Ibid, p. 16, où est introduite une citation de Wright critiquant « l’impérialisme culturel des Lumières ». Il critique aussi le néo-paganisme du Nouvel Âge.
[18] Comme nous le verrons, les positions avancées par Wright dans La pensée véritable de Paul doivent être entièrement situées dans le cadre de cette nouvelle perspective théologique, dont les représentants les plus connus sont N.T. Wright et J.D.G. Dunn.
[19] Citons-le lui-même : Oubliez les tentatives pseudo-orthodoxes pour attribuer à Jésus de Nazareth la conscience d’être la deuxième personne de la Trinité […]. Considérez-le plutôt comme un jeune prophète juif en train de raconter une histoire sur YHWH qui retourne à Sion comme juge et rédempteur.
[20] Les critiques de Reimarus furent (selon Wright) : Nécessaires pour distinguer le dogme d’une réalité vivante ; nécessaires pour distinguer les distorsions idolâtriques de la personne réelle de Jésus, et à partir de là de définir qui est réellement Dieu, ceci avec une compréhension nouvelle de la vérité. Rappelons, que H. S. Reimarus (1694-1768) fut un des précurseurs de la critique biblique. Professeur de langues orientales à Hambourg, c’est seulement après sa mort que furent publiés ses écrits où il niait des croyances traditionnelles telles : la révélation, le passage de la Mer Rouge, la résurrection du Christ ou encore les idées traditionnelles au sujet de Christ et de ses disciples, ce qui produisit à l’époque un grand scandale.
[21] Cf. La pensée véritable de Paul, pp. 71-81, où l’on voit les difficultés qu’éprouve Wright pour essayer d’expliquer, tant la divinité de Jésus-Christ que la Trinité, du point de vue du monothéisme juif, perspective qui, selon lui, serait celle de l’apôtre.
[22] Cf. The New Testament and the People of God, pp. 31-144.
[23] Ibid., p. 61 s. Le post-modernisme nie toute possibilité d’obtenir une connaissance objective du passé : l’Histoire n’existe pas, seulement des histoires, ou des discours, toujours particuliers et intéressés, sur le passé. […]
[24] L’expression est une imitation du mot allemand Weltanschauung, d’où provient l’expression Worldview en anglais. La définition que donne le Dictionnaire de Académie Royale Espagnole est simple : « Façon de voir et d’interpréter le monde. »
[25] Cf. Ibid., p. 122, note 3 ; p. 123, note 6 ; p 19. Cf. aussi B. Walsh et R. Middleton, La vision chrétienne du monde, (Méry-sur-Oise, Sator, 1988), ouvrage d’orientation néo-calviniste. De ces derniers, Wright intègre la forme simplifiée de la vision du monde comme étant la réponse aux questions : qui sommes-nous ?, où sommes-nous ?, quel est le mal ?, quelle est la solution ? (cf. p. 123 ; p. 132 s).
[26] Ibid., p. 124 s
[27] Ibid., pp. 77-80.
[28] Un exemple significatif est l’interprétation que Wright donne du système des sacrifices dans l’Ancien Testament ; cf. Ibid., p. 274 ss. Wright affirme que « le système sacrificiel fonctionne comme une voie pour établir et institutionnaliser un aspect de la vision du monde que nous avons déjà étudiée » (p. 275). À aucun endroit Wright n’affirme que le système sacrificiel ait été institué par Dieu lui-même.
[29] Ibid., p. 20. Il est très difficile de produire à partir du Nouveau Testament une « théologie » qui reposerait sur des catégories « atemporelles. » […] Tout le Nouveau Testament est culturellement conditionné. De même, dans la conférence citée, Wright affirme que le fait d’avoir prêché les textes bibliques comme Sainte Écriture, a suscité « toutes sortes de malentendus ». Il en vient même à affirmer que traiter les textes bibliques comme le dépôt de la véritable doctrine et de l’éthique est une « simplification outrancière ».
[30] Dans une note en bas de page et sans citations ni explications, Wright présente la Théologie systématique de Louis Berkhof comme un exemple de cette manière d’agir, qu’il qualifie d’« assez stérile » Ibid., p. 131.
[31] Cf. P. Wells, Dieu a parlé. Débat contemporain sur les Écritures, Barcelone, Andamio, 1999, en particulier les pages 223 à 247 de la version espagnole.
[32] N. T. Wright, The New Testament and the People of God, Fortress Press, Minneapolis, 1992, p. 139.
[33] The New Testament and the People of God, pp.. 268-271.
[34] Ceci doit être souligné dans les termes les plus forts possible ; le sens le plus naturel de la phrase « le pardon des péchés » n’est pas en premier lieu pour un juif du premier siècle la rémission des péchés individuels, mais le pardon des péchés de la nation tout entière. (Ibid. p. 273).
[35] Ibid., p. 300.
[36] Ibid., p. 168.
[37] Ibid., p. 200.
[38] Ibid., p. 200 s.
[39] Ibid., p. 118 s
[40] Selon le Dictionnaire de l’Académie Royale Espagnole, la mentalité est « La culture ou la manière de penser qui caractérise une personne, un peuple, une génération, etc. » tandis que l’idéologie est « L’ensemble des idées fondamentales qui caractérisent la pensée d’une personne, collectivité ou époque, d’un mouvement culturel, religieux ou politique, etc. » Par conséquent ces trois concepts forment clairement une famille sémantique. La vision du monde souligne l’aspect de perception et d’interprétation intériorisées de la réalité ; la mentalité, la forme de penser transmise par la culture ; et l’idéologie, le discours basé sur des idées spécifiques. Il nous semble évident que Wright parle de la vision du monde juive quand il devrait parler de la mentalité et surtout d’idéologie. C’est pour cette raison que nous croyons que les conclusions obtenues par Wright à partir de ce point de vue sont discutables.
[41] Le salut dans le judaïsme n’était pas seulement en relation avec la restauration eschatologique de la nation mais aussi avec le salut individuel et l’état de gloire post-mortem, (Luc 16:19-31). Le rapport du juif avec la Loi n’avait pas seulement pour but de maintenir les signes visibles de l’identité nationale, mais était aussi lié aux finalités du salut. (Luc. 18:18-20). Le pardon n’était pas seulement national et n’était pas non plus lié uniquement au retour futur d’Israël de l’exil (Luc.7:36-50). […]
[42] Cf. La pensée véritable de Paul, p. 32-33. Wright considère « impossible » que Saul fut un pharisien hillélite, parce que selon lui, les preuves de sa persécution des chrétiens auraient été une invention. (p. 36). Pourtant, Paul affirme explicitement qu’il avait été instruit aux pieds de la grande figure du parti hillélite, Gamaliel, (Actes 22:3) et, ce que Wright omet totalement, qu’il avait profité depuis sa naissance du privilège d’être un citoyen romain (Actes 22:27-28), ce qu’on aurait certainement pas attendu d’un patriote zélote shamaite. […]
[43] N.T. Wright, La pensée véritable de Paul, p. 42.
[44] Ibid., p. 39 : « L’intention de l’alliance est qu’à travers elle le créateur conduise le monde entier au salut. »
[45] Ibid., p. 65 : « « L’évangile » est pour Paul la proclamation du Dieu véritable en opposition aux faux dieux. »
[46] Cf. N.T. Wright, La pensée véritable de Paul, p. 90 s., 140 ; The New Testament and the People of God, p. 238 ; The Climax of the Covenant, p. 240.
[47] Cf. N. T. Wright, The Climax of the Covenant, p. 246.
[48] Ibid, p. 253.
[49] Wright appuie ce discours sur un travail important d’exégèse dans son livre The Climax of the Covenant. Nous ne pouvons entrer ici dans les détails. Nous dirons seulement que la pensée dominante de cet ouvrage est celle de montrer que Paul dans ses lettres avait cherché à opérer la transformation du discours dominant du judaïsme par la concentration sur le Christ de tout ce qui était couramment attribué à Israël. […]
[50] J.D.G. Dunn, Romans 9-16, Word Biblical Commentary, Word, Dallas, 1988, p. 593.
[51] Cf. Martin Luther, Commentaires de Martin Luther. Galates, Terrassa, CLIE, 1998, p. 55 s surtout 99 s. ; Jean Calvin, Épître aux Romains, Grand Rapids, 1995, p. 102.
[52] « Le but de l’élection (d’Israël) a toujours été celui du salut du monde entier. », dans : La pensée véritable de Paul, p. 156
[53] The Climax of the Covenant, pp. 253-255. Sur ce point, Wright prend ses distances à l’égard de Sanders qui affirme que si Paul avait vécu aujourd’hui il, aurait adopté la théologie de la double alliance (Ibid., p. 232, note 7).